Le centenaire
Près du laboureur poitrinaire,
Devant sa porte, au jour tombant,
Est venu s'asseoir sur son banc
Le patriarche centenaire.
Et, comme le gars se désole,
Dit qu'on va bientôt l'enterrer,
L'ancêtre, pour le rassurer,
Lui répond : ' T'es jeun', ça m'console.
Ton temps est pas v'nu d'dire adieu
A tout' les bell' choses de la vie.
L'soleil, l'air, te r'mettront ; j'me fie
A ces grands méd'cins du bon Dieu.
L'hiver, l'arbre est en maladie,
I' n'a plus d'oiseaux ni d'couleurs,
Mais, i' r'prend ses musiq', ses fleurs :
C'n'est que d'la nature engourdie.
Et puis, pour les tiens, d'si brav' gens,
Qui sont pas avancés d'argent,
Faut q'tu viv' ! t'es utile encor.
Tandis q'moi, tant d'âg' me suffit.
Maint'nant, plus à charg' qu'à profit,
J'suis assez vieux pour faire un mort ! '
poésie de Maurice Rollinat
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Le Centenaire
Près du laboureur poitrinaire,
Devant sa porte, au jour tombant,
Est venu s’asseoir sur son banc
Le patriarche centenaire.
Et, comme le gars se désole,
Dit qu’on va bientôt l’enterrer,
L’ancêtre, pour le rassurer,
Lui répond : « T’es jeun’, ça m’ console.
Ton temps est pas v’nu d’ dire adieu
À tout’ les bell’ choses de la vie.
L’ soleil, l’air, te r’mettront ; j’ me fie
À ces grands méd’cins du bon Dieu.
L’hiver, l’arbre est en maladie,
I’ n’a plus d’oiseaux ni d’ couleurs,
Mais, i’ r’prend ses musiq’, ses fleurs :
C’ n’est que d’ la nature engourdie.
Et puis, pour les tiens, d’ si brav’ gens,
Qui sont pas avancés d’argent,
Faut q’ tu viv’ ! t’ es utile encor.
Tandis q’ moi, tant d’âg’ me suffit.
Maint’nant, plus à charg’ qu’à profit,
J’ suis assez vieux pour faire un mort !
poésie de Maurice Rollinat
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La Femme stérile
Ses jupons troussés court comme sa devantière,
Sous ses gros bas bleus bien tirés
Laissant voir ses mollets cambrés
À mi-chemin des jarretières,
S’en vient près du vieux cantonnier
La femme rousse du meunier :
Cheveux frisés sur des yeux mièvres,
Blanche de peau, rouge de lèvres,
Le corsage si bien rempli
Qu’il bombe aux deux endroits, sans pli,
Cotillon clair moulant énormes
Le callipyge de ses formes.
Voilà ce qu’elle dit alors au père Pierre
En train de casser de la pierre :
« Voyez ! si l’on n’a pas d’malheur,
Et si n’faut pas que l’diab’ s’en mêle !
J’suis pourtant un’ solid’ femelle,
En plein’ force et dans tout’ sa fleur,
Eh ben ! yaura six ans à Pâques
Que j’somm’ mariés, et q’tels qu’avant,
Nous pouvons pas avoir d’enfant !
Ça s’ra pour c’te fois, disait Jacques,
Mais toujou sans p’tit le temps passa…
Et qu’on en voudrait tant un ! Dame !
C’est pas d’not’ faut’ ! l’homme et la femme
On fait ben tout c’qui faut pour ça.
J’ai fait dir’ des mess’ de pèl’rins,
Brûler des cierg’ aux saints, aux saintes,
Dans des églis’ en souterrains,
Mais ouah ! j’suis pas d’venue enceinte.
Les prièr’ ? les r’mèd’ de tout’ sorte ?
Méd’cins ? Curés ? n’m’ont servi d’rin.
J’suis tell’ comme un mauvais terrain
Qu’on ens’menc’ ben sans qu’i’ rapporte.
Et vrai ! C’est pourtant pas qu’on triche !
Mais, des fois, vous q’êt’s’ un ancien.
Si vous connaissiez un moyen ?
Faut me l’donner ! mon pèr’ Pierriche.
Alors, le vieux lâchant sa masse,
À genoux sur son tas, voûté,
Lui répond avec la grimace
Du satyre qu’il est resté,
La couvant de son Å“il vert brun
Qui lèche, tâte, enlace, vrille :
« Sais-tu c’que t’as à fair’, ma fille ?
Eh ben ! faut aller à l’emprunt.
Et la meunière aux yeux follets,
Qui sait ce que parler veut dire,
S’écrie en éclatant de rire :
« Vous seriez l’prêteur, si j’voulais.
Hein ? fiez-vous donc à c’bon apôtre !
Mais j’veux pas d’vous, vieux scélérat !
Et lui : « T’as ma r’cett’ qui pourra
P’t’êt’ ben t’servir avec un autre.
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Bon frère et bon fils
Le notaire dit : « Jean ! il s’agit d’un partage.
Votre frère, passé pour mort,
Authentiquement vit encor.
Vous êtes maintenant deux pour votre héritage.
— Ça s’rait-il Dieu possibl’ ? ah ben ! grommelle Jean,
Faut partager l’bien et l’argent ?
Moi qui croyais mon frèr’ si poussièr’ dans sa fosse !
Mais p’êt’ ben q’la nouvelle est fausse ?...
— Vous auriez tort d’émettre un doute,
Ricane le tabellion. »
— D’m’êt’ cru seul héritier ? maintenant c’que ça m’en coûte !
On l’disait mort défunt : j’ai pas eu d’ réflexion,
Et, d’ordinair’, c’est pas c’qui m’ manque.
Si j’avais pu m’méfier, d’un’ ressuscitation,
Mon pèr’ m’eût fait d’la main à la main donation
D’ses écus et d’ses billets d’banque ;
Pas seul’ment ça, ben encor mieux !
Comme à volonté je m’nais l’vieux,
Terr’ et prés j’y faisais tout vendre,
Et, faisant argent d’tout, ainsi j’pouvais tout prendre !
C’est fort tout d’mêm’ ! mon frèr’, rien q’pour m’embarrasser,
Qui s’avis’ ben d’ détrépasser !
C’lui q’était notaire avant vous
Il disait : « Faut s’fier à personne :
Les morts vous tromp’ comme les fous. »
Enfin, j’peux pas dir’ que j’m’en fous,
Mais, ça yest... Faut que j’me raisonne !
Pourtant, puisque mon frère est un ch’ti mort qui r’vient
Pour partager c’qui m’appartient,
Alors, i’m’compens’ra, j’espère,
Moitié de c’qu’a coûté mon père
Pour sa bière et son enterr’ment. »
Et puis, tout bonhomiquement,
Il ajoute : « Mon Dieu, six francs ? c’est pas un’ somme !
