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Ballade du châtaignier rond

Le râle de genêts croassait dans les prés
Comme un peigne qu’on racle au milieu du mystère ;
Le soir décolorait les arbres effarés,
Et lentement la Lune, au ras du ciel austère,
Se recourbait en arc ainsi qu’un cimeterre.
C’est alors que, tout seul dans la vallée, au bruit
Du crapaud des étangs qui flûtait son ennui,
Par les taillis scabreux, les labours et le chaume,
Je m’en allais parfois rêver jusqu’à minuit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.

Aux bêlements lointains des moutons égarés,
Plus fatidiquement qu’un glas de monastère,
Le chat-huant mêlait ses sanglots acérés,
Si tristes, qu’un frisson de peur involontaire
Vous prend, lorsqu’un mauvais écho les réitère.
C’était l’heure des loups que le sorcier conduit ;
De la voix qui vous hèle, et du pas qui vous suit ;
Le grillon n’avait plus qu’un murmure d’atome ;
Et la mousse enchâssait le petit ver qui luit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.

Le court vacillement des farfadets soufrés
Annonçant des esprits qui revenaient sur terre,
Dansait au bout des joncs des chemins engouffrés ;
Puis, à la longue, tout finissait par se taire,
Et le silence entrait dans la nuit solitaire.
Et j’oubliais la tombe où la Mort nous réduit
En cendres ! J’oubliais le monde qui me nuit ;
Le sommeil des buissons me charriait son baume,
Et je m’évaporais avec le vent qui fuit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.

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Le Lamento des tourterelles

Par les ombres du crépuscule
Et sous la lune de minuit,
Qu’elle tristesse au fond du bruit
Que la campagne inarticule,
Et comme alors il vous poursuit
De la ravine au monticule,
Ce râle exhalé par l’ennui
Des tourterelles !

L’arbre s’effare et gesticule
Aussi vaguement qu’il bruit ;
Dans l’herbe un frisson brun circule ;
L’eau n’est plus qu’un brouillard qui luit,
Et le vent tiède véhicule
A l’écho qui le reproduit
Le roucoulement minuscule
Des tourterelles !

Et moi, que la douleur conduit,
Je mêle à ces voix de la nuit
Ma plainte horrible où s’inocule
Tout le regret du temps qui fuit
Et du passé qui se recule.

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Nuit tombante

Les taureaux, au parfum
De la mousse,
Arpentent l’herbe rousse,
Et chacun
Beugle au soleil défunt ;
La rafale qui glousse
Se trémousse
Dans l’air brun.

Et le ravin cruel,
Sourd et chauve,
A l’humidité fauve
D’un tunnel ;
Et comme un criminel,
Le nuage se sauve,
Gris et mauve,
Dans le ciel.

Des saules convulsés
Et difformes,
Des trous, des rocs énormes,
Des fossés,
Des vieux chemins gercés,
Des buissons multiformes,
Et des ormes
Crevassés,

De l’eau plate qui dort
Dans la terre,
Noire et plus solitaire
Qu’un remord :
Un long murmure sort,
Un long murmure austère
De mystère
Et de mort.

Au clapotis que font
Les viornes,
Sous la voûte sans bornes
Et sans fond,
Tout s’éloigne et se fond ;
L’ombre efface les cornes
Des bœufs mornes
Qui s’en vont.

Et l’escargot sans bruit
Rampe et bave ;
L’obscurité s’aggrave,
Le vent fuit ;
Et l’oiseau de minuit
Flotte comme une épave
Dans la cave
De la nuit.

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Le Baby

Frais comme l’herbe qui pousse,
Dans la ferme où je me plus,
Le baby suçait son pouce.

Le merle qui se trémousse
Dans les buissons chevelus
Frais comme l’herbe qui pousse,

Le roc où l’éclair s’émousse
L’attiraient ; roi des joufflus,
Le baby suçait son pouce.

Il se roulait dans la mousse
Et grimpait sur les talus
Frais comme l’herbe qui pousse.

Longtemps, devant la frimousse
Des petits ânons poilus,
Le baby suçait son pouce.

La flaque où l’on s’éclabousse
Tentait ses pieds résolus
Frais comme l’herbe qui pousse.

Près du chat qui se courrouce
Et des bons vieux chiens goulus,
Le baby suçait son pouce.

Oh ! dans l’eau de son qui mousse
Les pourceaux hurluberlus
Frais comme l’herbe qui pousse !

Il suivait tout ce qui glousse
Et devant les bœufs râblus,
Le baby suçait son pouce.

À la voix lointaine et douce
D’un glas ou d’un angélus,
Frais comme l’herbe qui pousse,

Dans la nuit vitreuse et rousse,
Sous les chênes vermoulus,
Le baby suçait son pouce.

Mais la mort vient et nous pousse !
Il fut un de ses élus
Frais comme l’herbe qui pousse.

Un jour on me dit : « Il tousse. »
Pourtant, chétif et perclus,
Le baby suçait son pouce.

La mort le prit sans secousse :
Et jaune, hélas ! n’étant plus
Frais comme l’herbe qui pousse
Le baby suçait son pouce.

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À quoi pense la nuit?

À quoi pense la Nuit, quand l’âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu’avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?...

