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La rieuse

Ses rires grands ouverts qui si crânement mordent
Sur le fond taciturne et murmurant des prés,
Sont métalliques, frais, liquides, susurrés,
Aux pépiements d'oiseaux ressemblent et s'accordent.

Excités par la danse, ils se gonflent, débordent
En cascades de cris tumultueux, serrés,
De hoquets glougloutants, fous et démesurés,
Qui la virent, la plient, la soulèvent, la tordent.

On la surnomme la Rieuse.
La santé la fait si joyeuse
Qu'elle vit sa pensée en ses beaux yeux ardents ;

Son âme chante tout entière
Dans sa musique coutumière,
Sur le robuste émail de ses trente-deux dents.

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Les Yeux morts

De ses grands yeux chastes et fous
Il ne reste pas un vestige :
Ces yeux qui donnaient le vertige
Sont allés où nous irons tous.

En vain, ils étaient frais et doux
Comme deux bluets sur leur tige ;
De ses grands yeux chastes et fous
Il ne reste pas un vestige.

Quelquefois, par les minuits roux
Pleins de mystère et de prestige,
La morte autour de moi voltige,
Mais je ne vois plus que les trous
De ses grands yeux chastes et fous !

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Iulia Hașdeu

Au bord de la mer

Bonsoir, amis, bonsoir, au pâle clair de lune,
Aux cris plaintifs du vent parmi la forêt brune,
Aux soupirs de la brise inclinant les roseaux,
Aux sourds mugissements du flot qui bat la grève,
Bonsoir! Le voyageur qui s’arrête et qui rêve
En écoutant la voix des eaux,

Seul, nocturne pêcheur, debout sur le roc sombre,
Regarde vers le ciel plein d’étoiles sans nombre;
Et tandis que ses yeux plongent au firmament,
Il peut se demander quelle est cette romance
Que la mer chante au ciel, achève et recommence,
Recommence éternellement!

Avez-vous entendu, quand la nuit est sans voiles,
La vaste mer chanter sa chanson aux étoiles?
Quelle musique, amis! Dieu parle en cette voix.
Sublime créateur de l’infini – son monde –
Dieu prête à l’océan cette basse profonde
Et l’océan chante ses lois.

Bonsoir, amis! Ce Dieu, par qui le flot murmure,
Par qui tout prend naissance et vit dans la nature,
Qui fit ce qu’on ne peut ni comprendre, ni voir,
Comme les flots des mers, comme les choeurs des anges,
Bénissez-le sans cesse et chantez ses louanges.
Au clair de lune, amis, bonsoir!

poésie de Iulia Hașdeu de ConfidencesSignalez un problèmeDes citations similaires
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La Lune

La lune a de lointains regards
Pour les maisons et les hangars
Qui tordent sous les vents hagards
Leurs girouettes ;
Mais sa lueur fait des plongeons
Dans les marais peuplés d’ajoncs
Et flotte sur les vieux donjons
Pleins de chouettes !

Elle fait miroiter les socs
Dans les champs, et nacre les rocs
Qui hérissent les monts, par blocs
Infranchissables ;
Et ses chatoiements délicats
Près des gaves aux sourds fracas
Font luire de petits micas
Parmi les sables !

Avec ses lumineux frissons
Elle a de si douces façons
De se pencher sur les buissons
Et les clairières !
Son rayon blême et vaporeux
Tremblote au fond des chemins creux
Et rôde sur les flancs ocreux
Des fondrières.

Elle promène son falot
Sur la forêt et sur le flot
Que pétrit parfois le galop
Des vents funèbres ;
Elle éclaire aussi les taillis
Où, cachés sous les verts fouillis,
Les ruisseaux font des gazouillis
Dans les ténèbres.

Elle argente sur les talus
Les vieux troncs d’arbres vermoulus
Et rend les saules chevelus
Si fantastiques,
Qu’à ses rayons ensorceleurs,
Ils ont l’air de femmes en pleurs
Qui penchent au vent des douleurs
Leurs fronts mystiques.

En doux reflets elle se fond
Parmi les nénuphars qui font
Sur l’étang sinistre et profond
De vertes plaques ;
Sur la côte elle donne aux buis
Des baisers d’émeraude, et puis
Elle se mire dans les puits
Et dans les flaques !