J’y pay’rai ben tout seul ses quat’ planch’ à c’brave homme.
poésie de Maurice Rollinat
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Un déjeuner champêtre
La Justice tardant à faire la levée
Du cadavre lardé de coups,
Les gendarmes, là -bas, mangent sur leurs genoux,
En attendant son arrivée.
L’énorme assassiné que la vermine mange
Repose encore assez loin d’eux.
Il dort au fond du val son gisement hideux
Entre quatre grands murs de grange.
Pourtant, de leur côté, passe claquante et lourde
Une brise d’orage où poind
La puanteur subtile et de moins en moins sourde
Que le corps souffle de son coin.
Puis, le miasme épaissit, substituant son goût
À celui de leurs victuailles :
Ils mangent du cadavre exhalant coup sur coup
Tout le poison de ses entrailles.
« Ma foi ! moi j’n’y tiens plus ! dit le grand au petit :
Qui diable aurait jamais cru qu’à pareill’ distance
Ça s’rait v’nu jusque-là nous couper l’appétit ? »
L’autre répond : « Pour moi ça n’a pas d’importance !
C’est vrai que l’vent, complic’ du mort,
Pour l’instant promène un peu fort
Le désagrément d’son haleine,
Mais, on s’y habitue à la fin…
Et, ma foi, tant pis ! j’ai si faim
Que j’mang’rai ma part et la tienne ! »
Le voiturier qui vient, un grave et vieux barbon,
Conclut : « Ell’ s’en fout la nature,
Q’ça sent’ mauvais ou q’ça sent’ bon !
La terr’ donn’ des fleurs et r’çoit d’la pourriture.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Vieux Chaland
Voyez ! j’vis seul dans c’grand moulin
Dont plus jamais l’tic tac résonne ;
J’m’en occup’ plus, n’ayant personne...
Mais c’est l’sort : jamais je n’m’ai plaint.
C’t’existenc’ déserte et si r’cluse
Ent’ la montagne et la forêt
Plaît à mon goût q’aim’ le secret,
Puis, j’ai mon copain sur l’écluse !
Le v’là ! c’est l’grand chaland d’famille.
À présent, ses flancs et sa quille
Sont usés ; l’malheureux bateau,
Malgré que j’le soigne, i’ prend d’l’eau,
Tout ainsi q’moi j’prends d’la faiblesse.
Ah dam’ ! c’est q’d’âg’ nous nous suivons,
Et q’sans r’mèd’ tous deux nous avons
L’mêm’ vilain mal q’est la vieillesse.
Des vrais madriers q’ses traverses !
Et qui n’sont pas prêts d’êt’ rompus.
C’est bâti comme on n’bâtit plus !
Trop bien assis pour que ça verse.
En a-t-i’ employé du chêne
Aussi droit q’long, et pas du m’nu !
C’bateau plat q’j’ai toujou’ connu
Avec sa même énorm’ grand’ chaîne !
Pour nous, maint’nant, le r’pos et l’songe
C’est plus guèr’ que du croupiss’ment.
À séjourner là , fixement,
Lui, l’eau, moi, l’ennui, — ça nous ronge.
Mais, n’ya plus d’force absolument.
Faut s’ménager pour qu’on s’prolonge !
Si j’disais non ! ça s’rait mensonge.
J’somm’ trop vieux pour le navig’ment.
Sûr que non ! c’est pas comme aut’fois,
Du temps q’yavait tant d’truit’ et d’perches,
« Au bateau ! » m’criaient tout’ les voix...
Les pêcheurs étaient à ma r’cherche ;
À tous les instants mes gros doigts
Se r’courbaient, noués sur ma perche.
Malheur ! quel bon chaland c’était !
Vous parlez que c’lui-là flottait
Sans jamais broncher sous la charge !
Toujours ferme à tous les assauts
Des plus grands vents, des plus grand’s eaux,
I’ filait en long comme en large.
Et la nuit, sous la lun’ qui glisse,
Quand, prom’nant mes yeux d’loup-cervier,
J’pêchais tout seul à l’épervier,
Oh ! qu’il était donc bon complice !
Comme i’ manœuvrait son coul’ment,
En douceur d’huil’, silencieus’ment,
Aussi mort que l’onde était lisse !
I’ savait mes façons, c’que c’est !
On aurait dit qu’i’ m’connaissait.
Qu’il avait une âm’ dans sa masse.
À mes souhaits, tout son gros bois
Voguait comm’ s’il avait pas d’poids,
Ou ben rampait comme un’ limace.
Oui ! dans c’temps-là , j’étions solides.
Il avait pas d’mouss’ — moi, pas d’rides.
J’aimions les aventur’ chacun ;
Et tous deux pour le goût d’la nage
Nous étions d’si près voisinage
Q’toujours ensemble on n’faisait qu’un.
Sur l’écluse i’ s’en allait crâne,
J’crois qu’on aurait pu, l’bon Dieu m’damne !
Y fair’ porter toute un’ maison.
En a-t-i’ passé des foisons
D’bœufs, d’chevaux, d’cochons, d’ouaill’ et d’ânes !
I’ charriait pomm’ de terr’, bett’raves,
D’quoi vous en remplir toute un’ cave,
Du blé, du vin, ben d’autr’ encor,
Des madriers, des pierr’, des cosses,
Et puis des baptêm’ et des noces,
Sans compter qu’i’ passait des morts.
Oh ! C’est ben pour ça qu’en moi-même
Autant je l’respecte et je l’aime
Mon pauv’ vieux chaland vermoulu ;
C’est qu’un à un sur la rivière
Il a passé pour le cim’tière
Tous mes gens que je n’verrai plus.
J’ai fait promettre à la commune
À qui j’lég’rai ma petit’ fortune
Q’jusqu’à temps qu’i’ coule au fond d’l’eau,
On l’laiss’ra tranquill’ sous c’bouleau,
Dans sa moisissure et sa rouille.
J’mourrai content pac’que l’lend’main,
Pendant un tout p’tit bout d’chemin,
C’est lui qui port’ra ma dépouille.
poésie de Maurice Rollinat
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Chant I
Écrire de nombreux livres est sans fin;
Et moi qui en ai tant écrit en prose et en vers
Pour autrui, je veux maintenant écrire pour moi-même —
Écrire mon histoire pour le meilleur de moi
Comme lorsque l'on peint son portrait pour un ami,
Qui le garde dans un tiroir et le contemple
Longtemps après qu'il a cessé de vous aimer,
Pour rassembler ce qu'il fut et ce qu'il est.
