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Le départ

Traînant leurs pas après leurs pas
Le front pesant et le coeur las,
S'en vont, le soir, par la grand'route,
Les gens d'ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.

Les gens d'ici n'ont rien de rien,
Rien devant eux
Que l'infini de la grand'route.

Chacun porte au bout d'une gaule,
Dans un mouchoir à carreaux bleus,
Chacun porte dans un mouchoir,
Changeant de main, changeant d'épaule,
Chacun porte
Le linge usé de son espoir.

Les gens s'en vont, les gens d'ici,
Par la grand'route à l'infini.

L'auberge est là, près du bois nu,
L'auberge est là de l'inconnu ;
Sur ses dalles, les rats trimballent
Et les souris.

L'auberge, au coin des bois moisis,
Grelotte, avec ses murs mangés,
Avec son toit comme une teigne,
Avec le bras de son enseigne
Qui tend au vent un os rongé.

Les gens d'ici sont gens de peur :
Ils font des croix sur leur malheur
Et tremblent ;
Les gens d'ici ont dans leur âme
Deux tisons noirs, mais point de flamme,
Deux tisons noirs en croix.

Les gens d'ici sont gens de peur ;
Et leurs autels n'ont plus de cierges
Et leur encens n'a plus d'odeur :
Seules, en des niches désertes,
Quelques roses tombent inertes
Autour d'un Christ en plâtre peint.

Les gens d'ici ont peur de l'ombre sur leurs champs,
De la lune sur leurs étangs,
D'un oiseau mort contre une porte ;
Les gens d'ici ont peur des gens.

Les gens d'ici sont malhabiles
La tête lente et les cerveaux débiles
Quoique tannés d'entêtement ;
Ils sont ladres, ils sont minimes
Et s'ils comptent c'est par centimes,
Péniblement, leur dénuement.

Avec leur chat, avec leur chien,
Avec l'oiseau dans une cage,
Avec, pour vivre, un seul moyen :
Boire son mal, taire sa rage ;
Les pieds usés, le coeur moisi,
Les gens d'ici,
Quittant leur gîte et leur pays,
S'en vont, ce soir, vers l'infini.

Les mères traînent à leurs jupes
Leur trousseau long d'enfants bêlants,
Trinqueballés, trinqueballants ;
Les yeux clignants des vieux s'occupent
A refixer, une dernière fois,
Leur coin de terre morne et grise,
Où mord l'averse, où mord la bise,
Où mord le froid.
Suivent les gars des bordes,
Les bras maigres comme des cordes,
Sans plus d'orgueil, sans même plus
Le moindre élan vers les temps révolus
Et le bonheur des autrefois,
Sans plus la force en leurs dix doigts
De se serrer en poings contre le sort
Et la colère de la mort.

Les gens des champs, les gens d'ici
Ont du malheur à l'infini.

Leurs brouettes et leurs charrettes
Trinqueballent aussi,
Cassant, depuis le jour levé,
Les os pointus du vieux pavé :
Quelques-unes, plus grêles que squelettes,
Entrechoquent des amulettes
A leurs brancards,
D'autres grincent, les ais criards,
Comme les seaux dans les citernes ;
D'autres portent de vieillottes lanternes.

Les chevaux las
Secouent, à chaque pas,
Le vieux lattis de leur carcasse ;
Le conducteur s'agite et se tracasse,
Comme quelqu'un qui serait fou,
Lançant parfois vers n'importe où,
Dans les espaces,
Une pierre lasse
Aux corbeaux noirs du sort qui passe.

Les gens d'ici
Ont du malheur - et sont soumis.

Et les troupeaux rêches et maigres,
Par les chemins râpés et par les sablons aigres,
Egalement sont les chassés,
Aux coups de fouet inépuisés
Des famines qui exterminent :
Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche,
Boeufs qui meuglent vers la mort proche,
Vaches lentes et lourdes
Aux pis vides comme des gourdes.

Ainsi s'en vont bêtes et gens d'ici,
Par le chemin de ronde
Qui fait dans la détresse et dans la nuit,
Immensément, le tour du monde,
Venant, dites, de quels lointains,
Par à travers les vieux destins,
Passant les bourgs et les bruyères,
Avec, pour seul repos, l'herbe des cimetières,
Allant, roulant, faisant des noeuds
De chemins noirs et tortueux,
Hiver, automne, été, printemps,
Toujours lassés, toujours partant
De l'infini pour l'infini.

Tandis qu'au loin, là-bas,
Sous les cieux lourds, fuligineux et gras,
Avec son front comme un Thabor,
Avec ses suçoirs noirs et ses rouges haleines
Hallucinant et attirant les gens des plaines,
C'est la ville que la nuit formidable éclaire,
La ville en plâtre, en stuc, en bois, en fer, en or,
- Tentaculaire.

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Ballade des nuages

Tantôt plats et stagnants comme des étangs morts,
On les voit s'étaler en flocons immobiles
Ou ramper dans l’azur ainsi que des remords ;
Tantôt comme un troupeau fuyard de bêtes viles,
Ils courent sur les bois, les ravins et les villes ;
Et l’arbre extasié tout près de s’assoupir,
Et les toits exhalant leur vaporeux soupir
Qui les rejoint dans une ascension ravie,
Regardent tour à tour voyager et croupir
Les nuages qui sont l’emblème de la vie.

Plafonds chers aux corbeaux diseurs de mauvais sorts,
Ils blessent l’œil de l’homme et des oiseaux serviles,
Mais les aigles hautains prennent de longs essors
Vers eux, les maëlstroms, les écueils et les îles
D’océans suspendus dans les hauteurs tranquilles.
Après que la rafale a cessé de glapir,
Ils reviennent, ayant pour berger le zéphyr
Qui les laisse rôder comme ils en ont envie,
Et l’aube ou le couchant se met à recrépir
Les nuages qui sont l’emblème de la vie.

