Allégorie
C'est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane;
Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu'un nouveau-né, — sans haine et sans remords.
poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du mal
Ajouté par Simona Enache
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Des citations similaires
La Putréfaction
Au fond de cette fosse moite
D’un perpétuel suintement,
Que se passe-t-il dans la boîte,
Six mois après l’enterrement ?
Verrait-on encor ses dentelles ?
L’œil a-t-il déserté son creux ?
Les chairs mortes ressemblent-elles
À de grands ulcères chancreux ?
La hanche est-elle violâtre
Avec des fleurs de vert-de-gris,
Couleurs que la Mort idolâtre,
Quand elle peint ses corps pourris ?
Pendant qu’un pied se décompose,
L’autre sèche-t-il, blanc, hideux,
Ou l’horrible métamorphose
S’opère-t-elle pour les deux ?
Le sapin servant d’ossuaire
Se moisit-il sous les gazons ?
Le cadavre dans son suaire
A-t-il enfin tous ses poisons ?
Sous le drap que mangent et rouillent
L'humidité froide et le pus,
Les innombrables vers qui grouillent
Sont-ils affamés ou repus ?
Que devient donc tout ce qui tombe
Dans le gouffre ouvert nuit et jour ?
— Ainsi, j’interrogeais la tombe
D’une fille morte d’amour.
Et la tombe que les sceptiques
Rayent toujours de l’avenir,
Me jeta ces mots dramatiques
Qui vivront dans mon souvenir :
« Les seins mignons dont tu raffoles,
« Questionneur inquiétant,
« Et les belles lèvres si folles,
« Les lèvres qui baisèrent tant,
« Toutes ces fleurs roses et blanches
« Sont les premières à pourrir
« Dans la prison des quatre planches,
« Que nulle main ne peut ouvrir.
« Mais, quant à l’âme, revit-elle ?
« Avec son calme ou ses remords,
« Faut-il crier qu’elle est mortelle
« Ou qu’elle plane sur les morts ?
« Je ne sais ! Mais apprends que l’ombre
« Que l’homme souffre en pourrissant :
« Le cadavre est un muet sombre,
« Qui ne dit pas ce qu’il ressent !
poésie de Maurice Rollinat
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Avec ses vêtements ondoyants et nacrés
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.
Comme le sable morne et l'azur des déserts,
Insensibles tous deux à l'humaine souffrance
Comme les longs réseaux de la houle des mers
Elle se développe avec indifférence.
Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,
Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.
poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du mal
Ajouté par Simona Enache
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La Buveuse d'absinthe
Elle était toujours enceinte,
Et puis elle avait un air...
Pauvre buveuse d’absinthe !
Elle vivait dans la crainte
De son ignoble partner :
Elle était toujours enceinte.
Par les nuits où le ciel suinte,
Elle couchait en plein air.
Pauvre buveuse d’absinthe !
Ceux que la débauche éreinte
La lorgnaient d’un œil amer :
Elle était toujours enceinte !
Dans Paris, ce labyrinthe
Immense comme la mer,
Pauvre buveuse d’absinthe,
Elle allait, prunelle éteinte,
Rampant aux murs comme un ver...
Elle était toujours enceinte !
Oh ! cette jupe déteinte
Qui se bombait chaque hiver !
Pauvre buveuse d’absinthe !
Sa voix n’était qu’une plainte,
Son estomac qu’un cancer :
Elle était toujours enceinte !
Quelle farouche complainte
Dira son hideux spencer !
Pauvre buveuse d’absinthe !
Je la revois, pauvre Aminte,
Comme si c’était hier :
Elle était toujours enceinte !
Elle effrayait maint et mainte
Rien qu’en tournant sa cuiller ;
Pauvre buveuse d’absinthe !
Quand elle avait une quinte
De toux, — oh ! qu’elle a souffert,
Elle était toujours enceinte ! —
Elle râlait : « Ça m’esquinte !
Je suis déjà dans l’enfer. »
Pauvre buveuse d’absinthe !
