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Charles Baudelaire

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

Comme le sable morne et l'azur des déserts,
Insensibles tous deux à l'humaine souffrance
Comme les longs réseaux de la houle des mers
Elle se développe avec indifférence.

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,

Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.

poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du malSignalez un problèmeDes citations similaires
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Charles Baudelaire

Allégorie

C'est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane;
Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu'un nouveau-né, — sans haine et sans remords.

poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du malSignalez un problèmeDes citations similaires
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La Musique

À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.

Quand tes regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots,
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots.

Elle me verse tous les baumes
Et me souffle tous les parfums ;
Elle évoque tous mes fantômes
Et tous mes souvenirs défunts.

Elle m’apaise quand je souffre,
Elle délecte ma langueur,
Et c’est en elle que j’engouffre
L’inexprimable de mon cœur.

Elle mouille comme la pluie,
Elle brûle comme le feu ;
C’est un rire, une brume enfuie
Qui s’éparpille dans le bleu.

Dans ses fouillis d’accords étranges
Tumultueux et bourdonnants,
J’entends claquer des ailes d’anges
Et des linceuls de revenants ;

Les rythmes ont avec les gammes
De mystérieux unissons ;
Toutes les notes sont des âmes,
Des paroles et des frissons.

Ô Musique, torrent du rêve,
Nectar aimé, philtre béni,
Cours, écume, bondit sans trêve
Et roule-moi dans l’infini.

À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
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Les Robes

Ô ma pauvre sagesse, en vain tu te dérobes
Au fluide rôdeur, âcre et mystérieux
Que, pour magnétiser le passant curieux,
L’Inconnu féminin promène sous les robes !

Les robes ! où circule et s’est insinuée
La vie épidermique avec tous ses frissons,
Et qui, sur les trottoirs comme entre les buissons,
Passent avec des airs de barque et de nuée !

Elles ont tout : corsage où pleurent les longs voiles,
Jupe où jasent des nids de volants emperlés,
Rubans papillonneurs et boutons ciselés
Qui luisent comme autant de petites étoiles.

Si l'une me dénonce une luxure infâme,
Une autre me révèle un corps qui se défend ;
Et pour mon œil subtil une robe d’enfant
Trahit des ailes d’ange et des rondeurs de femme.

La robe atténuant la pointe ou la courbure
Hallucine déjà mes prunelles de lynx,
Mais je me sens troublé comme en face du Sphinx
Devant le bloc pieux de la robe de bure.

J’aime à les rencontrer partout, vieilles et neuves,
Au bas d’un escalier, au fond d’un corridor ;
J’aime ces longs habits que féminise encor
L’exquise austérité des vierges et des veuves.

Avec cette adhérence intime de l’écorce
Qui calque le contour et le linéament,
Le corsage échancré plaque hermétiquement,
Délicieux maillot d’un admirable torse.

La longue robe errant dans la lumière bleue,
Froide et collante avec sa traîne de velours,
Sur les tapis muets, étouffeurs des pas lourds,
A l'air d’un grand serpent tout debout sur sa queue.

Et par un crépuscule où le vent noir sanglote,
Plus d’une, tout au fond du lointain frissonnant,
Semble raser la terre ainsi qu’un revenant
Tragiquement drapé dans son linceul qui flotte.

J’ai souvent le désir fantastique et morose,
Dans ces bals où le vice allume son coup d’œil,
De voir entrer soudain une robe de deuil,
Comme un brouillard d’ébène au milieu d’un ciel rose.

Mais je contemplerais, à genoux et mains jointes,
Ces corselets d’amour exactement remplis
Où, derrière la gaze aux lumineux replis,
La gorge tentatrice embusque ses deux pointes !

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À quoi pense la nuit?

À quoi pense la Nuit, quand l’âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu’avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?...

À quoi pense la Nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des frissons d’émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphyr qui rôde,
Traversent l’ombre vague où la tiédeur descend ?...

Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu’elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.

Et — ses grands yeux ouverts aux étoiles — la Nuit
Enivre de secret ses extases moroses,
Aspire avec longueur le magique des choses.

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La Maladie

La maladie est une femme
Invisible comme un remord
Qui flétrit, tout prêts pour la mort,
La bouche rose et l’œil de flamme.

Elle vous surprend dans sa trame
Et vous plante sa dent qui mord.
La maladie est une femme
Invisible comme un remord.