Avec leurs gris, leurs bleus, leurs vermillons, leurs ors,
Ils figurent des sphinx, des monceaux de fossiles,
Des navires perdus, de magiques décors,
Et de grands moutons noirs et blancs, fiers et dociles,
Qui vaguent en broutant par des chemins faciles ;
Gros des orages sourds qui viennent s’y tapir,
Ils marchent lentement ou bien vont s’accroupir
Sur quelque montagne âpre et qu’on n’a pas gravie ;
Mais tout à coup le vent passe et fait déguerpir
Les nuages qui sont l’emblème de la vie.

poésie de Maurice RollinatSignalez un problèmeDes citations similaires
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Les Papillons

Ils sortent radieux et doux
Des limbes de la chrysalide
Et frôlent dans les chemins roux
Les ronces, les buis et les houx.
Pour voir les vieux murs pleins de trous
Et que la mousse consolide,
Ils sortent radieux et doux
Des limbes de la chrysalide.

Par eux, les buveurs de parfums,
Toutes les fleurs sont respirées ;
Ils vont des coudriers défunts
Aux nénuphars des étangs bruns ;
Et par eux, les chers importuns
Des solitudes éplorées,
Par eux, les buveurs de parfums
Toutes les fleurs sont respirées.

Rouges, gris, noirs, jaunes et blancs,
Lamés d’azur, teintés de rose,
Ils rasent, gais et nonchalants,
La touffe d’herbe aux bouts tremblants ;
Et par les midis accablants
Ils voyagent dans l’air morose,
Rouges, gris, noirs, jaunes et blancs,
Lamés d’azur, teintés de rose.

Ils sont portés par le vent lourd
Ainsi que la feuille par l’onde ;
Au-dessus du ruisseau qui court
Leur vol est somnolent et court.
Seuls, dans le crépitement sourd
De la campagne verte et blonde,
Ils sont portés par le vent lourd
Ainsi que la feuille par l’onde.

Sur les fougères des grands prés
Et les genêts aux gousses noires,
Sur les coquelicots pourprés,
Ils frémissent tous effarés.
Et l’on voit leurs tons diaprés,
Éblouissants comme des moires,
Sur les fougères des grands prés
Et les genêts aux gousses noires.

Les papillons perdent un peu
De la poussière de leurs ailes
Dans le bonjour et dans l’adieu
Qu’ils murmurent au chardon bleu ;
Et, maintes fois, dans plus d’un jeu
Avec leurs sœurs, les demoiselles,
Les papillons perdent un peu
De la poussière de leurs ailes.

Sur la côte où le lézard vert
Glisse avec un frisson d’étoile,
Ils s’arrêtent sous le ciel clair
Au milieu d’un calice ouvert :
Leurs ailes bien jointes ont l’air
D’une toute petite voile,
Sur la côte où le lézard vert
Glisse avec un frisson d’étoile.

La pâquerette ou le bluet
Les prend pour des fleurs envolées
Et l’oiseau, d’un œil inquiet,
Les suit sur son rameau fluet.
Jolis rôdeurs au vol muet,
Quand ils passent dans les vallées,
La pâquerette ou le bluet
Les prend pour des fleurs envolées.

Le Paon-de-jour sur le zéphyr
Sème des pierres précieuses ;
Jais, corail, topaze et saphir ;
Sur la rose il vient s’assoupir ;
Sa vue arrête le soupir
Et rend les prunelles joyeuses :
Le Paon-de-jour sur le zéphyr
Sème des pierres précieuses.

Soudain le Sphinx-tête-de-Mort
Passe et dit : « Tu seras cadavre. »
On a dompté l’ennui qui mord,
On est à l’abri du remord.
Et libre, nonchalant et fort,
On s’en va sans rien qui nous navre.
Soudain le Sphinx-tête-de-Mort
Passe et dit : « Tu seras cadavre.

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Les Morts-vivants

Heureux qui vit sans se connaître
Indéfiniment établi
Dans la paix de son propre oubli,
À la surface de son être !

Car les clairvoyants du destin
Vivent la mort lente et soufferte,
Sentant partout la tombe ouverte
Au bord de leur pas incertain.

Ils ont usé la patience
Comme ils ont épuisé l’orgueil ;
Toute leur âme est un cercueil
Où se débat la conscience.

Leur existence n’est, au fond,
Qu’une spectrale survivance
Où se confesse par avance
L’inanité de ce qu’ils font.

Le doute dans sa foi d’artiste,
De penseur et de citoyen,
Hélas ! ils n’ont plus le moyen
D’échapper à ce mal si triste !

Épaves de l’humanité,
Cœurs vides, naufragés suprêmes,
Ils traînent le dégoût d’eux-mêmes
À travers la fatalité.

Hors des mirages, des mensonges,
Des espérances, des projets,
Ils sentent qu’ils sont des objets
Fantomatisés par des songes.

D’où leur viendrait-il un secours,
Puisque leur volonté s’achève
En constatant la fin du rêve
À chaque degré de son cours ?

Comme un fruit doué de pensée
Qui guetterait obstinément
Le graduel enfoncement
De la vermineuse percée,

Chacun d’eux, exact à nourrir
Sa funéraire inquiétude,
Espionne sa décrépitude,
Se regarde et s’entend mourir.

L’idée horrible qui les hante
Poursuit leur fièvre et leur torpeur !
Ils se reposent dans la peur,
Ils agissent dans l’épouvante.

De tous les néants du passé
Leur avenir grouille et s’encombre,
Et leur Aujourd’hui n’est que l’ombre
De leur lendemain trépassé.

Si bien que la Mort qui les frôle
Assiste même à leur présent
Et que son œil stérilisant
Y lit par-dessus leur épaule.

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Les Gardeuses de boucs

Près d’un champ de folles avoines
Où, plus rouges que des pivoines,
Ondulent au zéphyr de grands coquelicots,
Elles gardent leurs boucs barbus comme des moines,
Et noirs comme des moricauds.

