La page principale | Les derniers ajouts | Liste des auteurs | Citations au hazard | Vote! | Les derniers commentaries | Ajoutez une citation

Ballade du cadavre

Dès qu’au clocher voisin l’âme a volé tout droit
Et dit au vieux bourdon : « Glas ! il faut que tu tintes !
Le cadavre plombé dont la chaleur décroît,
Nez réduit, bouche ouverte et prunelles éteintes,
Se roidit en prenant la plus blême des teintes.
Puis, l’Ange noir chuchote à ce morceau de chair :
« Qu’on te regrette ou non, cercueil cher ou pas cher,
« Avec où sans honneurs, tout nu comme en toilette,
« À six pieds dans le sol tu subiras, mon cher,
« La pourriture lente et l’ennui du squelette ! »

Après la mise en bière, on procède au convoi :
Or, si peu de pleurs vrais et tant de larmes feintes
Gonflent l’œil des suiveurs, que le Mort qui les voit,
Trouve encor sur son masque où les stupeurs sont peintes
La grimace du cri, du reproche et des plaintes.
L’orgue désespéré gronde comme la mer,
Le plain-chant caverneux traîne un sanglot amer
Et l’encensoir vacille avec sa cassolette ;
Mais tout cela, pour lui, chante sur le même air
La pourriture lente et l’ennui du squelette.

Durant l’affreux trajet, il songe avec effroi
Qu’on va le perdre au fond d’éternels labyrinthes ;
Sur ses mains, sur ses pieds, sur tout son corps si froid
La mort de plus en plus incruste ses empreintes,
Et le linceul collant resserre ses étreintes.
Il tombe dans la fosse, et bientôt recouvert
D’argile et de cailloux mêlés de gazon vert,
Le malheureux défunt, dans une nuit complète,
S’entend signifier par la bouche du ver
La pourriture lente et l’ennui du squelette.


ENVOI.

Oh ! qu’il te soit donné, Flamme, sœur de l’éclair,
À toi, Démon si pur qui fais claquer dans l’air
Ta langue aux sept couleurs, élastique et follette,
D’épargner au cadavre, avec ton baiser clair,
La pourriture lente et l’ennui du squelette.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Des citations similaires

La Morte

Je viens d’enterrer ma maîtresse,
Et je rentre, au déclin du jour,
Dans ce gîte où la mort traîtresse
A fauché mon dernier amour.

En m’en allant au cimetière
Je sanglotais par les chemins,
Et la nature tout entière
Se cachait le front dans les mains.

Oh ! oui ! la nature était triste
Dans ses bruits et dans sa couleur ;
Pour un jour, la grande Égoïste
Se conformait à ma douleur.

La prairie était toute pleine
De corneilles et de corbeaux,
Et le vent hurlait dans la plaine
Sous des nuages en lambeaux :

Roulant des pleurs sous ses paupières
Un mouton bêlait dans l’air froid,
Et de la branche au tas de pierres
L’oiseau volait avec effroi.

L’herbe avait un frisson d’alarme,
Et, le long de la haie en deuil
Où tremblotait plus d’une larme,
Mon chien aboyait au cercueil.

Et, comme moi, soleil, fleur, guêpe,
Tout ce qui vole, embaume, ou luit.
Tout semblait se voiler d’un crêpe,
Et le jour était plein de nuit.

Donc, j’ai vu sa bière à la porte
Tandis que l’on sonnait son glas!…
Et maintenant, la pauvre morte
Est dans la terre ! hélas ! hélas !

En vain, j’évoque la magie
D’un être qui m’était si cher,
Et mon corps à la nostalgie
Épouvantable de sa chair ;

Ce n’est qu’en rêve que je touche
Et que j’entends et que je vois
Ses yeux, son front, ses seins, sa bouche
Et la musique de sa voix !

Matins bleus, jours gais, nuits d’extase,
Colloque à l’ombre du buisson
Où le baiser coupait la phrase
Et qui mourait dans un frisson,

Tout cela, chimères et leurre,
Dans la mort s’est évaporé !
Et je me lamente et je pleure
A jamais farouche et navré.

Je crois voir sa tête sans joue !
Horreur ! son ventre s’est ouvert :
Oh ! dans quelques jours qu’elle boue
Que ce pauvre cadavre vert !

Sur ses doigts et sur son cou roides
Pleins de bagues et de colliers,
Des bêtes gluantes et froides
Rampent et grouillent par milliers.

Oui, ce corps, jalousie atroce !
Aliment de mes transports fous,
C’est maintenant le ver féroce
Qui le mange de baisers mous.

Sa robe, son coussin de ouate,
Ses fleurs, ses cheveux, son linceul
Moisiront dans l’horrible boîte.
Son squelette sera tout seul.

Hélas! le squelette lui-même
A la fin se consumera,
Et de celle que mon cœur aime
Un peu de terre restera.

Quel drame que la pourriture
Fermentant comme un vin qui bout !…
Pièce à pièce, la créature
Se liquéfie et se dissout.

Mes illusions ? renversées !
Mon avenir ? anéanti !
Entre quatre planches vissées
Tout mon bonheur s’est englouti.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Nativité

D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable

Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.

Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa cuisine
A la pauvre mère en gésine.

Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger?
Elle est en pays étranger.

Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière en ornière,
Elle va, bête sans tanière,

Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.

Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.

Son ventre, où flambent des chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.

Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,

Soûle, et, boule, roule au fossé,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.

La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.

Elle accouche enfin, en crevant;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.

Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.

Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds!
Il est seul, couché sur le dos,

Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l'aime;

Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert!

poésie de Jean RichepinSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Simona Enache
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

La Chimère

Il avait l’air hagard quand il entra chez moi,
Et c’est avec le geste âpre, la face ocreuse,
L’œil démesurément ouvert, et la voix creuse
Qu’il me fit le récit suivant : Figure-toi

Que j’errais au hasard comme à mon habitude,
Enroulé dans mon spleen ainsi qu’en un linceul,
Ayant l’illusion d’être absolument seul
Au milieu de l’opaque et rauque multitude.

Fils de ma dangereuse imagination,
Mille sujets hideux plus noirs que les ténèbres
Défilaient comme autant de nuages funèbres
Dans mon esprit gorgé d’hallucination.

Peu à peu cependant, maîtrisant la névrose,
J’évoquais dans l’essor de mes rêves câlins
Un fantôme de femme aux mouvements félins
Qui voltigeait, tout blanc sous une gaze rose.

J’ai dû faire l’effet, même aux passants blasés,
D’un fou sur qui l’accès somnambulique tombe,
Ou d’un enterré vif échappé de la tombe,
Tant j’ouvrais fixement mes yeux magnétisés.