À quoi pense la Nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des frissons d’émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphyr qui rôde,
Traversent l’ombre vague où la tiédeur descend ?...

Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu’elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.

Et — ses grands yeux ouverts aux étoiles — la Nuit
Enivre de secret ses extases moroses,
Aspire avec longueur le magique des choses.

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La Chanson des amoureuses

Nos soupirs s’en vont dans la tombe
Comme des souffles dans la nuit,
Et nos plaintes sont un vain bruit
Comme celles de la colombe.

Tout prend son vol et tout retombe,
Tout s’enracine et tout s’enfuit !
Nos soupirs s’en vont dans la tombe
Comme des souffles dans la nuit.

C’est toujours la mort qui surplombe
Le nouvel amour qui séduit,
Et pas à pas, elle nous suit
Dans la volupté qui nous plombe.
Nos soupirs s’en vont dans la tombe.

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La Nuit de novembre

Il faisait aussi clair qu’à trois heures du soir,
Lorsque, las de fumer, de lire et de m’asseoir,
Emportant avec moi le rêve qui m’agite,
J’abandonnai ma chambre et sortis de mon gîte.
Et j’errai. Tout le ciel était si lumineux,
Que les rochers devaient sentir passer en eux
Des caresses de lune et des frissons d’étoiles.
La terrible araignée aux si funèbres toiles
Semblait guetter encor le crépuscule gris,
Car les arbres du clos par l’automne amaigris
Montraient dans la clarté qui glaçait leur écorce
Mainte cime chenue et mainte branche torse.
C’était le jour sans bruit, le jour sans mouvement,
Comme en vécut jadis la Belle au Bois Dormant,
Plutôt fait pour les morts que pour nous autres : l’ombre
Qui devenait l’aurore, à l’heure où tout est sombre.
L’air avait la moiteur exquise du rayon,
Et l’objet dessiné comme par un crayon
Prenait l’aspect diurne, et fluet, long, énorme,
Accusait nettement sa couleur et sa forme.
Et le silence, horrible et douce mort du bruit,
Triomphait-il assez dans ce plein jour de nuit
À l’abri du vent rauque et du passant profane
Sous les scintillements du grand ciel diaphane !
Le froid devenait tiède à force de douceur ;
Et, grisaille des murs, vert des volets, rousseur
Du toit, corde du puits, dents de la girouette,
Là-bas, au fond de clos, une vieille brouette,
À terre çà et là, des bois et des outils,
Toute espèce d’objets, hauts, plats, grands et petits,
Tout, jusqu’au sable fin comme celui des grèves
Se détaillait à l’œil ainsi que dans les rêves.
Alors, que de mystère et que d’étrangeté !
Sans doute, un mauvais sort m’allait être jeté
Par un fantôme blanc rencontré sur ma route ?
Le fait est que jamais plus fantastique voûte
N’illumina la terre à cette heure d’effroi :
Je me voyais si bien que j’avais peur de moi.
Minuit allait sonner dans une demi-heure,
Et toujours pas de vent, pas de source qui pleure,
Rien que l’affreux silence où je n’entendais plus
Que le bruit régulier de mes pas résolus ;
Car, au fond, savourant ma lente inquiétude,
Je voulais m’enfoncer dans une solitude
Effroyable, sans murs, sans huttes, sans chemins,
Vierge de tous regards et de tous pieds humains !
Et j’étais arrivé sur une immense roche
Quand je me rappelai que j’avais dans ma poche
Le bréviaire noir des amants de la Mort,
Cette œuvre qui vous brûle autant qu’elle vous mord,
Que la tombée a dictée et qui paraît écrite
Par la main de Satan, la grande âme proscrite.
Oui, j’avais là sur moi, dans cet endroit désert,
Le Cœur Révélateur, et la Maison Usher,
Ligeia, Bérénice et tant d’autres histoires
Qui font les jours peureux, les nuits évocatoires,
Et qu’on ne lit jamais sans frisson sur la peau.
Oui délice et terreur ! j’avais un Edgar Poe :
Edgar Poe, le sorcier douloureux et macabre
Qui chevauche à son gré la raison qui se cabre.
Seul, tout seul, au milieu du silence inouï,
Avais-je la pâleur d’un homme évanoui
Quand j’ouvris le recueil de sinistres nouvelles
Qui donnent le vertige aux plus mâles cervelles ?
Mes cheveux s’étaient-ils dressés, à ce moment ?
Je ne sais ! Mais mon cœur battait si fortement,
Ma respiration était si haletante,
Que je les entendais tous les deux : oh, l’attente
Du fantôme prévu pendant cette nuit-là !
Et je lus à voix basse Hélène, Morella,
Le Corbeau, le Portrait ovale, Bérénice,
Et, ― que si j’ai mal fait le Très-Haut me punisse ! ―
Je relus le Démon de la Perversité !
Puis, lorsque j’eus fini, je vis à la clarté
Du ciel illuminé comme un plafond magique,
Debout sur une roche un revenant tragique
Drapé dans la guenille horrible du tombeau
Et dont la main sans chair soutenait un corbeau :
Fou, je m’enfuis, criblé par les rayons stellaires,
Et c’est depuis ce temps que j’ai peur des nuits claires !

