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Les Larmes

Le crâne des souffrants vulgaires
Est un ciel presque jamais noir,
Un ciel où ne s’envole guères
L’abominable désespoir.

Chaque nuage qui traverse
En courant cet azur qui luit,
Se crève en une douce averse
Apaisante comme la nuit.

Une pluie exquise de larmes
Sans efforts en jaillit à flots,
Éteignant le feu des alarmes
Et noyant les âpres sanglots.

Alors pour ces âmes charnues
Au martyre superficiel,
Les illusions revenues
Se diaprent en arc-en-ciel.

Mais le cerveau du solitaire,
Vieux nourrisson de la terreur,
Est un caveau plein de mystère
Et de vertigineuse horreur.

Du fond de l’opacité grasse
Où pourrit l’espoir enterré,
Une voix hurle : « Pas de grâce !
Non ! pas de grâce au torturé ! »

Près des colères sans courage
Et qui n’ont plus qu’à s’accroupir,
La résignation qui rage
S’y révolte dans un soupir,

Et comme un vautour fantastique,
Avec un œil dur et profond,
La fatalité despotique
Étend ses ailes au plafond !

Crâne plus terrible qu’un antre
De serpents venimeux et froids,
Où pas un rayon de jour n’entre
Pour illuminer tant d’effrois,

Par tes yeux, soupiraux funèbres,
Ne bâillant que sur des malheurs,
Tes lourds nuages de ténèbres
Ne se crèvent jamais en pleurs !

Oh ! quand, rongé d’inquiétudes,
On va geignant par les chemins,
Au plus profond des solitudes,
Ne pouvoir pleurer dans ses mains !

Jalouser ces douleurs de mères
Ayant au moins pour s’épancher
Le torrent des larmes amères
Que la mort seule peut sécher !

Quand on voudrait se fondre en source
Et ruisseler comme du sang,
Hélas ! n’avoir d’autre ressource
Que de grimacer en grinçant !

Oh ! sous le regret qui vous creuse,
Mordre ses poings crispés, avec
La paupière cadavéreuse
Et l’œil implacablement sec !

Ô sensitive enchanteresse,
Saule pleureur délicieux,
Verse à jamais sur ma détresse
La rosée âcre de tes yeux !

Que ta plainte humecte ma vie !
Que ton sanglot mouille le mien !
Pleure ! pleure ! moi je t’envie
En te voyant pleurer si bien !

Car, maintenant, mon noir martyre,
De ses larmes abandonné,
Pour pleurer n’a plus que le rire,
Le rire atroce du damné !

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La Musique

À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.

Quand tes regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots,
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots.

Elle me verse tous les baumes
Et me souffle tous les parfums ;
Elle évoque tous mes fantômes
Et tous mes souvenirs défunts.

Elle m’apaise quand je souffre,
Elle délecte ma langueur,
Et c’est en elle que j’engouffre
L’inexprimable de mon cœur.

Elle mouille comme la pluie,
Elle brûle comme le feu ;
C’est un rire, une brume enfuie
Qui s’éparpille dans le bleu.

Dans ses fouillis d’accords étranges
Tumultueux et bourdonnants,
J’entends claquer des ailes d’anges
Et des linceuls de revenants ;

Les rythmes ont avec les gammes
De mystérieux unissons ;
Toutes les notes sont des âmes,
Des paroles et des frissons.

Ô Musique, torrent du rêve,
Nectar aimé, philtre béni,
Cours, écume, bondit sans trêve
Et roule-moi dans l’infini.

À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.

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La Pluie

Lorsque la pluie, ainsi qu’un immense écheveau
Brouillant à l’infini ses longs fils d’eau glacée,
Tombe d’un ciel funèbre et noir comme un caveau
Sur Paris, la Babel hurlante et convulsée,

J’abandonne mon gîte, et sur les ponts de fer,
Sur le macadam, sur les pavés, sur l’asphalte,
Laissant mouiller mon crâne où crépite un enfer,
Je marche à pas fiévreux sans jamais faire halte.

La pluie infiltre en moi des rêves obsédants
Qui me font patauger lentement dans les boues,
Et je m’en vais, rôdeur morne, la pipe aux dents,
Sans cesse éclaboussé par des milliers de roues.