Secouant les ennuis qui la tenaient captive
Mon âme tristement planait sur ses recors,
Et je m’affranchissais de mon odieux corps
Pour me vaporiser en brume sensitive :

Soudain, tout près de moi, dans cet instant si cher
Un parfum s’éleva, lourd, sur la brise morte,
Parfum si coloré, d’une strideur si forte,
Que mon âme revint s’atteler à ma chair.

Et sur le boulevard brûlé comme une grève
J’ouvrais des yeux de bœuf qu’on mène à l’abattoir,
Quand je restai cloué béant sur le trottoir :
Je voyais devant moi la femme de mon rêve.

Oh ! c’était bien son air, sa taille de fuseau !
À part la nudité miroitant sous la gaze,
C’était le cher fantôme entrevu dans l’extase
Avec ses ondoîments de couleuvre et d’oiseau.

Certes ! je ne pouvais la voir que par derrière :
Mais, comme elle avait bien la même étrangeté
Que l’autre ! Et je suivis son sillage enchanté,
Dans l’air devenu brun comme un jour de clairière.

Je courais, angoisseux et si loin du réel
Que j’incarnais déjà mon impalpable idole
Dans la belle marcheuse au frisson de gondole
Qui glissait devant moi d’un pas surnaturel.

Et j’allais lui crier dans la cohue infâme,
Frappant et bousculant tout ce peuple haï :
« Je viens te ressaisir, puisque tu m’as jailli
« Du cœur, pour te mêler aux passants ! » quand la Dame

Se retourna soudain : oh ! je vivrais cent ans
Que je verrais toujours cet ambulant squelette !
Véritable portrait de la Mort en toilette,
Vieux monstre féminin que le vice et le temps,

Tous deux, avaient tanné de leurs terribles hâles ;
Tête oblongue sans chair que moulait une peau
Sépulcrale, et dont les paupières de crapaud
Se recroquevillaient sur des prunelles pâles !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Mademoiselle Squelette

Mademoiselle Squelette !
Je la surnommais ainsi :
Elle était si maigrelette !

Elle était de la Villette,
Je la connus à Bercy,
Mademoiselle Squelette.

Très ample était sa toilette,
Pour que son corps fût grossi :
Elle était si maigrelette !

Nez camard, voix aigrelette ;
Mais elle me plut ainsi,
Mademoiselle Squelette.

J’en fis la bizarre emplette.
Ça ne m’a pas réussi,
Elle était si maigrelette !

Elle aimait la côtelette
Rouge, et le vin pur aussi,
Mademoiselle Squelette !

Sa bouche un peu violette
Avait un parfum ranci,
Elle était si maigrelette !

Comme elle était très follette,
Je l’aimai couci-couci,
Mademoiselle Squelette.

Au lit, cette femmelette
Me causa plus d’un souci :
Elle était si maigrelette !

Puis un jour je vis seulette,
L’œil par les pleurs obscurci,
Mademoiselle Squelette,

Cherchant une gouttelette
De sang très peu cramoisi :
Elle était si maigrelette !

Sa phtisie étant complète,
Elle en eut le cœur transi,
Mademoiselle Squelette.

Alors plus d’escarpolette ;
Plus un dimanche à Passy...
Elle était si maigrelette !

Sa figure verdelette
Faisait dire au gens : « Voici
Mademoiselle Squelette ! »

Un soir à l’espagnolette
Elle vint se pendre ici.
Elle était si maigrelette !

Horreur ! Une cordelette
Décapitait sans merci
Mademoiselle Squelette :
Elle était si maigrelette !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

La Putréfaction

Au fond de cette fosse moite
D’un perpétuel suintement,
Que se passe-t-il dans la boîte,
Six mois après l’enterrement ?

Verrait-on encor ses dentelles ?
L’œil a-t-il déserté son creux ?
Les chairs mortes ressemblent-elles
À de grands ulcères chancreux ?

La hanche est-elle violâtre
Avec des fleurs de vert-de-gris,
Couleurs que la Mort idolâtre,
Quand elle peint ses corps pourris ?

Pendant qu’un pied se décompose,
L’autre sèche-t-il, blanc, hideux,
Ou l’horrible métamorphose
S’opère-t-elle pour les deux ?

Le sapin servant d’ossuaire
Se moisit-il sous les gazons ?
Le cadavre dans son suaire
A-t-il enfin tous ses poisons ?

Sous le drap que mangent et rouillent
L'humidité froide et le pus,
Les innombrables vers qui grouillent
Sont-ils affamés ou repus ?

Que devient donc tout ce qui tombe
Dans le gouffre ouvert nuit et jour ?
— Ainsi, j’interrogeais la tombe
D’une fille morte d’amour.

Et la tombe que les sceptiques
Rayent toujours de l’avenir,
Me jeta ces mots dramatiques
Qui vivront dans mon souvenir :

« Les seins mignons dont tu raffoles,
« Questionneur inquiétant,
« Et les belles lèvres si folles,
« Les lèvres qui baisèrent tant,

« Toutes ces fleurs roses et blanches
« Sont les premières à pourrir
« Dans la prison des quatre planches,
« Que nulle main ne peut ouvrir.

« Mais, quant à l’âme, revit-elle ?
« Avec son calme ou ses remords,
« Faut-il crier qu’elle est mortelle
« Ou qu’elle plane sur les morts ?

« Je ne sais ! Mais apprends que l’ombre
« Que l’homme souffre en pourrissant :
« Le cadavre est un muet sombre,
« Qui ne dit pas ce qu’il ressent !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Les Plaintes

Venus des quatre coins de l’horizon farouche,
De la cime des pics et du fond des remous,
Les aquilons rageurs sont d’invisibles fous
Qui fouettent sans lanière et qui hurlent sans bouche.

Les ruisseaux n’ont jamais que des bruits susurreurs
Dans leur tout petit lit qui serpente et qui vague,
Et l’on n’entend sortir qu’un murmure très vague
Des étangs recueillis sous les saules pleureurs.

Mais la mer qui gémit comme une âme qui souffre,
Tord sous les cieux muets ses éternels sanglots
Où viennent se mêler dans l’écume des flots
Les suffocations des noyés qu’elle engouffre.

Quand s’exhalent, après que l’orage a cessé,
Les souffles de la nuit plus légers que des bulles,
La plainte en la mineur des crapauds noctambules
Fait gémir le sillon, l’ornière et le fossé.

Jérémie aux cent bras sur qui le vent halète,
L’arbre a tous les sanglots dans ses bruissements,
Et l’écho des forêts redit les grincements
Du loup, trotteur affreux que la faim rend squelette.

Quand je passe, le soir, dans un val écarté,
Je frissonne au cri rauque et strident de l’orfraie,
Car, pour moi, cette plainte errante qui m’effraie,
C’est le gémissement de la fatalité.

Sous l’archet sensitif où passent nos alarmes
L’âme des violons sanglote, et sous nos doigts,
La harpe, avec un bruit de source dans les bois,
Égrène, à sons mouillés, la musique des larmes.