Moi, qui ainsi écris, suis encore ce qu'on appelle jeune:
Pas encore assez éloignée des rivages de la vie
Dans le voyage intérieur pour ne plus entendre
Ce murmure venu de l'Infini alentour,
Auquel sourient les nourrissons dans le sommeil
Et qu'on s'émerveille de leur sourire; non, pas si loin,
Mais je revois ma mère à son poste, doigt levé
Près de la porte de la chambre d'enfant,
Chut, chut — trop de bruit! Et ses doux yeux
De se projeter pour démentir son propos
Dans la turbulence enfantine. Elle nous a quittés,
Et assise, je sens la main de mon père,
Lentement caresser mes boucles sur son genou;
Et j'entends Assunta disant sa plaisanterie
(Elle sait qu'il la préfère à tout autre),
Combien de scudi d'or avait-il fallu pour faire
Ces bouclettes blondes? O, main paternelle,
Caresse, appuie lourdement les pauvres cheveux,
Tire, pousse la petite tête plus près de ton genou!
Je suis trop jeune, oui, pour rester seule assise.
poésie de Elizabeth Barrett Browning
Ajouté par Simona Enache
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L'Enjôleur
Loin des oreilles importunes,
Le gars mangeant avec le vieux,
D’un ton fier et malicieux
Lui conte ses bonnes fortunes,
De quelle sorte il fait sa cour,
Et ce qu’il pense de l’amour.
« Oui ! j’ai tout’ les fill’, mon pèr’ Jacques !
N’import’ laquell’, quand j’ la veux bien !
L’ignorant’, l’instruit’, cell’ qui s’ tient,
Comm’ la dévot’ qui fuit ses pâques.
Q’ ça soit l’ cœur ou l’ Diab’ qui s’en mêle,
L’amour comm’ la mort prend chacun.
Si deux corps d’vaient pas en fair’ qu’un
Yaurait pas des mâl’ et des f’melles !
Cont’ le sang, s’i’ veut qu’on s’unisse,
Tout’ les plus bonn’ raisons val’ rin :
I mèn’ le gars comme un taurin
Et la pucell’ comme un’ génisse.
Yen n’a pas un’ qui n’ rêv’ d’un homme,
D’un qu’ell’ connaît pas, mais qu’ell’ sent ;
Pas un’ qui n’ s’endorme y pensant,
Et qui n’y r’pense après son somme !
Les difficil’ sont cell’ qui s’parent,
Dans’ entre ell’, s’ distraient des garçons,
Les accueill’ avec des chansons,
Comme avec des rir’ s’en séparent.
Oui ! mais aux sons d’ la cornemuse,
J’ batifole à leur volonté...
Et j’ mets tant leur mine en gaieté
Que j’ finis par la rend’ confuse.
En fait d’ pucell’, viv’ l’eau dormante
La courant’ n’a pas l’ temps d’ songer,
Tandis que l’aut’, sans s’ défiger,
Ça n’ pens’ qu’au mal qui la tourmente.
L’ désir amoureux s’y mijote,
Quoiqu’ell’ n’en desserr’ pas les dents...
On verrait d’sus c’ qu’ell’ pense en d’dans :
C’est pour ça q’ si ben ça s’ cachotte.
C’est s’lon, c’est moins ou davantage,
Mais tout’ fill’, son sexe la tient.
L’amour y dort : un garçon vient...
Qui l’éveille à son avantage.
C’est c’que j’ fais ! Ell’s ont beau s’ défendre,
Moi, j’ai la natur’ dans mon jeu,
J’ gratt’ la cendre et j’ découv’ le feu ;
Seul’ment i’ faut savoir s’y prendre.
Faut choisir son jour et son heure,
La saison, l’endroit, pas s’ presser.
Ça dépend ! yen a q’ faut forcer !
Ces fois-là sont p’têt’ les meilleures.
À la façon d’ trousser sa jupe,
D’arranger ses ch’veux sous l’ bonnet,
À la march’, surtout, on r’connaît
L’ temps qu’on mettra pour faire un’ dupe.
Avec les joyeus’ je sais rire,
Avec les trist’ je sais pleurer,
Tout en m’ taisant, j’ sais soupirer
Avec cell’ qui n’ont rien à dire.
J’ not’ leur air franc ou saint’ nitouche,
Leur genre de silence ou d’ caquet,
L’ sec ou l’ mouillé d’ leurs deux quinquets,
Comm’ l’ouvert ou l’ pincé d’ leur bouche.
J’examin’ cell’ qui sont heureuses
D’ porter, au cou, des p’tits enfants.
L’instinct d’êt’ mèr’ suffit souvent
Pour qu’un’ fill’ devienne amoureuse.
J’ suis timide avec la pimbêche,
Rapide avec cell’ qu’a du sang,
Et, toujours, les contrefaisant,
Ya pas d’ danger q’ j’évent’ la mèche !
J’ prends leur humeur, j’ flatt’ leur manie,
Ell’ chang’ d’avis, moi pareill’ment.
Je n’ leur donn’, sans jamais d’ gên’ment,
Q’ du plaisir dans ma compagnie.
Au fond, je m’ dis et ça m’amuse :
Que j’ suis pas plus menteur, vraiment !
Qu’ell’s autr’ qui m’ voudraient pour amant
Et qui font cell’-là qui me r’fusent.
C’est mes r’gards seuls qui leur demandent
C’ que j’ désir’ d’ell’. Ma bouch’, ma main,
Seul’ment commenc’ à s’ mettre en ch’min,
Quand leurs yeux m’dis’ qu’ell’ les attendent.
Dans ma prunell’ qui leur tend l’ piège
R’culant d’abord ell’ veul’ pas s’ voir,
Et puis, ell’ s’y mir’, sans pouvoir
S’ désengluer du sortilège.
La bergèr’ sag’, la moins follette,
J’ l’endors ! qu’elle en lâch’ son fuseau...
Comm’ l’aspic magnétis’ l’oiseau,
Comme un crapaud charme un’ belette.
C’est pourquoi, la pauvress’, la riche,
Tout’ fille, à mon gré, m’ donn’ son cœur !
Ma foi ! j’ me fie à ma vigueur,
J’en ai ben trop pour en êtr’ chiche !
D’autant plus que j’peux pas leur nuire...
Personn’ sait q’ moi q’ j’ai leur honneur
Et j’ai la chanc’, pour leur bonheur,
De libertiner sans r’produire ! »
Et le bon vieux dit : « Tu caus’ ben...
Quoiqu’ ça peut êtr’ de la vant’rie.
Moi non plus, pour la galant’rie,
À ton âg’ j’étais pas lambin.
Aussi vrai q’ tous deux on déjeune
Tu t’amus’ras jamais plus jeune !
Ta folie est c’ que fut la mienne.
Tu brûl’, mais glaçon tu d’viendras.
Crois-moi : prends-en l’ plus q’ tu pourras !
Ça t’ pass’ra avant q’ ça m’ revienne !
poésie de Maurice Rollinat
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Le Sourd
Le braconnier ayant lu sur sa vieille ardoise
Que je lui demandais son histoire, sourit,
Et, dans son clair regard me dardant son esprit,
Ainsi parla, de voix bonhomique et narquoise :
« C’que j’vas vous dir’ c’est pas au mensong’ que j’l’emprunte !