Cette pluie est pour moi le spleen de l’inconnu :
Voilà pourquoi j’ai soif de ces larmes fluettes
Qui sur Paris, le monstre au sanglot continu,
Tombent obliquement lugubres, et muettes.

L’éternel coudoiement des piétons effarés
Ne me révolte plus, tant mes pensers fermentent :
À peine si j’entends les amis rencontrés
Bourdonner d’un air vrai leurs paroles qui mentent.

Mes yeux sont si perdus, si morts et si glacés,
Que dans le va-et-vient des ombres libertines,
Je ne regarde pas sous les jupons troussés
Le gai sautillement des fringantes bottines.

En ruminant tout haut des poèmes de fiel,
J’affronte sans les voir la flaque et la gouttière ;
Et mêlant ma tristesse à la douleur du ciel,
Je marche dans Paris comme en un cimetière.

Et parmi la cohue impure des démons,
Dans le grand labyrinthe, au hasard et sans guide,
Je m’enfonce, et j’aspire alors à pleins poumons
L’affreuse humidité de ce brouillard liquide.

Je suis tout à la pluie ! À son charme assassin,
Les vers dans mon cerveau ruissellent comme une onde :
Car pour moi, le sondeur du triste et du malsain,
C’est de la poésie atroce qui m’inonde.

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La pluie

Lorsque la pluie, ainsi qu'un immense écheveau
Brouillant à l'infini ses longs fils d'eau glacée,
Tombe d'un ciel funèbre et noir comme un caveau
Sur Paris, la Babel hurlante et convulsée,

J'abandonne mon gîte, et sur les ponts de fer,
Sur le macadam, sur les pavés, sur l'asphalte,
Laissant mouiller mon crâne où crépite un enfer,
Je marche à pas fiévreux sans jamais faire halte.

La pluie infiltre en moi des rêves obsédants
Qui me font patauger lentement dans les boues,
Et je m'en vais, rôdeur morne, la pipe aux dents,
Sans cesse éclaboussé par des milliers de roues.

Cette pluie est pour moi le spleen de l'inconnu :
Voilà pourquoi j'ai soif de ces larmes fluettes
Qui sur Paris, le monstre au sanglot continu,
Tombent obliquement lugubres, et muettes.

L'éternel coudoîment des piétons effarés
Ne me révolte plus, tant mes pensers fermentent :
À peine si j'entends les amis rencontrés
Bourdonner d'un air vrai leurs paroles qui mentent.

Mes yeux sont si perdus, si morts et si glacés,
Que dans le va-et-vient des ombres libertines,
Je ne regarde pas sous les jupons troussés
Le gai sautillement des fringantes bottines.

En ruminant tout haut des poèmes de fiel,
J'affronte sans les voir la flaque et la gouttière ;
Et mêlant ma tristesse à la douleur du ciel,
Je marche dans Paris comme en un cimetière.

Et parmi la cohue impure des démons,
Dans le grand labyrinthe, au hasard et sans guide,
Je m'enfonce, et j'aspire alors à pleins poumons
L'affreuse humidité de ce brouillard liquide.

Je suis tout à la pluie ! À son charme assassin,
Les vers dans mon cerveau ruissellent comme une onde :
Car pour moi, le sondeur du triste et du malsain,
C'est de la poésie atroce qui m'inonde.

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Les Plaintes

Venus des quatre coins de l’horizon farouche,
De la cime des pics et du fond des remous,
Les aquilons rageurs sont d’invisibles fous
Qui fouettent sans lanière et qui hurlent sans bouche.

Les ruisseaux n’ont jamais que des bruits susurreurs
Dans leur tout petit lit qui serpente et qui vague,
Et l’on n’entend sortir qu’un murmure très vague
Des étangs recueillis sous les saules pleureurs.

Mais la mer qui gémit comme une âme qui souffre,
Tord sous les cieux muets ses éternels sanglots
Où viennent se mêler dans l’écume des flots
Les suffocations des noyés qu’elle engouffre.

Quand s’exhalent, après que l’orage a cessé,
Les souffles de la nuit plus légers que des bulles,
La plainte en la mineur des crapauds noctambules
Fait gémir le sillon, l’ornière et le fossé.

Jérémie aux cent bras sur qui le vent halète,
L’arbre a tous les sanglots dans ses bruissements,
Et l’écho des forêts redit les grincements
Du loup, trotteur affreux que la faim rend squelette.