Le soupir clandestin des vierges de beauté
Semble remercier l’amour qui les effleure,
Mais la plainte amoureuse est un regret qui pleure
Le plaisir déjà mort avant d’avoir été.

En vain l’on se défend, en vain l’on fait mystère
Des maux que la clarté du jour semble assoupir,
Tout l’homme intérieur, dans un affreux soupir,
Raconte son angoisse à la nuit solitaire.

Et le tas vagabond des parias craintifs,
Noirs pèlerins geigneurs, sans gourde, ni sandales,
Partout, sur les planchers, les cailloux et les dalles,
Passent comme un troupeau de fantômes plaintifs.

Dans la forêt des croix, tombes vieilles et neuves,
Combien vous entendez de femmes à genoux
Gémir avec des sons plus tristes et plus doux
Que les roucoulements des tourterelles veuves !

Tandis que, dans un cri forcené qui le tord,
L’enfant paraît déjà se plaindre de la vie,
L’aïeul qui le regarde avec un œil d’envie
Grommelle d’épouvante en songeant à la mort.

L’agonisant croasse un lamento qui navre ;
Et quand les morts sont clos dans leur coffre obsédant,
Le hoquet gargouilleur qu’ils ont en se vidant
Filtre comme la plainte infecte du cadavre.

— Elles ont des échos vibrant comme des glas
Et s’enfonçant avec une horrible vitesse
Dans mon funèbre cœur plein d’ombre et de tristesse
Où se sont installés les hiboux des Hélas ;

Oui ! dans le grondement formidable des nues
Mon âme entend parfois l’Infini sangloter,
Mon âme ! où vont s’unir et se répercuter
Tous les frissons épars des douleurs inconnues !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Les Parfums

Un parfum chante en moi comme un air obsédant :
Tout mon corps se repaît de sa moindre bouffée,
Et je crois que j’aspire une haleine de fée,
Qu’il soit proche ou lointain, qu’il soit vague ou strident.

Fils de l’air qui les cueille ou bien qui les déterre,
Ils sont humides, mous, froids ou chauds comme lui,
Et, comme l’air encor, dès que la lune a lui,
Ils ont plus de saveur ayant plus de mystère.

Oh oui ! dans l’ombre épaisse ou dans le demi-jour,
Se gorger de parfums comme d’une pâture,
C’est bien subodorer l’urne de la Nature,
Humer le souvenir, et respirer l’amour !

Ces doux asphyxieurs aussi lents qu’impalpables
Divinisent l’extase au milieu des sophas,
Et les folles Iñès et les pâles Raphas
En pimentent l’odeur de leurs baisers coupables.

Ils font pour me bercer d’innombrables trajets
Dans l’air silencieux des solitudes mornes,
Et là, se mariant à mes rêves sans bornes,
Savent donner du charme aux plus hideux objets.

Toute la femme aimée est dans le parfum tiède
Qui sort comme un soupir des flacons ou des fleurs,
Et l’on endort l’ennui, le vieux Roi des douleurs,
Avec cet invisible et délicat remède.

Sois béni, vert printemps, si cher aux cœurs blessés,
Puisqu’en ressuscitant la flore ensevelie
Tu parfumes de grâce et de mélancolie
Les paysages morts que l’hiver a laissés.

Tous les cœurs désolés, toutes les urnes veuves
Leur conservent un flair pieux, et l’on a beau
Vivre ainsi qu’un cadavre au fond de son tombeau,
Les parfums sont toujours des illusions neuves.

S’ils errent, dégagés de tout mélange impur,
Rampant sur la couleur, chevauchant la musique,
On est comme emporté loin du monde physique
Dans un paradis bleu chaste comme l’azur !

Mais lorsque se mêlant aux senteurs de la femme
Dont la seule âcreté débauche la raison,
Ils en font un subtil et capiteux poison
Qu’aspirent à longs traits les narines en flamme,

C’est le Vertige aux flux et reflux scélérats
Qui monte à la cervelle et perd la conscience,
Et l’on mourrait alors avec insouciance
Si la Dame aux parfums disait : « Meurs dans mes bras ! »

Complices familiers des lustres et des cierges,
Ils sont tristes ou gais, chastes ou corrupteurs ;
Et plus d’un sanctuaire a d’impures senteurs
Qui vont parler d’amour aux muqueuses des vierges.

Par eux, l’esprit s’aiguise et la chair s’ennoblit ;
Ils chargent de langueur un mouchoir de batiste,
Et pour le sensuel et fastueux artiste,
Ils sont les receleurs du songe et de l’oubli :

— Jusqu’à ce que l’infecte et mordante mixture
De sciure de bois, de son et de phénol
Saupoudre son corps froid, couleur de vitriol,
Dans le coffre du ver et de la pourriture.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Les Agonies lentes

On voit sortir, l'été, par les superbes temps,
Les poitrinaires longs, fluets et tremblotants ;
Ils cherchent, l’œil vitreux et noyé de mystère,
Dans une grande allée, un vieux banc solitaire
Et que le soleil cuit dans son embrasement.
Alors, ces malheureux s’assoient avidement,
Et débiles, voûtés, blêmes comme des marbres
Regardent vaguement la verdure des arbres.
Parfois des promeneurs aux regards effrontés
Lorgnent ces parias par le mal hébétés,
Et jamais la pitié, tant que l’examen dure,
N’apparaît sur leur face aussi sotte que dure.
Trop béats pour sentir les deuils et les effrois,
Ils fument devant eux, indifférents et froids,
Et l’odeur du cigare, empoisonnant la brise ;
Cause à ces moribonds une toux qui les brise.
Eux, les martyrisés, eux, les cadavéreux,
Comme ils doivent souffrir de ce contraste affreux
Où la santé publique avec son ironie
Raille leur misérable et cruelle agonie !
Pour eux, dont les poumons flétris dès le berceau
S’en vont, heure par heure et morceau par morceau,
Pas d’éclair consolant qui fende leurs ténèbres !
Puis, ils sont assaillis de présages funèbres,
Ayant en plein midi, par un azur qui bout,
L’hostilité nocturne et louche du hibou :
Un convoi rencontré près d’une basilique ;
Un menuisier blafard, à l’air mélancolique,
Qui transporte un cercueil à peine raboté,
Où déjà le couvercle en dôme est ajusté ;
Un lugubre flâneur que l’âge ride et casse,
Qui se parle à lui-même en traînant sa carcasse
Et qui répond peut-être à quelque vieux remord ;
Une main qui remet des « faire part » de mort ;
Un prêtre en capuchon, comme un jaune trappiste :
Toutes ces visions s'acharnent à leur piste.
Le terme de leur vie, hélas ! va donc échoir !
Ils le savent ! celui qui scrute leur crachoir
En a trop laissé voir sur sa figure fausse,
Pour qu’ils ne songent pas qu’on va creuser leur fosse.