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Les Frissons

De la tourterelle au crapaud,
De la chevelure au drapeau,
À fleur d’eau comme à fleur de peau
Les frissons courent :
Les uns furtifs et passagers,
Imperceptibles ou légers,
Et d’autres lourds et prolongés
Qui vous labourent.

Le vent par les temps bruns ou clairs
Engendre des frissons amers
Qu’il fait passer du fond des mers
Au bout des voiles ;
Et tout frissonne, terre et cieux,
L’homme triste et l’enfant joyeux,
Et les pucelles dont les yeux
Sont des étoiles !

Ils rendent plus doux, plus tremblés
Les aveux des amants troublés ;
Ils s’éparpillent dans les blés
Et les ramures ;
Ils vont orageux ou follets
De la montagne aux ruisselets,
Et sont les frères des reflets
Et des murmures.

Dans la femme où nous entassons
Tant d’amour et tant de soupçons,
Dans la femme tout est frissons :
L’âme et la robe !
Oh ! celui qu’on voudrait saisir !
Mais à peine au gré du désir
A-t-il évoqué le plaisir,
Qu’il se dérobe !

Il en est un pur et calmant,
C’est le frisson du dévoûment
Par qui l’âme est secrètement
Récompensée ;
Un frisson gai naît de l’espoir,
Un frisson grave du devoir ;
Mais la Peur est le frisson noir
De la pensée.

La Peur qui met dans les chemins
Des personnages surhumains,
La Peur aux invisibles mains
Qui revêt l’arbre
D’une caresse ou d’un linceul ;
Qui fait trembler comme un aïeul
Et qui vous rend, quand on est seul,
Blanc comme un marbre.

D’où vient que parfois, tout à coup,
L’angoisse te serre le cou ?
Quel problème insoluble et fou
Te bouleverse,
Toi que la science a jauni,
Vieil athée âpre et racorni ?
– « C’est le frisson de l’Infini
Qui me traverse ! »

Le strident quintessencié,
Edgar Poe, net comme l’acier,
Dégage un frisson de sorcier
Qui vous envoûte !
Delacroix donne à ce qu’il peint
Un frisson d’if et de sapin,
Et la musique de Chopin
Frissonne toute.

Les anémiques, les fiévreux,
Et les poitrinaires cireux,
Automates cadavéreux
À la voix trouble,
Tous attendent avec effroi
Le retour de ce frisson froid
Et monotone qui décroît
Et qui redouble.

Ils font grelotter sans répit
La Misère au front décrépit,
Celle qui rôde et se tapit
Blafarde et maigre,
Sans gîte et n’ayant pour l’hiver
Qu’un pauvre petit châle vert
Qui se tortille comme un ver
Sous la bise aigre.

Frisson de vie et de santé,
De jeunesse et de liberté ;
Frisson d’aurore et de beauté
Sans amertume ;
Et puis, frisson du mal qui mord,
Frisson du doute et du remord,
Et frisson final de la mort
Qui nous consume !

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La Peur

Aussitôt que le ciel se voile
Et que le soir, brun tisserand,
Se met à machiner sa toile
Dans le mystère qui reprend,

Je soumets l’homme à mon caprice,
Et, reine de l’ubiquité,
Je le convulse et le hérisse
Par mon invisibilité.

Si le sommeil clot sa paupière,
J’ordonne au cauchemar malsain
D’aller s’accroupir sur son sein
Comme un crapaud sur une pierre.

Je vais par son corridor froid,
À son palier je me transporte,
Et soudain, comme avec un doigt,
Je fais toc toc toc à sa porte.

Sur sa table, ainsi qu’un hibou,
Se perche une tête coupée
Ayant le sourire du fou
Et le regard de la poupée ;

Il voit venir à pas rampants
Une dame au teint mortuaire,
Dont les cheveux sont des serpents
Et dont la robe est un suaire.

Puis j’éteins sa lampe, et j’assieds
Au bord de son lit qui se creuse
Une forme cadavéreuse
Qui lui chatouille les deux pieds.

Dans le marais plein de rancune
Qui poisse et traverse ses bas,
Il s’entend appeler très bas
Par plusieurs voix qui n’en font qu’une.

Il trouve un mort en faction
Qui tourne sa prunelle mate
Et meut sa putréfaction
Avec un ressort d’automate.

Je montre à ses yeux consternés
Des feux dans les maisons désertes,
Et dans les parcs abandonnés,
Des parterres de roses vertes.

Il aperçoit en frémissant,
Entre les farfadets qui flottent,
Des lavandières qui sanglotent
Au bord d’une eau couleur de sang,

Et la vieille croix des calvaires
De loin le hèle et le maudit
En repliant ses bras sévères
Qu’elle dresse et qu’elle brandit.

Au milieu d’une plaine aride,
Sur une route à l’abandon,
Il voit un grand cheval sans bride
Qui dit : « Monte donc ! Monte donc ! »

Et seul dans les châtaigneraies,
Il entend le rire ligneux
Que les champignons vénéneux
Mêlent au râle des orfraies.

Par les nuits d’orage où l’Autan
Tord sa voix qui siffle et qui grince,
Je vais emprunter à Satan
Les ténèbres dont il est prince,

Et l’homme en cette obscurité
Tourbillonne comme un atome,
Et devient une cécité
Qui se cogne contre un fantôme.