L’une tricote et l’autre file.
Là-bas, le rocher se profile
Noirâtre et gigantesque entre les vieux donjons,
Et la mare vitreuse où nage l’hydrophile
Reluit dans un cadre de joncs.

Plus loin dort, sous le ciel d’automne,
Un paysage monotone :
Damier sempiternel aux cases de vert cru,
Que parfois un long train fuligineux qui tonne
Traverse, aussitôt disparu.

Les boucs ne songent pas aux chèvres,
Car ils broutent comme des lièvres
Le serpolet des rocs et le thym des fossés ;
Seuls, deux petits chevreaux sautent mutins et mièvres
Par les cheminets crevassés.

Les fillettes sont un peu rousses,
Mais quelles charmantes frimousses,
Et comme la croix d’or sied bien à leurs cous blancs !
Elles ont l’air étrange, et leurs prunelles douces
Décochent des regards troublants.

Pendant que chacune babille,
Un grand chien jaune dont l’œil brille,
L’oreille familière à leur joli patois,
Les caresse, va, vient, s’assied, court et frétille,
Aussi bonhomme que matois.

Et les deux petites gardeuses
S’en vont, lentes et bavardeuses,
Enjambant un ruisseau, débouchant un pertuis,
Et rôdent sans songer aux vipères hideuses
Entre les ronces et les buis.

Or l’odeur des boucs est si forte
Que je m’éloigne ! mais j’emporte
L’agreste souvenir des filles aux yeux verts ;
Et, ce soir, quand j’aurai barricadé ma porte,
Je les chanterai dans mes vers.

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Frère et sœur

Frère et sœur, les petiots, se tenant par la main,
Vont au rythme pressé de leurs bras qu’ils balancent ;
Des hauteurs et des fonds de grands souffles s’élancent,
Devant eux le soir lourd assombrit le chemin.

Survient l’orage ! avec tout l’espace qui gronde,
Avec le rouge éclair qui les drape de sang,
Les barbouille de flamme en les éblouissant ;
Enfin, la nuit les perd dans la forêt profonde.

Ils ont peur des loups ! mais, bientôt,
Ils s’endorment. Et, de là-haut,
La lune qui verdit ses nuages de marbre
Admire en les gazant ces deux êtres humains
Sommeillant la main dans la main,
Si petits sous les si grands arbres !

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Les Rocs

Par delà les blés noirs, les froments et les seigles,
Loin des terrains boisés, poudreux, herbus et mous,
Au bord d’une rivière aux écumeux remous,
Ils songent, familiers des lézards et des aigles.

Aspect fantomatique, inertie et stupeur,
Jeunesse qui survit à des milliers d’années,
Silence des cœurs morts et des âmes damnées,
Ils ont tout ce qui trouble et tout ce qui fait peur.

La rivière qui hurle et moutonne à leur base
Leur devient un miroir torrentueux et fou,
Et, quand l’hiver la fait déborder de son trou,
Les cravache d’écume et les gifle de vase.

Au mois où le zéphyr plein de suavité
Emporte les parfums de la fleur qu’il balance,
L’aspic y vient montrer sa tête en fer de lance
Au bord de la fissure et de la cavité.

Anxieux, dans la brume, on dirait qu’ils attendent
Je ne sais quel départ aux mystiques adieux ;
N’ont-ils pas l’air de voir ? Et cependant point d’yeux ;
Point d’oreilles : pourtant l’on dirait qu’ils entendent.

Et, colosses navrés de ce pays affreux,
Ils alarment au loin les vallons et les côtes,
Car le cri des hiboux, leurs invisibles hôtes,
Est la funèbre voix qui sanglote pour eux.

Groupés là comme un tas de monstrueuses bêtes,
Ils veillent tristement, les horribles rochers,
Que le soleil les brûle ou qu’ils soient accrochés
Par les feux zigzagueurs et grondants des tempêtes !

L’un dont la pointe oblongue imite un coutelas,
Et dont chaque lézarde a l’air d’une blessure,
Rongé de champignons, d’herbe et de moisissure,
Se penche avec un air effroyablement las.

Un autre figurant un couvercle de bière
Qui serait tout debout sous les grands cieux pensifs,
Fait tinter par instants sur les feuilles des ifs
L’éternel suintement des larmes de la pierre.

Et tous, diversement lépreux et bossués,
Rendent la solitude encore plus déserte,
Et par leur seul aspect qui glace et déconcerte,
Disent leurs maux soufferts et leurs ennuis sués.

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Il y a des gens qui ne savent pas perdre leur temps tout seuls : ils sont le fléau des gens occupés.

citation de Louis de BonaldSignalez un problèmeDes citations similaires
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Dans l'étable

Quelle paix ont les araignées
Aux solives comme aux carreaux !
Ici, des ais de tombereaux,
Là, des pioches et des cognées.

Je viens d’échanger des poignées
De main avec les pastoureaux;
Quelle paix ont les araignées
Aux solives comme aux carreaux !

Sur des litières bien soignées
Je vois ruminer les taureaux
Qui parfois entre les barreaux
Passent leurs têtes refrognées.
— Quelle paix ont les araignées !

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Les fièvres

La plaine, au loin, est uniforme et morne
Et l'étendue est vide et grise
Et Novembre qui se précise
Bat l'infini, d'une aile grise.

Sous leurs torchis qui se lézardent,
Les chaumières, là-bas, regardent
Comme des bêtes qui ont peur,
Et seuls les grands oiseaux d'espace
Jettent sur les enclos sans fleurs
Le cri des angoisses qui passent.

L'heure est venue où les soirs mous
Pèsent sur les terres gangrenées,
Où les marais visqueux et blancs,
Dans leurs remous,
A longs bras lents,
Brassent les fièvres empoisonnées.

