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Ombres visiteuses

Ô mains d’ambre rosé, mains de plume et d’ouate
Où tremble autant d’esprit que sur la lèvre moite,
Et de rêve que dans l’œil bleu !
Ô mignonnettes mains, menottes à fossettes
Qui servent à l’amour de petites pincettes
Pour tisonner ma chair en feu ;

Ô petits pieds qui vont comme le zéphyr passe,
En laissant derrière eux le frisson de la grâce
Et le sillage du désir ;
Ô jarretière noire à la boucle argentée,
Diadème lascif d’une jambe sculptée
Pour les étreintes du plaisir ;

Ô seins, poires de chair, dures et savoureuses,
Monts blancs où vont brouter mes caresses fiévreuses,
Cheveux d’or auxquels je me pends ;
Ventre pâle où je lis un poème de spasmes,
Cuisse de marbre ardent où mes enthousiasmes
S’enroulent comme des serpents :

C’est vous que je revois, ombres voluptueuses,
Dans mes instants bénis d’extases onctueuses
Et de rêves épanouis ;
Émergeant du brouillard nacré des mousselines,
Vous flottez devant moi, parlantes et câlines,
Pleines de parfums inouïs !

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La Musique

À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.

Quand tes regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots,
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots.

Elle me verse tous les baumes
Et me souffle tous les parfums ;
Elle évoque tous mes fantômes
Et tous mes souvenirs défunts.

Elle m’apaise quand je souffre,
Elle délecte ma langueur,
Et c’est en elle que j’engouffre
L’inexprimable de mon cœur.

Elle mouille comme la pluie,
Elle brûle comme le feu ;
C’est un rire, une brume enfuie
Qui s’éparpille dans le bleu.

Dans ses fouillis d’accords étranges
Tumultueux et bourdonnants,
J’entends claquer des ailes d’anges
Et des linceuls de revenants ;

Les rythmes ont avec les gammes
De mystérieux unissons ;
Toutes les notes sont des âmes,
Des paroles et des frissons.

Ô Musique, torrent du rêve,
Nectar aimé, philtre béni,
Cours, écume, bondit sans trêve
Et roule-moi dans l’infini.

À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.

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L'Enragée

Je vais mordre ! Allez-vous-en tous !
La nuit tombe sur ma mémoire.
Et le sang monte à mes yeux fous !
Voyez ! ma bouche torse et noire
Bave à travers mes cheveux roux.

J’ai déjà fait d’horrible trous
Dans mes deux pauvres mains d’ivoire,
Et frappé ma tête à grands coups :
Je vais mordre !

Je m’abreuverais à vos cous
Si je pouvais encore boire.
Holà ! Je sens dans ma mâchoire
Un abominable courroux :
De grâce ! Arrière ! Sauvez-vous !
Je vais mordre !

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La Relique

Avant son mariage, – ô souffrance mortelle !
Elle me la donna sa chemise en dentelle,
Celle qu’elle avait le doux soir
Où, cédant à mes pleurs qui lui disaient : « Viens, Berthe ! »
Près de moi haletant sur la couche entr’ouverte,
Frémissante elle vint s’asseoir.

Ce linge immaculé qu’embaumait son corps vierge,
Quand elle vint me faire, aussi pâle qu’un cierge,
Ses chers adieux si redoutés,
Elle me le tendit d’un air mélancolique
En soupirant : « Voici la suprême relique
De nos défuntes voluptés.

« Je te la donne, ami, ma chemise brodée :
Car, la première fois que tu m’as possédée,
Je la portais, t’en souviens-tu ?
Elle seule a connu les brûlantes ivresses
Que ta voix musicale et pleine de caresses
Faisait courir dans ma vertu.

« Elle seule entendit les aveux réciproques
Que, jour et nuit, mes seins, dans leurs gentils colloques,
Échangeaient tout bas en tremblant ;
Elle seule a pu voir comme une vierge flambe
Quand le genou d’un homme ose effleurer sa jambe
Qui tressaille dans son bas blanc.

« Dès l’heure où sur mon cou frémit ta lèvre ardente,
Tout mon corps anxieux a pris pour confidente
Cette chemise en tulle fin ;
Et ses sensations aussi neuves qu’impures,
Voluptueusement, dans le flot des guipures,
Ont dit qu’il se donnait enfin.

« Conserve-la toujours ! Qu’elle soit pour ton âme
La chair mystérieuse et vague de la femme
Qui te voue un culte éternel ;
Qu’elle soit l’oreiller de tes regrets moroses ;
Quand tu la baiseras, songe aux nudités roses
Qui furent ton festin charnel !