Qu’elle soit noble, étrange, infâme,
Avec elle on a toujours tort !
Elle vous vide, elle vous tord
La chair, l’esprit, le cœur et l’âme ;
La maladie est une femme.

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Les Mouettes

En tas, poussant de longs cris aboyeurs
Aussi plaintifs que des cris de chouettes,
Autour des ports, sur les gouffres noyeurs,
Dans l’air salé s’ébattent les mouettes,
Promptes au vol comme des alouettes.
D’un duvet mauve et marqueté de roux,
Sur l’eau baveuse où le vent fait des trous,
On peut les voir se tailler des besognes
Et se risquer sous le ciel en courroux,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Flairant les flots, sinistres charroyeurs,
Et les écueils noirs dont les silhouettes
Font aux marins de si grandes frayeurs,
Elles s’en vont avec des pirouettes
De-ci, de-là, comme des girouettes.
Dans les vapeurs vitreuses des temps mous
Où notre œil suit les effacements doux
Des mâts penchant avec des airs d’ivrognes,
Ces grands oiseaux rôdent sur les remous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Et quand les flots devenus chatoyeurs
Dorment bercés par les brises fluettes,
On les revoit, avides côtoyeurs,
Éparpillant leurs troupes inquiètes
Aux environs des falaises muettes.
En vain tout rit, le brouillard s’est dissous ;
Ces carnassiers qui ne sont jamais soûls
Ouvrent encor leurs ailes de cigognes
Sur les galets polis comme des sous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.


ENVOI

Vautour blafard, fouilleur des casse-cous,
Toi dont le bec donne de si grands coups
Dans les lambeaux pourris où tu te cognes,
Viens là ! Tes sœurs t’y donnent rendez-vous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

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Mon âme est une infante

Mon Ame est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.

Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.

Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.

Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.

Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.

Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et, dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres;
El, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se lait plus profond sur ses lèvres.

Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes;
El par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Mon Ame est une infante en robe de parade.

poésie de Albert SamainSignalez un problèmeDes citations similaires
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La Petite Couturière

Elle s’en vient à travers champs,
Le long des buissons qui renaissent
Pleins de murmures et de chants ;
Elle s’en vient à travers champs.
Là-bas, sur les chaumes penchants,
Mes yeux amis la reconnaissent.
Elle s’en vient à travers champs,
Le long des buissons qui renaissent.

Elle arrive et dit ses bonjours
Sans jamais oublier la bonne :
Timidement, comme toujours,
Elle arrive et dit ses bonjours.
C’est l’ange de bien des séjours,
Elle est si jolie et si bonne !
Elle arrive et dit ses bonjours.
Sans jamais oublier la bonne.

La voilà donc tirant son fil,
Assise devant la croisée !
Délicieuse de profil,
La voilà donc tirant son fil.
Aux rayons d’un soleil d’avril
La vitre miroite irisée.
La voilà donc tirant son fil,
Assise devant la croisée.

Ses doigts rompus aux longs fuseaux,
Coudraient une journée entière.
Ils sont vifs comme des oiseaux
Ses doigts rompus aux longs fuseaux.
Comme ils manœuvrent les ciseaux
Qui pendent sur sa devantière !
Ses doigts rompus aux longs fuseaux
Coudraient une journée entière.

Elle sait couper un gilet
Dans une vieille redingote,
Et ravauder un mantelet ;
Elle sait couper un gilet.
Pour la boutonnière et l’ourlet,
Que de tailleurs elle dégote !
Elle sait couper un gilet
Dans une vieille redingote !

Elle coud du vieux et du neuf,
Elle repasse et rapiécette,
Draps de coton et draps d’Elbeuf,
Elle coud du vieux et du neuf.
Comme elle fait courir son Å“uf
De bois peint dans une chaussette !
Elle coud du vieux et du neuf,
Elle repasse et rapiécette !

Quand le déjeuner est servi,
Ce n’est pas elle qui lambine !
Pour moi, je m’attable ravi,
Quand le déjeuner est servi.
Et nous dévorons à l’envi !
Adieu bouquin ! adieu bobine !
Quand le déjeuner est servi,
Ce n’est pas elle qui lambine,

Enfin ! promenades ou jeu !
Sa récréation commence,
Ensemble nous sortons un peu ;
Enfin ! promenades ou jeu !
— Dans les taillis, sous le ciel bleu,
Le rossignol dit sa romance
Enfin ! promenades ou jeu !
Sa récréation commence.