Or elle but une pinte
De l’affreux liquide vert :
Elle était toujours enceinte !
Et l’agonie était peinte
Sur son œil à peine ouvert ;
Pauvre buveuse d’absinthe !
Quand son amant dit sans feinte :
« D’débarras, c’en est un fier !
« Elle était toujours enceinte. »
— Pauvre buveuse d’absinthe !
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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Le Monstre
En face d’un miroir est une femme étrange
Qui tire une perruque où l’or brille à foison,
Et son crâne apparaît jaune comme une orange
Et tout gras des parfums de sa fausse toison.
Sous des lampes jetant une clarté sévère
Elle sort de sa bouche un râtelier ducal,
Et de l’orbite gauche arrache un œil de verre
Qu’elle met avec soin dans un petit bocal.
Elle ôte un nez de cire et deux gros seins d’ouate
Qu’elle jette en grinçant dans une riche boîte,
Et murmure : « Ce soir, je l’appelais mon chou ;
« Il me trouvait charmante à travers ma voilette !
« Et maintenant cette Ève, âpre et vivant squelette,
« Va désarticuler sa jambe en caoutchouc ! »
poésie de Maurice Rollinat
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Un secret
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère
Un amour éternel en un moment conçu:
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et pourtant solitaire;
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.
A l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle:
"Quelle est donc cette femme ?" Et ne comprendra pas!
poésie de Felix Arvers
Ajouté par Simona Enache
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La femme est fascinant dans tous les âges: dans son enfance, elle est un petit ange, dans sa jeunesse, elle fascine par sa beauté et le feu de la passion, et dans sa vieillesse, elle est toute tendresse.
aphorisme de George Budoi (2011)
Ajouté par George Budoi
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La Pensée
C’est l’ennemi sournois, mais sûr,
Sphinx intime, cancer obscur,
De ce tas de cendres futur
Appelé l’homme.
Elle fausse tous ses ressorts,
Épuise tous ses réconforts
Et chicane tous ses efforts
Qu’elle consomme.
Sans doute, elle évoque à ses yeux
Maint rêve descendu des cieux
Avec le vol délicieux
De la colombe,
Mais elle nourrit son remord
Et le réveille quand il dort
Par des chuchotements de mort
Et d’outre-tombe.
Hélas ! chacun est l’écheveau
Qu’embrouille au fond de son caveau
Ce vieux spectre toujours nouveau ;
Mauvaise mère
Dont les petits qu’elle a couvés,
Par elle-même dépravés
Deviennent les enfants-trouvés
De la Chimère.
En nous elle plombe et tarit
L’illusion verte qui rit ;
Elle étend sur l’âme et l’esprit
Sa glu chancreuse ;
Puis, sur eux, tirant ses verrous,
Les écrase entre ses écrous,
Et, féroce, y creuse des trous
Qu’elle recreuse.
Sans cesse elle revient au deuil
Comme un flot revient à l’écueil ;
Elle grossit en un clin d’œil
Ce qui nous froisse ;
Tout le jour elle nous a nui,
Et l’implacable dans la nuit
Nous tricote encor de l’ennui
Et de l’angoisse.
Elle glace nos jeux, nos arts
Qui lazzaronaient en lézards,
Nous prédit les mauvais hasards
Des occurrences ;
Et dans la nocturne vapeur
Elle nous invente la Peur
Avec l’éveil ou la stupeur
Des apparences.
Ce comptable sec et retors
Additionne tous nos torts
Et fige dans ses coffres-forts
Toutes nos larmes ;
C’est le maniaque secret
Qui jamais las, jamais distrait,
Tourne la meule du regret
Et des alarmes.
Nous croyons noyer dans le vin
Ce monstre infernal ou divin
Pour qui notre moelle est en vain
Redépensée ;
Le Ciel serait si consolant,
Le corps si pur, l’amour si blanc
Et le cercueil si peu troublant
Sans la pensée !
Mais buvons sans trêve ! Agissons !