« Que les parfums ambrés de ma peau qui l’imprègnent,
Pour l’odorat subtil de tes rêves, y règnent
Candides et luxurieux !
Qu’elle garde à jamais l’empreinte de mes formes !
J’ai dit à mon amour : « J’exige que tu dormes
« Entre ses plis mystérieux. »

« Les chaleurs, les frissons de ma chair en alarmes,
Quand ma virginité rouge et buvant ses larmes
Te fuyait comme un assassin,
Ce que j’ai ressenti de bonheur et de crainte
Quand tu m’as attirée et que tu m’as étreinte
En collant ta bouche à mon sein :

« Elle t’apprendra tout ! Dans ses muettes odes,
Elle rappellera d’amoureux épisodes
À ton hallucination ;
Et ton rêve, y trouvant mes bien-aimés vestiges,
Bénira, l’aile ouverte au milieu des vertiges,
Sa chère fascination.

« Adieu ! » – J’ai conservé la mignonne chemise
Je l’exhume parfois du coffre où je l’ai mise,
Et je la baise avec ferveur ;
Et mon rêve est si chaud, qu’en elle il fait revivre
Ce corps si capiteux dont je suis encore ivre,
Car il m’en reste la saveur.

Alors, je la revois dans un nimbe de gloire,
La sirène aux pieds blancs comme du jeune ivoire,
Mon ancienne adoration,
Qui, moderne païenne, ingénue et lascive,
Allumait d’un regard dans mon âme pensive
Des fournaises de passion.

Son corps de Grecque, ayant l’ardeur de la Créole,
Tour à tour délirant et plein de langueur molle,
Toujours affamé de plaisir,
Et qui, reptile humain, se tordait dans l’alcôve,
Bouillant d’une hystérie irrésistible et fauve
Pour éterniser mon désir ;

Sa bouche de corail, humide et parfumée,
Ses petits pieds d’enfant, ses deux jambes d’almée,
Sa chevelure aux flots houleux,
Sa gorge aiguë et ferme, et ses robustes hanches,
Ses secrètes beautés purpurines et blanches,
Ses yeux immenses, noirs et bleus ;

Tous ces mille rayons d’une chair si féline
Embrasent ma chair froide et toujours orpheline
Depuis que l’amour m’a quitté ;
Et lui criant : « Ma Berthe ! enlaçons-nous sans trêve ! »
Je la possède encor dans l’extase du rêve
Comme dans la réalité !

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Les Seins

J’ai fait ces vers subtils, polis comme des bagues,
Pour immortaliser la gloire de tes seins
Que mon houleux désir bat toujours de ses vagues.

Qu’ils y fleurissent donc éternellement sains,
Et que dans la roideur fière des pics de glace
Ils narguent à jamais les siècles assassins !

Sur ta chemise, enfant, mon Å“il baise la place
Qu’use le frottement de leurs boutons rosés,
Et voilà que déjà le vertige m’enlace.

Si j’osais ! Tu souris, semblant me dire : « Osez !
Mes seins voluptueux sont friands de vos lèvres
Et de larmes d’amour veulent être arrosés. »

Et pour m’indemniser des nuits où tu m’en sèvres,
Tu ne les caches plus que sous tes noirs cheveux
Drus comme les buissons que mordillent les chèvres.

Ivresse ! Ils sont alors à moi tant que je veux :
Car mes doigts chatouilleurs ont des caresses lentes
S’entrecoupant d’arrêts et de frissons nerveux.

Et quand vibrent sur vous mes lèvres harcelantes,
Libellules d’amour dont vous êtes les fleurs,
Votre incarnat rougit, pointes ensorcelantes !

Rubis des seins, vous en rehaussez les pâleurs
Et vous vous aiguisez, jusqu’à piquer ma joue
Comme le bec lutin des oiselets siffleurs.

Et tu frémis avec une adorable moue
Tandis qu’au cliquetis de tes bracelets d’or
Ta main dans ma crinière indomptable se joue !

En vain la bise hurle au fond du corridor,
Tu souris de langueur sur le sopha d’ébène
Devant l’âtre paisible où la flamme s’endort.

Moi, je brûle affolé, je me contiens à peine ;
Et pourtant mon désir qui rampe à tes genoux
Sait que sa patience a toujours bonne aubaine.