Quand je passe, le soir, dans un val écarté,
Je frissonne au cri rauque et strident de l’orfraie,
Car, pour moi, cette plainte errante qui m’effraie,
C’est le gémissement de la fatalité.

Sous l’archet sensitif où passent nos alarmes
L’âme des violons sanglote, et sous nos doigts,
La harpe, avec un bruit de source dans les bois,
Égrène, à sons mouillés, la musique des larmes.

Le soupir clandestin des vierges de beauté
Semble remercier l’amour qui les effleure,
Mais la plainte amoureuse est un regret qui pleure
Le plaisir déjà mort avant d’avoir été.

En vain l’on se défend, en vain l’on fait mystère
Des maux que la clarté du jour semble assoupir,
Tout l’homme intérieur, dans un affreux soupir,
Raconte son angoisse à la nuit solitaire.

Et le tas vagabond des parias craintifs,
Noirs pèlerins geigneurs, sans gourde, ni sandales,
Partout, sur les planchers, les cailloux et les dalles,
Passent comme un troupeau de fantômes plaintifs.

Dans la forêt des croix, tombes vieilles et neuves,
Combien vous entendez de femmes à genoux
Gémir avec des sons plus tristes et plus doux
Que les roucoulements des tourterelles veuves !

Tandis que, dans un cri forcené qui le tord,
L’enfant paraît déjà se plaindre de la vie,
L’aïeul qui le regarde avec un œil d’envie
Grommelle d’épouvante en songeant à la mort.

L’agonisant croasse un lamento qui navre ;
Et quand les morts sont clos dans leur coffre obsédant,
Le hoquet gargouilleur qu’ils ont en se vidant
Filtre comme la plainte infecte du cadavre.

— Elles ont des échos vibrant comme des glas
Et s’enfonçant avec une horrible vitesse
Dans mon funèbre cœur plein d’ombre et de tristesse
Où se sont installés les hiboux des Hélas ;

Oui ! dans le grondement formidable des nues
Mon âme entend parfois l’Infini sangloter,
Mon âme ! où vont s’unir et se répercuter
Tous les frissons épars des douleurs inconnues !

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Iulia Hașdeu

Ne me défends pas de pleurer...

Ne me défends pas de pleurer
Şi j’ai le don des larmes
Pleurer, déjà c’est espérer
C’est avoir moins de larmes!

Ne sais-tu donc pas que les pleurs
Şont à l’âme brisée
Ce qu’est à de mourantes fleurs
Une fraâche rosée?

C’est un dernier soulagement
Du cœur qui désespère
C’est son épanouissement
Quand la douleur le serre

Pleurer, déjà c’est espérer
C’est avoir moins de larmes!
Ami, laisse moi donc pleurer
Şi j’ai le don des larmes!

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À quoi pense la nuit?

À quoi pense la Nuit, quand l’âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu’avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?...

À quoi pense la Nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des frissons d’émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphyr qui rôde,
Traversent l’ombre vague où la tiédeur descend ?...

Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu’elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.

Et — ses grands yeux ouverts aux étoiles — la Nuit
Enivre de secret ses extases moroses,
Aspire avec longueur le magique des choses.

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Le Saule

Tout à l’heure, sous les éclats
Et les souffles de la tempête,
Le saule brandillait sa tête,
Et l’étang cognait ses bords plats.

Avec de mortelles alarmes,
Par ce vent, ces rumeurs, ces feux,
L’arbre tordait ses longs cheveux
Sur l’eau qui balayait ses larmes.

Calme, à présent, l’étang reluit,
Le ciel illumine la nuit,
Et, sans qu’une brise l’effleure,

Le Narcisse des végétaux
Admire encore dans les eaux
Sa figure verte qui pleure.

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Le Rire

Rire nerveux et sardonique
Qui fais grimacer la douleur,
Et dont le timbre satanique
Est la musique du malheur ;

Rire du paria farouche,
Quand, d’un geste rapide et fou,
Il met le poison dans sa bouche
Ou s’attache la corde au cou ;

Rire plus amer qu’une plainte,
Plus douloureux qu’un mal aigu,
Plus sinistre qu’une complainte,
Rire atroce aux pleurs contigu ;

Sarcasme intime, inexorable,
Remontant comme un haut-le-cœur
Aux lèvres de la misérable
Qui se vend au passant moqueur :

Puisque, dans toutes mes souffrances,
Ton ironie âpre me mord,
Et qu’à toutes mes espérances
Ton explosion grince : « À mort ! »

Je t’offre cette Fantaisie
Où j’ai savouré sans terreur
L’abominable poésie
De ta prodigieuse horreur.