Lutte inutile ! nous pensons :
Notre chair a tous les frissons
De la contrainte,
Et malgré notre acharnement
Pour exister physiquement,
Nous retombons dans le tourment
De cette étreinte.
Que l’on veuille croire ou douter,
Elle arrive à nous dérouter,
Et, si parfois, pour nous tenter,
Elle aventure
Un Parce que contre un Pourquoi,
Bien vite elle oppose à la Foi
Le scepticisme qui rit froid
Et qui rature.
Sous le chagrin qu’elle épaissit,
L’enthousiasme se rancit ;
Elle supprime ou raccourcit
La confidence,
Et dans le danger, qu’elle accroît,
Nous fait du courage un adroit
Qui suppute, esquive et ne croit
Qu’à la prudence.
La Justice et la Vérité
Qui nous mènent à la clarté,
Elle les jette de côté,
Et l’on s’embarque
Pour le noir et pour l’incertain
Devant ce douanier hautain
Qui ne laisse passer l’instinct
Qu’avec sa marque.
Elle a le conseil si tortu,
Si captieux et si pointu
Qu’elle suggère à la Vertu
Le goût du crime ;
Et pas un homme n’est vainqueur
De ce terrible épilogueur,
Espèce de crapaud du cœur
Qui nous opprime.
Elle use par l’obsession,
Par la mystification,
Par le fiel et la succion
De sa censure
Le labeur qu’elle a suscité,
Et fournit à l’oisiveté
La vénéneuse activité
De la luxure.
Et quand par elle on est à bout,
Si terminé, si mort à tout,
Qu’on n’a pas même le dégoût
De la souffrance,
Un drap noir croule sur nos jours,
Un drap lourd entre les plus lourds,
Sans croix ni larmes de velours :
L’Indifférence !
Puis elle atteint son but fatal ;
Après un voyage final,
Elle nous prend au fond du Mal
Et nous oublie
Par delà l’horrible cloison
Qui limite notre horizon :
Et c’est la mort de la Raison
Dans la Folie.
poésie de Maurice Rollinat
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C'est une fontaine perdue et malheureuse. Elle n'est pas protégée. On l'a laissée comme ça, en pleins champs découverts; elle est faite d'un tuyau de canne, d'un corps de peuplier creux. Elle est là toute seule. L'été, le soleil qui boit comme un âne, sèche son bassin en trois coups de museau; le vent se lave les pieds sous le canon et gaspille toute l'eau dans la poussière. L'hiver, elle gèle jusqu'au coeur. Elle n'a pas de chance: comme toute cette terre.
Jean Giono dans Regain (1930)
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La Maladie
La maladie est une femme
Invisible comme un remord
Qui flétrit, tout prêts pour la mort,
La bouche rose et l’œil de flamme.
Elle vous surprend dans sa trame
Et vous plante sa dent qui mord.
La maladie est une femme
Invisible comme un remord.
Qu’elle soit noble, étrange, infâme,
Avec elle on a toujours tort !
Elle vous vide, elle vous tord
La chair, l’esprit, le cœur et l’âme ;
La maladie est une femme.
poésie de Maurice Rollinat
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La Folie
La tarentule du chaos
Guette la raison qu’elle amorce.
L’Esprit marche avec une entorse
Et roule avec d’affreux cahots.
Entendez hurler les manchots
De la camisole de force !
La tarentule du chaos
Guette la Raison qu’elle amorce.
Aussi la Mort dans ses caveaux
Rit-elle à se casser le torse,
Devant la trame obscure et torse
Que file dans tous les cerveaux
La tarentule du chaos.
poésie de Maurice Rollinat
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Nativité
D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable
Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.
Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa cuisine
A la pauvre mère en gésine.
Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger?
Elle est en pays étranger.
Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière en ornière,
Elle va, bête sans tanière,
Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.
Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.
Son ventre, où flambent des chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.
Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,
Soûle, et, boule, roule au fossé,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.
La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.
Elle accouche enfin, en crevant;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.
Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.
Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds!