Et, comme sur les vieux manoirs,
Les ravins et les entonnoirs,
Comme sur les champs de blés noirs
Où dort la caille,
Elle s’éparpille ou s’épand,
Onduleuse comme un serpent,
Sur le sentier qui va grimpant
Dans la rocaille !

Oh ! quand, tout baigné de sueur,
Je fuis le cauchemar tueur,
Tu blanchis avec ta lueur
Mon âme brune ;
Si donc, la nuit, comme un hibou,
Je vais rôdant je ne sais où,
C’est que je t’aime comme un fou ;
O bonne Lune !

Car, l’été, sur l’herbe, tu rends
Les amoureux plus soupirants,
Et tu guides les pas errants
Des vieux bohèmes ;
Et c’est encore ta clarté,
O reine de l’obscurité,
Qui fait fleurir l’étrangeté
Dans mes poèmes !

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Les Lèvres

Depuis que tu m’as quitté,
Je suis hanté par tes lèvres,
Inoubliable beauté !

Dans mes spleens et dans mes fièvres,
À toute heure, je les vois
Avec leurs sourires mièvres ;

Et j’entends encor la voix
Qui s’en échappait si pure
En disant des mots grivois.

Sur l’oreiller de guipure
J’évoque ton incarnat,
Délicieuse coupure !

Ô muqueuses de grenat,
Depuis que l’autre vous baise,
Je rêve d’assassinat !

Cœur jaloux que rien n’apaise,
Je voudrais le poignarder :
Son existence me pèse !

Oh ! que n’ai-je pu garder
Ces lèvres qui dans les larmes
Savaient encor mignarder !

Aujourd’hui, je n’ai plus d’armes
Contre le mauvais destin,
Puisque j’ai perdu leurs charmes !

Quelle ivresse et quel festin
Quand mes lèvres sur les siennes
Buvaient l’amour clandestin !

Où sont tes langueurs anciennes,
Dans ce boudoir qu’embrumait
L’ombre verte des persiennes !

Alors ta bouche humait
En succions convulsives
Ton amant qui se pâmait !

Ô mes caresses lascives
Sur ses lèvres, sur ses dents
Et jusque sur ses gencives !

Jamais las, toujours ardents,
Nous avions des baisers fauves
Tour à tour mous et mordants.

Souviens-toi de nos alcôves
Au fond des bois, dans les prés,
Sur la mousse et sur les mauves,

Quand des oiseaux diaprés
Volaient à la nuit tombante
Dans les arbres empourprés !

Mon âme est toute flambante
En songeant à nos amours :
C’est ma pensée absorbante !

Et j’en souffrirai toujours :
Car ces lèvres qui me raillent,
Hélas ! dans tous mes séjours,

Je les vois qui s’entre-bâillent !

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Nativité

D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable

Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.

Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa cuisine
A la pauvre mère en gésine.

Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger?
Elle est en pays étranger.

Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière en ornière,
Elle va, bête sans tanière,

Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.

Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.

Son ventre, où flambent des chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.

Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,

Soûle, et, boule, roule au fossé,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.

La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.

Elle accouche enfin, en crevant;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.

Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.

Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds!
Il est seul, couché sur le dos,

Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l'aime;

Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert!

poésie de Jean RichepinSignalez un problèmeDes citations similaires
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À quoi pense la nuit?

À quoi pense la Nuit, quand l’âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu’avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?...

À quoi pense la Nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des frissons d’émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphyr qui rôde,
Traversent l’ombre vague où la tiédeur descend ?...

Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu’elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.

Et — ses grands yeux ouverts aux étoiles — la Nuit
Enivre de secret ses extases moroses,
Aspire avec longueur le magique des choses.

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Paysage d'octobre

Le torrent a franchi ses bords
Et gagné la pierraille ocreuse ;
Le meunier longe avec efforts
L’ornière humide qui se creuse.
Déjà le lézard engourdi
Devient plus frileux d’heure en heure ;
Et le soleil du plein midi
Est voilé comme un œil qui pleure.

Les nuages sont revenus,
Et la treille qu’on a saignée
Tord ses longs bras maigres et nus
Sur la muraille renfrognée.
La brume a terni les blancheurs
Et cassé les fils de la Vierge,
Et le vol des martin-pêcheurs
Ne frissonne plus sur la berge.

