Les Becs de gaz
Les becs de gaz des mauvais coins
Éclairent les filous en loques
Et ceux qui, pleins de soliloques,
S’en vont jaunes comme des coings.
Complices des rôdeurs chafouins
Guettant le Monsieur à breloques,
Les becs de gaz des mauvais coins
Éclairent les filous en loques.
Et coups de couteaux, coups de poings,
Coups de sifflets, cris équivoques,
Spectres hideux, mouchards baroques,
Tout ce mystère a pour témoins
Les becs de gaz des mauvais coins.
poésie de Maurice Rollinat
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L'Amour
L’Amour est un ange malsain
Qui frémit, sanglote et soupire.
Il est plus moelleux qu’un coussin,
Plus subtil que l’air qu’on respire,
Plus provocant qu’un spadassin.
Chacun cède au mauvais dessein
Que vous chuchote et vous inspire
Le Dieu du meurtre et du larcin,
L’Amour.
Il voltige comme un essaim.
C’est le prestigieux vampire
Qui nous saigne et qui nous aspire ;
Et nul n’arrache de son sein
Ce perfide et cet assassin,
L’Amour !
poésie de Maurice Rollinat
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Le Touriste
Le plein midi darde ses flèches
Dans l’air chaud comme une fournaise.
Je chemine tout à mon aise,
Loin des fiacres et des calèches.
Ici, promenades et pêches.
J’aime ça, ne vous en déplaise ;
Le plein midi darde ses flèches
Dans l’air chaud comme une fournaise.
Cher pays, comme tu m’allèches
Par tes rocs et ta terre glaise !
Je n’ai pas de jument anglaise,
Mais j’ai deux jambes toujours fraîches.
Le plein midi darde ses flèches.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Chasseur en soutane
Il tire aussi bien qu’il pérore,
Le grand curé sec et rustaud.
— Pour s’en aller chasser plus tôt,
Il dit sa messe dès l’aurore.
Ce n’est pas en vain qu’il explore
Le bois, la brande et le plateau !
Il tire aussi bien qu’il pérore,
Le grand curé sec et rustaud.
Mais son tricorne qu’il décore
D’une plume de cailleteau
Se profile au flanc du coteau.
Un coup part !… C’est un lièvre encore.
Il tire aussi bien qu’il pérore.
poésie de Maurice Rollinat
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La Forêt magique
La forêt songe, bleue et pâle,
Dans un féerique demi-jour.
Tout s’y voit spectral, d’aspect sourd,
Par cette nuit d’ambre et d’opale.
Là, c’est un cerf blessé qui râle...
Ici, d’autres, pâmés d’amour...
La forêt songe, bleue et pâle,
Dans un féerique demi-jour.
Ailleurs, une laie et son mâle
Et leurs marcassins tout autour !...
Et, tandis qu’un frais zéphyr court,
Venant la reposer du hâle,
La forêt songe, bleue et pâle.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Mauvais Œil
Le mauvais œil me persécute :
Un œil où le blâme reluit,
Où la haine se répercute,
Fixe et vitreux comme celui
Du condamné qu’on exécute.
Sans que jamais il se rebute,
Il me précède ou me poursuit,
Où que j’aille, où que mon pied bute,
Le mauvais œil !
Et je suis tellement en butte
À cet œil jaune qui me nuit
Que je le vois même la nuit ;
Et dompteur dont je suis la brute,
Dans l’ombre il me vrille et me scrute,
Le mauvais œil !
poésie de Maurice Rollinat
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Le Saule
Tout à l’heure, sous les éclats
Et les souffles de la tempête,
Le saule brandillait sa tête,
Et l’étang cognait ses bords plats.
Avec de mortelles alarmes,
Par ce vent, ces rumeurs, ces feux,
L’arbre tordait ses longs cheveux
Sur l’eau qui balayait ses larmes.
Calme, à présent, l’étang reluit,
Le ciel illumine la nuit,
Et, sans qu’une brise l’effleure,
Le Narcisse des végétaux
Admire encore dans les eaux
Sa figure verte qui pleure.
poésie de Maurice Rollinat
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Les clochettes
Maintenant, je suis malheureux
De rencontrer ces fleurs clochettes
A bords dentelés, violettes,
Sur les talus des chemins creux.
Et pourtant ces douces fluettes
Sont encor dans leur coin frileux,
Le perchoir des papillons bleus
Qui s'en font des escarpolettes.
Mais qu'importe ! La canicule
Tire à sa fin. L'été recule...
Et, pour l'oreille de mon coeur
Inquiet et pronostiqueur,
A petits tintements moroses
Ces fleurs sonnent le glas des choses.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Vieux Pont
Ce bon vieux pont, sous ses trois arches,
En a déjà bien vu de l’eau
Passer verte avec du galop
Ou du rampement dans sa marche.
Il connaît le pas, la démarche
De l’errant qui porte un ballot,
Du petit berger tout pâlot
Et du mendiant patriarche.
Au creux de ce profond pays,
Entre ces grands bois recueillis
Où l’ombre humide a son royaume,
Le jour, à peine est-il réel !...
Le soir, sous l’œil rouge du ciel,
Il devient tout à fait fantôme.
poésie de Maurice Rollinat
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Les Deux Loups
Bruns et maigres comme des clous,
Ils m'ont surpris dans la clairière,
Et jusqu'au bord d'une carrière
M'ont suivi comme deux filous.
— Jamais œil de mauvais jaloux
N'eut de lueur plus meurtrière!
Bruns et maigres comme des clous,
Ils m'ont surpris dans la clairière.
— Mais la faim les a rendus fous,
Car ils ont franchi ma barrière,
Et les voilà sur leur derrière,
À ma porte, les deux grands loups,
Bruns et maigres comme des clous!
poésie de Maurice Rollinat de Dans les brandes, poèmes et rondels (1883)
Ajouté par Dan Costinaş
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