Parfois, comme un hoquet,
Un flot pâteux mine la rive
Et la glaise, comme un paquet,
Tombe dans l'eau de bile et de salive.

Puis tout s'apaise et s'aplanit ;
Des crapauds noirs, à fleur de boue,
Gonflent leur peau que deux yeux trouent ;
Et la lune monstrueuse préside,
Telle l'hostie
De l'inertie.

De la vase profonde et jaune
D'où s'érigent, longues d'une aune,
Les herbes d'eaux,
Des brouillards lents comme des traînes
Déplient leur flottement, parmi les draines ;
On les peut suivre, à travers champs,
Vers les chaumes et les murs blancs ;
Leurs fils subtils de pestilence
Tissent la robe de silence,
Gaze verte, tulle blême,
Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène,

La fièvre,
Elle est celle qui marche,
Sournoisement, courbée en arche,
Et personne n'entend son pas.
Si la poterne des fermes ne s'ouvre pas,
Si la fenêtre est close,
Elle pénètre quand même et se repose,
Sur la chaise des vieux que les ans ploient,
Dans les berceaux où les petits larmoient
Et quelquefois elle se couche
Aux lits profonds où l'on fait souche.

Avec ses vieilles mains dans l'âtre encor rougeâtre,
Elle attise les maladies
Non éteintes, mais engourdies ;
Elle se mêle au pain qu'on mange,
A l'eau morne changée en fange ;
Elle monte jusqu'aux greniers,
Dort dans les sacs et les paniers
Où s'entassent mille loques à vendre ;
Puis, un matin, de palier en palier
On écoute son pas sinistre et régulier
Descendre.

Inutiles, voeux et pèlerinages
Et seins où l'on abrite les petits
Et bras en croix vers les images
Des bons anges et des vieux Christs.
Le mal hâve s'est installé dans la demeure.
Il vient, chaque vesprée, à tel moment,
Déchiqueter la plainte et le tourment,
Au régulier tic-tac de l'heure ;
Et l'horloge surgit déjà
Comme quelqu'un qui sonnera,
Lorsque viendra l'instant de la raison finie,
L'agonie.

En attendant, les mois se passent à languir.
Les malades rapetissés,
Leurs genoux lourds, leurs bras cassés,
Avec, en main, leurs chapelets.
Quittant leur lit, s'y recouchant,
Fuyant la mort et la cherchant,
Bégaient et vacillent leurs plaintes,
Pauvres lumières, presque éteintes.

Ils se traînent de chaumière en chaumière
Et d'âtre en âtre,
Se voir et doucement s'apitoyer,
Sur la dîme d'hommes qu'il faut payer,
Atrocement, à leur terre marâtre ;
Des silences profonds coupent les litanies
De leurs misères infinies ;
Et quelquefois, ils se regardent
Au jour douteux de la fenêtre,
Sans rien se dire, avec des pleurs,
Comme s'ils voulaient se reconnaître
Lorsque leurs yeux seront ailleurs.

Ils se sentent de trop autour des tables
Où l'on mange rapidement
Un repas pauvre et lamentable ;
Leur coeur se serre, atrocement,
On les isole et les bêtes les flairent
Et les jurons et les colères
Volent autour de leur tourment.

Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas,
Ils s'agitent entre leurs draps,
Songeant qu'aux alentours, de village en village,
Les brouillards blancs sont en voyage,
Voudraient-ils ouvrir la porte
Pour que d'un coup la fièvre les emporte,
Vers les marais des landes
Où les mousses et les herbes s'étendent
Comme un tissu pourri de muscles et de glandes
Où s'écoute, comme un hoquet,
Un flot pâteux miner la rive,
Où leur corps mort, comme un paquet,
Choirait dans l'eau de bile et de salive.

Mais la lune, là-bas, préside,
Telle l'hostie
De l'inertie.

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Les Petits Taureaux

Ils ont pour promenoir
Des vallons verts et mornes.
Quels prés, matin et soir,
Ils ont pour promenoir !
A peine à leur front noir
On voit poindre les cornes.
Ils ont pour promenoir
Des vallons verts et mornes.

Ils ne peuvent rester
Une minute en place.
Où qu’ils soient à brouter,
Ils ne peuvent rester.
Aussi font-ils pester
Le vacher qui se lasse.
Ils ne peuvent rester
Une minute en place.

Autour des grands taureaux
Tous trois font les bravaches !
Quels meuglements ! quels trots
Autour des grands taureaux !
Ils ne sont pas bien gros,
Mais ils courent les vaches !
Autour des grands taureaux,
Tous trois font les bravaches !

Chacun fait plus d’un saut
Sur la génisse blonde.
Pour elle quel assaut !
Chacun fait plus d’un saut.
Elle en a l’air tout sot,
La pauvre pudibonde.
Chacun fait plus d’un saut
Sur la génisse blonde.

Le pauvre petit chien
Fortement les agace.
Il est si bon gardien,
Le pauvre petit chien.
Si tous trois sont très bien,
Avec plus d’une agace
Le pauvre petit chien
Fortement les agace.

Il est estropié
Par les coups qu’il attrape,
A toute heure épié,
Il est estropié.
De la tête et du pied
C’est à qui d’eux le frappe.
Il est estropié
Par les coups qu’il attrape.

Quand ils sont altérés
Ils vont boire à la Creuse.
Ils s’échappent des prés
Quand ils sont altérés.
Oh ! les doux effarés
Sur la côte pierreuse !
Quand ils sont altérés,
Ils vont boire à la Creuse.

Ils marchent dans les buis,
Lents comme des tortues ;
Sur le bord où je suis
Ils marchent dans les buis.
Leurs pieds n’ont pour appuis
Que des roches pointues ;
Ils marchent dans les buis
Lents comme des tortues.