J’suis sourd, mais si tell’ment que j’n’entends pas, ma foi
Partir mon coup d’fusil — ben q’pourtant j’eus aut’fois
L’oreille aussi vivant’ qu’elle est maint’nant défunte.
Ça m’est v’nu, ya dans les vingt-cinq ans, d’la morsure
D’un’ vipèr’ qui, sans doute, avait des mauvais v’nins.
Tant pis ! j’ai pas jamais consulté les méd’cins,
Bon’ment j’ai gardé l’mal q’m’avait fait la Nature.
Eh ben ! ça m’est égal, j’n’en ai ni désolance,
Ni gêne, et vous allez en savoir la raison :
Oui ! m’semb’ qui m’reste encore un peu d’entendaison,
Que j’suis pas, tant qu’on l’croit, enterré dans l’silence.
Moi qui, d’fait, n’entend rien, q’ça criaille ou q’ça beugle !
On dit q’chez les aveugl’, homm’ ou femm’, jeun’s ou vieux,
L’astuce de l’oreill’ répar’ la mort des yeux...
Voyez c’que c’est ! chez moi c’est au r’bours des aveugles !
Tout l’vif du sang, d’l’esprit, tout’ l’âme de mes moelles,
La crèm’ de ma prudence et l’finfin d’mon jug’ment,
La fleur de mon adress’, d’ma rus’, de mon d’vin’ment
Et d’ma patienc’ ? je l’ai dans l’jaun’ de mes prunelles.
C’en est sorcier tell’ment q’j’ai l’œil sûr à toute heure,
Pendant l’jour comme un aigl’, la nuit comme un hibou,
De loin j’peux voir rentrer un grillon dans son trou,
Et ramper sur la mouss’ le filet d’eau qui pleure.
Des gens, l’air naturel et la bouch’ pas pincée,
Médis’ de moi ? je l’sens avec mes deux quinquets,
Et, quand j’les r’garde, alors, ils sont comm’ tout inqu’ets
D’mon sourir’ qui leur dit que j’connais leur pensée.
La soupçonn’rie, es’pas ? C’est un’ bonn’ conseillère,
Q’l’expérienc’ tôt ou tard finit par vous donner,
J’peux donc m’vanter, chaq’fois qu’ell’ me fait m’retourner,
Q’mes yeux qui voient d’côté voient aussi par derrière.
Puis, j’possède un’ mémoir’ qui r’met tout à sa place,
Les chos’ et les personn’ que j’connus étant p’tit,
Où tout c’que mes organ’ d’âme et d’corps ont senti
Parl’ comm’ dans un écho, se mir’ comm’ dans un’ glace.
Donc, les sons q’j’aimais pas, maint’nant j’peux m’en défendre,
N’voulant plus m’en souv’nir i’ sont ben trépassés,
Tandis que ma mémoir’ ramène du passé,
Fait r’musiquer en moi tous ceux q’j’aimais entendre.
Je m’redis couramment dans l’âme et la cervelle
L’gazouillant des ruisseaux, l’croulant des déversoirs,
La plaint’ du rossignol, du crapaud dans les soirs,
L’suret d’la cornemuse et l’nasillant d’la vielle.
I’ m’suffit d’rencontrer d’la bell’ jeunesse folle
Pour que l’éclat d’son rir’ tintinne dans mon cœur,
J’n’ai qu’à voir s’agiter les grands arb’ en langueur
Pour entend’ soupirer l’halein’ du vent qui vole.
T’nez ! à présent, j’suis vieux, j’suis seul, j’n’ai plus personne,
Ma femme est mort’, j’suis veuf... d’une façon, j’le suis pas,
Puisqu’à mon gré, j’écout’ resaboter ses pas,
Et qu’en moi sa voix, tell’ qu’ell’ résonnait, résonne.
Ainsi d’la sort’, j’ai fait de ma surdité queq’chose
Qui dans l’fond du silenc’ me permet d’trier l’bruit,
S’prêtant à mes moments d’bonne humeur ou d’ennui,
S’accommodant à moi quand j’marche ou que j’me r’pose.
Ajoutez q’si j’ai l’œil aussi malin q’l’ajasse,
Mes mains font tout c’que j’veux quand un’ bonn’ fois j’m’y mets,
Et que l’flair de mon nez où l’tabac rentr’ jamais
Pour tout c’qu’a d’la senteur vaut celui du chien d’chasse.
Pour le ravin, la côte et l’mont j’ai l’pied d’la chèvre,
Mes vieux ongl’ sus l’rocher mordent comme un crampon,
Et que j’pêche ou que j’chass’, toujours à moi l’pompon !
J’guign’ la truit’ dans l’bouillon et dans l’fourré j’vois l’lièvre.
Avec ça, l’estomac si bon que j’peux y mettre
D’l’avance ou ben du r’tard, du jeûne ou d’l’excédent,
Et, pour mon dur métier toujours vagabondant,
Des jamb’ qui s’fatig’ pas d’brûler des kilomètres.
Je r’grett’ de pas entend’ les bonn’ parol’ du monde,
Bah ! l’plus souvent yen a tant d’mauvais’ au travers...
Et j’m’en vas braconnant, les étés, les hivers,
Vendant gibier, poisson, à dix lieues à la ronde.
Tel je vis, rendant grâce au sort qui nous gouverne,
De m’laisser comme un r’mède à mon infirmité
L’œil toujours fin, l’souv’nir toujours ressuscité :
Pour la nuit et l’passé les deux meilleur’ lanternes.
Là -d’sus, à vot’ santé ! Voici q’l’ombr’ se fait noire,
Merci d’vot’ honnêt’té. Foi d’sourd — pas comme un pot
Quand j’vous rencontrerai, j’vous lèv’rai mon chapeau
Pour le fameux coup d’vin q’vot’ bon cœur m’a fait boire !
poésie de Maurice Rollinat
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Domestique de peintre
Ah ! monsieur ! mon métier d’domestique a changé,
Me dit le grand Charly, son béret sur l’oreille :
En yentrant, j’croyais pas trouver un’ plac’ pareille,
Et j’n’ai jamais encor si bien bu, ni mangé.
Mon maîtr’ ? C’est un homm’ simpl’ qui rest’ dans sa nature,
Sans s’occuper d’la mode et du mond’ d’aujourd’hui,
Laissant pousser bien longs ses ch’veux d’un noir qui r’luit,
Tout comm’ ces comédiens qui pass’ dans des voitures.
I’ m’en paye à gogo des goutt’ et du tabac !
I’ m’donn’ des vieux habits et des neufs, sans q’j’y d’mande,
Et doux, l’air comm’ gêné tout’ les fois qui m’commande,
I’ s’inquièt’ de ma bourse et de mon estomac.
Sûr ! que j’ai jamais vu son pareil ! l’diabl’ me torde !
J’veux balayer sa chambre et ranger dans les coins ?