Les arbres se sont rabougris ;
La chaumière ferme sa porte,
Et le petit papillon gris
A fait place à la feuille morte.
Plus de nénuphars sur l’étang ;
L’herbe languit, l’insecte râle,
Et l’hirondelle en sanglotant
Disparaît à l’horizon pâle.

Près de la rivière aux gardons
Qui clapote sous les vieux aulnes,
Le baudet cherche les chardons
Que rognaient si bien ses dents jaunes.
Mais comme le bluet des blé,
Comme la mousse et la fougère,
Les grands chardons s’en sont allés
Avec la brise et la bergère.

Tout pelotonné sur le toit
Que l’atmosphère mouille et plombe,
Le pigeon transi par le froid
Grelotte auprès de la colombe ;
Et, tous deux, sans se becqueter,
Trop chagrins pour faire la roue,
Ils regardent pirouetter
La girouette qui s’enroue.

Au-dessus des vallons déserts
Où les mares se sont accrues,
À tire-d’aile, dans les airs
Passe le triangle des grues ;
Et la vieille, au bord du lavoir,
Avec des yeux qui se désolent,
Les regarde fuir et croit voir
Les derniers beaux jours qui s’envolent.

Dans les taillis voisins des rocs
La bécasse fait sa rentrée ;
Les corneilles autour des socs
Piétinent la terre éventrée,
Et, décharné comme un fagot,
Le peuplier morne et funèbre
Arbore son nid de margot
Sur le ciel blanc qui s’enténèbre.

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La Confidence

Tu me disais hier avec un doux sourire :
« Oh ! oui ! puisqu’il est vrai que mon amour t’inspire,
« Je m’en vais t’aimer plus encor !
« Que pour toujours alors, poète qui m’embrases,
« La fleur de l’idéal embaume tes extases
« Dans un brouillard de nacre et d’or ! »

— Et moi, je savourais tes paroles sublimes,
Mon âme s’envolait dans les airs, sur les cimes,
Et l’énigme se dévoilait.
L’étang pour ma pensée étoilait ses eaux mornes,
Et fraternellement la stupeur des viornes
Avec la mienne se mêlait.

Alors, je comprenais le mystère des choses.
Ce verbe de parfums que chuchotent les roses
Vibrait tendre dans mes douleurs ;
Ce qui pleure ou qui rit, ce qui hurle ou qui chante,
Tout me parlait alors d’une voix si touchante
Que mes yeux se mouillaient de pleurs.

Le bœuf languissamment étendu près d’un saule
Et clignant ses grands yeux en se léchant l’épaule
Qu’ont fait saigner les aiguillons ;
Les veaux effarouchés, trottant par les pelouses
Où viennent folâtrer, sur l’or bruni des bouses,
Libellules et papillons ;

Le poulain qui hennit avec des bonds superbes
Auprès de la jument paissant les hautes herbes,
Les grillons dans le blé jauni ;
Le soleil s’allumant rouge dans les bruines
Et baignant de clartés sanglantes les ruines
Où la chouette fait son nid ;

L’ânon poilu tétant sa nourrice qui broute,
La pie aux yeux malins sautillant sur la route,
L’aspic vif et les crapauds lourds,
Le chien, la queue au vent, et l’œil plein de tendresse,
Approchant son museau de mes doigts qu’il caresse
Avec sa langue de velours ;

Les ruisseaux hasardeux, les côtes, les descentes,
Le brin d’herbe du roc, et la flaque des sentes,
L’arbre qui dit je ne sais quoi ;
La coccinelle errant dans la fraîcheur des mousses :
Parfum, souffle, musique, apparitions douces,
La nature vivait en moi.

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Les Cheveux champêtres

En plein air, sans une épingle,
Ils aiment à paresser,
Et la brise qui les cingle
A l'air de les caresser,
Ils vont sous les branches torses
Des vieux chênes roux et bruns,
Et la feuille et les écorces
Les grisent de leurs parfums.

Dans la campagne déserte,
Au fond des grands prés muets,
Ils dorment dans l’herbe verte
Et se coiffent de bluets ;
Le soleil les importune,
Mais ils aiment loin du bruit
Le glacis du clair de lune
Et les frissons de la nuit.

Comme les rameaux des saules
Se penchant sur les marais,
Ils flottent sur ses épaules,
À la fois tristes et frais.
Quand, plus frisés que la mousse,
Ils se sont éparpillés,
On dirait de l’or qui mousse,
Autour des blancs oreillers.