Il est seul, couché sur le dos,
Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l'aime;
Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert!
poésie de Jean Richepin
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À quoi pense la nuit?
À quoi pense la Nuit, quand l’âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu’avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?...
À quoi pense la Nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des frissons d’émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphyr qui rôde,
Traversent l’ombre vague où la tiédeur descend ?...
Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu’elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.
Et — ses grands yeux ouverts aux étoiles — la Nuit
Enivre de secret ses extases moroses,
Aspire avec longueur le magique des choses.
poésie de Maurice Rollinat
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O dieux, dieux! comme la terre est triste, le soir! Que de mystères, dans les brouillards qui flottent sur les marais! Celui qui a erré dans ces brouillards, celui qui a beaucoup souffert avant de mourir, celui qui a volé au-dessus de cette terre en portant un fardeau trop lourd, celui-là sait! Celui-là sait, qui est fatigué. Et c'est sans regret, alors, qu'il quitte les brumes de cette terre, ses rivières et ses étangs, qu'il s'abandonne d'un coeur léger entre les mains de la mort, sachant qu'elle - et elle seule - lui apportera la paix.
Mihail Bulgakov dans Le Maître et Marguerite, translated by Claude Ligny
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La Relique
Avant son mariage, – ô souffrance mortelle !
Elle me la donna sa chemise en dentelle,
Celle qu’elle avait le doux soir
Où, cédant à mes pleurs qui lui disaient : « Viens, Berthe ! »
Près de moi haletant sur la couche entr’ouverte,
Frémissante elle vint s’asseoir.
Ce linge immaculé qu’embaumait son corps vierge,
Quand elle vint me faire, aussi pâle qu’un cierge,
Ses chers adieux si redoutés,
Elle me le tendit d’un air mélancolique
En soupirant : « Voici la suprême relique
De nos défuntes voluptés.
« Je te la donne, ami, ma chemise brodée :
Car, la première fois que tu m’as possédée,
Je la portais, t’en souviens-tu ?
Elle seule a connu les brûlantes ivresses
Que ta voix musicale et pleine de caresses
Faisait courir dans ma vertu.
« Elle seule entendit les aveux réciproques
Que, jour et nuit, mes seins, dans leurs gentils colloques,
Échangeaient tout bas en tremblant ;
Elle seule a pu voir comme une vierge flambe
Quand le genou d’un homme ose effleurer sa jambe
Qui tressaille dans son bas blanc.
« Dès l’heure où sur mon cou frémit ta lèvre ardente,
Tout mon corps anxieux a pris pour confidente
Cette chemise en tulle fin ;
Et ses sensations aussi neuves qu’impures,
Voluptueusement, dans le flot des guipures,
Ont dit qu’il se donnait enfin.
« Conserve-la toujours ! Qu’elle soit pour ton âme
La chair mystérieuse et vague de la femme
Qui te voue un culte éternel ;
Qu’elle soit l’oreiller de tes regrets moroses ;
Quand tu la baiseras, songe aux nudités roses
Qui furent ton festin charnel !
« Que les parfums ambrés de ma peau qui l’imprègnent,
Pour l’odorat subtil de tes rêves, y règnent
Candides et luxurieux !
Qu’elle garde à jamais l’empreinte de mes formes !
J’ai dit à mon amour : « J’exige que tu dormes
« Entre ses plis mystérieux. »
« Les chaleurs, les frissons de ma chair en alarmes,
Quand ma virginité rouge et buvant ses larmes
Te fuyait comme un assassin,
Ce que j’ai ressenti de bonheur et de crainte
Quand tu m’as attirée et que tu m’as étreinte
En collant ta bouche à mon sein :
« Elle t’apprendra tout ! Dans ses muettes odes,
Elle rappellera d’amoureux épisodes
À ton hallucination ;
Et ton rêve, y trouvant mes bien-aimés vestiges,
Bénira, l’aile ouverte au milieu des vertiges,
Sa chère fascination.