Moi, je fume, observant
Le liège de ma ligne
Qui bouge si souvent ;
Moi, je fume, observant ;
Eux, vont le mufle au vent,
La prunelle maligne ;
Moi, je fume, observant
Le liège de ma ligne.

Ils s’arrêtent fourbus
Sous l’orme ou sous le tremble.
Dans les endroits herbus
Ils s’arrêtent fourbus.
Joignant leurs nez camus
Ils se lèchent ensemble.
Ils s’arrêtent fourbus
Sous l’orme ou sous le tremble.

A vous ces triolets
Que j’ai faits sur la brande !
Chers petits bœufs follets,
A vous ces triolets.
Aux prés ruminez-les,
La saveur en est grande ;
A vous ces triolets
Que j’ai faits sur la brande

Oh ! quel charme ! C’était
Par une nuit d’automne ;
Le grillon chuchotait.
Oh ! quel charme c’était !
L’étang brun reflétait
La lune monotone.
Oh ! quel charme ! C’était
Par une nuit d’automne !

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Les Deux Poitrinaires

La brise en soupirant caresse l’herbe haute.
Tous les deux, bouche ouverte, ils marchent côte à côte,
Dos voûté, cou fluet ;
Près d’une haie en fleurs où l'ébène des mûres
Luit dans le fouillis vert des mignonnes ramures,
Ils vont, couple muet.

Ils ont la face blanche et les pommettes rouges ;
Comme les débauchés qui vivent dans les bouges
On les voit chanceler.
Leur Å“il vaguement clair dans un cercle de bistre
A cette fixité nonchalante et sinistre
Qui vous fait reculer.

Ils ont une toux sèche, aiguë, intermittente.
Elle, après chaque accès, est toute palpitante,
Et lui, crache du sang !
Et l'on flaire la mort à ces poignants symptômes,
Et l’aspect douloureux de ces vivants fantômes
Opprime le passant.

Ils se serrent les mains dans une longue étreinte
Avec le tremblement de la pudeur contrainte
Se choquant au désir,
Et pour mieux savourer l’amour qui les enfièvre,
L’une à l’autre parfois se colle chaque lèvre,
Folles de se saisir.

Autour d’eux tout s’éveille et songe à se refaire.
Homme et bête à plein souffle aspirent l’atmosphère,
Rajeunis et contents.
Tout germe et refleurit ; eux, ils sont chlorotiques ;
Tout court ; et chaque pas de ces pauvres étiques
Les rend tout haletants.

Eux seuls font mal à voir, les amants poitrinaires
Avec leurs regards blancs comme des luminaires,
Et leur maigre longueur ;
Je ne sais quoi de froid, d’étrange et de torpide
Sort de ce couple errant, hagard, presque stupide
À force de langueur.

Et pourtant il leur faut l’amour et ses morsures !
Dépravés par un mal, aiguillon des luxures,
Ils avancent leur mort ;
Et le suprême élan de leur force brisée
S’acharne à prolonger dans leur chair épuisée
Le frisson qui les tord.

Se posséder ! Pour eux que la tristesse inonde,
C’est l’oubli des douleurs pendant une seconde,
C’est l’opium d’amour !
Ils se sentent mourir avec béatitude
Dans ce spasme sans nom dont ils ont l’habitude,
Jour et nuit, nuit et jour !

Ensemble ils ont passé par les phases funèbres
Où les nœuds acérés de leurs frêles vertèbres
Leur ont crevé la peau ;
Ensemble ils ont grincé de la même torture :
Donc, ils veulent payer ensemble à la nature
L’inévitable impôt.

Et le gazon muet, quoique plein d’ironies,
Va voir l’accouplement de ces deux agonies
Naître et se consommer ;
Et les profonds échos répéteront les râles
De ces deux moribonds dont les lèvres si pâles
Revivent pour aimer !

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Les Pouliches

Frissonnantes, ridant leur peau gris-pommelé
Au moindre frôlement des zéphyrs et des mouches,
Les pouliches, non loin des grands taureaux farouches,
Trottinent sur les bords du pacage isolé.

Dans ce vallon tranquille où les ronces végètent
Et qu’embrume l’horreur des joncs appesantis,
La sauterelle joint son aigre cliquetis
Aux hennissements courts et stridents qu’elles jettent.

Dressant leurs jarrets fins et leur cou chevelu,
Elles tremblent de peur au bruit du train qui passe,
Et leurs yeux inquiets interrogent l'espace
Depuis l’arbre lépreux jusqu’au rocher velu.

Et tandis qu’on entend prononcer des syllabes
Aux échos du ravin plein d’ombre et de fracas,
Elles enflent au vent leurs naseaux délicats,
Fiers comme ceux du zèbre et des juments arabes.

L’averse dont le sol s’embaume, et qui dans l’eau
Crépite en dessinant des ronds qui s’entrelacent ;
Les lames d’argent blanc qui polissent et glacent
Le tronc du jeune chêne et celui du bouleau ;

Un lièvre qui s’assied sur les mousses crépues ;
Des chariots plaintifs dans un chemin profond :
Autant de visions douces qui satisfont
La curiosité des pouliches repues.

Même en considérant les margots et les geais
Qui viennent en amis leur conter des histoires,
Elles ont tout l’éclat de leurs prunelles noires :
C’est du feu pétillant sous des globes de jais !

Elles mêlent souvent à leurs douces querelles
Le friand souvenir de leurs mères juments,
Et vont avec de vifs et gentils mouvements
Se mordiller le ventre et se téter entre elles.

Leur croupe se pavane, et leur toupet joyeux,
S’échappant du licol en cuir qui les attache,
Parfois sur leur front plat laisse voir une tache
Ovale de poils blancs lisses comme des yeux.

Autour des châtaigniers qui perdent leur écorce,
Elles ont dû passer la nuit à l’air brutal,
Car la rosée, avec ses gouttes de cristal,
Diamante les bouts de leur crinière torse.