Nous allons voir les carpillons
Au bord de l’étang plein de rides,
Et que rasent les papillons.
Nous allons voir les carpillons ;
Le soleil emplit de rayons
Son beau petit bonnet sans brides.
Nous allons voir les carpillons
Au bord de rotang plein de rides.

Quand on a rangé le dressoir,
Elle se remet à mes nippes.
Alors, en voilà jusqu’au soir,
Quand on a rangé le dressoir.
Auprès d’elle je vais m’asseoir
Et jaser en fumant des pipes.
Quand on a rangé le dressoir
Elle se remet à mes nippes.

Je lui fais chanter de vieux airs
Qui me rappellent mon enfance,
Quand j’errais par les champs déserts !
Je lui fais chanter de vieux airs.
Et nous causons ! rien dans mes airs,
Ni dans mes termes qui l’offense.
Je lui fais chanter de vieux airs
Qui me rappellent mon enfance.

Ses histoires de revenant
Me font peur ! je le dis sans honte.
Je les écoute en frissonnant,
Ses histoires de revenant,
C’est toujours drôle et surprenant,
Les choses qu’elle me raconte :
Ses histoires de revenant
Me font peur! je le dis sans honte.

Et la mignonne disparaît
Comme on allume la chandelle !
Elle quitte son tabouret ;
Et la mignonne disparaît.
« Bonsoir ! dit-elle, avec regret.
— A bientôt ! ma petite Adèle ! »
Et la mignonne disparaît
Comme on allume la chandelle !

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La Pensée

C’est l’ennemi sournois, mais sûr,
Sphinx intime, cancer obscur,
De ce tas de cendres futur
Appelé l’homme.
Elle fausse tous ses ressorts,
Épuise tous ses réconforts
Et chicane tous ses efforts
Qu’elle consomme.

Sans doute, elle évoque à ses yeux
Maint rêve descendu des cieux
Avec le vol délicieux
De la colombe,
Mais elle nourrit son remord
Et le réveille quand il dort
Par des chuchotements de mort
Et d’outre-tombe.

Hélas ! chacun est l’écheveau
Qu’embrouille au fond de son caveau
Ce vieux spectre toujours nouveau ;
Mauvaise mère
Dont les petits qu’elle a couvés,
Par elle-même dépravés
Deviennent les enfants-trouvés
De la Chimère.

En nous elle plombe et tarit
L’illusion verte qui rit ;
Elle étend sur l’âme et l’esprit
Sa glu chancreuse ;
Puis, sur eux, tirant ses verrous,
Les écrase entre ses écrous,
Et, féroce, y creuse des trous
Qu’elle recreuse.

Sans cesse elle revient au deuil
Comme un flot revient à l’écueil ;
Elle grossit en un clin d’œil
Ce qui nous froisse ;
Tout le jour elle nous a nui,
Et l’implacable dans la nuit
Nous tricote encor de l’ennui
Et de l’angoisse.

Elle glace nos jeux, nos arts
Qui lazzaronaient en lézards,
Nous prédit les mauvais hasards
Des occurrences ;
Et dans la nocturne vapeur
Elle nous invente la Peur
Avec l’éveil ou la stupeur
Des apparences.

Ce comptable sec et retors
Additionne tous nos torts
Et fige dans ses coffres-forts
Toutes nos larmes ;
C’est le maniaque secret
Qui jamais las, jamais distrait,
Tourne la meule du regret
Et des alarmes.

Nous croyons noyer dans le vin
Ce monstre infernal ou divin
Pour qui notre moelle est en vain
Redépensée ;
Le Ciel serait si consolant,
Le corps si pur, l’amour si blanc
Et le cercueil si peu troublant
Sans la pensée !

Mais buvons sans trêve ! Agissons !
Lutte inutile ! nous pensons :
Notre chair a tous les frissons
De la contrainte,
Et malgré notre acharnement
Pour exister physiquement,
Nous retombons dans le tourment
De cette étreinte.

Que l’on veuille croire ou douter,
Elle arrive à nous dérouter,
Et, si parfois, pour nous tenter,
Elle aventure
Un Parce que contre un Pourquoi,
Bien vite elle oppose à la Foi
Le scepticisme qui rit froid
Et qui rature.