Je veux que sur ces vers tu plaques
Tes longs éclats drus et stridents,
Et qu’en eux tu vibres, tu claques,
Comme la flamme aux jets ardents !

J’ai ri du rire de Bicêtre,
À la mort d’un père adoré ;
J’ai ri, lorsque dans tout mon être
S’enfonçait le Dies iræ ;

La nuit où ma maîtresse est morte,
J’ai ri, sournois et dangereux !
— « Je ne veux pas qu’on me l’emporte ! »
Hurlais-je avec un rire affreux.

J’ai ri, — quel suprême scandale !
Le matin où j’ai reconnu,
À la Morgue, sur une dalle,
Mon meilleur ami, vert et nu !

Je ris dans les amours funèbres
Où l’on se vide et se réduit ;
Je ris lorsqu’au fond des ténèbres,
La Peur m’appelle et me poursuit.

Je ris du mal qui me dévore ;
Je ris sur terre et sur les flots ;
Je ris toujours, je ris encore
Avec le cœur plein de sanglots !

Et quand la Mort douce et bénie
Me criera : « Poète ! à nous deux ! »
Le râle de mon agonie
Ne sera qu’un rire hideux !

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La Cornemuse

Sa cornemuse dans les bois
Geignait comme le vent qui brame
Et jamais le cerf aux abois,
Jamais le saule ni la rame,
N’ont pleuré comme cette voix.

Ces sons de flûte et de hautbois
Semblaient râlés par une femme.
Oh ! près du carrefour des croix,
Sa cornemuse !

Il est mort. Mais, sous les cieux froids,
Aussitôt que la nuit se trame,
Toujours, tout au fond de mon âme,
Là, dans le coin des vieux effrois,
J’entends gémir, comme autrefois,
Sa cornemuse.

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La Chambre

Ma chambre est pareille à mon âme,
Comme la mort l’est au sommeil :
Au fond de l’âtre, pas de flamme !
À la vitre, pas de soleil !

Les murailles sont recouvertes
D’un lamentable papier gris
Où l’ombre des persiennes vertes
Met des taches de vert-de-gris.

Au-dessus de mon chevet sombre
Pend un Christ à l’air ingénu,
Qui semble s’enfoncer dans l’ombre
Pour ne pas se montrer si nu.

Compagnon de ma destinée,
Un crâne brisé, lisse et roux,
Du haut de l’humble cheminée
Me regarde avec ses deux trous.

Des rideaux lourds et très antiques
Se crispent sur le lit profond ;
De longs insectes fantastiques
Dansent et rampent au plafond.

Quand l’heure sonne à ma pendule,
Elle fait un bruit alarmant ;
Chaque vibration ondule
Et se prolonge étrangement.

L’ange de mes amours funèbres,
Porte toujours un domino,
Et chaque nuit, dans les ténèbres,
Va sangloter au piano.

Meubles, tableaux, fleurs, livres même,
Tout sent l’enfer et le poison,
Et, comme un drap, l’horreur qui m’aime
Enveloppe cette prison.

Triste chambre où l’ennui qui raille
Veille à mes côtés nuit et jour,
J’écris ces vers sur ta muraille,
Et je bénis ton noir séjour ;

Car le torrent aime le gouffre,
Et le hibou, l’obscurité ;
Car tu plais à mon cœur qui souffre
Par ton affreuse identité !

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Le Petit Chien

Caniche étrange, beau Marquis,
Tes poils frisent comme la mousse,
Un œil noir aux regards exquis
Luit dans ta petite frimousse.

Tout fier de ta toison de lin,
Toujours vif et jamais morose,
Tu vas, tapageur et câlin,
Offrant ton museau noir et rose

Ta prunelle parle et sourit
Aussi fine que peu traîtresse.
Oh ! comme elle est pleine d’esprit
Quand tu regardes ta maîtresse !

Ta joie et ton plus cher désir
C’est, devant un bon feu qui flambe,
De sentir sa main te saisir
Quand tu lui grimpes sur la jambe.