Oh ! j’en ai rencontré plus d’un par les chemins
Qui cachait à moitié sa tête dans ses mains
Devant un corbillard gagnant le cimetière ;
Et j’ai senti pleurer mon âme tout entière !

À quels frissonnements, à quelle intense horreur
Sont voués ces vivants écrasés de terreur,
Quand ils rentrent le soir, au déclin de l’automne,
Dans leur alcôve tiède, ancienne et monotone ?

En proie à la plus sombre hallucination,
Dans un morbide élan d’imagination,
Sous un mal qui les mine et qui les exténue
Osent-ils supposer que leur fin est venue,
Pour assister d’avance à leur enterrement ?
Voient-ils les invités entrer sinistrement
Dans la chambre où leur bière étroite et mal vissée
Souffle la puanteur infecte et condensée ?
Entendent-ils causer les croque-morts tout bas ?
Sentent-ils qu’on soulève et qu’on porte là-bas
Sous les panaches blancs de la lente voiture
Le bois rectangulaire où gît leur pourriture ?
Dans la nef, aux accords d’un orgue nasillard,
Sur le haut catafalque, au milieu d’un brouillard
D’encens, qu’on fait brûler auprès d’eux sur la pierre
Pour combattre l’odeur s’échappant de leur bière,
Entre des cierges gris aux lueurs de falot,
Appelés par des voix qu’étouffe le sanglot
Et pleurés par des chants d’une plainte infinie,
Voient-ils qu’on est au bout de la cérémonie
Mortuaire, et qu’on va les jeter dans le trou ?
L’entrée au cimetière, — un sol visqueux et mou, —
Les enterreurs au bord de la fosse qui s’offre,
Le brusque nœud coulant qu’on passe autour du coffre
Qui s’enfourne et descend comme un seau dans un puits ;
Le heurt mat du cercueil au fond du gouffre, et puis,
À la fin, les cailloux, les pierres et l’argile
Qui frappent à coups sourds leur couvercle fragile,
Tout cela passe-t-il en frissons désolés
Au plus creux de leur âme et de leurs os gelés,
Et dans un soliloque amer et pulmonique,
Ne pouvant maîtriser la suprême panique,
Crient-ils : « Grâce ! » au Destin qui répond : « Non, la Mort. »

Ainsi je songe, et j’offre à vous que le spleen mord,
À vous, pâles martyrs, plus damnés que Tantale,
Ces vers noirs inspirés par la Muse fatale.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Le Boudoir

La dame aux cheveux longs et couleur de topaze
Conserve dans sa chambre un magique cercueil
Si fantastiquement vague et fragile à l’œil,
Qu’il a l’air vaporeux comme un voile de gaze,

Ni cierges, ni tréteaux, ni tentures de deuil.
Le portrait dans son cadre et la fleur dans son vase,
Meubles, miroirs, tapis, tout sourit plein d’extase ;
Et pourtant, ce boudoir est gênant pour l’orgueil.

Que le matin y filtre, ou que le soir y tombe,
Il inflige toujours le rappel de la tombe
Et de la pourriture à six pieds dans le sol :

Car la bière fluette exhale par bouffées,
Sourdes comme un écho de plaintes étouffées,
L’odeur cadavéreuse et jaune du phénol.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

La Petite SÅ“ur

En gardant ses douze cochons
Ainsi que leur mère qui grogne,
Et du groin laboure, cogne,
Derrière ses fils folichons,

La sœurette, bonne d’enfant,
Porte à deux bras son petit frère
Qu’elle s’ingénie à distraire,
Tendre, avec un soin émouvant.

C’est l’automne : le ciel reluit.
Au long des marais de la brande
Elle va, pas beaucoup plus grande,
Ni guère plus grosse que lui.

Ne s’arrêtant pas de baiser
La petite tête chenue,
Sa bouche grimace, menue,
Rit à l’enfant pour l’amuser.

Elle lui montre le bouleau ;
Et lui dit : « Tiens ! la belle glace ! »
Et le tenant bien, le déplace
Pour le pencher un peu sur l’eau.

Et puis, par elle sont épiés
Tous les désirs de ses menottes ;
Elle chatouille ses quenottes,
Elle palpe ses petits pieds.

Sa chevelure jaune blé
Gazant son œil bleu qui l’étoile,
Contre le soleil fait un voile,
Au baby frais et potelé.

Ils sont là, parmi les roseaux,
Dans la Nature verte et rousse,
Au même titre que la mousse,
Les insectes et les oiseaux :

Aussi poétiques à l’œil,
Vénérables à la pensée !
Double âme autant qu’eux dispensée
De l’ennui, du mal et du deuil !

Par instants, un petit cochon,
Sous son poil dur et blanc qui brille,
Tout rosâtre, la queue en vrille,
Vient vers eux d’un air drôlichon.

Il s’en approche, curieux,
Les lorgne comme deux merveilles,
Et repart, ses longues oreilles
Tapotant sur ses petits yeux.

Et puis, c’est un lézard glissant,
Ou leur chienne désaccroupie,
Éternuant, tout ébaubie,
Pendant son grattage plaisant.

Alors la sœur dit au petiot
Dont l’œil suivait un vol de mouche :
« Regarde-la donc qui se mouche
« Et qui s’épuce — la Margot ! »

Au souffle du vent caresseur
Chacun fait son bruit monotone :
Ce qu’elle dit — ce qu’il chantonne :
Même vague et même douceur !

Entre des vols de papillons
Leur murmure plein d’indolence
S’harmonise dans le silence
Avec la chanson des grillons.

Mais le marmot que le besoin
Gouverne encore à son caprice
Crie et réclame sa nourrice
En agitant son petit poing.

Ses pleurs sont à peine séchés
Qu’il en reperle sur sa joue...
La sœurette lutine et joue
Avec ces chagrins si légers.

À mesure qu’il geint plus fort,
Que davantage il se désole,
Sa patience le console
Avec plus de sourire encor.

Le tourment de l’enfant navré
A grossi les larmes qu’il verse...
Elle le berce — elle le berce,
Le pauvre tout petit sevré !

Elle l’appelle « son Jésus ! »
Le berce encore et lui reparle,
Tant qu’elle endort le petit Charle,
Mais l’âge reprend le dessus.

Elle est fatiguée, elle a faim.
Elle va comme une machine,
Renversant un peu son échine
Sous ce poids trop lourd à la fin.

L’enfant recommence à crier :
Sa sœur met sa force dernière
À le porter — taille en arrière
Que toujours plus on voit plier.