Sous le chagrin qu’elle épaissit,
L’enthousiasme se rancit ;
Elle supprime ou raccourcit
La confidence,
Et dans le danger, qu’elle accroît,
Nous fait du courage un adroit
Qui suppute, esquive et ne croit
Qu’à la prudence.

La Justice et la Vérité
Qui nous mènent à la clarté,
Elle les jette de côté,
Et l’on s’embarque
Pour le noir et pour l’incertain
Devant ce douanier hautain
Qui ne laisse passer l’instinct
Qu’avec sa marque.

Elle a le conseil si tortu,
Si captieux et si pointu
Qu’elle suggère à la Vertu
Le goût du crime ;
Et pas un homme n’est vainqueur
De ce terrible épilogueur,
Espèce de crapaud du cœur
Qui nous opprime.

Elle use par l’obsession,
Par la mystification,
Par le fiel et la succion
De sa censure
Le labeur qu’elle a suscité,
Et fournit à l’oisiveté
La vénéneuse activité
De la luxure.

Et quand par elle on est à bout,
Si terminé, si mort à tout,
Qu’on n’a pas même le dégoût
De la souffrance,
Un drap noir croule sur nos jours,
Un drap lourd entre les plus lourds,
Sans croix ni larmes de velours :
L’Indifférence !

Puis elle atteint son but fatal ;
Après un voyage final,
Elle nous prend au fond du Mal
Et nous oublie
Par delà l’horrible cloison
Qui limite notre horizon :
Et c’est la mort de la Raison
Dans la Folie.

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Je suis malade

Je ne rêve plus je ne fume plus
Je n'ai même plus d'histoire
Je suis sale sans toi
Je suis laide sans toi
Je suis comme un orphelin dans un dortoir

Je n'ai plus envie de vivre dans ma vie
Ma vie cesse quand tu pars
Je n'aie plus de vie et même mon lit
Ce transforme en quai de gare
Quand tu t'en vas

Je suis malade
Complètement malade
Comme quand ma mère sortait le soir
Et qu'elle me laissait seul avec mon désespoir

Je suis malade parfaitement malade
T'arrive on ne sait jamais quand
Tu repars on ne sait jamais où
Et ça va faire bientôt deux ans
Que tu t'en fous

Comme à un rocher
Comme à un péché
Je suis accroché à toi
Je suis fatigué je suis épuisé
De faire semblant d'être heureuse quand ils sont là

Je bois toutes les nuits
Mais tous les whiskies
Pour moi on le même goût
Et tous les bateaux portent ton drapeau
Je ne sais plus où aller tu es partout

Je suis malade
Complètement malade
Je verse mon sang dans ton corps
Et je suis comme un oiseau mort quand toi tu dors

Je suis malade
Parfaitement malade
Tu m'as privé de tous mes chants
Tu m'as vidé de tous mes mots
Pourtant moi j'avais du talent avant ta peau

Cet amour me tue
Si ça continue je crèverai seul avec moi
Près de ma radio comme un gosse idiot
Écoutant ma propre voix qui chantera

Je suis malade
Complètement malade
Comme quand ma mère sortait le soir
Et qu'elle me laissait seul avec mon désespoir

Je suis malade
C'est ça je suis malade
Tu m'as privé de tous mes chants
Tu m'as vidé de tous mes mots
Et j'ai le coeur complètement malade
Cerné de barricades
T'entends je suis malade.

chanson interprété par DalidaSignalez un problèmeDes citations similaires
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Le Monstre

En face d’un miroir est une femme étrange
Qui tire une perruque où l’or brille à foison,
Et son crâne apparaît jaune comme une orange
Et tout gras des parfums de sa fausse toison.

Sous des lampes jetant une clarté sévère
Elle sort de sa bouche un râtelier ducal,
Et de l’orbite gauche arrache un œil de verre
Qu’elle met avec soin dans un petit bocal.

Elle ôte un nez de cire et deux gros seins d’ouate
Qu’elle jette en grinçant dans une riche boîte,
Et murmure : « Ce soir, je l’appelais mon chou ;

« Il me trouvait charmante à travers ma voilette !
« Et maintenant cette Ève, âpre et vivant squelette,
« Va désarticuler sa jambe en caoutchouc ! »

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Le succube

Toute mie, onduleuse et le torse vibrant,
La fleur des lupanars, des tripots et des bouges
Bouclait nonchalamment ses jarretières rouges
Sur de très longs bas noirs d'un tissu transparent,

Quand soudain sa victime eut ce cri déchirant
'Je suis dans un brouillard qui bourdonne et qui bouge
Mon oeil tourne et s'éteint! où donc es-tu, ma gouge ?
Viens ! tout mon corps tari te convoite en mourant !'