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La Baigneuse

Au fond d’une baignoire elle admire ses hanches
Dans le miroir mouvant d’un cristal enchanté,
Et les mollets croisés, elle étend ses mains blanches
Sur les bords du bassin qui hume sa beauté.

Les robinets de cuivre à figure de cygne
Ont l’air de lui sourire et de se pavaner,
Et leurs gouttes parfois semblent lui faire un signe
Comme pour la prier de les faire tourner.

Sur un siège, ses bas près de ses jarretières
Conservent la rondeur de leur vivant trésor ;
Ses bottines de soie aux cambrures altières
N’attendent que son pied pour frétiller encor.

Sa robe de satin pendue à la patère
A les reflets furtifs d’une peau de serpent
Et semble avoir gardé la grâce et le mystère
De celle dont l’arôme en ses plis se répand.

Sur la table où l'on voit bouffer sa collerette,
Telle qu’on la portait au temps de Henri Trois,
Ses gants paille, malgré leur allure distraite,
Obéissent encore au moule de ses doigts.

Sa toque est provocante avec son long panache,
Et son corset qui bâille achève d’énerver.
Colliers et bracelets, tout ce qui la harnache
Luit dans l’ombre et paraît magiquement rêver.

Et tandis qu’un éclair dans ses yeux étincelle
En voyant que son corps fait un si beau dessin,
Le liège qui vacille au bout de la ficelle
Chatouille en tapinois la fraise de son sein.

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La Putréfaction

Au fond de cette fosse moite
D’un perpétuel suintement,
Que se passe-t-il dans la boîte,
Six mois après l’enterrement ?

Verrait-on encor ses dentelles ?
L’œil a-t-il déserté son creux ?
Les chairs mortes ressemblent-elles
À de grands ulcères chancreux ?

La hanche est-elle violâtre
Avec des fleurs de vert-de-gris,
Couleurs que la Mort idolâtre,
Quand elle peint ses corps pourris ?

Pendant qu’un pied se décompose,
L’autre sèche-t-il, blanc, hideux,
Ou l’horrible métamorphose
S’opère-t-elle pour les deux ?

Le sapin servant d’ossuaire
Se moisit-il sous les gazons ?
Le cadavre dans son suaire
A-t-il enfin tous ses poisons ?

Sous le drap que mangent et rouillent
L'humidité froide et le pus,
Les innombrables vers qui grouillent
Sont-ils affamés ou repus ?

Que devient donc tout ce qui tombe
Dans le gouffre ouvert nuit et jour ?
— Ainsi, j’interrogeais la tombe
D’une fille morte d’amour.

Et la tombe que les sceptiques
Rayent toujours de l’avenir,
Me jeta ces mots dramatiques
Qui vivront dans mon souvenir :

« Les seins mignons dont tu raffoles,
« Questionneur inquiétant,
« Et les belles lèvres si folles,
« Les lèvres qui baisèrent tant,

« Toutes ces fleurs roses et blanches
« Sont les premières à pourrir
« Dans la prison des quatre planches,
« Que nulle main ne peut ouvrir.

« Mais, quant à l’âme, revit-elle ?
« Avec son calme ou ses remords,
« Faut-il crier qu’elle est mortelle
« Ou qu’elle plane sur les morts ?

« Je ne sais ! Mais apprends que l’ombre
« Que l’homme souffre en pourrissant :
« Le cadavre est un muet sombre,
« Qui ne dit pas ce qu’il ressent !

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Les Petits Fauteuils

Assis le long du mur dans leurs petits fauteuils,
Les deux babys chaussés de bottinettes bleues,
Regardent moutonner des bois de plusieurs lieues
Où l’automne a déjà tendu ses demi-deuils.

Auprès du minet grave et doux comme un apôtre,
Côte à côte ils sont là, les jumeaux ébaubis,
Tous deux si ressemblants de visage et d’habits
Que leur mère s’y trompe et les prend l’un pour l’autre.

Aussi, sur le chemin, la bergère en sabots
S’arrête pour mieux voir leurs ivresses gentilles
Qu’un barrage exigu, fixé par deux chevilles,
Emprisonne si peu dans ces fauteuils nabots.