C’est temps qu’il ne dise plus rien !
Sur sa capote elle le pose,
Et pendant qu’il sommeille, rose,
Elle mange auprès, va, revient,

D’un pied mutin, vif et danseur.
Et quand le petiot se réveille,
Il retrouve toujours pareille
La Maternité de sa sœur.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

L'Enterré vif

Homme ! imagine-toi qu’après un soir d’orgie
Tu rentres chez toi, très joyeux :
Tu dors, et le matin, tombant en léthargie,
Tu parais mort à tous les yeux.

Ta fillette se mire, et ton épouse fausse,
Bouche ricaneuse et front bas,
Songe : « On va donc enfin le fourrer dans sa fosse ;
Vite une loque et de vieux bas ! »

Sur la table de nuit on met un cierge sale,
On te roule dans le linceul.
Et tandis que chacun tourne et va dans la salle,
Tu gis dans un coin, blême et seul.

La bonne, ta maîtresse, égrène une prière
D’un air las où l’ennui se peint ;
L’ouvrier prend mesure et propose une bière
De bon chêne ou de bon sapin.

Pendant que ton cousin optera pour le chêne :
Il criera, ton enfant si cher,
Que pour gagner vingt sous il faut que l'on s’enchaîne :
Le sapin est déjà trop cher !

Bref, on t’habillera d’un peuplier si tendre
Qu’on aura peine à le clouer ;
Et sur les contrevents, ton fils, sans plus attendre,
Écrira : Maison à louer.

Et puis, bagage oblong, heurtant rampe et muraille,
Par l’escalier tu descendras ;
Aux regards de la rue égoïste qui raille
Ligneusement tu t’étendras ;

Et les porteurs narquois, sous la nue en fournaise
Calcinant les toits et le sol,
Marmotteront : « Tu vas fermenter à ton aise
Et charogner dans ton phénol. »

Le prêtre ayant glapi : « Bah ! mourir, c’est renaître ! »
Peu payé, priera mollement ;
Et ceux qui te verront passer de leur fenêtre
Diront : « Quel pauvre enterrement ! »

Le corbillard, avec des lenteurs de cloporte,
Rampera lourd, grinçant, hideux ;
Comme il peut arriver que le cheval s’emporte
Et casse ton cercueil en deux.

Dans l'église, un ivrogne en sonnant tes glas sombres
Réveillera de gros hiboux
Qui frôleront ta caisse avec leurs ailes d’ombres
Et viendront se percher aux bouts.

Entre les hommes noirs à figure pointue
Un pauvre portera ta croix ;
Et plus d’un pensera : « Cette scène me tue,
« Je pourrais m’esquiver, je crois. »

Et voilà qu’on arrive à ta fosse béante,
Obscure comme l’avenir :
Elle est là, gueule fauve, ironique et géante,
Attendant l’heure d’en finir.

Sur un court Libera que le prêtre t’accorde
On t’engouffre et tu glisses... Brrou !
Puis, d’un mouvement brusque on ramène la corde
Et tu t’aplatis dans le trou.

On prend le goupillon avec des mains gantées,
On t’asperge vite en tremblant ;
Et l’on rabat la terre, à pleines pelletées,
Sur ton paletot de bois blanc.

Un fossoyeur, pressé d’achever sa besogne,
Enfonce ta croix comme un coin,
Et les deux croque-morts ricanant sans vergogne
Vont boire au cabaret du coin.

Or, tout cela se brise à ton sommeil magique,
Comme le flot contre l'écueil ;
Mais ton œil va s’ouvrir pour un réveil tragique
Dans l’affreuse nuit du cercueil.

Alors, étroitement collés contre tes hanches,
Tes maigres bras ensevelis
Iront en s’étirant buter contre les planches
Sous le grand suaire aux longs plis.

Tandis que tes genoux heurteront ton couvercle
Avec un frisson de fureur,
Ton esprit affolé roulera dans un cercle
D’épouvantements et d’horreur.

Une odeur de bois neuf, d’argile et de vieux linges
Te harcèlera sans pitié :
L’asphyxie aux poumons, la névrose aux méninges,
Tu hurleras, mort à moitié.

Tes sourds gémissements resteront sans réponse ;
Plus d’échos sous ton hideux toit
Qui, spongieux et mou comme la pierre ponce,
Laissera l’eau suinter sur toi !

Dans l’horrible seconde où ta vie épuisée
Luttera moins contre la mort,
Tu croiras voir ta chair déjà décomposée ;
Tu sentiras le ver qui mord.

Contrition tardive et vaines conjectures,
Tous ces spectres aux dents de fer
Lancineront ton âme en doublant tes tortures
Qui te feront croire à l’enfer.

Tandis que ta famille oublieuse et cynique
Discutera ton testament,
Et que, la plume aux doigts, un vieux notaire inique
Épaissira l’embrouillement,

Toi, tu seras tout seul enfermé dans ta boîte,
Pauvre cadavre anticipé,
Sans haleine, sans voix, sans regards, le corps moite,
Bouche ouverte et le poing crispé.

Enfin, tes membres froids s’allongeront sous terre
Dans la morne rigidité,
Et ton dernier soupir, atroce de mystère,
S’enfuira vers l’éternité. »

— Telle est la prophétie effroyable de haine
Qu’un grand fantôme au nez camard,
M’a faite, l’autre nuit, sur un trône d’ébène,
Au milieu d’un noir cauchemar.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

L'Hypocondriaque

Enténébrant l’azur, le soleil et les roses,
Tuant tout, poésie, arômes et couleurs,
L’ennui cache à mes yeux la vision des choses
Et me rend insensible à mes propres malheurs.

Sourd aux événements que le destin ramène,
Je sens de plus en plus se monotoniser
Les sons de la nature et de la voix humaine
Et j’ai l’indifférence où tout vient se briser.

Et du jour qui s’allonge à la nuit qui s’attarde,
Automate rôdeur, pâle et gesticulant,
Je passe, inconscient des regards que je darde
Et du bruit saccadé que je fais en parlant.

Rien dont mon noir esprit s’indigne ou s’émerveille !
Mon œil incurieux vieillit la nouveauté ;
Et veillant comme on dort et dormant comme on veille,
Je confonds la lumière avec l’obscurité.

Et démon avec qui la terreur se concerte,
L’inexorable ennui me corrode et me mord,
Ne laissant plus au fond de mon âme déserte
Que la seule pensée horrible de la mort.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Domestique de peintre

Ah ! monsieur ! mon métier d’domestique a changé,
Me dit le grand Charly, son béret sur l’oreille :
En yentrant, j’croyais pas trouver un’ plac’ pareille,
Et j’n’ai jamais encor si bien bu, ni mangé.

Mon maîtr’ ? C’est un homm’ simpl’ qui rest’ dans sa nature,
Sans s’occuper d’la mode et du mond’ d’aujourd’hui,
Laissant pousser bien longs ses ch’veux d’un noir qui r’luit,
Tout comm’ ces comédiens qui pass’ dans des voitures.