A ces mots, la sangsue exulta d'ironie :
'Si tu veux jusqu'au bout, râler ton agonie,
Je t'engage, dit-elle, à ménager ta voix !'

Et froide, elle accueillit, raillant l'affreux martyre,
Ses suprêmes adieux par un geste narquois
Et son dernier hoquet par un éclat de rire.

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La Rivière dormante

Au plus creux du ravin où l’ombre et le soleil
Alternent leurs baisers sur la roche et sur l’arbre,
La rivière immobile et nette comme un marbre
S’enivre de stupeur, de rêve et de sommeil.

Plus d’un oiseau, dardant l’éclair de son plumage,
La brûle dans son vol, ami des nénuphars ;
Et le monde muet des papillons blafards
Y vient mirer sa frêle et vacillante image.

Descendu des sentiers tout sablés de mica,
Le lézard inquiet cherche la paix qu’il goûte
Sur ses rocs fendillés d’où filtrent goutte à goutte
Des filets d’eau qui font un bruit d’harmonica.

La lumière est partout si bien distribuée
Qu’on distingue aisément les plus petits objets ;
Des mouches de saphir, d’émeraude et de jais
Au milieu d’un rayon vibrent dans la buée.

Sa mousse qui ressemble aux grands varechs des mers
Éponge tendrement les larmes de ses saules,
Et ses longs coudriers, souples comme des gaules,
Se penchent pour la voir avec les buis amers.

Ni courant limoneux, ni coup de vent profane :
Rien n’altère son calme et sa limpidité ;
Elle dort, exhalant sa tiède humidité,
Comme un grand velours vert qui serait diaphane.

Pourtant cette liquide et vitreuse torpeur
Qui n’a pas un frisson de remous ni de vague,
Murmure un son lointain, triste, infiniment vague,
Qui flotte et se dissipe ainsi qu’une vapeur.

Du fond de ce grand puits qui la tient sous sa garde,
Avec ses blocs de pierre et ses fouillis de joncs,
Elle écoute chanter les hiboux des donjons
Et réfléchit l’azur étroit qui la regarde.

Des galets mordorés et d’un aspect changeant
Font à la sommeilleuse un lit de mosaïque
Où, dans un va-et-vient béat et mécanique.
Glissent des poissons bleus lamés d’or et d’argent.

Leurs nageoires qui sont rouges et dentelées
Dodelinent avec leur queue en éventail :
Si transparente est l’eau, qu’on peut voir en détail
Tout ce fourmillement d’ombres bariolées.

Comme dans les ruisseaux clairs et torrentueux
Qui battent les vieux ponts aux arches mal construites,
L’écrevisse boiteuse y chemine, et les truites
Aiment l’escarpement de ses bords tortueux.

L’âme du paysage à toute heure voltige
Sur ce lac engourdi par un sommeil fatal,
Dallé de cailloux plats et dont le fin cristal
A les miroitements du songe et du vertige.

Et, sans qu’elle ait besoin des plissements furtifs
Que les doigts du zéphyr forment sur les eaux mates,
Pour prix de leur ombrage et de leurs aromates
La rivière sourit aux végétaux plaintifs ;

Et quand tombe la nuit spectrale et chuchoteuse,
Elle sourit encore aux parois du ravin :
Car la lune, au milieu d’un silence divin,
Y baigne les reflets de sa lueur laiteuse.

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Le Mirage

Le ciel ayant figé ses grands nuages roses,
Émeraudés, lilas, cuivreux et violets,
L’étang clair, miroitant dans la douceur des choses,
Renvoya leur image avec tous ses reflets.

Dans l’onde, sous le souffle errant des vents follets,
Gardant leur infini, leurs airs d’apothéoses,
Leur éclat, leur magique et leur lointain complets,
Ils dormaient, invoilés, la langueur de leurs poses.

La voûte et lui fondus, ne faisant qu’un ensemble,
L’étang, du même bleu lisse et profond qui tremble,
Autant qu’elle, vivait ses décors glorieux :

Tel était le pouvoir du plus beau des mirages
Que j’admirais le ciel, sans relever les yeux,
Prenant l’eau pour l’azur avec tous ses nuages.