Tu te carres svelte et brillant,
Et tu fais frétiller ta queue
Quand elle te noue en riant
Ta petite cravate bleue.

Si tu la vois lire, broder,
Ou bien faire la couturière,
Tu restes sage sans bouder,
L’œil mi-clos et sur ton derrière.

Dans les chambres et dans la cour
Tu la suis, compagnon fidèle,
Et trottinant quand elle court,
Tu ne t’écartes jamais d’elle.

Quand elle veut quitter son toit,
Tu la guettes avec alarmes,
Et lorsqu’elle s’en va sans toi,
Tu gémis, les yeux pleins de larmes.

Mais si tu n’as plus de gaieté
Loin de celle dont tu raffoles,
Comme son retour est fêté
Par tes milles gambades folles !

Sur la table, à tous les repas,
Devant ton maître peu sévère,
Tu fais ta ronde, à petit pas,
Frôlant tout, sans casser un verre.

L’amour ne te fait pas maigrir
Près d’une chienne langoureuse ;
N’ayant aucun mal pour t’aigrir,
Tu trouve l’existence heureuse.

Ton air mignon et goguenard
T’obtient tout ce qui t’affriande,
Et tu croques un gros canard
Après avoir mangé ta viande.

Rien que la patte d’un poulet
T’amuse pendant des semaines,
Et content d’un joujou si laid,
Dans tous les coins tu le promènes.

Bruyant, lorsqu’on te le permet,
Calme, lorsqu’on te le commande.
Ta turbulence se soumet
Sans qu’on use de réprimande.

Aussi ton maître te sourit
Avec sa gravité si bonne ;
Sa douce femme te chérit.
Et tu fais l’amour de la bonne.

Pour moi, que tu reçois toujours
Avec des yeux si sympathiques,
Je te souhaite de long jours
Et de beaux rêves extatiques.

Cher petit chien pur et charmant,
De l’amitié vivant emblème,
En moi tu flairas un tourment
Dès que tu vis ma face blême.

Tes aboiements qui sont des voix
M’ont crié : « Courage ! Espérance ! »
Et tes caresses m’ont dit : « Vois !
Je m’associe à ta souffrance ! »

Accepte donc ces pauvres vers
Que t’offre un poète malade,
Et parfois, sur tes coussins verts,
Songe à lui comme à ton Pylade.

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La Pensée

C’est l’ennemi sournois, mais sûr,
Sphinx intime, cancer obscur,
De ce tas de cendres futur
Appelé l’homme.
Elle fausse tous ses ressorts,
Épuise tous ses réconforts
Et chicane tous ses efforts
Qu’elle consomme.

Sans doute, elle évoque à ses yeux
Maint rêve descendu des cieux
Avec le vol délicieux
De la colombe,
Mais elle nourrit son remord
Et le réveille quand il dort
Par des chuchotements de mort
Et d’outre-tombe.

Hélas ! chacun est l’écheveau
Qu’embrouille au fond de son caveau
Ce vieux spectre toujours nouveau ;
Mauvaise mère
Dont les petits qu’elle a couvés,
Par elle-même dépravés
Deviennent les enfants-trouvés
De la Chimère.

En nous elle plombe et tarit
L’illusion verte qui rit ;
Elle étend sur l’âme et l’esprit
Sa glu chancreuse ;
Puis, sur eux, tirant ses verrous,
Les écrase entre ses écrous,
Et, féroce, y creuse des trous
Qu’elle recreuse.

Sans cesse elle revient au deuil
Comme un flot revient à l’écueil ;
Elle grossit en un clin d’œil
Ce qui nous froisse ;
Tout le jour elle nous a nui,
Et l’implacable dans la nuit
Nous tricote encor de l’ennui
Et de l’angoisse.

Elle glace nos jeux, nos arts
Qui lazzaronaient en lézards,
Nous prédit les mauvais hasards
Des occurrences ;
Et dans la nocturne vapeur
Elle nous invente la Peur
Avec l’éveil ou la stupeur
Des apparences.

Ce comptable sec et retors
Additionne tous nos torts
Et fige dans ses coffres-forts
Toutes nos larmes ;
C’est le maniaque secret
Qui jamais las, jamais distrait,
Tourne la meule du regret
Et des alarmes.