Dans un vertige où rien ne luit
Il se précipite et s’enfourne,
Et jamais il ne se retourne,
Car il me sait derrière lui ;

Car, à son oreille écouteuse,
Je donne, en talonnant ses pas
La sensation chuchoteuse
De la bouche que je n’ai pas.

Par moi la Norme est abolie,
Et j’applique en toute saison
Sur la face de la Raison
Le domino de la Folie.

L’impossible étant mon sujet,
Je pétris l’espace et le nombre
Je sais vaporiser l’objet,
Et je sais corporiser l’ombre.

J’intervertis l’aube et le soir
La paroi, le sol et la voûte ;
Et le Péché tient l’ostensoir
Pour la dévote que j’envoûte.

Je fais un vieux du nourrisson ;
Et je mets le regard qui tue
La voix, le geste et le frisson
Dans le portrait et la statue ;

Je dénature tous les bruits,
Je déprave toutes les formes,
Et je métamorphose en puits
Les montagnes les plus énormes.

Je brouille le temps et le lieu ;
Sous ma volonté fantastique
Le sommet devient le milieu,
Et la mesure est élastique.

J’immobilise les torrents,
Je durcis l’eau, je fonds les marbres,
Et je déracine les arbres
Pour en faire des Juifs-errants ;

Je mets dans le vol des chouettes
Des ailes de mauvais Esprits,
De l’horreur dans les silhouettes
Et du sarcasme dans les cris ;

Je comprime ce qui s’élance,
J’égare l’heure et le chemin,
Et je condamne au bruit humain
La bouche close du Silence ;

Avec les zigzags de l’éclair
J’écris sur le manoir qui tombe
Les horoscopes de la Tombe,
Du Purgatoire et de l’Enfer ;

Je chevauche le catafalque ;
Dans les cimetières mouvants
Je rends au nombre des vivants
Tous ceux que la mort en défalque ;

Et par les carrefours chagrins,
Dans les brandes et les tourbières,
Je fais marcher de longues bières
Comme un troupeau de pèlerins ;

Mais, le jour, je suis engourdie :
Je me repose et je m’endors
Entre ma sœur la Maladie
Et mon compère le Remords.

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Les Arbres

Arbres, grands végétaux, martyrs des saisons fauves.
Sombres lyres des vents, ces noirs musiciens,
Que vous soyez feuillus ou que vous soyez chauves,
Le poète vous aime et vos spleens sont les siens.

Quand le regard du peintre a soif de pittoresque.
C’est à vous qu’il s’abreuve avec avidité,
Car vous êtes l’immense et formidable fresque
Dont la terre sans fin pare sa nudité.

De vous un magnétisme étrange se dégage.
Plein de poésie âpre et d’amères saveurs ;
Et quand vous bruissez, vous êtes le langage
Que la nature ébauche avec les grands rêveurs.

Quand l’éclair et la foule enflent rafale et grêle,
Les forêts sont des mers dont chaque arbre est un flot.
Et tous, le chêne énorme et le coudrier grêle,
Dans l’opaque fouillis poussent un long sanglot.

Alors, vous qui parfois, muets comme des marbres,
Vous endormez, pareils à des cœurs sans remords,
Vous tordez vos grands bras, vous hurlez, pauvres arbres,
Sous l’horrible galop des éléments sans mors.

L’été, plein de langueurs, l’oiseau clôt ses paupières
Et dort paisiblement sur vos mouvants hamacs,
Vous êtes les écrans des herbes et des pierres
Et vous mêlez votre ombre à la fraîcheur des lacs.

Et quand la canicule, aux vivants si funeste,
Pompe les étangs bruns, miroirs des joncs fluets,
Dans l’atmosphère lourde où fermente la peste,
Vous immobilisez vos branchages muets.

Votre mélancolie, à la fin de l’automne,
Est pénétrante, alors que sans fleurs et sans nids,
Sous un ciel nébuleux où d’heure en heure il tonne,
Vous semblez écrasés par vos rameaux jaunis.

Les seules nuits de mai, sous les rayons stellaires,
Aux parfums dont la terre emplit ses encensoirs,
Vous oubliez parfois vos douleurs séculaires
Dans un sommeil bercé par le zéphyr des soirs.

Une brume odorante autour de vous circule
Quand l’aube a dissipé la nocturne stupeur,
Et, quand vous devenez plus grands au crépuscule,
Le poète frémit comme s’il avait peur.

Sachant qu’un drame étrange est joué sous vos dômes,
Par les bêtes le jour, par les spectres la nuit,
Pour voir rôder les loups et glisser les fantômes,
Vos invisibles yeux s’ouvrent au moindre bruit.

Et le soleil vous mord, l’aquilon vous cravache,
L’hiver vous coud tout vifs dans un froid linceul blanc,
Et vous souffrez toujours jusqu’à ce que la hache
Taillade votre chair et vous tranche en sifflant.

Partout où vous vivez, chênes, peupliers, ormes,
Dans les cités, aux champs, et sur les rocs déserts,
Je fraternise avec les tristesses énormes
Que vos sombres rameaux épandent par les airs.