Avec l’humidité de la fleur qu’on arrose,
Leur bouche de vingt mois montre ses dents de lait,
Ou se ferme en traçant sur leur minois follet
Un accent circonflexe adorablement rose.

Leurs cheveux frisottés où la lumière dort
Ont la suavité vaporeuse des nimbes,
Et, sur leurs fronts bénis par les anges des limbes,
S’emmêlent, tortillés en menus crochets d’or.

Parfois, en tapotant de leurs frêles menottes
La planchette à rebords où dorment leurs pantins,
Ils poussent des cris vifs, triomphants et mutins,
Avec l’inconscience exquise des linottes.

Tout ravis quand leurs yeux rencontrent par hasard
La mouche qui bourdonne et qui fait la navette,
On les voit se pâmer, rire, et sur leur bavette
Saliver de bonheur à l’aspect d’un lézard.

En inclinant vers eux ses clochettes jaspées,
Le liseron grimpeur du vieux mur sans enduit
Forme un cadre odorant qui bouge et qui bruit
Autour de ces lutins en robes de poupées.

Et tandis que venu des horizons chagrins,
Le zéphyr lèche à nu leurs coudes à fossettes,
L’un s’amuse à pincer ses petites chaussettes,
Et l’autre, son collier d’ivoire aux larges grains.

La poule, sans jeter un gloussement d’alarme,
Regarde ses poussins se risquer autour d’eux,
Et le chien accroupi les surveille tous deux
D’un œil mélancolique où tremblote une larme.

La campagne qui meurt paraît vouloir mêler
Son râle d’agonie à leurs frais babillages ;
Maint oiselet pour eux retarde ses voyages,
Et dans un gazouillis semble les appeler.

Le feuillage muet qui perd ses découpures,
En les voyant, se croit à la saison des nids ;
Et la flore des bois et des étangs jaunis
Souffle son dernier baume à leurs narines pures.

Mais voilà que chacun, penchant son joli cou,
Ferme à demi ses yeux dont la paupière tremble ;
Une même langueur les fait bâiller ensemble
Et tous deux à la fois s’endorment tout à coup :

Cependant qu’au-dessus de la terre anxieuse
Le soleil se dérobe au fond des cieux plombés
Et que le crépuscule, embrumant les bébés,
Verse à leur doux sommeil sa paix silencieuse.

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Mon âme est une infante

Mon Ame est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.

Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.

Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.

Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.

Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.

Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et, dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres;
El, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se lait plus profond sur ses lèvres.

Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes;
El par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Mon Ame est une infante en robe de parade.

poésie de Albert SamainSignalez un problèmeDes citations similaires
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Les Mouettes

En tas, poussant de longs cris aboyeurs
Aussi plaintifs que des cris de chouettes,
Autour des ports, sur les gouffres noyeurs,
Dans l’air salé s’ébattent les mouettes,
Promptes au vol comme des alouettes.
D’un duvet mauve et marqueté de roux,
Sur l’eau baveuse où le vent fait des trous,
On peut les voir se tailler des besognes
Et se risquer sous le ciel en courroux,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Flairant les flots, sinistres charroyeurs,
Et les écueils noirs dont les silhouettes
Font aux marins de si grandes frayeurs,
Elles s’en vont avec des pirouettes
De-ci, de-là, comme des girouettes.
Dans les vapeurs vitreuses des temps mous
Où notre œil suit les effacements doux
Des mâts penchant avec des airs d’ivrognes,
Ces grands oiseaux rôdent sur les remous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Et quand les flots devenus chatoyeurs
Dorment bercés par les brises fluettes,
On les revoit, avides côtoyeurs,
Éparpillant leurs troupes inquiètes
Aux environs des falaises muettes.
En vain tout rit, le brouillard s’est dissous ;
Ces carnassiers qui ne sont jamais soûls
Ouvrent encor leurs ailes de cigognes
Sur les galets polis comme des sous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.


ENVOI

Vautour blafard, fouilleur des casse-cous,
Toi dont le bec donne de si grands coups
Dans les lambeaux pourris où tu te cognes,
Viens là ! Tes sœurs t’y donnent rendez-vous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

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Le bon fou

Il n'a que sa chemise écrue et sa culotte
Pour tout costume. Il porte un bonnet de coton.
Tel il rôde, faisant mouliner son bâton.
Promenant l'ébahi de son regard qui flotte.