Nous croyons noyer dans le vin
Ce monstre infernal ou divin
Pour qui notre moelle est en vain
Redépensée ;
Le Ciel serait si consolant,
Le corps si pur, l’amour si blanc
Et le cercueil si peu troublant
Sans la pensée !

Mais buvons sans trêve ! Agissons !
Lutte inutile ! nous pensons :
Notre chair a tous les frissons
De la contrainte,
Et malgré notre acharnement
Pour exister physiquement,
Nous retombons dans le tourment
De cette étreinte.

Que l’on veuille croire ou douter,
Elle arrive à nous dérouter,
Et, si parfois, pour nous tenter,
Elle aventure
Un Parce que contre un Pourquoi,
Bien vite elle oppose à la Foi
Le scepticisme qui rit froid
Et qui rature.

Sous le chagrin qu’elle épaissit,
L’enthousiasme se rancit ;
Elle supprime ou raccourcit
La confidence,
Et dans le danger, qu’elle accroît,
Nous fait du courage un adroit
Qui suppute, esquive et ne croit
Qu’à la prudence.

La Justice et la Vérité
Qui nous mènent à la clarté,
Elle les jette de côté,
Et l’on s’embarque
Pour le noir et pour l’incertain
Devant ce douanier hautain
Qui ne laisse passer l’instinct
Qu’avec sa marque.

Elle a le conseil si tortu,
Si captieux et si pointu
Qu’elle suggère à la Vertu
Le goût du crime ;
Et pas un homme n’est vainqueur
De ce terrible épilogueur,
Espèce de crapaud du cœur
Qui nous opprime.

Elle use par l’obsession,
Par la mystification,
Par le fiel et la succion
De sa censure
Le labeur qu’elle a suscité,
Et fournit à l’oisiveté
La vénéneuse activité
De la luxure.

Et quand par elle on est à bout,
Si terminé, si mort à tout,
Qu’on n’a pas même le dégoût
De la souffrance,
Un drap noir croule sur nos jours,
Un drap lourd entre les plus lourds,
Sans croix ni larmes de velours :
L’Indifférence !

Puis elle atteint son but fatal ;
Après un voyage final,
Elle nous prend au fond du Mal
Et nous oublie
Par delà l’horrible cloison
Qui limite notre horizon :
Et c’est la mort de la Raison
Dans la Folie.

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Si onques de pitié ton âme fut atteinte

Si onques de pitié ton âme fut atteinte,
Voyant indignement ton ami tourmenté,
Et si onques tes yeux ont expérimenté
Les poignants aiguillons d'une douleur non feinte,

Vois la mienne en ces vers sans artifice peinte,
Comme sans artifice est ma simplicité :
Et si pour moi tu n'es à pleurer incité,
Ne te ris pour le moins des soupirs de ma plainte.

Ainsi, mon cher Vineus, jamais ne puisses-tu
Eprouver les regrets qu'éprouve une vertu
Qui se voit défrauder du loyer de sa peine :

Ainsi l'oeil de ton roi favorable te soit,
Et ce qui des plus fins l'espérance déçoit,
N'abuse ta bonté d'une promesse vaine.

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Charles Baudelaire

À Celle qui est trop gaie

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime!

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein,

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur!
À travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur!

poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du malSignalez un problèmeDes citations similaires
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Les Mouettes

En tas, poussant de longs cris aboyeurs
Aussi plaintifs que des cris de chouettes,
Autour des ports, sur les gouffres noyeurs,
Dans l’air salé s’ébattent les mouettes,
Promptes au vol comme des alouettes.
D’un duvet mauve et marqueté de roux,
Sur l’eau baveuse où le vent fait des trous,
On peut les voir se tailler des besognes
Et se risquer sous le ciel en courroux,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Flairant les flots, sinistres charroyeurs,
Et les écueils noirs dont les silhouettes
Font aux marins de si grandes frayeurs,
Elles s’en vont avec des pirouettes
De-ci, de-là, comme des girouettes.
Dans les vapeurs vitreuses des temps mous
Où notre œil suit les effacements doux
Des mâts penchant avec des airs d’ivrognes,
Ces grands oiseaux rôdent sur les remous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Et quand les flots devenus chatoyeurs
Dorment bercés par les brises fluettes,
On les revoit, avides côtoyeurs,
Éparpillant leurs troupes inquiètes
Aux environs des falaises muettes.
En vain tout rit, le brouillard s’est dissous ;
Ces carnassiers qui ne sont jamais soûls
Ouvrent encor leurs ailes de cigognes
Sur les galets polis comme des sous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.