Mais tu laisses tomber ton provocant burnous,
Et, moderne houri des paradis arabes,
Tu bondis toute nue en criant : « Aimons-nous ! »

Oh ! comme nous râlons ces magiques syllabes,
Dans la chère seconde où, pour mieux s’enlacer,
Nos jambes et nos bras sont des pinces de crabes !

Ma convoitise enfin peut donc se harasser !
Pas un coin de ton corps où mes lèvres ne paissent
Tu me bois, je t’aspire ! et, pour me délasser,

J’admire tes beaux seins qui s’enflent et s’abaissent.

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À l'Insensible

Es-tu femme ou statue ? Hélas ! j’ai beau m’user
Par les raffinements inouïs que j’invente
Pour forcer ta chair morte à devenir vivante ;
J’ai beau me convulser sur ta gorge énervante,
Tu n’as jamais senti la luxure savante
De mon baiser.

Ainsi donc, comme un plomb sur la peau du jaguar,
Ma passion sur toi glisse, et mes pleurs eux-mêmes
Coulent sans t’émouvoir le long de tes mains blêmes ;
Et quand je te supplie à genoux que tu m’aimes,
Je reste épouvanté par les froideurs suprêmes
De ton regard !

Rampant comme un aspic, fidèle comme un chien,
Je laisse piétiner mon cœur sous ta babouche ;
Devant l’inconscient sarcasme de ta bouche,
Je fléchis mon honneur et ma fierté farouche ;
Je me calcine en vain dans l’enfer de ta couche,
Ô rage ! — Eh bien,

Puisque sur ton flanc nu l’amour me fait beugler,
Sans que jamais sur toi ma convoitise morde ;
Puisque toujours passive et sans miséricorde,
Tu veux qu’en tes bras morts et glacés je me torde,
Ce soir, de tes cheveux, je vais faire une corde
Pour t’étrangler !

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La Pipe

Quand l’uniformité m’écœure,
Dans la rue ou dans la maison,
Que de fois pour nuager l’heure
Je savoure ton cher poison !

Ô ma coupe de nicotine,
Mon regard jubile en suivant
Ta fumée errante et lutine
Comme l’onde et comme le vent !

Quel doux philtre dans ces bouffées
Que j’aspire par ton cou noir !
Seul avec toi, je vois des fées
Dansant au sommet d’un manoir.

Humant ton odeur tabagique
Plus subtile que des parfums,
Au milieu d’un rêve magique,
J’évoque mes amis défunts ;

Et ma spectrale bien-aimée,
Avec son regard alarmant,
Sur tes spirales de fumée
Flotte mystérieusement.

Ton brouillard est l’escarpolette
Qui berce mes jours et mes nuits ;
Tu chasses comme une amulette
Mes cauchemars et mes ennuis.

Et je cuis mon dégoût du monde
Dans ton fourneau large et profond :
Je trouve l’homme moins immonde
En te fumant, l’œil au plafond.

Tu montres à ma fantaisie
Qui s’enveloppe d’un linceul,
Des horizons de poésie
Où le vers s’ébauche tout seul ;

Et pour moi ta saveur bénie,
Délicieuse d’âcreté,
Conserve en sa monotonie
Une éternelle nouveauté !

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La Belle Fromagère

Par la rue enfiévrante où mes pas inquiets
Se traînent au soleil comme au gaz, je voyais
Derrière une affreuse vitrine
Où s’étalaient du beurre et des fromages gras,
Une superbe enfant dont j’admirais les bras
Et la plantureuse poitrine.

Le fait est que jamais fille ne m’empoigna
Comme elle, et que jamais mon Å“il fou ne lorgna
De beauté plus affriolante !
Un nimbe de jeunesse ardente et de santé
Auréolait ce corps frais où la puberté
Était encore somnolente.

Elle allait portant haut dans l’étroit magasin
Son casque de cheveux plus noirs que le fusain
Et, douce trotteuse en galoches,
Furetait d’un air gai dans les coins et recoins,
Tandis que les bondons jaunes comme des coings
Se liquéfiaient sous les cloches.

Armés d’un petit fil de laiton, ses doigts vifs
Détaillaient prestement des beurres maladifs
À des acheteuses blafardes ;
Des beurres, qu’on savait d’un rance capiteux,
Et qui suaient l’horreur dans leurs linges piteux,
Comme un affamé dans ses hardes.

Quand sa lame entamait Gruyère ou Roquefort,
Je la voyais peser sur elle avec effort,
Son petit nez frôlant les croûtes,
Et rien n’était mignon comme ses jolis doigts
Découpant le Marolle infect où, par endroits,
La vermine creusait des routes.