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Jalousie féline

Cependant que juché sur l’un des hauts divans
Le chat jaune poussait de ronronnantes plaintes,
Dans un boudoir gorgé de parfums énervants,

Je veillais la très chère à genoux et mains jointes,
Et mon baiser rôdeur, papillon de ses seins,
Effleurait leurs contours et vibrait à leurs pointes.

Vierges des nourrissons, vampires assassins,
Ils étaient froids et durs comme des pommes vertes
Et plus blancs que le cygne errant sur les bassins.

Voluptueusement elle dormait, et certes,
Jamais femme n’aura, pour mordiller l’amant,
Les dents que laissaient voir ses lèvres entrouvertes.

Très blanche, comme pour un enlinceulement,
Sa robe la couvrait d’un brouillard de guipure,
En sorte que les seins étaient nus seulement.

Et les reflets de l’âtre en livide jaspure
Rampaient sur le divan d’où le chat regardait
Cette gorge d’amour aussi belle qu’impure.

Même dans le sommeil profond elle gardait
Sa morgue ! et telle était sa magique attirance
Qu’irrésistiblement tout mon être y tendait.

Voilà pourquoi je vis avec indifférence
L’œil toujours si câlin du gigantesque chat
Se charger tout à coup de haine et de souffrance

Ô langueur criminelle indigne de rachat !
Je ne pris nulle garde à la jalouse bête,
Quand il aurait fallu que ma main l'écorchât !

En vain, il se tordait les yeux hors de la tête,
En vain, il écumait fou de rage, en grinçant
Comme une girouette au fort de la tempête ;

Je fus aveugle et sourd pour lui ! tout languissant
D’amour et de sommeil, j’accrochais mon extase
À ces deux bouts de seins plus rouges que du sang.

Et je bâillais, râlant je ne sais quelle phrase,
Lorsque soudain je vis le chat jaune vers nous
Ramper lentement comme un crapaud dans la vase.

Oh ! ces poils hérissés ! ces miaulements fous !
— Mais la chambre devint ténébreuse et mouvante,
Puis, plus rien ! et je dus m’endormir à genoux.

Et la paix du cercueil hantait ma chair vivante
Lorsque je fus tiré de ce fatal sommeil
Par un cri surhumain d’horreur et d’épouvante !

Oh ! maudite la lune et maudit le soleil !
Que sous l’homme à jamais la terre se dérobe !
Pourquoi donc pas la mort, plutôt que ce réveil !

— Là, hurlant de douleur, pâle dans une robe
De pourpre, ensanglantant la neige des coussins,
Rachel se débattait sous la bête hydrophobe

Qui miaulait en lui déchiquetant les seins !

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La Marchande d'écrevisses

Aux portes des cafés où s’attablent les vices,
Elle va tous les soirs offrant des écrevisses
Sur un petit clayon tapissé de persil.
Elle a l’œil en amande orné d’un grand sourcil
Et des cheveux frisés blonds comme de la paille.
Or, ses lèvres en fleur qu’un sourire entre-bâille,
Tentent les carabins qui fument sur les bancs,
Et comme elle a des seins droits, et que, peu tombants
Ses jupons laissent voir sa jambe ronde et saine,
Chacun d’eux lui chuchote un compliment obscène.

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La Belle Fromagère

Par la rue enfiévrante où mes pas inquiets
Se traînent au soleil comme au gaz, je voyais
Derrière une affreuse vitrine
Où s’étalaient du beurre et des fromages gras,
Une superbe enfant dont j’admirais les bras
Et la plantureuse poitrine.

Le fait est que jamais fille ne m’empoigna
Comme elle, et que jamais mon Å“il fou ne lorgna
De beauté plus affriolante !
Un nimbe de jeunesse ardente et de santé
Auréolait ce corps frais où la puberté
Était encore somnolente.

Elle allait portant haut dans l’étroit magasin
Son casque de cheveux plus noirs que le fusain
Et, douce trotteuse en galoches,
Furetait d’un air gai dans les coins et recoins,
Tandis que les bondons jaunes comme des coings
Se liquéfiaient sous les cloches.