ENVOI

Vautour blafard, fouilleur des casse-cous,
Toi dont le bec donne de si grands coups
Dans les lambeaux pourris où tu te cognes,
Viens là ! Tes sœurs t’y donnent rendez-vous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

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La Confidence

Tu me disais hier avec un doux sourire :
« Oh ! oui ! puisqu’il est vrai que mon amour t’inspire,
« Je m’en vais t’aimer plus encor !
« Que pour toujours alors, poète qui m’embrases,
« La fleur de l’idéal embaume tes extases
« Dans un brouillard de nacre et d’or ! »

— Et moi, je savourais tes paroles sublimes,
Mon âme s’envolait dans les airs, sur les cimes,
Et l’énigme se dévoilait.
L’étang pour ma pensée étoilait ses eaux mornes,
Et fraternellement la stupeur des viornes
Avec la mienne se mêlait.

Alors, je comprenais le mystère des choses.
Ce verbe de parfums que chuchotent les roses
Vibrait tendre dans mes douleurs ;
Ce qui pleure ou qui rit, ce qui hurle ou qui chante,
Tout me parlait alors d’une voix si touchante
Que mes yeux se mouillaient de pleurs.

Le bœuf languissamment étendu près d’un saule
Et clignant ses grands yeux en se léchant l’épaule
Qu’ont fait saigner les aiguillons ;
Les veaux effarouchés, trottant par les pelouses
Où viennent folâtrer, sur l’or bruni des bouses,
Libellules et papillons ;

Le poulain qui hennit avec des bonds superbes
Auprès de la jument paissant les hautes herbes,
Les grillons dans le blé jauni ;
Le soleil s’allumant rouge dans les bruines
Et baignant de clartés sanglantes les ruines
Où la chouette fait son nid ;

L’ânon poilu tétant sa nourrice qui broute,
La pie aux yeux malins sautillant sur la route,
L’aspic vif et les crapauds lourds,
Le chien, la queue au vent, et l’œil plein de tendresse,
Approchant son museau de mes doigts qu’il caresse
Avec sa langue de velours ;

Les ruisseaux hasardeux, les côtes, les descentes,
Le brin d’herbe du roc, et la flaque des sentes,
L’arbre qui dit je ne sais quoi ;
La coccinelle errant dans la fraîcheur des mousses :
Parfum, souffle, musique, apparitions douces,
La nature vivait en moi.

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Nostalgie de soleil

Quel poète évoquera le rose des bruyères,
Le lézard des vieux murs, la mouche des étangs,
Et le petit rayon qui vient, tout le beau temps,
Rire au carreau crasseux de la vieille chaumière ?

Les végétaux chambrés, le fleuri, la verdure
De ces jardins vitrés plus chauds que des maisons
Et tout le trompe-l’œil des tapis, des tentures
Voulant singer les rocs, les arbres, les gazons,
Accusent mieux, l’hiver, leur piteuse imposture
Alors que l'on regrette avec tant de douleur
Le soleil qui faisait éclater la couleur,
Flamber le verdoîment dans toute la nature !

Hélas ! bien avant l’heure où l’astre roi, l'été,
De sa pourpre de sang rend les plaines rougies,
Dès l’automne déjà s’impose la clarté
Des mélancoliques bougies.


Tout seul, à leur lueur si blême,
On a l’air de veiller un mort.
Sans compter que, parfois encor,
On dirait presque — horreur suprême !
Que ce défunt-là c’est soi-même.

Chaque retour d’hiver cause un frisson nouveau
Avec ce jour de crépuscule,
Ce sol humide de caveau
Où nul insecte ne circule
Et qui paraît sous l’ombre abaisser son niveau.
Au dur tic tac de la pendule
Le corps moisit, se caille ainsi que le cerveau.
Nos jours plus obscurcis devant le bois qui brûle
Dévident l’incertain de leur maigre écheveau.

Mais que le froid sèche ou s’endorme,
Et que le ciel s’allume, alors ! tout se transforme
En notre âme, ce sphinx inquiet, noir problème,
Louche énigme pour elle-même
Dans sa prison d’humanité !
Pour cette renfermée, au ténébreux martyre,
Le Soleil, c’est le bon sourire,
C’est l’œil compatissant de la Fatalité !