Barbu, gras et rougeaud, il montre ses dents blanches,
Son poitrail tout velu comme celui des loups,
Les muscles de ses bras, les noeuds de ses genoux,
Et dandine sa marche au roulis de ses hanches.

Parfois, sur son chemin, inerte comme un marbre,
Il s'arrête debout, regardant ciel ou sol,
Quelque grand oiseau fauve élargissant son vol,
Un champignon verdi qui sèche au pied d'un arbre.

Sa songerie alors s'épanche en un langage
Tour à tour sifflement, chant, grognement, parler ;
Il imite, entendant telle ou telle eau couler,
Le murmure ou le bruit croulant qu'elle dégage.

Aux prés, de son bâton, il racle doux l'échine
Du bétail engourdi dont il sait les secrets,
Ou, grave, l'étendant, jette sur les guérets
Un bon sort aux moissons que son rêve imagine.

Le froid noir des ciels blancs, l'éclair des ciels de suie,
Il y reste impassible autant que le rocher ;
Et, recherchant l'averse au lieu de se cacher,
Du même pas rythmique avance dans la pluie.

Il emporte son pain qu'il mange dans ses courses,
L'émiettant, ça et là, pour les petits oiseaux,
Et va boire, à genoux, parmi joncs et roseaux,
Aux masses des torrents comme au filet des sources.

Toujours égal, jamais colère, jamais ivre,
Comme s'il se sentait au-dessous des humains,
Il est muet avec les gens, sur les chemins,
Rentré, ne parle pas aux siens qui le font vivre.

C'est pourquoi lui faisant sa suite coutumière,
Chaque fois, sur la place, il attend que le mort
Ait eu ses 'libera' pour l'escorter encor
Juste en face du seuil, mais loin du cimetière.

Il ne répond qu'aux bruits des choses et des bêtes
Qu'il trouve à l'unisson fraternel de ses voix,
Interpelle aussi lien le silence des bois
Qu'il jette sa parole au fracas des tempêtes.

Courbé sur sa charrue, ou le pied sur sa pelle,
Le paysan le suit des yeux avec respect,
Bien qu'il soit, nuit et jour, routinier de l'aspect
De ce ' membre de Dieu ', comme chacun l'appelle.

Et les femmes, passant dans leur mélancolie,
Rencontrent sans effroi cet hercule enfantin,
Sachant que la nature a fait bon son instinct,
Qu'elle a virginisé sa tranquille folie.

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Le Bon Fou

Il n’a que sa chemise écrue et sa culotte
Pour tout costume. Il porte un bonnet de coton.
Tel il rôde, faisant mouliner son bâton.
Promenant l’ébahi de son regard qui flotte.

Barbu, gras et rougeaud, il montre ses dents blanches,
Son poitrail tout velu comme celui des loups,
Les muscles de ses bras, les nœuds de ses genoux,
Et dandine sa marche au roulis de ses hanches.

Parfois, sur son chemin, inerte comme un marbre,
Il s’arrête debout, regardant ciel ou sol,
Quelque grand oiseau fauve élargissant son vol,
Un champignon verdi qui sèche au pied d’un arbre.

Sa songerie alors s’épanche en un langage
Tour à tour sifflement, chant, grognement, parler ;
Il imite, entendant telle ou telle eau couler,
Le murmure ou le bruit croulant qu’elle dégage.

Aux prés, de son bâton, il racle doux l’échine
Du bétail engourdi dont il sait les secrets,
Ou, grave, l’étendant, jette sur les guérets
Un bon sort aux moissons que son rêve imagine.

Le froid noir des ciels blancs, l’éclair des ciels de suie,
Il y reste impassible autant que le rocher ;
Et, recherchant l’averse au lieu de se cacher,
Du même pas rythmique avance dans la pluie.

Il emporte son pain qu’il mange dans ses courses,
L’émiettant, ça et là, pour les petits oiseaux,
Et va boire, à genoux, parmi joncs et roseaux,
Aux masses des torrents comme au filet des sources.

Toujours égal, jamais colère, jamais ivre,
Comme s’il se sentait au-dessous des humains,
Il est muet avec les gens, sur les chemins,
Rentré, ne parle pas aux siens qui le font vivre.

C’est pourquoi lui faisant sa suite coutumière,
Chaque fois, sur la place, il attend que le mort
Ait eu ses libera pour l’escorter encor
Juste en face du seuil, mais loin du cimetière.