Alors, i’ s’fâch’ tout roug’, disant : « Q’ya pas besoin,
Q’son œil, au r’bours des autr’, voit mieux clair dans l’désordre. »
Avec ça, s’rappelant tout c’qu’on y dit ou c’qu’i’ voit,
Sans jamais les écrir’ gardant mémoir’ des notes,
Dans sa têt’ qui, des fois, semble un’ têt’ de linotte,
Ayant réponse à tout, sachant l’car et l’pourquoi.
Yen a qui lis’ un livre, à lui yen faut des masses !
Sous l’pioch’ment agacé d’son pouc’ qu’i’ mouill’ souvent
Les tournements des pag’ ça fil’ comme le vent !
Puis, soudain’ment, i’ sort comm’ s’i’ manquait d’espace.
Ah l’drôl’ de maîtr’ que j’ai ! tout c’qu’est à lui c’est vôtre.
Un homm’ q’est franc comm’ l’or et bon comme du pain !
Des fois, i’ caus’ tout seul quand i’ marche ou qu’i’ peint ;
Il est dans un endroit ? qu’i’ veut êtr’ dans un autre !
Je l’sais ben moi qui l’suis dans ses cours’ endiablées,
I’ n’voyag’ que pour voir des couleurs. En errant,
I’ braq’ ses p’tits yeux noirs q’avont l’regard si grand
Sur chaq’ roche ou taillis des côt’s et des vallées.
Des fonds et des lointains, des plain’s et des nuages,
Il emport’ la peintur’ qu’i’ soutire au galop,
Tout l’jour, i’ pomp’ la nuanc’ de la verdure et d’l’eau,
Et, la nuit, cherche encor dans l’brun des paysages.
Ça l’prend tout feu tout flamme en fac’ de son ch’valet ;
Puis, l’pinceau dans la main, v’là q’sa grand’ chaleur gèle !
Il est si vite en bas qu’il est en haut d’l’échelle...
En tout’chose on dirait qu’i’ n’sait pas c’qui lui plaît.
I’ cause, i’ chante, i’ rit, en train d’boire et d’manger ?
V’là qu’i’ songe ! — On s’équipe ? on arriv’ pour pêcher ?
I’ veut peindr’ ! vers ses toil’ en tout’ hâte i’ m’dépêche ! —
Quand j’y port’ son fourbi pour travailler ? On pêche !
Sauriez-vous m’dir’ c’que c’est que c’ t’homm’ q’est gai, q’est triste,
Qui girouett’ jamais l’mêm’ et pass’ du chaud au froid ? »
— Et je lui répondis, parlant un peu pour moi :
« Ton maître, ce qu’il est, parbleu ! C’est un artiste !
Me comprends-tu ? — Ma foi ! monsieur, ya pas d’excès.
Artist’ ? dam’ ! moi, c’mot-là j’en connais pas l’mystère !
— Comment te dire alors ? Eh bien ! ton maître, c’est :
Un fou que sa raison tourmente sur la terre.
poésie de Maurice Rollinat
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L'Abandonnée
La belle en larmes
Pleure l’abandon de ses charmes
Dont un volage enjôleur
A cueilli la fleur.
Elle sanglote
Au bord de l’onde qui grelotte
Sous les peupliers tremblants,
Pendant que son regard flotte
Et se perd sous les nénufars blancs.
« Adieu ! dit-elle,
Ô toi qui me fus infidèle.
Je t’offre, avant de mourir,
Mon dernier soupir.
Je te pardonne,
Aussi douce que la Madone,
Je te bénis par ma mort.
Le trépas que je me donne,
Pour mon cœur c’est ton amour encor.
Mon souvenir tendre
Sait toujours te voir et t’entendre
Et, par lui, rien n’est effacé
Du bonheur passé.
Nos doux libertinages
Dans les ravins, sous les feuillages,
Au long des ruisseaux tortueux,
Sont encor de claires images
Revenant aux appels de mes yeux.
Ton fruit que je porte
Dans mon ventre de bientôt morte,
C’est toi-même, tes os, ton sang,
Ô mon cher amant !
Traits pour traits, il me semble
Si bien sentir qu’il te ressemble !
Je ne fais donc qu’une avec toi ;
Je me dis que, fondus ensemble,
Tu mourras en même temps que moi. »
Puis, blême et hagarde,
Elle se penche, elle regarde
Le plus noir profond de l’eau
Qui sera son tombeau.
Elle se pâme
Devant le gouffre qui la réclame,
Et dit le nom, en s’y jetant,
De l’homme qu’elle aimait tant
Que, sans lui, son corps n’avait plus d’âme !
poésie de Maurice Rollinat
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Je n’ose
je veux te dire une chose
si tu pouvais m’ecouter!
tu m’ecoutes... mais je n’ose
non, je n’ose te parler.
je te sais bonne et tres douce:
mais je te crains malgre moi.
l’oiseau tremble dans la mousse
et je tremble devant toi.
j’ai bien des choses a dire
mais je ne peux pas, j’ai peur...
je te vois deja sourire
et ton sourire est moqueur.
ta bouche est comme une rose...
tu vas te railler de moi
je suis si gauche et je n’ose
lever les yeux devant toi!
ton port est un port de reine
ton regard est imposant
alors, tu comprends sans peine
pourquoi je t’admire tant
je te voudrais souveraine
et moi je serais ton roi
meme etant sur de ta haine
j’aimerais mourir pour toi
je suis bete, c’est possible
pourtant, je sais bien aimer
mon cœur n’est pas insensible
mais je ne puis m’exprimer
ah! si je savais te dire
l’amour que je sens pour toi
non, tu ne voudrais plus rire
et tu n’aimerais que moi.
poésie de Iulia Hașdeu
Ajouté par Simona Enache
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Le Père Pierre
Fantastiques d’aspect sous leur noire capote,
Mais, très humaines par leurs caq[...]s superflus,
Les commères, barrant la route aux verts talus,
À la messe s’en vont d’un gros pas qui sabote.
« Tiens ! v’là l’pèr’ Pierr’ ! fait l’une, un malin, celui-là !
Pour accrocher l’ poisson quand personn’ peut en prendre ;
I’ dit q’ quand il a faim, d’ fumer q’ça l’ fait attendre,
Et qu’un’ bonn’ pip’ souvent vaut mieux qu’un mauvais plat. »
L’homme les joint bientôt. En chœur elles s’écrient :
« Il faut croire, à vous voir marcher
En tournant l’ dos à not’ clocher,
Q’v’allez pas à la messe ! » et puis, dame ! elles rient...
« Moi ? si fait ! leur répond simplement le vieux Pierre,
Mais, tout par la nature ! étant ma seul’ devise,
J’ vas à la mess’ de la rivière
Du bon soleil et d’ la fraîcheur,
Avec le ravin pour église,
Et pour curé l’ martin-pêcheur.
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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Le bon fou
Il n'a que sa chemise écrue et sa culotte
Pour tout costume. Il porte un bonnet de coton.