Près de l’humble comptoir où dormaient les gros sous
Les Géromés vautrés comme des hommes saouls
Coulaient sur leur clayon de paille,
Mais si nauséabonds, si pourris, si hideux,
Que les mouches battaient des ailes autour d’eux,
Sans jamais y faire ripaille.

Or, elle respirait à son aise, au milieu
De cette âcre atmosphère où le Roquefort bleu
Suintait près du Chester exsangue ;
Dans cet ignoble amas de caillés purulents,
Ravie, elle enfonçait ses beaux petits doigts blancs,
Qu’elle essuyait d’un coup de langue.

Oh ! sa langue ! bijou vivant et purpurin
Se pavanant avec un frisson vipérin
Tout plein de charme et de hantise !
Miraculeux corail humide et velouté
Dont le bout si pointu trouait de volupté
Ma chair, folle de convoitise !

Donc, cette fromagère exquise, je l’aimais
Je l’aimais au point d’en rêver le viol ! mais,
Je me disais que ces miasmes,
À la longue, devaient imprégner ce beau corps
Et le dégoût, comme un mystérieux recors,
Traquait tous mes enthousiasmes.

Et pourtant, chaque jour, rivés à ses carreaux,
Mes deux yeux la buvaient ! en vain les Livarots
Soufflaient une odeur pestilente,
J’étais là, me grisant de sa vue, et si fou,
Qu’en la voyant les mains dans le fromage mou
Je la trouvais ensorcelante !

À la fin, son aveu fleurit dans ses rougeurs ;
Pour me dire : « je t’aime » avec ses yeux songeurs,
Elle eut tout un petit manège ;
Puis elle me sourit ; ses jupons moins tombants
Découvrirent un jour des souliers à rubans
Et des bas blancs comme la neige.

Elle aussi me voulait de tout son être ! À moi,
Elle osait envoyer des baisers pleins d’émoi,
L’emparadisante ingénue,
Si bien, qu’après avoir longuement babillé,
Par un soir de printemps, je la déshabillai
Et vis sa beauté toute nue !

Sa chevelure alors flotta comme un drapeau,
Et c’est avec des yeux qui me léchaient la peau
Que la belle me fit l’hommage
De sa chair de seize ans, mûre pour le plaisir !
Ô saveur ! elle était flambante de désir
Et ne sentait pas le fromage !

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La Chimère

Il avait l’air hagard quand il entra chez moi,
Et c’est avec le geste âpre, la face ocreuse,
L’œil démesurément ouvert, et la voix creuse
Qu’il me fit le récit suivant : Figure-toi

Que j’errais au hasard comme à mon habitude,
Enroulé dans mon spleen ainsi qu’en un linceul,
Ayant l’illusion d’être absolument seul
Au milieu de l’opaque et rauque multitude.

Fils de ma dangereuse imagination,
Mille sujets hideux plus noirs que les ténèbres
Défilaient comme autant de nuages funèbres
Dans mon esprit gorgé d’hallucination.

Peu à peu cependant, maîtrisant la névrose,
J’évoquais dans l’essor de mes rêves câlins
Un fantôme de femme aux mouvements félins
Qui voltigeait, tout blanc sous une gaze rose.

J’ai dû faire l’effet, même aux passants blasés,
D’un fou sur qui l’accès somnambulique tombe,
Ou d’un enterré vif échappé de la tombe,
Tant j’ouvrais fixement mes yeux magnétisés.

Secouant les ennuis qui la tenaient captive
Mon âme tristement planait sur ses recors,
Et je m’affranchissais de mon odieux corps
Pour me vaporiser en brume sensitive :

Soudain, tout près de moi, dans cet instant si cher
Un parfum s’éleva, lourd, sur la brise morte,
Parfum si coloré, d’une strideur si forte,
Que mon âme revint s’atteler à ma chair.

Et sur le boulevard brûlé comme une grève
J’ouvrais des yeux de bœuf qu’on mène à l’abattoir,
Quand je restai cloué béant sur le trottoir :
Je voyais devant moi la femme de mon rêve.

Oh ! c’était bien son air, sa taille de fuseau !
À part la nudité miroitant sous la gaze,
C’était le cher fantôme entrevu dans l’extase
Avec ses ondoîments de couleuvre et d’oiseau.

Certes ! je ne pouvais la voir que par derrière :
Mais, comme elle avait bien la même étrangeté
Que l’autre ! Et je suivis son sillage enchanté,
Dans l’air devenu brun comme un jour de clairière.