« Adieu ! » – J’ai conservé la mignonne chemise
Je l’exhume parfois du coffre où je l’ai mise,
Et je la baise avec ferveur ;
Et mon rêve est si chaud, qu’en elle il fait revivre
Ce corps si capiteux dont je suis encore ivre,
Car il m’en reste la saveur.
Alors, je la revois dans un nimbe de gloire,
La sirène aux pieds blancs comme du jeune ivoire,
Mon ancienne adoration,
Qui, moderne païenne, ingénue et lascive,
Allumait d’un regard dans mon âme pensive
Des fournaises de passion.
Son corps de Grecque, ayant l’ardeur de la Créole,
Tour à tour délirant et plein de langueur molle,
Toujours affamé de plaisir,
Et qui, reptile humain, se tordait dans l’alcôve,
Bouillant d’une hystérie irrésistible et fauve
Pour éterniser mon désir ;
Sa bouche de corail, humide et parfumée,
Ses petits pieds d’enfant, ses deux jambes d’almée,
Sa chevelure aux flots houleux,
Sa gorge aiguë et ferme, et ses robustes hanches,
Ses secrètes beautés purpurines et blanches,
Ses yeux immenses, noirs et bleus ;
Tous ces mille rayons d’une chair si féline
Embrasent ma chair froide et toujours orpheline
Depuis que l’amour m’a quitté ;
Et lui criant : « Ma Berthe ! enlaçons-nous sans trêve ! »
Je la possède encor dans l’extase du rêve
Comme dans la réalité !
poésie de Maurice Rollinat
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Le Masque
Statue allégorique dans le goût de la Renaissance
À Ernest Christophe, statuaire.
Contemplons ce trésor de grâces florentines;
Dans l'ondulation de ce corps musculeux
L'Elégance et la Force abondent, soeurs divines.
Cette femme, morceau vraiment miraculeux,
Divinement robuste, adorablement mince,
Est faite pour trôner sur des lits somptueux
Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince.
— Aussi, vois ce souris fin et voluptueux
Où la Fatuité promène son extase;
Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;
Ce visage mignard, tout encadré de gaze,
Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:
«La Volupté m'appelle et l'Amour me couronne!»
À cet être doué de tant de majesté
Vois quel charme excitant la gentillesse donne!
Approchons, et tournons autour de sa beauté.
Ô blasphème de l'art! ô surprise fatale!
La femme au corps divin, promettant le bonheur,
Par le haut se termine en monstre bicéphale!
— Mais non! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur,
Ce visage éclairé d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispée atrocement,
La véritable tête, et la sincère face
Renversée à l'abri de la face qui ment
Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux
Ton mensonge m'enivre, et mon âme s'abreuve
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!
— Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite,
Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,
Quel mal mystérieux ronge son flanc d'athlète?
— Elle pleure insensé, parce qu'elle a vécu!
Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle déplore
Surtout, ce qui la fait frémir jusqu'aux genoux,
C'est que demain, hélas! il faudra vivre encore!
Demain, après-demain et toujours! — comme nous!
poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du mal
Ajouté par Simona Enache
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La plaine
Cette plaine sans un chemin
Figure au fond de la vallée
La solitude immaculée
Vierge de tout passage humain.
Presque nue, elle a du mystère,
Une étrangeté qui provient
De ses teintes d'aspect ancien
Et de son grand silence austère.
Une brise lourde, parfois,
Y laissant sa longue traînée,
Elle exhale l'odeur fanée
Des vieux vergers et des vieux bois.
L'effilé, le cataleptique
De ses arbrisseaux, les vapeurs
De son marécage en torpeur
Lui donnent comme un air mystique.
Dans le jour si pur qui trépasse,
Entre ses horizons pieux,
Elle est pour le coeur et les yeux
Un sanctuaire de l'espace.
Sous ces rameaux dormants et grêles
On rêve d'évocations,
De saintes apparitions,
De rencontres surnaturelles.