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Le Chemin aux merles

Voici que la rosée éparpille ses perles
Qui tremblent sous la brise aux feuilles des buissons.
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !
Car, dans les chemins creux où sifflotent les merles,
Et le long des ruisseaux qui baignent les cressons,
La fraîcheur du matin m’emplit de gais frissons.

Mystérieuse, avec de tout petits frissons,
La rainette aux yeux noirs et ronds comme des perles,
S’éveille dans la flaque, et franchit les cressons,
Pour aller se blottir aux creux des verts buissons,
Et mêler son chant rauque au sifflement des merles.
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !

— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles
Sous l’arceau de verdure où passent des frissons,
J’ai pour me divertir le bruit que font les merles,
Avec leur voix aiguë égreneuse de perles !
Et de même qu’ils sont les rires des buissons,
La petite grenouille est l’âme des cressons.

La libellule vibre aux pointes des cressons.
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !
Le soleil par degrés attiédit les buissons,
Déjà sur les talus l’herbe a de chauds frissons,
Et les petits cailloux luisent comme des perles ;
La feuillée est alors toute noire de merles !

C’est à qui sifflera le plus parmi les merles !
L’un d’eux, s’aventurant au milieu des cressons,
Bat de l’aile sur l’eau qui s’en égoutte en perles ;
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !
Et le petit baigneur fait courir des frissons
Dans la flaque endormie à l’ombre des buissons.

Mais un lent crépuscule embrume les buissons ;
Avec le soir qui vient, le sifflement des merles
Agonise dans l’air plein d’étranges frissons ;
Un souffle humide sort de la mare aux cressons :
O spleen, voici qu’à flots dans mon cœur tu déferles !
Toi, nuit ! tu n’ouvres pas ton vaste écrin de perles !

Pas de perles au ciel ! le long des hauts buissons,
Tu déferles, noyant d’obscurité les merles
Et les cressons ! — Je rentre avec de noirs frissons !

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La Lune

La lune a de lointains regards
Pour les maisons et les hangars
Qui tordent sous les vents hagards
Leurs girouettes ;
Mais sa lueur fait des plongeons
Dans les marais peuplés d’ajoncs
Et flotte sur les vieux donjons
Pleins de chouettes !

Elle fait miroiter les socs
Dans les champs, et nacre les rocs
Qui hérissent les monts, par blocs
Infranchissables ;
Et ses chatoiements délicats
Près des gaves aux sourds fracas
Font luire de petits micas
Parmi les sables !

Avec ses lumineux frissons
Elle a de si douces façons
De se pencher sur les buissons
Et les clairières !
Son rayon blême et vaporeux
Tremblote au fond des chemins creux
Et rôde sur les flancs ocreux
Des fondrières.

Elle promène son falot
Sur la forêt et sur le flot
Que pétrit parfois le galop
Des vents funèbres ;
Elle éclaire aussi les taillis
Où, cachés sous les verts fouillis,
Les ruisseaux font des gazouillis
Dans les ténèbres.

Elle argente sur les talus
Les vieux troncs d’arbres vermoulus
Et rend les saules chevelus
Si fantastiques,
Qu’à ses rayons ensorceleurs,
Ils ont l’air de femmes en pleurs
Qui penchent au vent des douleurs
Leurs fronts mystiques.

En doux reflets elle se fond
Parmi les nénuphars qui font
Sur l’étang sinistre et profond
De vertes plaques ;
Sur la côte elle donne aux buis
Des baisers d’émeraude, et puis
Elle se mire dans les puits
Et dans les flaques !

Et, comme sur les vieux manoirs,
Les ravins et les entonnoirs,
Comme sur les champs de blés noirs
Où dort la caille,
Elle s’éparpille ou s’épand,
Onduleuse comme un serpent,
Sur le sentier qui va grimpant
Dans la rocaille !

Oh ! quand, tout baigné de sueur,
Je fuis le cauchemar tueur,
Tu blanchis avec ta lueur
Mon âme brune ;
Si donc, la nuit, comme un hibou,
Je vais rôdant je ne sais où,
C’est que je t’aime comme un fou ;
O bonne Lune !

Car, l’été, sur l’herbe, tu rends
Les amoureux plus soupirants,
Et tu guides les pas errants
Des vieux bohèmes ;
Et c’est encore ta clarté,
O reine de l’obscurité,
Qui fait fleurir l’étrangeté
Dans mes poèmes !

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Les Serpents

Auprès d’une rivière où des broussailles trempent,
Dans des chemins perdus, monticuleux et roux,
On les voit se traîner aux abords de leurs trous,
Onduleux chapelets de vertèbres qui rampent.

Oh, le serpent ! Le si fantastique animal
Qui surgit brusquement des feuilles ou des pierres
Et qui laisse couler de ses yeux sans paupières
La lueur magnétique et féroce du mal !

Car il a des regards aussi froids que des lames,
Qui tiennent en arrêt les moins épouvantés ;
Car il pompe l’oiseau de ses yeux aimantés
Et fait mourir de peur les crapauds et les femmes.

Hideux comme la Mort et beau comme Satan
Dont il est le mystique et ténébreux emblème,
Son apparition rend toujours l’homme blême :
C’est le fantôme auquel jamais on ne s’attend.

Et tandis que suant le crime et le mystère,
Tout un perfide essaim du monde végétal
Recèle inertement plus d’un venin fatal,
Il est le charrieur des poisons de la terre.