Mais bientôt le soleil flambant comme un enfer
Réveillera leur queue aux battements superbes
Et fourbira parmi les mouillures des herbes
Leurs petits sabots blonds encor vierges du fer.

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La Dernière Nuit

Or, ce fut par un soir plein d’un funèbre charme,
Qu’après avoir suivi des chemins hasardeux
Ils s’assirent enfin dans un vallon hideux
Où maint reptile errant commençait son vacarme.

Et tandis que l’orfraie avec son cri d’alarme
Clapotait lourdement dans un vol anxieux,
Sous la compassion sidérale des cieux
Ils gémirent longtemps sans verser une larme[.]

Tout à coup, le buisson les vit avec stupeur
Unir dans un baiser leurs lèvres violettes
Ricanant à la fois de tendresse et de peur.

Et puis, les deux amants joignirent leurs squelettes,
Crispèrent leur étreinte en ne faisant plus qu’un
Et moururent ensemble au bord du fossé brun.

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Ballade des lézards verts

Quand le soleil dessèche et mord le paysage,
On a l’œil ébloui par les bons lézards verts :
Ils vont, longue émeraude ayant corps et visage,
Sur les tas de cailloux, sur les rocs entr’ouverts,
Et sur les hauts talus que la mousse a couverts.
Ils sont stupéfiés par la température ;
Près d’eux, maint oiselet beau comme une peinture
File sur l’eau dormante et de mauvais conseil ;
Et le brin d’herbe étreint d’une frêle ceinture
Leurs petits flancs peureux qui tremblent au soleil.

Puis, ils gagnent après tous leurs circuits d’usage
Les abords des lavoirs toujours si pleins de vers ;
Aux grands arbres feuillus qui font le tamisage
De l’air en feu stagnant sur tant de points divers,
Ils préfèrent les houx chétifs et de travers.
Lazzaroni frileux des jardins sans culture,
Côtoyeurs du manoir et de la sépulture,
Ils s’avancent furtifs et toujours en éveil,
Dès qu’un zéphyr plus frais lèche par aventure
Leurs petits flancs peureux qui tremblent au soleil.

Par les chemins brûlés, avides d’arrosage,
Et dans les taillis bruns où cognent les piverts,
Ils s’approchent de l’homme, et leur aspect présage
Quelque apparition du reptile pervers
Qui s’enfle de poison pendant tous les hivers.
Un flot de vif-argent court dans leur ossature
Quand ils veulent s’enfuir ou bien chercher pâture ;
Mais parfois, aplatis dans un demi-sommeil,
Ils réchauffent longtemps, sans changer de posture,
Leurs petits flancs peureux qui tremblent au soleil.

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Je suis vide. Je n'ai que gestes, réflexes, habitudes. Je veux me remplir. C'est pourquoi je psychanalyse les gens...Je n'assimile pas. Je leur prends leurs pensées, leurs complexes, leurs hésitations et rien ne m'en reste. Je n'assimile pas; ou j'assimile trop bien..., c'est la même chose. Bien sure, je conserve des mots, des contenants, des étiquettes; je connais les termes sous lesquels on range les passions, les émotions, mais je ne les éprouve pas.

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Les Petits Fauteuils

Assis le long du mur dans leurs petits fauteuils,
Les deux babys chaussés de bottinettes bleues,
Regardent moutonner des bois de plusieurs lieues
Où l’automne a déjà tendu ses demi-deuils.

Auprès du minet grave et doux comme un apôtre,
Côte à côte ils sont là, les jumeaux ébaubis,
Tous deux si ressemblants de visage et d’habits
Que leur mère s’y trompe et les prend l’un pour l’autre.

Aussi, sur le chemin, la bergère en sabots
S’arrête pour mieux voir leurs ivresses gentilles
Qu’un barrage exigu, fixé par deux chevilles,
Emprisonne si peu dans ces fauteuils nabots.

Avec l’humidité de la fleur qu’on arrose,
Leur bouche de vingt mois montre ses dents de lait,
Ou se ferme en traçant sur leur minois follet
Un accent circonflexe adorablement rose.

Leurs cheveux frisottés où la lumière dort
Ont la suavité vaporeuse des nimbes,
Et, sur leurs fronts bénis par les anges des limbes,
S’emmêlent, tortillés en menus crochets d’or.

Parfois, en tapotant de leurs frêles menottes
La planchette à rebords où dorment leurs pantins,
Ils poussent des cris vifs, triomphants et mutins,
Avec l’inconscience exquise des linottes.

Tout ravis quand leurs yeux rencontrent par hasard
La mouche qui bourdonne et qui fait la navette,
On les voit se pâmer, rire, et sur leur bavette
Saliver de bonheur à l’aspect d’un lézard.

En inclinant vers eux ses clochettes jaspées,
Le liseron grimpeur du vieux mur sans enduit
Forme un cadre odorant qui bouge et qui bruit
Autour de ces lutins en robes de poupées.

Et tandis que venu des horizons chagrins,
Le zéphyr lèche à nu leurs coudes à fossettes,
L’un s’amuse à pincer ses petites chaussettes,
Et l’autre, son collier d’ivoire aux larges grains.

La poule, sans jeter un gloussement d’alarme,
Regarde ses poussins se risquer autour d’eux,
Et le chien accroupi les surveille tous deux
D’un œil mélancolique où tremblote une larme.

La campagne qui meurt paraît vouloir mêler
Son râle d’agonie à leurs frais babillages ;
Maint oiselet pour eux retarde ses voyages,
Et dans un gazouillis semble les appeler.

Le feuillage muet qui perd ses découpures,
En les voyant, se croit à la saison des nids ;
Et la flore des bois et des étangs jaunis
Souffle son dernier baume à leurs narines pures.