C'est pourquoi, deux légers oiseaux
S'étant à l'improviste envolé des roseaux
Et s'élevant tout droit vers la voûte éthérée,
A mesure que leur point noir
Monte, se perd, s'efface... on s'imagine voir
Deux âmes regagnant leur demeure sacrée.
poésie de Maurice Rollinat
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La Plaine
Cette plaine sans un chemin
Figure au fond de la vallée
La solitude immaculée
Vierge de tout passage humain.
Presque nue, elle a du mystère,
Une étrangeté qui provient
De ses teintes d’aspect ancien
Et de son grand silence austère.
Une brise lourde, parfois,
Y laissant sa longue traînée,
Elle exhale l’odeur fanée
Des vieux vergers et des vieux bois.
L’effilé, le cataleptique
De ses arbrisseaux, les vapeurs
De son marécage en torpeur
Lui donnent comme un air mystique.
Dans le jour si pur qui trépasse,
Entre ses horizons pieux,
Elle est pour le cœur et les yeux
Un sanctuaire de l’espace.
Sous ces rameaux dormants et grêles
On rêve d’évocations,
De saintes apparitions,
De rencontres surnaturelles.
C’est pourquoi, deux légers oiseaux
S’étant à l’improviste envolé des roseaux
Et s’élevant tout droit vers la voûte éthérée,
À mesure que leur point noir
Monte, se perd, s’efface... on s’imagine voir
Deux âmes regagnant leur demeure sacrée.
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La Musique
À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.
Quand tes regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots,
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots.
Elle me verse tous les baumes
Et me souffle tous les parfums ;
Elle évoque tous mes fantômes
Et tous mes souvenirs défunts.
Elle m’apaise quand je souffre,
Elle délecte ma langueur,
Et c’est en elle que j’engouffre
L’inexprimable de mon cœur.
Elle mouille comme la pluie,
Elle brûle comme le feu ;
C’est un rire, une brume enfuie
Qui s’éparpille dans le bleu.
Dans ses fouillis d’accords étranges
Tumultueux et bourdonnants,
J’entends claquer des ailes d’anges
Et des linceuls de revenants ;
Les rythmes ont avec les gammes
De mystérieux unissons ;
Toutes les notes sont des âmes,
Des paroles et des frissons.
Ô Musique, torrent du rêve,
Nectar aimé, philtre béni,
Cours, écume, bondit sans trêve
Et roule-moi dans l’infini.
À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
Commentez! | Vote! | Copie!
Le Grand-Père
La fille au père Pierre, avec ses airs de sainte,
A si bien surveillé son corps fallacieux
Que sa grossesse a pu mentir à tous les yeux ;
Mais son heure a sonné de n’être plus enceinte.
Dans la grand' chambre on dort comme l’eau dans les trous.
Tout à coup, elle geint, crie et se désespère.
On se lève, on apprend la chose. Le grand-père
Continue à ronfler sous son baldaquin roux.
Mais le bruit à la fin l’éveille, et le voilà
Clamant du lit profond d’où sa maigreur s’arrache :
« Pierr’, quoiq’ya ? – Pèr, ya rin ! – Si ! s’passe un’ chos’ qu’on m’cache ;
Et ma p’tit’ fill’ se plaint, j’ l’entends ben ! quoi qu’elle a ? »
— Elle a qu’elle va faire un champi ! — Le bonhomme
Prend son bâton ferré qu’il brandit en disant :
« Dans not’ famill’ yaura l’déshonneur à présent !
La gueus’ ! vous voyez ben tous qu’i’ faut que j’l’assomme ! »
Et, solennel, tragique, il marche d’un pas lourd
Jusqu’à la pâle enfant... mais, pendant qu’il tempête,
Tendre, il lève et rabat le gourdin sur sa tête,
Bien doux, frôleusement, d’un geste plein d’amour.