Tel il rôde, faisant mouliner son bâton.
Promenant l'ébahi de son regard qui flotte.
Barbu, gras et rougeaud, il montre ses dents blanches,
Son poitrail tout velu comme celui des loups,
Les muscles de ses bras, les noeuds de ses genoux,
Et dandine sa marche au roulis de ses hanches.
Parfois, sur son chemin, inerte comme un marbre,
Il s'arrête debout, regardant ciel ou sol,
Quelque grand oiseau fauve élargissant son vol,
Un champignon verdi qui sèche au pied d'un arbre.
Sa songerie alors s'épanche en un langage
Tour à tour sifflement, chant, grognement, parler ;
Il imite, entendant telle ou telle eau couler,
Le murmure ou le bruit croulant qu'elle dégage.
Aux prés, de son bâton, il racle doux l'échine
Du bétail engourdi dont il sait les secrets,
Ou, grave, l'étendant, jette sur les guérets
Un bon sort aux moissons que son rêve imagine.
Le froid noir des ciels blancs, l'éclair des ciels de suie,
Il y reste impassible autant que le rocher ;
Et, recherchant l'averse au lieu de se cacher,
Du même pas rythmique avance dans la pluie.
Il emporte son pain qu'il mange dans ses courses,
L'émiettant, ça et là , pour les petits oiseaux,
Et va boire, Ã genoux, parmi joncs et roseaux,
Aux masses des torrents comme au filet des sources.
Toujours égal, jamais colère, jamais ivre,
Comme s'il se sentait au-dessous des humains,
Il est muet avec les gens, sur les chemins,
Rentré, ne parle pas aux siens qui le font vivre.
C'est pourquoi lui faisant sa suite coutumière,
Chaque fois, sur la place, il attend que le mort
Ait eu ses 'libera' pour l'escorter encor
Juste en face du seuil, mais loin du cimetière.
Il ne répond qu'aux bruits des choses et des bêtes
Qu'il trouve à l'unisson fraternel de ses voix,
Interpelle aussi lien le silence des bois
Qu'il jette sa parole au fracas des tempêtes.
Courbé sur sa charrue, ou le pied sur sa pelle,
Le paysan le suit des yeux avec respect,
Bien qu'il soit, nuit et jour, routinier de l'aspect
De ce ' membre de Dieu ', comme chacun l'appelle.
Et les femmes, passant dans leur mélancolie,
Rencontrent sans effroi cet hercule enfantin,
Sachant que la nature a fait bon son instinct,
Qu'elle a virginisé sa tranquille folie.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Bon Fou
Il n’a que sa chemise écrue et sa culotte
Pour tout costume. Il porte un bonnet de coton.
Tel il rôde, faisant mouliner son bâton.
Promenant l’ébahi de son regard qui flotte.
Barbu, gras et rougeaud, il montre ses dents blanches,
Son poitrail tout velu comme celui des loups,
Les muscles de ses bras, les nœuds de ses genoux,
Et dandine sa marche au roulis de ses hanches.
Parfois, sur son chemin, inerte comme un marbre,
Il s’arrête debout, regardant ciel ou sol,
Quelque grand oiseau fauve élargissant son vol,
Un champignon verdi qui sèche au pied d’un arbre.
Sa songerie alors s’épanche en un langage
Tour à tour sifflement, chant, grognement, parler ;
Il imite, entendant telle ou telle eau couler,
Le murmure ou le bruit croulant qu’elle dégage.
Aux prés, de son bâton, il racle doux l’échine
Du bétail engourdi dont il sait les secrets,
Ou, grave, l’étendant, jette sur les guérets
Un bon sort aux moissons que son rêve imagine.
Le froid noir des ciels blancs, l’éclair des ciels de suie,
Il y reste impassible autant que le rocher ;
Et, recherchant l’averse au lieu de se cacher,
Du même pas rythmique avance dans la pluie.
Il emporte son pain qu’il mange dans ses courses,
L’émiettant, ça et là , pour les petits oiseaux,
Et va boire, Ã genoux, parmi joncs et roseaux,
Aux masses des torrents comme au filet des sources.
Toujours égal, jamais colère, jamais ivre,
Comme s’il se sentait au-dessous des humains,
Il est muet avec les gens, sur les chemins,
Rentré, ne parle pas aux siens qui le font vivre.
C’est pourquoi lui faisant sa suite coutumière,
Chaque fois, sur la place, il attend que le mort
Ait eu ses libera pour l’escorter encor
Juste en face du seuil, mais loin du cimetière.
Il ne répond qu’aux bruits des choses et des bêtes
Qu’il trouve à l’unisson fraternel de ses voix,
Interpelle aussi lien le silence des bois
Qu’il jette sa parole au fracas des tempêtes.
Courbé sur sa charrue, ou le pied sur sa pelle,
Le paysan le suit des yeux avec respect,
Bien qu’il soit, nuit et jour, routinier de l’aspect
De ce « membre de Dieu », comme chacun l’appelle.
Et les femmes, passant dans leur mélancolie,
Rencontrent sans effroi cet hercule enfantin,
Sachant que la nature a fait bon son instinct,
Qu’elle a virginisé sa tranquille folie.
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Ballade du cadavre
Dès qu’au clocher voisin l’âme a volé tout droit
Et dit au vieux bourdon : « Glas ! il faut que tu tintes !
Le cadavre plombé dont la chaleur décroît,
Nez réduit, bouche ouverte et prunelles éteintes,
Se roidit en prenant la plus blême des teintes.
Puis, l’Ange noir chuchote à ce morceau de chair :
« Qu’on te regrette ou non, cercueil cher ou pas cher,
« Avec où sans honneurs, tout nu comme en toilette,
« À six pieds dans le sol tu subiras, mon cher,
« La pourriture lente et l’ennui du squelette ! »
Après la mise en bière, on procède au convoi :
Or, si peu de pleurs vrais et tant de larmes feintes
Gonflent l’œil des suiveurs, que le Mort qui les voit,
Trouve encor sur son masque où les stupeurs sont peintes
La grimace du cri, du reproche et des plaintes.
L’orgue désespéré gronde comme la mer,
Le plain-chant caverneux traîne un sanglot amer
Et l’encensoir vacille avec sa cassolette ;
Mais tout cela, pour lui, chante sur le même air
La pourriture lente et l’ennui du squelette.
Durant l’affreux trajet, il songe avec effroi
Qu’on va le perdre au fond d’éternels labyrinthes ;
Sur ses mains, sur ses pieds, sur tout son corps si froid
La mort de plus en plus incruste ses empreintes,
Et le linceul collant resserre ses étreintes.
Il tombe dans la fosse, et bientôt recouvert
D’argile et de cailloux mêlés de gazon vert,
Le malheureux défunt, dans une nuit complète,
S’entend signifier par la bouche du ver
La pourriture lente et l’ennui du squelette.