Armés d’un petit fil de laiton, ses doigts vifs
Détaillaient prestement des beurres maladifs
À des acheteuses blafardes ;
Des beurres, qu’on savait d’un rance capiteux,
Et qui suaient l’horreur dans leurs linges piteux,
Comme un affamé dans ses hardes.

Quand sa lame entamait Gruyère ou Roquefort,
Je la voyais peser sur elle avec effort,
Son petit nez frôlant les croûtes,
Et rien n’était mignon comme ses jolis doigts
Découpant le Marolle infect où, par endroits,
La vermine creusait des routes.

Près de l’humble comptoir où dormaient les gros sous
Les Géromés vautrés comme des hommes saouls
Coulaient sur leur clayon de paille,
Mais si nauséabonds, si pourris, si hideux,
Que les mouches battaient des ailes autour d’eux,
Sans jamais y faire ripaille.

Or, elle respirait à son aise, au milieu
De cette âcre atmosphère où le Roquefort bleu
Suintait près du Chester exsangue ;
Dans cet ignoble amas de caillés purulents,
Ravie, elle enfonçait ses beaux petits doigts blancs,
Qu’elle essuyait d’un coup de langue.

Oh ! sa langue ! bijou vivant et purpurin
Se pavanant avec un frisson vipérin
Tout plein de charme et de hantise !
Miraculeux corail humide et velouté
Dont le bout si pointu trouait de volupté
Ma chair, folle de convoitise !

Donc, cette fromagère exquise, je l’aimais
Je l’aimais au point d’en rêver le viol ! mais,
Je me disais que ces miasmes,
À la longue, devaient imprégner ce beau corps
Et le dégoût, comme un mystérieux recors,
Traquait tous mes enthousiasmes.

Et pourtant, chaque jour, rivés à ses carreaux,
Mes deux yeux la buvaient ! en vain les Livarots
Soufflaient une odeur pestilente,
J’étais là, me grisant de sa vue, et si fou,
Qu’en la voyant les mains dans le fromage mou
Je la trouvais ensorcelante !

À la fin, son aveu fleurit dans ses rougeurs ;
Pour me dire : « je t’aime » avec ses yeux songeurs,
Elle eut tout un petit manège ;
Puis elle me sourit ; ses jupons moins tombants
Découvrirent un jour des souliers à rubans
Et des bas blancs comme la neige.

Elle aussi me voulait de tout son être ! À moi,
Elle osait envoyer des baisers pleins d’émoi,
L’emparadisante ingénue,
Si bien, qu’après avoir longuement babillé,
Par un soir de printemps, je la déshabillai
Et vis sa beauté toute nue !

Sa chevelure alors flotta comme un drapeau,
Et c’est avec des yeux qui me léchaient la peau
Que la belle me fit l’hommage
De sa chair de seize ans, mûre pour le plaisir !
Ô saveur ! elle était flambante de désir
Et ne sentait pas le fromage !

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Paysage d'octobre

Le torrent a franchi ses bords
Et gagné la pierraille ocreuse ;
Le meunier longe avec efforts
L’ornière humide qui se creuse.
Déjà le lézard engourdi
Devient plus frileux d’heure en heure ;
Et le soleil du plein midi
Est voilé comme un œil qui pleure.

Les nuages sont revenus,
Et la treille qu’on a saignée
Tord ses longs bras maigres et nus
Sur la muraille renfrognée.
La brume a terni les blancheurs
Et cassé les fils de la Vierge,
Et le vol des martin-pêcheurs
Ne frissonne plus sur la berge.

Les arbres se sont rabougris ;
La chaumière ferme sa porte,
Et le petit papillon gris
A fait place à la feuille morte.
Plus de nénuphars sur l’étang ;
L’herbe languit, l’insecte râle,
Et l’hirondelle en sanglotant
Disparaît à l’horizon pâle.

Près de la rivière aux gardons
Qui clapote sous les vieux aulnes,
Le baudet cherche les chardons
Que rognaient si bien ses dents jaunes.
Mais comme le bluet des blé,
Comme la mousse et la fougère,
Les grands chardons s’en sont allés
Avec la brise et la bergère.

Tout pelotonné sur le toit
Que l’atmosphère mouille et plombe,
Le pigeon transi par le froid
Grelotte auprès de la colombe ;
Et, tous deux, sans se becqueter,
Trop chagrins pour faire la roue,
Ils regardent pirouetter
La girouette qui s’enroue.