Il ne répond qu’aux bruits des choses et des bêtes
Qu’il trouve à l’unisson fraternel de ses voix,
Interpelle aussi lien le silence des bois
Qu’il jette sa parole au fracas des tempêtes.

Courbé sur sa charrue, ou le pied sur sa pelle,
Le paysan le suit des yeux avec respect,
Bien qu’il soit, nuit et jour, routinier de l’aspect
De ce « membre de Dieu », comme chacun l’appelle.

Et les femmes, passant dans leur mélancolie,
Rencontrent sans effroi cet hercule enfantin,
Sachant que la nature a fait bon son instinct,
Qu’elle a virginisé sa tranquille folie.

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Les deux bouleaux

L'été, ces deux bouleaux qui se font vis-à-vis,
Avec ce délicat et mystique feuillage
D'un vert si vaporeux sur un si fin branchage,
Ont l'air extasié devant les yeux ravis.

Ceints d'un lierre imitant un grand serpent inerte,
Pommés sur leurs troncs droits, tout lamés d'argent blanc,
Ils charment ce pacage où leur froufrou tremblant
Traîne le bercement de sa musique verte.

Mais, vient l'hiver qui rend par ses déluges froids
La figure du ciel, des rochers et des bois,
Aussi lugubre que la nôtre ;

Morfondus, noirs, alors les bouleaux désolés
Sont deux grands spectres nus, hideux, échevelés,
Pleurant l'un en face de l'autre.

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Ballade du cadavre

Dès qu’au clocher voisin l’âme a volé tout droit
Et dit au vieux bourdon : « Glas ! il faut que tu tintes !
Le cadavre plombé dont la chaleur décroît,
Nez réduit, bouche ouverte et prunelles éteintes,
Se roidit en prenant la plus blême des teintes.
Puis, l’Ange noir chuchote à ce morceau de chair :
« Qu’on te regrette ou non, cercueil cher ou pas cher,
« Avec où sans honneurs, tout nu comme en toilette,
« À six pieds dans le sol tu subiras, mon cher,
« La pourriture lente et l’ennui du squelette ! »

Après la mise en bière, on procède au convoi :
Or, si peu de pleurs vrais et tant de larmes feintes
Gonflent l’œil des suiveurs, que le Mort qui les voit,
Trouve encor sur son masque où les stupeurs sont peintes
La grimace du cri, du reproche et des plaintes.
L’orgue désespéré gronde comme la mer,
Le plain-chant caverneux traîne un sanglot amer
Et l’encensoir vacille avec sa cassolette ;
Mais tout cela, pour lui, chante sur le même air
La pourriture lente et l’ennui du squelette.

Durant l’affreux trajet, il songe avec effroi
Qu’on va le perdre au fond d’éternels labyrinthes ;
Sur ses mains, sur ses pieds, sur tout son corps si froid
La mort de plus en plus incruste ses empreintes,
Et le linceul collant resserre ses étreintes.
Il tombe dans la fosse, et bientôt recouvert
D’argile et de cailloux mêlés de gazon vert,
Le malheureux défunt, dans une nuit complète,
S’entend signifier par la bouche du ver
La pourriture lente et l’ennui du squelette.


ENVOI.

Oh ! qu’il te soit donné, Flamme, sœur de l’éclair,
À toi, Démon si pur qui fais claquer dans l’air
Ta langue aux sept couleurs, élastique et follette,
D’épargner au cadavre, avec ton baiser clair,
La pourriture lente et l’ennui du squelette.

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L'Enfer

Dans l'enfer, Satan fait étendre
Des barreaux et des grils ardents,
Et sourd, ne voulant rien entendre,
Il dit aux pécheurs imprudents
Que leur âme n’est plus à vendre.

Riant d’un air qui n’est pas tendre,
Pour activer ses intendants,
Il court comme une salamandre
Dans l’enfer.

Sans jamais se réduire en cendre
Tous les damnés grincent des dents,
Et réclament à cris stridents
Que la mort vienne les reprendre !...
Mais la mort ne peut pas descendre
Dans l’enfer !

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Un secret

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère
Un amour éternel en un moment conçu:
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et pourtant solitaire;
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.

A l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle:
"Quelle est donc cette femme ?" Et ne comprendra pas!

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