Le talus, le fossé, l’ornière, le buisson
Brillent de sa couleur étincelante et sourde ;
Et la couleuvre agile et la vipère lourde
Allument dans la brande un tortueux frisson.

Il en est dont la peau, comme dans les féeries,
Surprend l’œil ébloui par de tels chatoîments
Qu’on dirait, à les voir allongés et dormants,
Des rubans d’acier bleu lamés de pierreries.

Complices de la ronce et des cailloux coupants,
Ils habitent les prés, les taillis et les berges ;
Et l’on voit dans l’horreur des grandes forêts vierges ;
Maints troncs d’arbres rugueux cravatés de serpents.

Là, non loin du python qui fait sa gymnastique,
Le boa, par un ciel rutilant et soufré,
Digère à demi mort quelque buffle engouffré
Dans l’abîme visqueux de son corps élastique.

En hiver le serpent s’encave dans les rocs ;
Il va s’ensevelir au creux pourri de l’arbre,
Ou roule en bracelet son pauvre corps de marbre
Sous les tas de fumier que piétinent les coqs.

Mais après les frimas, la neige et les bruines,
Il gagne les ravins et le bord des torrents ;
Il remonte le dos écumeux des courants
Et grimpe, ainsi qu’un lierre, aux vieux murs en ruines.

Comme un convalescent par les midis bénins,
Parfois il se hasarde et rôde à l’aventure,
Impatient de voir s’embraser la nature
Pour mieux inoculer ses terribles venins.

Alors du fouillis d’herbe au monceau de rocailles,
Bougeur sobre et muet, sournois et cauteleux,
Il rampe avec lenteur et s’arrête frileux
Sous le soleil cuisant qui fourbit ses écailles.

Solitaire engourdi qu’endort l’air étouffant,
Il écoute passer la brise insaisissable ;
Et les crépitements d’insectes sur le sable
Bercent son sommeil long comme un sommeil d’enfant.

Réveillé, le voilà comme une ombre furtive
Qui se dresse en dardant ses crochets à demi,
Et qui, devant la proie ou devant l’ennemi,
Siffle comme la bise et la locomotive.

Mais il aime le sol et la lumière ; il est
Le frôleur attendri des menthes et des roses ;
Sa colère se fond dans la douceur des choses,
Et cet empoisonneur est un buveur de lait.

Aussi l’infortuné reptile mélomane
Qui se tord sous le poids de sa damnation
M’inspire moins d’effroi que de compassion :
J’aime ce réprouvé d’où le vertige émane.

Et quand j’erre en scrutant le mystère de l’eau
Qui frissonne et qui luit dans la pénombre terne,
J’imagine souvent au fond d’une caverne
Les torpides amours du Cobra-Capello.

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La Céphalalgie

Celui qui garde dans la foule
Un éternel isolement
Et qui sourit quand il refoule
Un horrible gémissement ;

Celui qui s’en va sous la nue,
Triste et pâle comme un linceul,
Gesticulant, la tête nue,
L’œil farouche et causant tout seul ;

Celui qu’une odeur persécute,
Et qui tressaille au moindre bruit
En maudissant chaque minute
Qui le sépare de la nuit ;

Celui qui rase les vitrines
Avec de clopinants cahots,
Et dont les visions chagrines
Sont pleines d’ombre et de chaos ;

Celui qui va de havre en havre,
Cherchant une introuvable paix,
Et qui jalouse le cadavre
Et les pierres des parapets ;

Celui qui chérit sa maîtresse
Mais qui craint de la posséder,
Après la volupté traîtresse
Sa douleur devant déborder ;

Celui qui hante le phtisique,
Poitrinaire au dernier degré,
Et qui n’aime que la musique
Des glas et du Dies iræ ;

Celui qui, des heures entières,
Comme un fantôme à pas menus,
Escorte jusqu’aux cimetières
Des enterrements d’inconnus ;

Celui dont l’âme abandonnée
A les tortillements du ver,
Et qui se dit : « L’heure est sonnée,
Je décroche mon revolver,

Cette fois ! je me suicide
À nous deux, pistolet brutal ! »
Sans que jamais il se décide
À se lâcher le coup fatal :

Cet homme a la Céphalalgie,
Supplice inventé par Satan ;
Pince, au feu de l’enfer rougie,
Qui mord son cerveau palpitant !...

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Le Val des marguerites

C’est au fond d’un ravin fantastique et superbe
Où maint rocher lépreux penche et dresse le front :
Une espèce de puits gigantesquement rond
Dont l’eau n’aurait servi qu’à faire pousser l’herbe.

Là, le mystère ému déployant ses deux ailes
Fantomatise l’air, les pas et les reflets :
Il semble, à cet endroit, que des lutins follets
Accrochent leurs zigzags à ceux des demoiselles.

L’horreur des alentours en ferme les approches ;
L’écho n’y porte pas le sifflet des convois ;
Ses murmures voilés ont le filet de voix
Des gouttelettes d’eau qui filtrent sous les roches.

C’est si mort et si frais, il y flotte, il y vague
Tant de silence neuf, de bruit inentendu,
Que l’on pressent toujours en ce vallon perdu
Quelque apparition indéfiniment vague !