ENVOI.
Oh ! qu’il te soit donné, Flamme, sœur de l’éclair,
À toi, Démon si pur qui fais claquer dans l’air
Ta langue aux sept couleurs, élastique et follette,
D’épargner au cadavre, avec ton baiser clair,
La pourriture lente et l’ennui du squelette.
poésie de Maurice Rollinat
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Croissez et multipliez
Ne sortant pas de faire jeûne,
Une fois, le père Lucas,
Sincère, et du fond de son âme,
Disait à ses quatre grands gars,
Tous, de l’aîné jusqu’au plus jeune,
Bien en âge de prendre femme :
« Mes enfants, faut peupler d’son espèc’ ! Ya pas d’trêve !
Faut q’tout c’qui vit engendre ! et qu’toujours s’accroissant,
Les êtr’ les uns aux autr’, sans fin, se r’pass’ leur sang,
Tel’ qu’aux racin’ des arb’ la terr’ coule sa sève.
Tout’ femelle est un champ où l’bon mâle i’ doit s’mer
La grain’ d’humanité qu’est dans l’grenier d’son être :
B’sogn’ douce et ben commod’ ! Puisqu’ y a besoin q’d’aimer,
Et q’sans plaisi’ pour l’homm’, l’enfant pourrait pas naître.
Dans c’champ-là qu’est l’plus nobl’ faut fair’ de beaux sillons,
Q’l’homme y mèn’ la charrue au c’mand’ment d’la nature,
Avec la bell’ chaleur du sang pour aiguillon
D’l’amour qui doit tout l’temps penser à sa culture !
Dans ceux chos’là , faut pas, trop à sa fantaisie,
Écouter les conseils du vice et d’la boisson.
En s’mant, i’ faut toujours songer à la moisson,
Féconder sérieusement l’épous’ qu’on a choisie.
Faut êt’ chaud, mais d’instinct réglé comm’ ceux bêt’ fauves ;
D’êt’ trop paillard ou d’l’êt pas assez… C’est un tort !
Dit’ vous ben qu’vous êt’ vu, quand l’amour joint les corps,
Par le grand oeil d’en haut dont pas un homm’ se sauve.
Dieu merci ! vous n’êt’ pas des poussifs à teint pâle,
Vous avez bonn’ poitrine et fort tempérament,
Vous d’vez donc tous les quat’ faire offic’ de bons mâles,
Accomplir sans tricher vot’ destin d’engross’ment.
Mangez fort ! et fait’-vous du sang, des muscl’, des os !
Buvez ! mais sans jamais perd’ la raison d’un’ ligne ;
Pas trop d’pein’ ! Ceux qui s’us’ au travail sont des sots.
Réglez la sueur du corps ainsi q’le jus d’la vigne !
Comm’ faut q’la femm’ soit pure avec des yeux ardents,
Q’fièr’ dans les bras d’l’époux qui n’cherch’ qu’à la rend’ mère
Ell’ yoffr’ l’instant d’bonheur qui fait claquer ses dents
Pour que leur vie ensemb’ ne soit jamais amère.
Voyez-vous ? l’trôn’ d’un’ femme ? C’est l’lit d’son cher époux.
C’est là q’jeune ell’ pratiq’ l’amour sans badinage,
Et q’vieille ell’ prend, des fois, encore un r’pos ben doux
Au long d’son vieux, après les soucis du ménage.
Là -d’sus buvons un coup ! dans ceux chos’ de l’amour
J’vous souhait’ de pas vous j’ter comme un goret qui s’vautre,
Et que, pour chacun d’vous, l’plus cher désir toujours :
Ça soit d’faire des enfants qui puiss’ en faire d’autres !
poésie de Maurice Rollinat
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La Petite SÅ“ur
En gardant ses douze cochons
Ainsi que leur mère qui grogne,
Et du groin laboure, cogne,
Derrière ses fils folichons,
La sœurette, bonne d’enfant,
Porte à deux bras son petit frère
Qu’elle s’ingénie à distraire,
Tendre, avec un soin émouvant.
C’est l’automne : le ciel reluit.
Au long des marais de la brande
Elle va, pas beaucoup plus grande,
Ni guère plus grosse que lui.
Ne s’arrêtant pas de baiser
La petite tête chenue,
Sa bouche grimace, menue,
Rit à l’enfant pour l’amuser.
Elle lui montre le bouleau ;
Et lui dit : « Tiens ! la belle glace ! »
Et le tenant bien, le déplace
Pour le pencher un peu sur l’eau.
Et puis, par elle sont épiés
Tous les désirs de ses menottes ;
Elle chatouille ses quenottes,
Elle palpe ses petits pieds.
Sa chevelure jaune blé
Gazant son œil bleu qui l’étoile,
Contre le soleil fait un voile,
Au baby frais et potelé.
Ils sont là , parmi les roseaux,
Dans la Nature verte et rousse,
Au même titre que la mousse,
Les insectes et les oiseaux :
Aussi poétiques à l’œil,
Vénérables à la pensée !
Double âme autant qu’eux dispensée
De l’ennui, du mal et du deuil !
Par instants, un petit cochon,
Sous son poil dur et blanc qui brille,
Tout rosâtre, la queue en vrille,
Vient vers eux d’un air drôlichon.
Il s’en approche, curieux,
Les lorgne comme deux merveilles,
Et repart, ses longues oreilles
Tapotant sur ses petits yeux.
Et puis, c’est un lézard glissant,
Ou leur chienne désaccroupie,
Éternuant, tout ébaubie,
Pendant son grattage plaisant.
Alors la sœur dit au petiot
Dont l’œil suivait un vol de mouche :
« Regarde-la donc qui se mouche
« Et qui s’épuce — la Margot ! »
Au souffle du vent caresseur
Chacun fait son bruit monotone :
Ce qu’elle dit — ce qu’il chantonne :
Même vague et même douceur !
Entre des vols de papillons
Leur murmure plein d’indolence
S’harmonise dans le silence
Avec la chanson des grillons.
Mais le marmot que le besoin
Gouverne encore à son caprice
Crie et réclame sa nourrice
En agitant son petit poing.
Ses pleurs sont à peine séchés
Qu’il en reperle sur sa joue...
La sœurette lutine et joue
Avec ces chagrins si légers.
À mesure qu’il geint plus fort,
Que davantage il se désole,
Sa patience le console
Avec plus de sourire encor.
Le tourment de l’enfant navré
A grossi les larmes qu’il verse...
Elle le berce — elle le berce,
Le pauvre tout petit sevré !
Elle l’appelle « son Jésus ! »
Le berce encore et lui reparle,
Tant qu’elle endort le petit Charle,
Mais l’âge reprend le dessus.
Elle est fatiguée, elle a faim.
Elle va comme une machine,
Renversant un peu son échine
Sous ce poids trop lourd à la fin.