Mais voilà que chacun, penchant son joli cou,
Ferme à demi ses yeux dont la paupière tremble ;
Une même langueur les fait bâiller ensemble
Et tous deux à la fois s’endorment tout à coup :

Cependant qu’au-dessus de la terre anxieuse
Le soleil se dérobe au fond des cieux plombés
Et que le crépuscule, embrumant les bébés,
Verse à leur doux sommeil sa paix silencieuse.

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Les glissoires

Il fait un froid noir et tout gèle :
Abreuvoir, écluse et ruisseau.
Tous les puits, à l'endroit du seau,
Ont de la glace à leur margelle.

C'est pourquoi, vite, après la classe,
Les enfants viennent, à grands cris,
Glisser sur l'étang si bien pris
Qu'ils ne craignent pas que ça casse.

En tas, casquettes sans visière,
Bérets bâillants, chapeaux tortus,
Ils arrivent, les reins battus
Par leur petite carnassière.

Et, de-ci, de-là, tout heureuse,
Chaque troupe se met au jeu,
Sillonnant à la queue leu leu
La belle surface vitreuse.

Légères, folles, bien ingambes,
Elles ont indéfiniment
Le caprice du mouvement
Ces fragiles petites jambes !

Rapidement, mainte glissoire
Qu'en choeur tant de mutins sabots
Polissent comme des rabots
Est nivelée et presque noire.

On les voit gris et bleus les mioches
Qui, d'un trait, au bas des airs blancs,
Passent, les bras tendus, ballants,
Croisés - ou les mains dans les poches.

Et, plus d'un faisant la mimique
D'accomplir un besoin pressant
Reste accroupi, tout en glissant,
Avec un naturel comique.

Quelques très petiots se hasardent,
Mais, tombés trop fort, ayant peur,
Immobiles, pleins de stupeur,
Se tiennent au bord et regardent ;

Ils sont charmants, piteux et drôles,
Ces pauvres mignons étonnés,
Grelottants, la roupie au nez,
Le cou rentré dans les épaules !

Les autres, au long des saulaies,
Filent toujours avec entrain :
Tels, devant les vitres d'un train
Courent les arbres et les haies.

Sur le bruit des voix qui remplissent
Les échos de leurs appels fous
Tranche le vacarme des clous
Mordant, raclant, autant qu'ils glissent.

De loin, vous entendez, il semble,
Tant c'est ronfleur, dur et perçant,
Plus de cent meules repassant
Qui grinceraient toutes ensemble.

- Autour, des plaines dépouillées
Montrant leurs vieux herbages gris ;
Des arbres nus, d'autres maigris :
Tête ronde et feuilles rouillées.

Mais, vifs et gais comme la flamme,
Ces garçonnets au teint vermeil
Mettent là verdure et soleil :
Tout le printemps qu'ils ont dans l'âme.

Au coeur du paysage triste,
Entre ces lointains malheureux,
Sous ce ciel de métal, - par eux
La vie un instant resubsiste.

Ils sont le bonheur d'aventure,
L'éclat de rire triomphant
Qui passe comme un coup de vent
En cette mort de la nature !

Mais il se fait tard, le jour baisse.
Les glisseurs vont, moins résolus,
Et, bientôt, on ne les voit plus
Qu'à travers une brume épaisse.

Rien qu'un dernier monôme roide
De petits fantômes en noir !
Tous à la file ! - et puis, bonsoir !
Ils se sauvent dans l'ombre froide.

Et, la nuit, aux torpeurs funèbres,
Donne un mystère inquiétant
Au face à face de l'étang
Avec la lune ou les ténèbres.

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Le bon fou

Il n'a que sa chemise écrue et sa culotte
Pour tout costume. Il porte un bonnet de coton.
Tel il rôde, faisant mouliner son bâton.
Promenant l'ébahi de son regard qui flotte.

Barbu, gras et rougeaud, il montre ses dents blanches,
Son poitrail tout velu comme celui des loups,
Les muscles de ses bras, les noeuds de ses genoux,
Et dandine sa marche au roulis de ses hanches.

Parfois, sur son chemin, inerte comme un marbre,
Il s'arrête debout, regardant ciel ou sol,
Quelque grand oiseau fauve élargissant son vol,
Un champignon verdi qui sèche au pied d'un arbre.

Sa songerie alors s'épanche en un langage
Tour à tour sifflement, chant, grognement, parler ;
Il imite, entendant telle ou telle eau couler,
Le murmure ou le bruit croulant qu'elle dégage.

Aux prés, de son bâton, il racle doux l'échine
Du bétail engourdi dont il sait les secrets,
Ou, grave, l'étendant, jette sur les guérets
Un bon sort aux moissons que son rêve imagine.

Le froid noir des ciels blancs, l'éclair des ciels de suie,
Il y reste impassible autant que le rocher ;
Et, recherchant l'averse au lieu de se cacher,
Du même pas rythmique avance dans la pluie.

Il emporte son pain qu'il mange dans ses courses,
L'émiettant, ça et là, pour les petits oiseaux,
Et va boire, à genoux, parmi joncs et roseaux,
Aux masses des torrents comme au filet des sources.

Toujours égal, jamais colère, jamais ivre,
Comme s'il se sentait au-dessous des humains,
Il est muet avec les gens, sur les chemins,
Rentré, ne parle pas aux siens qui le font vivre.

C'est pourquoi lui faisant sa suite coutumière,
Chaque fois, sur la place, il attend que le mort
Ait eu ses 'libera' pour l'escorter encor
Juste en face du seuil, mais loin du cimetière.

Il ne répond qu'aux bruits des choses et des bêtes
Qu'il trouve à l'unisson fraternel de ses voix,
Interpelle aussi lien le silence des bois
Qu'il jette sa parole au fracas des tempêtes.

Courbé sur sa charrue, ou le pied sur sa pelle,
Le paysan le suit des yeux avec respect,
Bien qu'il soit, nuit et jour, routinier de l'aspect
De ce ' membre de Dieu ', comme chacun l'appelle.