I’ m’en paye à gogo des goutt’ et du tabac !
I’ m’donn’ des vieux habits et des neufs, sans q’j’y d’mande,
Et doux, l’air comm’ gêné tout’ les fois qui m’commande,
I’ s’inquièt’ de ma bourse et de mon estomac.

Sûr ! que j’ai jamais vu son pareil ! l’diabl’ me torde !
J’veux balayer sa chambre et ranger dans les coins ?
Alors, i’ s’fâch’ tout roug’, disant : « Q’ya pas besoin,
Q’son œil, au r’bours des autr’, voit mieux clair dans l’désordre. »

Avec ça, s’rappelant tout c’qu’on y dit ou c’qu’i’ voit,
Sans jamais les écrir’ gardant mémoir’ des notes,
Dans sa têt’ qui, des fois, semble un’ têt’ de linotte,
Ayant réponse à tout, sachant l’car et l’pourquoi.

Yen a qui lis’ un livre, à lui yen faut des masses !
Sous l’pioch’ment agacé d’son pouc’ qu’i’ mouill’ souvent
Les tournements des pag’ ça fil’ comme le vent !
Puis, soudain’ment, i’ sort comm’ s’i’ manquait d’espace.

Ah l’drôl’ de maîtr’ que j’ai ! tout c’qu’est à lui c’est vôtre.
Un homm’ q’est franc comm’ l’or et bon comme du pain !
Des fois, i’ caus’ tout seul quand i’ marche ou qu’i’ peint ;
Il est dans un endroit ? qu’i’ veut êtr’ dans un autre !

Je l’sais ben moi qui l’suis dans ses cours’ endiablées,
I’ n’voyag’ que pour voir des couleurs. En errant,
I’ braq’ ses p’tits yeux noirs q’avont l’regard si grand
Sur chaq’ roche ou taillis des côt’s et des vallées.

Des fonds et des lointains, des plain’s et des nuages,
Il emport’ la peintur’ qu’i’ soutire au galop,
Tout l’jour, i’ pomp’ la nuanc’ de la verdure et d’l’eau,
Et, la nuit, cherche encor dans l’brun des paysages.

Ça l’prend tout feu tout flamme en fac’ de son ch’valet ;
Puis, l’pinceau dans la main, v’là q’sa grand’ chaleur gèle !
Il est si vite en bas qu’il est en haut d’l’échelle...
En tout’chose on dirait qu’i’ n’sait pas c’qui lui plaît.

I’ cause, i’ chante, i’ rit, en train d’boire et d’manger ?
V’là qu’i’ songe ! — On s’équipe ? on arriv’ pour pêcher ?
I’ veut peindr’ ! vers ses toil’ en tout’ hâte i’ m’dépêche ! —
Quand j’y port’ son fourbi pour travailler ? On pêche !

Sauriez-vous m’dir’ c’que c’est que c’ t’homm’ q’est gai, q’est triste,
Qui girouett’ jamais l’mêm’ et pass’ du chaud au froid ? »
— Et je lui répondis, parlant un peu pour moi :
« Ton maître, ce qu’il est, parbleu ! C’est un artiste !

Me comprends-tu ? — Ma foi ! monsieur, ya pas d’excès.
Artist’ ? dam’ ! moi, c’mot-là j’en connais pas l’mystère !
— Comment te dire alors ? Eh bien ! ton maître, c’est :
Un fou que sa raison tourmente sur la terre.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

L'Abandonnée

La belle en larmes
Pleure l’abandon de ses charmes
Dont un volage enjôleur
A cueilli la fleur.
Elle sanglote
Au bord de l’onde qui grelotte
Sous les peupliers tremblants,
Pendant que son regard flotte
Et se perd sous les nénufars blancs.

« Adieu ! dit-elle,
Ô toi qui me fus infidèle.
Je t’offre, avant de mourir,
Mon dernier soupir.
Je te pardonne,
Aussi douce que la Madone,
Je te bénis par ma mort.
Le trépas que je me donne,
Pour mon cœur c’est ton amour encor.

Mon souvenir tendre
Sait toujours te voir et t’entendre
Et, par lui, rien n’est effacé
Du bonheur passé.
Nos doux libertinages
Dans les ravins, sous les feuillages,
Au long des ruisseaux tortueux,
Sont encor de claires images
Revenant aux appels de mes yeux.

Ton fruit que je porte
Dans mon ventre de bientôt morte,
C’est toi-même, tes os, ton sang,
Ô mon cher amant !
Traits pour traits, il me semble
Si bien sentir qu’il te ressemble !
Je ne fais donc qu’une avec toi ;
Je me dis que, fondus ensemble,
Tu mourras en même temps que moi. »

Puis, blême et hagarde,
Elle se penche, elle regarde
Le plus noir profond de l’eau
Qui sera son tombeau.
Elle se pâme
Devant le gouffre qui la réclame,
Et dit le nom, en s’y jetant,
De l’homme qu’elle aimait tant
Que, sans lui, son corps n’avait plus d’âme !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

La Bière

Le menuisier entra, son mètre dans la main,
Et dit : « Bonjour ! Celui qu’on enterre demain,
Où donc est-il ? Voyons. Je viens prendre mesure !
Et comme il s’avançait au fond de la masure,
Il vit sur un grabat sinistre et dépouillé
Le mort couvert d’un drap ignoblement souillé.
Vaguement sous la toile on devinait des formes ;
Un bras sortait du linge, et des mouches énormes
Volaient avec fureur tout autour du chevet.
Sur une chaise usée un cierge s’achevait,
Sa lueur expirante éclairait le cadavre
Et laissait entrevoir cette scène qui navre :
Accroupie à l’écart, blême et nue à moitié,
Une femme pleurait en silence ; — Oh ! Pitié,
Pitié pour le chagrin de cette pauvre épouse !
Tandis que son enfant, implacable ventouse,
Mordillait son sein maigre et lui suçait le sang.
Ce petit corps chétif se tordait frémissant,
Les doigts crispés, l’œil blanc et la figure verte :
La puanteur soufflait comme une bouche ouverte,
Et l’âpre canicule en pleine irruption
Épaississait encor l’horrible infection.
L’ouvrier suffoqué recula vers la porte
Et dit : « C’est effrayant ! Que le diable m’emporte
« Si jamais j’ai senti pourriture à ce point !
« Quoi ? Vous gardez ce corps et vous n’étouffez point ?
« Sacrebleu ! Vous avez le cœur bon, citoyenne !
« Moi je fais tous les jours trois cercueils en moyenne :
« L’habit de bois et dont les boutons sont des vis,
« Je le mets à chacun, au père comme au fils,
« Aux riches comme aux gueux, aux filles comme aux vierge,
« Et j’aune mes longueurs à la lueur des cierges.
« Oui, puisque tout le monde a besoin de mon art,
« Je vais du presbytère au fond du lupanar ;
« Eh bien ! depuis vingt ans que je fais ma besogne,
« Je n’ai pas encor vu de pareille charogne !
« La fera qui voudra, sa bière, entendez-vous ! »
— Et, sans lever les yeux, la pauvresse à genoux,
Bleuâtre de fatigue et de douleur suprême,
Répondit simplement : « Je la ferai moi-même.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

L'Amante macabre

Elle était toute nue assise au clavecin ;
Et tandis qu’au dehors hurlaient les vents farouches
Et que Minuit sonnait comme un vague tocsin,
Ses doigts cadavéreux voltigeaient sur les touches.