L’enfant recommence à crier :
Sa sœur met sa force dernière
À le porter — taille en arrière
Que toujours plus on voit plier.
C’est temps qu’il ne dise plus rien !
Sur sa capote elle le pose,
Et pendant qu’il sommeille, rose,
Elle mange auprès, va, revient,
D’un pied mutin, vif et danseur.
Et quand le petiot se réveille,
Il retrouve toujours pareille
La Maternité de sa sœur.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Distrait
Le bon père Sylvain, ayant bu sa chopine,
Des bras et du bonnet opine
Pour le patron du cabaret
Qui vient de l’appeler en riant : « Vieux distrait !
« C’est ben vrai ! Je l’dis sans mystère,
Si j’suis l’plus fin buveur de vin
J’suis aussi l’plus distrait d’la terre,
Fait, goguenardement, le vieux père Sylvain.
En vill’, cheux nous, où que j’me mouve,
Quoi que j’dise ou que j’fasse’, ya pas !
Mêm’ dans les affair’ du trépas,
J’suis toujours distrait, et j’le prouve :
Il faut dir’ que c’jour-là , ma foi !
Les gens fur’ coupab’ autant q’moi.
L’nouveau-né d’ma voisine étant donc mort-défunt,
J’fus à l’enterr’ment comm’ chacun.
Asseyez-vous ! qu’on m’dit, pèr’ Sylvain ! J’prends une chaise,
J’étais pas mal, sans être à l’aise...
C’était par un ch’ti temps d’décembre
Qui brouillait l’jour gris dans la chambre ;
Les uns étaient en réflexion,
D’aut’ pleuraient, sans faire attention.
V’là q’celui qui port’ les p’tits morts
Arrive et dit : « Où donc q’ya l’corps ? »
On cherch’ partout, à gauche, à droite,
Tant qu’enfin l’pèr’, v’nant à trouver,
M’fait signe en colèr’ de m’lever :
J’m’étais ben assis d’sus la boîte !
poésie de Maurice Rollinat
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Le Père Éloi
Une nuit, dans un vieux cimetière pas riche,
Ivre, le père Éloi, sacristain-fossoyeur,
Parlait ainsi, d’un ton bonhomique et gouailleur,
Gesticulant penché sur une tombe en friche :
« Après que j’suis sorti d’l’auberge
En sonnant l’Angelus, à c’soir,
J’m’ai dit comme’ ça : Faut q’jaill’ la voir
Au lieu d’y fair’ brûler un cierge !
J’te dérang’ ! Sous l’herbe et la ronce
T’es là ben tranquille à r’poser ;
Bah ! tout seul, un brin, j’vas t’causer :
T’as pu d’langu’, j’attends pas d’réponse.
T’causer ? T’as des oreill’ de cend’e...
Et t’étais sourde avant l’trépas.
Mais, quéq’ ça fait q’tu m’entend’ pas...
Si mon idée est q’tu m’entendes.
J’pense à toi souvent, va, pauv’ grosse,
Beaucoup le jour, surtout la nuit,
Dans la noc’ comme dans l’ennui,
Que j’boiv’ chopine ou creuse un’ fosse.
J’me saoul’ pas pu depuis q’t’es morte
Que quand t’étais du monde. Enfin,
C’est pas tout ça ! moi, j’aim’ le vin,
J’peux l’entonner puisque j’le porte.
Fidèl’ ? là -d’sus faut laisser faire
Le naturel ! on n’est pas d’bois...
C’que c’est ! j’y pens’ pas quant e’ j’bois,
Quant’ j’ai bu, c’est une aut’ affaire !...
Si j’en trouve un’ qu’est pas trop vieille,
Ma foi ! j’vas pas chercher d’témoins !
Pourtant, l’âg’ yétant, j’pratiqu’ moins
La créatur’ que la bouteille.
Bah ! je l’sais, t’es pas pu jalouse
Que cell’ qu’a pris ta succession.
Es’ pas q’j’ai ton absolution ?
Dis ? ma premièr’ défunte épouse ?
Des services ? t’as ma promesse
Que j’ten f’rai dir’ par mon bourgeois.
Quoiq’ça, c’est inutil’ : chaqu’ fois,
J’te r’command’ en servant sa messe.
J’voudrais t’donner queq’chos’ qui t’aille :
Qui qui t’plairait ? qu’est-c’que tu veux ?
Un’ coiff’ ? mais, tu n’as pu d’cheveux.
Un corset ? mais, tu n’as pu d’taille.
Un’ rob’ ? t’es qu’un bout de squelette.
Des mitain’ ? T’as des mains d’poussier.
Des sabots garnis ? t’as pu d’pieds.
Faut pas songer à la toilette !
T’donner à manger ? bon ! ça rentre...
Mais, pour tomber où ? dans quel sac ?
Puisque tu n’as pu d’estomac,
Pu d’gosier, pu d’boyaux, pu d’ventre !
D’l’argent ? mais, dans ton coin d’cimetière
Qué q’t’ach’t’rais donc ? Seigneur de Dieu !
Allons ! tiens ! pour te dire adieu
J’vas t’fair’ cadeau d’un’ bonn’ prière.
Si ça t’fait pas d’bien, comm’ dit l’autre,
Au moins, ben sûr, ça t’fra pas d’mal.
Mais, tu m’coût’ pas cher... c’est égal !
Tu la mérit’ long’ la pat’nôtre ! »
Or, en fait d’oraison longue, le vieux narquois
Partit tout simplement, sur un signe de croix,
Grognant : « C’est tard ! tant pis, j’ai trop soif, l’diab’ m’emporte !
J’vas boire à la santé de l’âme de la morte
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Réponse d'un sage
Un jour qu’avec sollicitude
Des habitants d’une cité
L’avaient longuement exhorté
À sortir de sa solitude :
« Qu’irais-je donc faire à la ville ?
Dit le songeur au teint vermeil,
Regardant mourir le soleil,
D’un air onctueux et tranquille.
Ici, de l’hiver à l’automne,
Dans la paix des yeux, du cerveau,
J’éprouve toujours de nouveau
La surprise du monotone.
Mes pensers qu’inspirent, composent,
Les doux bruits, les molles couleurs,
Sont des papillons sur des fleurs,
Voltigeant plus qu’ils ne se posent.
Fuir pour les modes, les usages
D’un enfer artificiel
Le grand paradis naturel ?
Non ! je reste à mes paysages.
Chez eux, pour moi, je le proclame !
Le temps se dévide enchanté.
J’ai l’extase de la santé,
Le radieux essor de l’âme.
Mon cœur après rien ne soupire.
Je tire mon ravissement
De l’espace et du firmament.
C’est tout l’infini que j’aspire !
Vos noirs fourmillements humains
Courant d’incertains lendemains ?...
J’aime mieux ces nuages roses !
Et je finirai dans ce coin
Mon court passage de témoin,
Devant l’éternité des choses.
poésie de Maurice Rollinat
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