« R’commenc’ras-tu ? fait-il, ou là, comme un’ vipère,
J’te coupe en deux ! j’t’écras’ la cervell’ sur ton drap ! »
Elle gémit : « Jamais, grand-père ! »
Alors, le jeune frère égrillard qui ricane,
Glapit : « Oh ! q’si fait ben, grand-père, a r’commenc’ra
Puisqu’elle est chaude comme un’ cane !
poésie de Maurice Rollinat
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La Belle Fromagère
Par la rue enfiévrante où mes pas inquiets
Se traînent au soleil comme au gaz, je voyais
Derrière une affreuse vitrine
Où s’étalaient du beurre et des fromages gras,
Une superbe enfant dont j’admirais les bras
Et la plantureuse poitrine.
Le fait est que jamais fille ne m’empoigna
Comme elle, et que jamais mon œil fou ne lorgna
De beauté plus affriolante !
Un nimbe de jeunesse ardente et de santé
Auréolait ce corps frais où la puberté
Était encore somnolente.
Elle allait portant haut dans l’étroit magasin
Son casque de cheveux plus noirs que le fusain
Et, douce trotteuse en galoches,
Furetait d’un air gai dans les coins et recoins,
Tandis que les bondons jaunes comme des coings
Se liquéfiaient sous les cloches.
Armés d’un petit fil de laiton, ses doigts vifs
Détaillaient prestement des beurres maladifs
À des acheteuses blafardes ;
Des beurres, qu’on savait d’un rance capiteux,
Et qui suaient l’horreur dans leurs linges piteux,
Comme un affamé dans ses hardes.
Quand sa lame entamait Gruyère ou Roquefort,
Je la voyais peser sur elle avec effort,
Son petit nez frôlant les croûtes,
Et rien n’était mignon comme ses jolis doigts
Découpant le Marolle infect où, par endroits,
La vermine creusait des routes.
Près de l’humble comptoir où dormaient les gros sous
Les Géromés vautrés comme des hommes saouls
Coulaient sur leur clayon de paille,
Mais si nauséabonds, si pourris, si hideux,
Que les mouches battaient des ailes autour d’eux,
Sans jamais y faire ripaille.
Or, elle respirait à son aise, au milieu
De cette âcre atmosphère où le Roquefort bleu
Suintait près du Chester exsangue ;
Dans cet ignoble amas de caillés purulents,
Ravie, elle enfonçait ses beaux petits doigts blancs,
Qu’elle essuyait d’un coup de langue.
Oh ! sa langue ! bijou vivant et purpurin
Se pavanant avec un frisson vipérin
Tout plein de charme et de hantise !
Miraculeux corail humide et velouté
Dont le bout si pointu trouait de volupté
Ma chair, folle de convoitise !
Donc, cette fromagère exquise, je l’aimais
Je l’aimais au point d’en rêver le viol ! mais,
Je me disais que ces miasmes,
À la longue, devaient imprégner ce beau corps
Et le dégoût, comme un mystérieux recors,
Traquait tous mes enthousiasmes.
Et pourtant, chaque jour, rivés à ses carreaux,
Mes deux yeux la buvaient ! en vain les Livarots
Soufflaient une odeur pestilente,
J’étais là, me grisant de sa vue, et si fou,
Qu’en la voyant les mains dans le fromage mou
Je la trouvais ensorcelante !
À la fin, son aveu fleurit dans ses rougeurs ;
Pour me dire : « je t’aime » avec ses yeux songeurs,
Elle eut tout un petit manège ;
Puis elle me sourit ; ses jupons moins tombants
Découvrirent un jour des souliers à rubans
Et des bas blancs comme la neige.
Elle aussi me voulait de tout son être ! À moi,
Elle osait envoyer des baisers pleins d’émoi,
L’emparadisante ingénue,
Si bien, qu’après avoir longuement babillé,
Par un soir de printemps, je la déshabillai
Et vis sa beauté toute nue !
Sa chevelure alors flotta comme un drapeau,
Et c’est avec des yeux qui me léchaient la peau
Que la belle me fit l’hommage
De sa chair de seize ans, mûre pour le plaisir !
Ô saveur ! elle était flambante de désir
Et ne sentait pas le fromage !
poésie de Maurice Rollinat
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