Je courais, angoisseux et si loin du réel
Que j’incarnais déjà mon impalpable idole
Dans la belle marcheuse au frisson de gondole
Qui glissait devant moi d’un pas surnaturel.

Et j’allais lui crier dans la cohue infâme,
Frappant et bousculant tout ce peuple haï :
« Je viens te ressaisir, puisque tu m’as jailli
« Du cœur, pour te mêler aux passants ! » quand la Dame

Se retourna soudain : oh ! je vivrais cent ans
Que je verrais toujours cet ambulant squelette !
Véritable portrait de la Mort en toilette,
Vieux monstre féminin que le vice et le temps,

Tous deux, avaient tanné de leurs terribles hâles ;
Tête oblongue sans chair que moulait une peau
Sépulcrale, et dont les paupières de crapaud
Se recroquevillaient sur des prunelles pâles !

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Le Cœur guéri

Celle que j’aime est une enchanteresse
Au front pudique, aux longs cheveux châtains ;
Compagne et sœur, ma muse et ma maîtresse,
Elle ravit mes soirs et mes matins.
Svelte beauté, sensitive jolie,
Elle a l’œil tendre et la taille qui plie ;
Moi, le suiveur des funèbres convois,
J’ai frémi d’aise au doux son de sa voix,
Et maintenant que l’amour m’électrise,
Toujours, partout, je l’entends, je la vois ;
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.

Geste pensif et qui vous intéresse,
Bouche d’enfant sans rires enfantins,
Étrangeté jusque dans la caresse,
Regards profonds, veloutés et lointains,
Joue inquiète et quelquefois pâlie
Par la souffrance et la mélancolie,
Tête française avec un air suédois,
Pied de gazelle, et jolis petits doigts
Par qui toujours la musique est comprise :
Aussi, je l’aime autant que je le dois,
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.

Elle a comblé mon esprit d’allégresse,
Purifié mon art et mes instincts,
Et maintenant, mon âme qui progresse
Plane au-dessus des rêves libertins.
Je suis calmé, je suis chaste ; j’oublie
Ce que je fus ! ma chair est ennoblie ;
Je ne suis plus le poète aux abois
Qui frissonnait d’horreur au fond des bois,
J’aime la nuit, qu’elle soit noire ou grise,
Et, bénissant le philtre que je bois,
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.

La destinée, hélas ! est bien traîtresse,
Mais je souris quand même à mes destins,
Car, dès ce jour, au lieu de ma détresse,
J’ai la saveur des mystiques festins.

Tout à l’amour qui désormais nous lie,
Avec l’espoir je me réconcilie ;
En vain l’ennui me guette en tapinois,
Je ne crains plus cet ennemi sournois :
Le bouclier contre qui tout se brise,
Je l’ai, pour vaincre au milieu des tournois !
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.

Je ne redoute aucun danger, serait-ce
L’Enfer lui-même ! à mes défis hautains
Satan se tait ! l’embûche qu’il me dresse
Je la découvre, et marche à pas certains.
Ma volonté germe et se multiplie ;
Les rêves bleus dont ma tête est remplie
Chassent au loin mes spleens et mes effrois
Pour me parler du Ciel à qui je crois,
Et je pardonne à ceux que je méprise,
Comme le Christ en mourant sur la croix ;
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.

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Mes pipes

Le jour comme à minuit
Je fume.
Car le tabac parfume
L’ennui.
O mes pipes, sans bruit,
Dans vos nimbes de brume
Je hume
La nuit !

Que deviendrait sans vous
Ma chambre,
Calumets à bout d’ambre
Si doux,
Lorsqu’avec des cris fous
Geint le vent de décembre
Qui cambre
Les houx ?

Et quand les nuits sont brèves,
Au mois
Des jeux, des doux émois,
Des sèves,
Vous m’enivrez sans trêves :
Avec vous, dans les bois,
Je bois
Des rêves.

O filles, ô cafardes,
Je hais
Vos faces à jamais
Blafardes.
Eve, en vain tu te fardes,
Pour femmes, désormais,
J’ai mes
Bouffardes.

Embaumez donc mes jours,
Charmeuses,
O pipes, mes brumeuses
Amours !
Et dans tous mes séjours,
Restez, mes endormeuses,
Fumeuses
Toujours.

Que deviendrait sans vous
Ma chambre,
Calumets à bout d’ambre
Si doux,
Lorsqu’avec des cris fous
Geint le vent de décembre
Qui cambre
Les houx ?