Au-dessus des vallons déserts
Où les mares se sont accrues,
À tire-d’aile, dans les airs
Passe le triangle des grues ;
Et la vieille, au bord du lavoir,
Avec des yeux qui se désolent,
Les regarde fuir et croit voir
Les derniers beaux jours qui s’envolent.

Dans les taillis voisins des rocs
La bécasse fait sa rentrée ;
Les corneilles autour des socs
Piétinent la terre éventrée,
Et, décharné comme un fagot,
Le peuplier morne et funèbre
Arbore son nid de margot
Sur le ciel blanc qui s’enténèbre.

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Le Grand-Père

La fille au père Pierre, avec ses airs de sainte,
A si bien surveillé son corps fallacieux
Que sa grossesse a pu mentir à tous les yeux ;
Mais son heure a sonné de n’être plus enceinte.

Dans la grand' chambre on dort comme l’eau dans les trous.
Tout à coup, elle geint, crie et se désespère.
On se lève, on apprend la chose. Le grand-père
Continue à ronfler sous son baldaquin roux.

Mais le bruit à la fin l’éveille, et le voilà
Clamant du lit profond d’où sa maigreur s’arrache :
« Pierr’, quoiq’ya ? – Pèr, ya rin ! – Si ! s’passe un’ chos’ qu’on m’cache ;
Et ma p’tit’ fill’ se plaint, j’ l’entends ben ! quoi qu’elle a ? »

— Elle a qu’elle va faire un champi ! — Le bonhomme
Prend son bâton ferré qu’il brandit en disant :
« Dans not’ famill’ yaura l’déshonneur à présent !
La gueus’ ! vous voyez ben tous qu’i’ faut que j’l’assomme ! »

Et, solennel, tragique, il marche d’un pas lourd
Jusqu’à la pâle enfant... mais, pendant qu’il tempête,
Tendre, il lève et rabat le gourdin sur sa tête,
Bien doux, frôleusement, d’un geste plein d’amour.

« R’commenc’ras-tu ? fait-il, ou là, comme un’ vipère,
J’te coupe en deux ! j’t’écras’ la cervell’ sur ton drap ! »
Elle gémit : « Jamais, grand-père ! »

Alors, le jeune frère égrillard qui ricane,
Glapit : « Oh ! q’si fait ben, grand-père, a r’commenc’ra
Puisqu’elle est chaude comme un’ cane !

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La Putréfaction

Au fond de cette fosse moite
D’un perpétuel suintement,
Que se passe-t-il dans la boîte,
Six mois après l’enterrement ?

Verrait-on encor ses dentelles ?
L’œil a-t-il déserté son creux ?
Les chairs mortes ressemblent-elles
À de grands ulcères chancreux ?

La hanche est-elle violâtre
Avec des fleurs de vert-de-gris,
Couleurs que la Mort idolâtre,
Quand elle peint ses corps pourris ?

Pendant qu’un pied se décompose,
L’autre sèche-t-il, blanc, hideux,
Ou l’horrible métamorphose
S’opère-t-elle pour les deux ?

Le sapin servant d’ossuaire
Se moisit-il sous les gazons ?
Le cadavre dans son suaire
A-t-il enfin tous ses poisons ?

Sous le drap que mangent et rouillent
L'humidité froide et le pus,
Les innombrables vers qui grouillent
Sont-ils affamés ou repus ?

Que devient donc tout ce qui tombe
Dans le gouffre ouvert nuit et jour ?
— Ainsi, j’interrogeais la tombe
D’une fille morte d’amour.

Et la tombe que les sceptiques
Rayent toujours de l’avenir,
Me jeta ces mots dramatiques
Qui vivront dans mon souvenir :

« Les seins mignons dont tu raffoles,
« Questionneur inquiétant,
« Et les belles lèvres si folles,
« Les lèvres qui baisèrent tant,

« Toutes ces fleurs roses et blanches
« Sont les premières à pourrir
« Dans la prison des quatre planches,
« Que nulle main ne peut ouvrir.

« Mais, quant à l’âme, revit-elle ?
« Avec son calme ou ses remords,
« Faut-il crier qu’elle est mortelle
« Ou qu’elle plane sur les morts ?

« Je ne sais ! Mais apprends que l’ombre
« Que l’homme souffre en pourrissant :
« Le cadavre est un muet sombre,
« Qui ne dit pas ce qu’il ressent !

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