Il n’a jamais connu ni moutons, ni chevrettes,
Ni bergère qui chante en tenant ses tricots ;
Les tiges de bluets et de coquelicots
N’y font jamais hocher leurs petites aigrettes :

Mais, entre ses grands houx droits comme des guérites,
Ce val, si loin des champs, des prés et des manoirs,
Cache, tous les étés, ses gazons drus et noirs
Sous un fourmillement de hautes marguerites.

Chœur vibrant et muet, innocent et paisible,
Où chaque pâquerette, à côté de sa sœur,
A des mouvements blancs d’une extrême douceur,
Dans la foule compacte et cependant flexible.

L’oiseau, pour les frôler, quitte l’orme et l’érable ;
Et le papillon gris, dans un mol unisson,
Y confond sa couleur, sa grâce et son frisson
Quand il vient y poser son corps impondérable.

Le Gnome en phaéton voit dans chacune d’elles
Une petite roue au moyeu d’or bombé,
Et le Sylphe y glissant pense qu’il est tombé
Sur un nuage ami de ses battements d’ailes.

La Nature contemple avec sollicitude
Ce petit peuple frêle, onduleux et tremblant
Qu’elle a fait tout exprès pour mettre un manteau blanc
À la virginité de cette solitude.

On dirait que le vent qui jamais ne les froisse
Veut épargner ici les fleurs des grands chemins,
Qui plaisent aux yeux purs, tentent les tristes mains,
Et que l’Amour peureux consulte en son angoisse.

Nul arôme ne sort de leur corolle blême ;
Mais au lieu d’un parfum mortel ou corrupteur,
Elles soufflent aux cieux la mystique senteur
De la simplicité dont elles sont l’emblème.

Et toutes, chuchotant d’imperceptibles phrases,
Semblent remercier l’azur qui, tant de fois,
Malgré le mur des rocs et le rideau des bois,
Leur verse de si près ses lointaines extases.

Avant que le matin, avec ses doigts d’opale,
N’ait encore essuyé leurs larmes de la nuit,
Elles feraient songer aux vierges de l’ennui
Qui s’éveillent en pleurs, et la face plus pâle.

Le soleil les bénit de ses yeux sans paupières,
Et, fraternellement, ce Gouffre-Paradis
Reçoit, comme un baiser des alentours maudits,
L’âme des végétaux et le soupir des pierres.

Puis, la chère tribu, quand le soir se termine,
Sous la lune d’argent qui se joue au travers,
Devient, entre ses houx lumineusement verts,
Une vapeur de lait, de cristal et d’hermine.

Et c’est alors qu’on voit des formes long-voilées,
Deux spectres du silence et de l’isolement,
Se mouvoir côte à côte, harmonieusement,
Sur ce lac endormi de blancheurs étoilées.

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La Forme noire

C’est le grand silence des nuits
Auquel, seul, le vent s’amalgame.
Pleurant ses amoureux ennuis,
Pas une chouette qui clame !
Rien ! pas même un crapaud n’entame
Ce figement de tous les bruits.
Une forme d’homme ou de femme,
Tout le corps et les traits enfouis
Dans du noir, suit au long des buis
La rivière qui sent le drame.
Ses pas fiévreusement conduits
Disent assez ce qu’elle trame.
Sous les frissons d’ombre et de flamme,
Coulant des cieux épanouis,
Au milieu des joncs éblouis
Une barque est là qui se pâme.
L’inconnu saisit une rame,
Sonde un endroit creux comme un puits,
Se précipite... flac ! — Pauvre âme !
L’eau se referme — plate — et puis
C’est le grand silence des nuits.

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Sully Prudhomme

Le Cygne

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix,
Il serpente, et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d’une tardive et languissante allure ;
La grotte où le poète écoute ce qu’il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l’azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus,
A l’heure où toute forme est un spectre confus,
Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit
Et que la luciole au clair de lune luit,
L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
La splendeur d’une nuit lactée et violette,
Comme un vase d’argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.

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Le Vagabond

Tombé, le vagabond qui rampe avec effort,
S’arrête et gît, agonisant
Dans de la boue,
Et sur sa joue
De grosses larmes vont glissant ;
Voilà ce qu’il marmotte avant sa triste mort :

« À jeun, des heur’, puis des heur’, pieds nus, j’ai marché
Sous l’orage grondant des cieux
Couleur de suie,
Et sous la pluie,
Et sous l’éclair brûlant mes yeux,
À travers les ajoncs, la ronce et le rocher.

Je n’peux pas plus app’ler que fair’ sign’ de ma main,
Et voici que le soir étend
Son drap fantôme
Sus l’bois, sus l’chaume,
Sus l’guéret, l’pacage et l’étang ;
I’ n’ya donc plus q’la mort qui pass’ra dans mon ch’min !

Je lutt’ cont’ le trépas, tel que l’jour à sa fin.
Comm’ lui, je m’sens me consumer,
Tremblant, livide.
Mon bissac vide
N’a pas de quoi me ranimer ! »
— Et la nuit, dans les trous, le pauvre est mort de faim.