Et quand les nuits sont brèves,
Au mois
Des jeux, des doux émois,
Des sèves,
Vous m’enivrez sans trêves :
Avec vous, dans les bois,
Je bois
Des rêves.

O filles, ô cafardes,
Je hais
Vos faces à jamais
Blafardes.
Eve, en vain tu te fardes,
Pour femmes, désormais,
J’ai mes
Bouffardes.

Embaumez donc mes jours,
Charmeuses,
O pipes, mes brumeuses
Amours !
Et dans tous mes séjours,
Restez, mes endormeuses,
Fumeuses
Toujours.

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Journée de printemps

Ici, le rocher, l’arbre et l’eau
Font pour mon œil ce qu’il convoite.
Tout ce qui luit, tremble ou miroite,
Forme un miraculeux tableau.

Sur le murmure qui se ouate
Le rossignol file un solo :
L’écorce blanche du bouleau
Met du mystique dans l’air moite.

À la fois légère et touffue
La lumière danse à ma vue
Derrière l’écran du zéphyr ;

Je m’attarde, et le soir achève
Avec de l’ombre et du soupir
La félicité de mon rêve.

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Les Fils de la Vierge

Bons petits cheveux si légers,
Jolis petits fils de la Vierge,
Vivent l’air pur qui vous héberge
Et la route où vous voyagez !

Suspendez-vous dans les vergers,
Flottez sur l'onde et sur la berge,
Bons petits cheveux si légers,
Jolis petits fils de la Vierge !

Les chevrettes et les bergers,
Le peuplier droit comme un cierge,
Le vieux château, la vieille auberge,
Tout sourit quand vous voltigez,
Bons petits cheveux si légers !

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Charles Baudelaire

À une Madone

Ex-voto dans le goût espagnol

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne;
Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes,
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes!
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent
Pour Marchepied tailler une Lune d'argent
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles
Reine victorieuse et féconde en rachats
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges
Etoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu;
Et comme tout en moi te chérit et t'admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l'amour avec la barbarie,
Volupté noire! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant!

poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du malSignalez un problèmeDes citations similaires
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Les Robes

Ô ma pauvre sagesse, en vain tu te dérobes
Au fluide rôdeur, âcre et mystérieux
Que, pour magnétiser le passant curieux,
L’Inconnu féminin promène sous les robes !

Les robes ! où circule et s’est insinuée
La vie épidermique avec tous ses frissons,
Et qui, sur les trottoirs comme entre les buissons,
Passent avec des airs de barque et de nuée !

Elles ont tout : corsage où pleurent les longs voiles,
Jupe où jasent des nids de volants emperlés,
Rubans papillonneurs et boutons ciselés
Qui luisent comme autant de petites étoiles.

Si l'une me dénonce une luxure infâme,
Une autre me révèle un corps qui se défend ;
Et pour mon œil subtil une robe d’enfant
Trahit des ailes d’ange et des rondeurs de femme.

La robe atténuant la pointe ou la courbure
Hallucine déjà mes prunelles de lynx,
Mais je me sens troublé comme en face du Sphinx
Devant le bloc pieux de la robe de bure.

J’aime à les rencontrer partout, vieilles et neuves,
Au bas d’un escalier, au fond d’un corridor ;
J’aime ces longs habits que féminise encor
L’exquise austérité des vierges et des veuves.

Avec cette adhérence intime de l’écorce
Qui calque le contour et le linéament,
Le corsage échancré plaque hermétiquement,
Délicieux maillot d’un admirable torse.

La longue robe errant dans la lumière bleue,
Froide et collante avec sa traîne de velours,
Sur les tapis muets, étouffeurs des pas lourds,
A l'air d’un grand serpent tout debout sur sa queue.

Et par un crépuscule où le vent noir sanglote,
Plus d’une, tout au fond du lointain frissonnant,
Semble raser la terre ainsi qu’un revenant
Tragiquement drapé dans son linceul qui flotte.

J’ai souvent le désir fantastique et morose,
Dans ces bals où le vice allume son coup d’œil,
De voir entrer soudain une robe de deuil,
Comme un brouillard d’ébène au milieu d’un ciel rose.

Mais je contemplerais, à genoux et mains jointes,
Ces corselets d’amour exactement remplis
Où, derrière la gaze aux lumineux replis,
La gorge tentatrice embusque ses deux pointes !

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La Bête

En amour, l’homme est la souris
Pour qui toute femme est la chatte.
Le sot ne voit pas l’ongle gris
Sous le doux velours de la patte.