Et les femmes, passant dans leur mélancolie,
Rencontrent sans effroi cet hercule enfantin,
Sachant que la nature a fait bon son instinct,
Qu'elle a virginisé sa tranquille folie.

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La Lune

La lune a de lointains regards
Pour les maisons et les hangars
Qui tordent sous les vents hagards
Leurs girouettes ;
Mais sa lueur fait des plongeons
Dans les marais peuplés d’ajoncs
Et flotte sur les vieux donjons
Pleins de chouettes !

Elle fait miroiter les socs
Dans les champs, et nacre les rocs
Qui hérissent les monts, par blocs
Infranchissables ;
Et ses chatoiements délicats
Près des gaves aux sourds fracas
Font luire de petits micas
Parmi les sables !

Avec ses lumineux frissons
Elle a de si douces façons
De se pencher sur les buissons
Et les clairières !
Son rayon blême et vaporeux
Tremblote au fond des chemins creux
Et rôde sur les flancs ocreux
Des fondrières.

Elle promène son falot
Sur la forêt et sur le flot
Que pétrit parfois le galop
Des vents funèbres ;
Elle éclaire aussi les taillis
Où, cachés sous les verts fouillis,
Les ruisseaux font des gazouillis
Dans les ténèbres.

Elle argente sur les talus
Les vieux troncs d’arbres vermoulus
Et rend les saules chevelus
Si fantastiques,
Qu’à ses rayons ensorceleurs,
Ils ont l’air de femmes en pleurs
Qui penchent au vent des douleurs
Leurs fronts mystiques.

En doux reflets elle se fond
Parmi les nénuphars qui font
Sur l’étang sinistre et profond
De vertes plaques ;
Sur la côte elle donne aux buis
Des baisers d’émeraude, et puis
Elle se mire dans les puits
Et dans les flaques !

Et, comme sur les vieux manoirs,
Les ravins et les entonnoirs,
Comme sur les champs de blés noirs
Où dort la caille,
Elle s’éparpille ou s’épand,
Onduleuse comme un serpent,
Sur le sentier qui va grimpant
Dans la rocaille !

Oh ! quand, tout baigné de sueur,
Je fuis le cauchemar tueur,
Tu blanchis avec ta lueur
Mon âme brune ;
Si donc, la nuit, comme un hibou,
Je vais rôdant je ne sais où,
C’est que je t’aime comme un fou ;
O bonne Lune !

Car, l’été, sur l’herbe, tu rends
Les amoureux plus soupirants,
Et tu guides les pas errants
Des vieux bohèmes ;
Et c’est encore ta clarté,
O reine de l’obscurité,
Qui fait fleurir l’étrangeté
Dans mes poèmes !

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Les Glissoires

Il fait un froid noir et tout gèle :
Abreuvoir, écluse et ruisseau.
Tous les puits, à l’endroit du seau,
Ont de la glace à leur margelle.

C’est pourquoi, vite, après la classe,
Les enfants viennent, à grands cris,
Glisser sur l’étang si bien pris
Qu’ils ne craignent pas que ça casse.

En tas, casquettes sans visière,
Bérets bâillants, chapeaux tortus,
Ils arrivent, les reins battus
Par leur petite carnassière.

Et, de-ci, de-là, tout heureuse,
Chaque troupe se met au jeu,
Sillonnant à la queue leu leu
La belle surface vitreuse.

Légères, folles, bien ingambes,
Elles ont indéfiniment
Le caprice du mouvement
Ces fragiles petites jambes !

Rapidement, mainte glissoire
Qu’en chœur tant de mutins sabots
Polissent comme des rabots
Est nivelée et presque noire.

On les voit gris et bleus les mioches
Qui, d’un trait, au bas des airs blancs,
Passent, les bras tendus, ballants,
Croisés — ou les mains dans les poches.

Et, plus d’un faisant la mimique
D’accomplir un besoin pressant
Reste accroupi, tout en glissant,
Avec un naturel comique.

Quelques très petiots se hasardent,
Mais, tombés trop fort, ayant peur,
Immobiles, pleins de stupeur,
Se tiennent au bord et regardent ;

Ils sont charmants, piteux et drôles,
Ces pauvres mignons étonnés,
Grelottants, la roupie au nez,
Le cou rentré dans les épaules !

Les autres, au long des saulaies,
Filent toujours avec entrain :
Tels, devant les vitres d’un train
Courent les arbres et les haies.

Sur le bruit des voix qui remplissent
Les échos de leurs appels fous
Tranche le vacarme des clous
Mordant, raclant, autant qu’ils glissent.

De loin, vous entendez, il semble,
Tant c’est ronfleur, dur et perçant,
Plus de cent meules repassant
Qui grinceraient toutes ensemble.

— Autour, des plaines dépouillées
Montrant leurs vieux herbages gris ;
Des arbres nus, d’autres maigris :
Tête ronde et feuilles rouillées.

Mais, vifs et gais comme la flamme,
Ces garçonnets au teint vermeil
Mettent là verdure et soleil :
Tout le printemps qu’ils ont dans l’âme.

Au cœur du paysage triste,
Entre ces lointains malheureux,
Sous ce ciel de métal, — par eux
La vie un instant resubsiste.

Ils sont le bonheur d’aventure,
L’éclat de rire triomphant
Qui passe comme un coup de vent
En cette mort de la nature !

Mais il se fait tard, le jour baisse.
Les glisseurs vont, moins résolus,
Et, bientôt, on ne les voit plus
Qu’à travers une brume épaisse.

Rien qu’un dernier monôme roide
De petits fantômes en noir !
Tous à la file ! — et puis, bonsoir !
Ils se sauvent dans l’ombre froide.

Et, la nuit, aux torpeurs funèbres,
Donne un mystère inquiétant
Au face à face de l’étang
Avec la lune ou les ténèbres.

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