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Marches funèbres

Toi, dont les longs doigts blancs de statue amoureuse,
Agiles sous le poids des somptueux anneaux,
Tirent la voix qui berce et le sanglot qui creuse
Des entrailles d’acier de tes grands pianos,

Toi, le cœur inspiré qui veut que l’Harmonie
Soit une mer où vogue un chant mélodieux,
Toi qui, dans la musique, à force de génie,
Fais chanter les retours et gémir les adieux,

Joue encore une fois ces deux marches funèbres
Que laissent Beethoven et Chopin, ces grands morts,
Pour les agonisants, pèlerins des ténèbres,
Qui s’en vont au cercueil, graves et sans remords.

Plaque nerveusement sur les touches d’ivoire
Ces effrayants accords, glas de l’humanité,
Où la vie en mourant exhale un chant de gloire
Vers l’azur idéal de l’immortalité.

Et tu seras bénie, et ce soir dans ta chambre
Où tant de frais parfums vocalisent en chœur,
Poète agenouillé sous tes prunelles d’ambre,
Je baiserai tes doigts qui font pleurer mon cœur !

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La Torture

Mon crâne est un fourneau d’où la flamme déborde :
Martyre opiniâtre et lent comme un remords !
Et je sens dans mes os l’épouvantable horde
Des névroses de feu qui galopent sans mors.

Comme un vaisseau brisé, sans espoir qu’il aborde,
Mon cœur va s’enfonçant dans le gouffre des morts,
Loin du passé qui raille et que le regret borde ;
Et je grince en serrant mes deux poings que je mords !

Je prends un pistolet. Horreur ! ma main le lâche,
Et la peur du néant rend mon âme si lâche,
Que pour me sentir vivre, ― oh ! l’immortalité !

Je me livre en pâture aux ventouses des filles !
Mais, raffinant alors sa tortuosité,
La Fièvre tourne en moi ses plus creusantes vrilles.

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Les Robes

Ô ma pauvre sagesse, en vain tu te dérobes
Au fluide rôdeur, âcre et mystérieux
Que, pour magnétiser le passant curieux,
L’Inconnu féminin promène sous les robes !

Les robes ! où circule et s’est insinuée
La vie épidermique avec tous ses frissons,
Et qui, sur les trottoirs comme entre les buissons,
Passent avec des airs de barque et de nuée !

Elles ont tout : corsage où pleurent les longs voiles,
Jupe où jasent des nids de volants emperlés,
Rubans papillonneurs et boutons ciselés
Qui luisent comme autant de petites étoiles.

Si l'une me dénonce une luxure infâme,
Une autre me révèle un corps qui se défend ;
Et pour mon œil subtil une robe d’enfant
Trahit des ailes d’ange et des rondeurs de femme.

La robe atténuant la pointe ou la courbure
Hallucine déjà mes prunelles de lynx,
Mais je me sens troublé comme en face du Sphinx
Devant le bloc pieux de la robe de bure.

J’aime à les rencontrer partout, vieilles et neuves,
Au bas d’un escalier, au fond d’un corridor ;
J’aime ces longs habits que féminise encor
L’exquise austérité des vierges et des veuves.

Avec cette adhérence intime de l’écorce
Qui calque le contour et le linéament,
Le corsage échancré plaque hermétiquement,
Délicieux maillot d’un admirable torse.

La longue robe errant dans la lumière bleue,
Froide et collante avec sa traîne de velours,
Sur les tapis muets, étouffeurs des pas lourds,
A l'air d’un grand serpent tout debout sur sa queue.

Et par un crépuscule où le vent noir sanglote,
Plus d’une, tout au fond du lointain frissonnant,
Semble raser la terre ainsi qu’un revenant
Tragiquement drapé dans son linceul qui flotte.

J’ai souvent le désir fantastique et morose,
Dans ces bals où le vice allume son coup d’œil,
De voir entrer soudain une robe de deuil,
Comme un brouillard d’ébène au milieu d’un ciel rose.

Mais je contemplerais, à genoux et mains jointes,
Ces corselets d’amour exactement remplis
Où, derrière la gaze aux lumineux replis,
La gorge tentatrice embusque ses deux pointes !

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