Une pâle veilleuse éclairait tristement
La chambre où se passait cette scène tragique,
Et parfois j’entendais un sourd gémissement
Se mêler aux accords de l’instrument magique.

Oh ! magique en effet ! Car il semblait parler
Avec les mille voix d’une immense harmonie,
Si large qu’on eût dit qu’elle devait couler
D’une mer musicale et pleine de génie.

Ma spectrale adorée, atteinte par la mort,
Jouait donc devant moi, livide et violette,
Et ses cheveux si longs, plus noirs que le remord,
Retombaient mollement sur son vivant squelette.

Osseuse nudité chaste dans sa maigreur !
Beauté de poitrinaire aussi triste qu’ardente !
Elle voulait jeter, cet ange de l’Horreur,
Un suprême sanglot dans un suprême andante.

Auprès d’elle une bière en acajou sculpté,
Boîte mince attendant une morte fluette,
Ouvrait sa gueule oblongue avec avidité
Et semblait l’appeler avec sa voix muette.

Sans doute, elle entendait cet appel ténébreux
Qui montait du cercueil digne d’un sanctuaire,
Puisqu’elle y répondit par un chant douloureux
Sinistre et résigné comme un oui mortuaire !

Elle chantait : « Je sors des bras de mon amant.
« Je l’ai presque tué sous mon baiser féroce ;
« Et toute bleue encor de son enlacement,
« J’accompagne mon râle avec un air atroce !

« Depuis longtemps, j’avais acheté mon cercueil :
« Enfin ! Avant une heure, il aura mon cadavre ;
« La Vie est un vaisseau dont le Mal est l’écueil,
« Et pour les torturés la Mort est un doux havre.

« Mon corps sec et chétif vivait de volupté :
« Maintenant, il en meurt, affreusement phtisique ;
« Mais, jusqu’au bout, mon cœur boira l’étrangeté
« Dans ces gouffres nommés Poésie et Musique.

« Vous que j’ai tant aimés, hommes, je vous maudis !
« À vous l’angoisse amère et le creusant marasme !
« Adieu, lit de luxure, Enfer et Paradis,
« Où toujours la souffrance assassinait mon spasme.

« Réjouis-toi, Cercueil, lit formidable et pur
« Au drap de velours noir taché de larmes blanches,
« Car tu vas posséder un cadavre si dur
« Qu’il se consumera sans engluer tes planches.

« Et toi, poète épris du Sombre et du Hideux,
« Râle et meurs ! Un ami te mettra dans la bière,
« Et sachant notre amour, nous couchera tous deux
« Dans le même sépulcre et sous la même pierre.

« Alors, de chauds désirs inconnus aux défunts
« Chatouilleront encor nos carcasses lascives,
« Et nous rapprocherons, grisés d’affreux parfums,
« Nos orbites sans yeux et nos dents sans gencives ! »

Et tandis que ce chant de la fatalité
Jetait sa mélodie horrible et captivante,
Le piano geignait avec tant d’âpreté,
Qu’en l’écoutant, Chopin eût frémi d’épouvante.

Et moi, sur mon lit, blême, écrasé de stupeur,
Mort vivant n’ayant plus que les yeux et l’ouïe,
Je voyais, j’entendais, hérissé par la Peur,
Sans pouvoir dire un mot à cette Ève inouïe.

Et quand son cœur sentit son dernier battement,
Elle vint se coucher dans les planches funèbres ;
Et la veilleuse alors s’éteignit brusquement,
Et je restai plongé dans de lourdes ténèbres.

Puis, envertiginé jusqu’à devenir fou,
Croyant voir des Satans qui gambadaient en cercle,
J’entendis un bruit mat suivi d’un hoquet mou :
Elle avait rendu l’âme en mettant son couvercle !

Et depuis, chaque nuit, ― ô cruel cauchemar !
Quand je grince d’horreur, plus désolé qu’Électre,
Dans l’ombre, je revois la morte au nez camard,
Qui m’envoie un baiser avec sa main de spectre.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Nuit fantastique

Tandis que dans l’air lourd les follets obliques
Vaguent perfidement au-dessus des trous,
Les grands oiseaux de nuit au plumage roux
Poussent lugubrement des cris faméliques,
Diaboliques
Sur les houx.

Des carcasses, cohue âpre et ténébreuse,
Dansent au cimetière entre les cyprès ;
Tout un bruissement lointain de forêts
Se mêle au choc des os — plainte douloureuse.
Le vent creuse
Les marais.

Entendez-vous mugir les vaches perdues,
Sur un sol hérissé d’atroces cailloux
Qui percent leurs sabots comme de grands clous ?
Oh ! ces beuglements ! Les pauvres éperdues
Sont mordues
Par les loups !

Sous les vents, le bateau qu’enchaîne une corde
Au rivage pierreux crève son vieux flanc.
Le chêne formidable en vain s’essoufflant
Succombe : il faut que sous l’effroyable horde
Il se torde
En hurlant.

La nuit a tout noyé, mer ensorcelante,
Berçant le rêve au bord de ses entonnoirs,
La lune, sur l’œil fou des grands désespoirs,
Ne laisse pas filtrer sa lueur parlante.
O nuit lente !
O cieux noirs !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share
Charles Baudelaire

Les Métamorphoses du vampire

La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc:
— "Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!
Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi!"

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
À mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.

poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du malSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Simona Enache
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Le Grand Cercueil

Il pleuvasse avec du tonnerre...
Il est déjà tard… quand on voit
Dans le bourg entrer le convoi
De la défunte octogénaire.

La clarté du jour s’est enfuie.
Tristement, la voiture à bœufs
A repris son chemin bourbeux :
Le cercueil attend sous la pluie.

Un lent tintement qui vous glace
Dégoutte morne du clocher :
Voici tout le monde marcher
Vers la grande croix de la place,

Quand il s’approche de la pierre
Pour lever le corps, le curé,
Tout en chantant, reste effaré
Par l’énormité de la bière.

Certe ! avec ses planches massives,
Espèces de forts madriers
Crevassés, noueux, mal taillés,
Qui remplaceraient des solives,

Elle apparaît si gigantesque
En épaisseur, en large, en long,
Si haute, d’un tel poids de plomb,
Qu’à la voir on en frémit presque.