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Le Site glacé

De grêles horizons noyés d’un brouillard bleu
Et plaquant tout autour leur bordure inégale
Sur un ciel moite et bas d’où pourtant rien ne pleut,
D’un nuageux funèbre où du gris s’intercale ;

Là-bas, très loin, partout, sous les buissons givrés,
Si chenus que le vent ne pourrait plus les tondre,
Par morceaux, d’un blanc sale, aux lisières des prés,
Des neiges s’obstinant à ne pas vouloir fondre ;

Bordé d’arbrisseaux morts dont le tronc noir blêmit
Un marais sur lequel pas un jonc ne frémit
Et qui, pétrifié, vitreusement serpente :

Tel le site où, tout seul, juste à la nuit tombante,
Un grand héron pensif promène son horreur,
Fantôme de la faim comme de la maigreur.

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Les Plaintes

Venus des quatre coins de l’horizon farouche,
De la cime des pics et du fond des remous,
Les aquilons rageurs sont d’invisibles fous
Qui fouettent sans lanière et qui hurlent sans bouche.

Les ruisseaux n’ont jamais que des bruits susurreurs
Dans leur tout petit lit qui serpente et qui vague,
Et l’on n’entend sortir qu’un murmure très vague
Des étangs recueillis sous les saules pleureurs.

Mais la mer qui gémit comme une âme qui souffre,
Tord sous les cieux muets ses éternels sanglots
Où viennent se mêler dans l’écume des flots
Les suffocations des noyés qu’elle engouffre.

Quand s’exhalent, après que l’orage a cessé,
Les souffles de la nuit plus légers que des bulles,
La plainte en la mineur des crapauds noctambules
Fait gémir le sillon, l’ornière et le fossé.

Jérémie aux cent bras sur qui le vent halète,
L’arbre a tous les sanglots dans ses bruissements,
Et l’écho des forêts redit les grincements
Du loup, trotteur affreux que la faim rend squelette.

Quand je passe, le soir, dans un val écarté,
Je frissonne au cri rauque et strident de l’orfraie,
Car, pour moi, cette plainte errante qui m’effraie,
C’est le gémissement de la fatalité.

Sous l’archet sensitif où passent nos alarmes
L’âme des violons sanglote, et sous nos doigts,
La harpe, avec un bruit de source dans les bois,
Égrène, à sons mouillés, la musique des larmes.

Le soupir clandestin des vierges de beauté
Semble remercier l’amour qui les effleure,
Mais la plainte amoureuse est un regret qui pleure
Le plaisir déjà mort avant d’avoir été.

En vain l’on se défend, en vain l’on fait mystère
Des maux que la clarté du jour semble assoupir,
Tout l’homme intérieur, dans un affreux soupir,
Raconte son angoisse à la nuit solitaire.

Et le tas vagabond des parias craintifs,
Noirs pèlerins geigneurs, sans gourde, ni sandales,
Partout, sur les planchers, les cailloux et les dalles,
Passent comme un troupeau de fantômes plaintifs.

Dans la forêt des croix, tombes vieilles et neuves,
Combien vous entendez de femmes à genoux
Gémir avec des sons plus tristes et plus doux
Que les roucoulements des tourterelles veuves !

Tandis que, dans un cri forcené qui le tord,
L’enfant paraît déjà se plaindre de la vie,
L’aïeul qui le regarde avec un œil d’envie
Grommelle d’épouvante en songeant à la mort.

L’agonisant croasse un lamento qui navre ;
Et quand les morts sont clos dans leur coffre obsédant,
Le hoquet gargouilleur qu’ils ont en se vidant
Filtre comme la plainte infecte du cadavre.

— Elles ont des échos vibrant comme des glas
Et s’enfonçant avec une horrible vitesse
Dans mon funèbre cœur plein d’ombre et de tristesse
Où se sont installés les hiboux des Hélas ;

Oui ! dans le grondement formidable des nues
Mon âme entend parfois l’Infini sangloter,
Mon âme ! où vont s’unir et se répercuter
Tous les frissons épars des douleurs inconnues !

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Iulia Hașdeu

Au bord de la mer

Bonsoir, amis, bonsoir, au pâle clair de lune,
Aux cris plaintifs du vent parmi la forêt brune,
Aux soupirs de la brise inclinant les roseaux,
Aux sourds mugissements du flot qui bat la grève,
Bonsoir! Le voyageur qui s’arrête et qui rêve
En écoutant la voix des eaux,

Seul, nocturne pêcheur, debout sur le roc sombre,
Regarde vers le ciel plein d’étoiles sans nombre;
Et tandis que ses yeux plongent au firmament,
Il peut se demander quelle est cette romance
Que la mer chante au ciel, achève et recommence,
Recommence éternellement!

Avez-vous entendu, quand la nuit est sans voiles,
La vaste mer chanter sa chanson aux étoiles?
Quelle musique, amis! Dieu parle en cette voix.
Sublime créateur de l’infini – son monde –
Dieu prête à l’océan cette basse profonde
Et l’océan chante ses lois.

Bonsoir, amis! Ce Dieu, par qui le flot murmure,
Par qui tout prend naissance et vit dans la nature,
Qui fit ce qu’on ne peut ni comprendre, ni voir,
Comme les flots des mers, comme les choeurs des anges,
Bénissez-le sans cesse et chantez ses louanges.
Au clair de lune, amis, bonsoir!

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