Il pompe, le pauvre imprudent,
La chère moiteur qui l’arrose,
Sans songer qu’une horrible dent
Est derrière la langue rose.

Je vous le dis en vérité,
Savant, philosophe, poète :
On s’emplit d’animalité
En se frottant à cette bête.

La femme sur qui les soupçons
Aiguisent leur âpre souffrance,
N’est qu’un abîme de frissons
Où s’engloutit notre espérance.

Depuis l’orteil jusqu’aux cheveux,
Toute femme est une Aspasie,
Disant : « Moi, l’amour que je veux,
« C’est un amour de fantaisie.

« J’ai toujours un nouveau désir
« Dans mes veilles et dans mes sommes ;
« Je suis la mouche du plaisir
« Papillonnant d’hommes en hommes ;

« Le mâle que j’ai convoité,
« Je l’aime, jusqu’à concurrence
« D’une ou deux nuits de volupté,
« Et puis mon amour devient rance.

« J’ai dans le crâne un réservoir
« De larmes, filles du caprice ;
« Pour bien manier le mouchoir,
« Je n’ai pas besoin d’être actrice.

« Ma poitrine est un arsenal
« Où pendent cris, soupirs et plaintes,
« Si bien doublés d’art infernal,
« Qu’on s’englue à mes douleurs feintes. »

— Ainsi le sexe féminin
Se dessine dans ma pensée :
Magique, doucereux, bénin,
Le cœur sec et l’âme glacée.

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La Maladie

La maladie est une femme
Invisible comme un remord
Qui flétrit, tout prêts pour la mort,
La bouche rose et l’œil de flamme.

Elle vous surprend dans sa trame
Et vous plante sa dent qui mord.
La maladie est une femme
Invisible comme un remord.

Qu’elle soit noble, étrange, infâme,
Avec elle on a toujours tort !
Elle vous vide, elle vous tord
La chair, l’esprit, le cœur et l’âme ;
La maladie est une femme.

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Les Petits Souliers

Tes petits souliers noirs grillés comme une cage
Emprisonnent tes pieds plus vifs que des oiseaux,
Laissant voir à travers leurs délicats réseaux
Tes bas coloriés fleuris comme un langage.

Ils ont le glissement du vent dans le bocage,
La grâce tournoyeuse et grêle des fuseaux,
L’air mutin de l’abeille aux pointes des roseaux
Ou de la sauterelle au milieu d’un pacage.

En vain, ils sont partout mes suiveurs familiers,
Par l’aspect et le bruit de tes petits souliers
J’ai toujours les yeux pris et l’oreille conquise ;

Et quand les mauvais jours me séparent de toi,
Ton souvenir les fait sonner derrière moi
Et brode sur mon cœur leur silhouette exquise.

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Les Deux Poitrinaires

La brise en soupirant caresse l’herbe haute.
Tous les deux, bouche ouverte, ils marchent côte à côte,
Dos voûté, cou fluet ;
Près d’une haie en fleurs où l'ébène des mûres
Luit dans le fouillis vert des mignonnes ramures,
Ils vont, couple muet.

Ils ont la face blanche et les pommettes rouges ;
Comme les débauchés qui vivent dans les bouges
On les voit chanceler.
Leur Å“il vaguement clair dans un cercle de bistre
A cette fixité nonchalante et sinistre
Qui vous fait reculer.

Ils ont une toux sèche, aiguë, intermittente.
Elle, après chaque accès, est toute palpitante,
Et lui, crache du sang !
Et l'on flaire la mort à ces poignants symptômes,
Et l’aspect douloureux de ces vivants fantômes
Opprime le passant.

Ils se serrent les mains dans une longue étreinte
Avec le tremblement de la pudeur contrainte
Se choquant au désir,
Et pour mieux savourer l’amour qui les enfièvre,
L’une à l’autre parfois se colle chaque lèvre,
Folles de se saisir.

Autour d’eux tout s’éveille et songe à se refaire.
Homme et bête à plein souffle aspirent l’atmosphère,
Rajeunis et contents.
Tout germe et refleurit ; eux, ils sont chlorotiques ;
Tout court ; et chaque pas de ces pauvres étiques
Les rend tout haletants.

Eux seuls font mal à voir, les amants poitrinaires
Avec leurs regards blancs comme des luminaires,
Et leur maigre longueur ;
Je ne sais quoi de froid, d’étrange et de torpide
Sort de ce couple errant, hagard, presque stupide
À force de langueur.