Elle s’étale sans pareille,
D’autant plus démesurément
Qu’elle renferme seulement
Un mince cadavre de vieille.

L’immense couvercle en dos d’âne
A l’air aussi grand que les toits ;
Le drap trop court montre son bois
Roux et jaune comme un vieux crâne.

Et tandis que d’une aigre sorte
Les enfants de chœur vont hurlant,
Le prêtre est là, se rappelant
Les dimensions de la morte.

« Qu’avait-elle ? cinq pieds, à peine !
C’était maigre et gros comme rien !
Un seul corps pour ça qui peut bien
En contenir une douzaine !

En a-t il fallu de la paille !
Aura-t-on dû l’empaqueter
Pour l’empêcher de ballotter
Comme un grain dans une futaille !

Quel menuisier ! ça tient du songe !
Il doit sûrement celui-ci
Avoir le regard qui grossit,
Et dans sa main le mètre allonge ! »

Les porteurs pliant sous leur charge,
En nombre, comme de raison,
Semblent traîner une maison.
Le brancard est bien long et large,

Mais, il est usé ! quoi qu’on dise,
Puisque, hélas ! le monstre ligneux
Croule avec un bruit caverneux,
Juste en pénétrant dans l’église.

C’est un bras du brancard qui casse...
On hisse l’effrayant cercueil
Sur l’estrade — et les chants de deuil
Sont bâclés sous la voûte basse.

Puis, les cloches vont à volées...
À la montée, oh ! que c’est dur
Et long ! — Enfin ! voici le mur
Que dépassent les mausolées.

Le chantre mêle sa voix fausse
Au bruit sourd des pas recueillis.
Debout, s’offre aux yeux ébahis
Le vieux sacristain dans la fosse.

L’ombre vient. Personne ne bouge.
L’homme surmène, haletant,
Ses deux outils où par instant
Le soleil met un reflet rouge

Brusque, le curé l’interpelle :
« Eh bien ! y sommes-nous ? » Et lui
Quitte la fosse avec ennui
En poussant sa pioche et sa pelle.

Le gouffre baille son mystère :
Mais, le cercueil n’y glisse pas.
« Je m’en doutais ! » grogne tout bas
Le sacristain qui rentre en terre.

Il remonte. On reprend la boîte
Qu’on ajuste du mieux qu’on peut.
Mais, il s’en faut toujours un peu :
La tombe est encore trop étroite.

De nouveau, la pioche luisante
Descend l’élargir. Cette fois,
Le cercueil y coule à plein bois
En même temps qu’on l’y présente.

Au bord du trou, qui s’enténèbre.
Un vieux qui tient le goupillon
Émet cette réflexion
En guise d’oraison funèbre :

« Elle a bien mérité sa fosse !
C’est égal ! tout d’même, elle était
Trop p’tit’ quand elle existait
Pour faire une morte aussi grosse ! »

Et, sous sa chape très ancienne,
Haut, solennel, — l’officiant
S’en revient en s’apitoyant
Sur sa défunte paroissienne :

« L’infortune l’a poursuivie !...
« Pauvre cadavre enguignonné !...
« Tout pour elle aura mal tourné,
« Dans la mort comme dans la vie !

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share

Le Père Éloi

Une nuit, dans un vieux cimetière pas riche,
Ivre, le père Éloi, sacristain-fossoyeur,
Parlait ainsi, d’un ton bonhomique et gouailleur,
Gesticulant penché sur une tombe en friche :

« Après que j’suis sorti d’l’auberge
En sonnant l’Angelus, à c’soir,
J’m’ai dit comme’ ça : Faut q’jaill’ la voir
Au lieu d’y fair’ brûler un cierge !

J’te dérang’ ! Sous l’herbe et la ronce
T’es là ben tranquille à r’poser ;
Bah ! tout seul, un brin, j’vas t’causer :
T’as pu d’langu’, j’attends pas d’réponse.

T’causer ? T’as des oreill’ de cend’e...
Et t’étais sourde avant l’trépas.
Mais, quéq’ ça fait q’tu m’entend’ pas...
Si mon idée est q’tu m’entendes.

J’pense à toi souvent, va, pauv’ grosse,
Beaucoup le jour, surtout la nuit,
Dans la noc’ comme dans l’ennui,
Que j’boiv’ chopine ou creuse un’ fosse.

J’me saoul’ pas pu depuis q’t’es morte
Que quand t’étais du monde. Enfin,
C’est pas tout ça ! moi, j’aim’ le vin,
J’peux l’entonner puisque j’le porte.

Fidèl’ ? là-d’sus faut laisser faire
Le naturel ! on n’est pas d’bois...
C’que c’est ! j’y pens’ pas quant e’ j’bois,
Quant’ j’ai bu, c’est une aut’ affaire !...

Si j’en trouve un’ qu’est pas trop vieille,
Ma foi ! j’vas pas chercher d’témoins !
Pourtant, l’âg’ yétant, j’pratiqu’ moins
La créatur’ que la bouteille.

Bah ! je l’sais, t’es pas pu jalouse
Que cell’ qu’a pris ta succession.
Es’ pas q’j’ai ton absolution ?
Dis ? ma premièr’ défunte épouse ?

Des services ? t’as ma promesse
Que j’ten f’rai dir’ par mon bourgeois.
Quoiq’ça, c’est inutil’ : chaqu’ fois,
J’te r’command’ en servant sa messe.

J’voudrais t’donner queq’chos’ qui t’aille :
Qui qui t’plairait ? qu’est-c’que tu veux ?
Un’ coiff’ ? mais, tu n’as pu d’cheveux.
Un corset ? mais, tu n’as pu d’taille.

Un’ rob’ ? t’es qu’un bout de squelette.
Des mitain’ ? T’as des mains d’poussier.
Des sabots garnis ? t’as pu d’pieds.
Faut pas songer à la toilette !

T’donner à manger ? bon ! ça rentre...
Mais, pour tomber où ? dans quel sac ?
Puisque tu n’as pu d’estomac,
Pu d’gosier, pu d’boyaux, pu d’ventre !

D’l’argent ? mais, dans ton coin d’cimetière
Qué q’t’ach’t’rais donc ? Seigneur de Dieu !
Allons ! tiens ! pour te dire adieu
J’vas t’fair’ cadeau d’un’ bonn’ prière.

Si ça t’fait pas d’bien, comm’ dit l’autre,
Au moins, ben sûr, ça t’fra pas d’mal.
Mais, tu m’coût’ pas cher... c’est égal !
Tu la mérit’ long’ la pat’nôtre ! »

Or, en fait d’oraison longue, le vieux narquois
Partit tout simplement, sur un signe de croix,
Grognant : « C’est tard ! tant pis, j’ai trop soif, l’diab’ m’emporte !
J’vas boire à la santé de l’âme de la morte

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!

Share