Et pourtant il leur faut l’amour et ses morsures !
Dépravés par un mal, aiguillon des luxures,
Ils avancent leur mort ;
Et le suprême élan de leur force brisée
S’acharne à prolonger dans leur chair épuisée
Le frisson qui les tord.

Se posséder ! Pour eux que la tristesse inonde,
C’est l’oubli des douleurs pendant une seconde,
C’est l’opium d’amour !
Ils se sentent mourir avec béatitude
Dans ce spasme sans nom dont ils ont l’habitude,
Jour et nuit, nuit et jour !

Ensemble ils ont passé par les phases funèbres
Où les nœuds acérés de leurs frêles vertèbres
Leur ont crevé la peau ;
Ensemble ils ont grincé de la même torture :
Donc, ils veulent payer ensemble à la nature
L’inévitable impôt.

Et le gazon muet, quoique plein d’ironies,
Va voir l’accouplement de ces deux agonies
Naître et se consommer ;
Et les profonds échos répéteront les râles
De ces deux moribonds dont les lèvres si pâles
Revivent pour aimer !

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La Morte

Je viens d’enterrer ma maîtresse,
Et je rentre, au déclin du jour,
Dans ce gîte où la mort traîtresse
A fauché mon dernier amour.

En m’en allant au cimetière
Je sanglotais par les chemins,
Et la nature tout entière
Se cachait le front dans les mains.

Oh ! oui ! la nature était triste
Dans ses bruits et dans sa couleur ;
Pour un jour, la grande Égoïste
Se conformait à ma douleur.

La prairie était toute pleine
De corneilles et de corbeaux,
Et le vent hurlait dans la plaine
Sous des nuages en lambeaux :

Roulant des pleurs sous ses paupières
Un mouton bêlait dans l’air froid,
Et de la branche au tas de pierres
L’oiseau volait avec effroi.

L’herbe avait un frisson d’alarme,
Et, le long de la haie en deuil
Où tremblotait plus d’une larme,
Mon chien aboyait au cercueil.

Et, comme moi, soleil, fleur, guêpe,
Tout ce qui vole, embaume, ou luit.
Tout semblait se voiler d’un crêpe,
Et le jour était plein de nuit.

Donc, j’ai vu sa bière à la porte
Tandis que l’on sonnait son glas!…
Et maintenant, la pauvre morte
Est dans la terre ! hélas ! hélas !

En vain, j’évoque la magie
D’un être qui m’était si cher,
Et mon corps à la nostalgie
Épouvantable de sa chair ;

Ce n’est qu’en rêve que je touche
Et que j’entends et que je vois
Ses yeux, son front, ses seins, sa bouche
Et la musique de sa voix !

Matins bleus, jours gais, nuits d’extase,
Colloque à l’ombre du buisson
Où le baiser coupait la phrase
Et qui mourait dans un frisson,

Tout cela, chimères et leurre,
Dans la mort s’est évaporé !
Et je me lamente et je pleure
A jamais farouche et navré.

Je crois voir sa tête sans joue !
Horreur ! son ventre s’est ouvert :
Oh ! dans quelques jours qu’elle boue
Que ce pauvre cadavre vert !

Sur ses doigts et sur son cou roides
Pleins de bagues et de colliers,
Des bêtes gluantes et froides
Rampent et grouillent par milliers.

Oui, ce corps, jalousie atroce !
Aliment de mes transports fous,
C’est maintenant le ver féroce
Qui le mange de baisers mous.

Sa robe, son coussin de ouate,
Ses fleurs, ses cheveux, son linceul
Moisiront dans l’horrible boîte.
Son squelette sera tout seul.

Hélas! le squelette lui-même
A la fin se consumera,
Et de celle que mon cœur aime
Un peu de terre restera.

Quel drame que la pourriture
Fermentant comme un vin qui bout !…
Pièce à pièce, la créature
Se liquéfie et se dissout.

Mes illusions ? renversées !
Mon avenir ? anéanti !
Entre quatre planches vissées
Tout mon bonheur s’est englouti.

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Journée de printemps

Ici, le rocher, l'arbre et l'eau
Font pour mon oeil ce qu'il convoite.
Tout ce qui luit, tremble ou miroite,
Forme un miraculeux tableau.

Sur le murmure qui se ouate
Le rossignol file un solo :
L'écorce blanche du bouleau
Met du mystique dans l'air moite.

A la fois légère et touffue
La lumière danse à ma vue
Derrière l'écran du zéphyr ;

Je m'attarde, et le soir achève
Avec de l'ombre et du soupir
La félicité de mon rêve.

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