Le Solitaire
Le vieux qui, vert encore, approchait des cent ans,
Me dit : « Malgré l’soin d’mes enfants
Et les bontés d’mon voisinage,
J’suis seul, ayant perdu tous ceux qui s’raient d’mon âge.
Vous ? vot’ génération ? Ça s’balanc’ ! mais d’la mienne
Ya plus q’moi qui rest’ dans l’pays.
Ceux que j’croyais qui f’raient des anciens m’ont trahi :
I’ sont morts tout jeun’ à la peine.
Chaq’ maison qui n’boug pas, ell’ ! sous l’temps qui s’écoule,
M’rappelle un q’j’ai connu, laboureur ou berger,
À qui j’parl’ sans répons’, que je r’gard’ sans l’toucher ;
Au cimtièr’, j’les vois tous a la fois, comme un’ foule !
C’est pourquoi, quand j’y fais mon p’tit tour solitaire,
Souvent, j’pense, où que j’pos’ le pied,
Q’les morts sont là , tous à m’épier...
Et j’m’imagine, des instants,
Qu’i m’tir’ par les jamb’ ! mécontents
Que j’les ai pas encor rejoindus sous la terre.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Vieux Chaland
Voyez ! j’vis seul dans c’grand moulin
Dont plus jamais l’tic tac résonne ;
J’m’en occup’ plus, n’ayant personne...
Mais c’est l’sort : jamais je n’m’ai plaint.
C’t’existenc’ déserte et si r’cluse
Ent’ la montagne et la forêt
Plaît à mon goût q’aim’ le secret,
Puis, j’ai mon copain sur l’écluse !
Le v’là ! c’est l’grand chaland d’famille.
À présent, ses flancs et sa quille
Sont usés ; l’malheureux bateau,
Malgré que j’le soigne, i’ prend d’l’eau,
Tout ainsi q’moi j’prends d’la faiblesse.
Ah dam’ ! c’est q’d’âg’ nous nous suivons,
Et q’sans r’mèd’ tous deux nous avons
L’mêm’ vilain mal q’est la vieillesse.
Des vrais madriers q’ses traverses !
Et qui n’sont pas prêts d’êt’ rompus.
C’est bâti comme on n’bâtit plus !
Trop bien assis pour que ça verse.
En a-t-i’ employé du chêne
Aussi droit q’long, et pas du m’nu !
C’bateau plat q’j’ai toujou’ connu
Avec sa même énorm’ grand’ chaîne !
Pour nous, maint’nant, le r’pos et l’songe
C’est plus guèr’ que du croupiss’ment.
À séjourner là , fixement,
Lui, l’eau, moi, l’ennui, — ça nous ronge.
Mais, n’ya plus d’force absolument.
Faut s’ménager pour qu’on s’prolonge !
Si j’disais non ! ça s’rait mensonge.
J’somm’ trop vieux pour le navig’ment.
Sûr que non ! c’est pas comme aut’fois,
Du temps q’yavait tant d’truit’ et d’perches,
« Au bateau ! » m’criaient tout’ les voix...
Les pêcheurs étaient à ma r’cherche ;
À tous les instants mes gros doigts
Se r’courbaient, noués sur ma perche.
Malheur ! quel bon chaland c’était !
Vous parlez que c’lui-là flottait
Sans jamais broncher sous la charge !
Toujours ferme à tous les assauts
Des plus grands vents, des plus grand’s eaux,
I’ filait en long comme en large.
Et la nuit, sous la lun’ qui glisse,
Quand, prom’nant mes yeux d’loup-cervier,
J’pêchais tout seul à l’épervier,
Oh ! qu’il était donc bon complice !
Comme i’ manœuvrait son coul’ment,
En douceur d’huil’, silencieus’ment,
Aussi mort que l’onde était lisse !
I’ savait mes façons, c’que c’est !
On aurait dit qu’i’ m’connaissait.
Qu’il avait une âm’ dans sa masse.
À mes souhaits, tout son gros bois
Voguait comm’ s’il avait pas d’poids,
Ou ben rampait comme un’ limace.
Oui ! dans c’temps-là , j’étions solides.
Il avait pas d’mouss’ — moi, pas d’rides.
J’aimions les aventur’ chacun ;
Et tous deux pour le goût d’la nage
Nous étions d’si près voisinage
Q’toujours ensemble on n’faisait qu’un.
Sur l’écluse i’ s’en allait crâne,
J’crois qu’on aurait pu, l’bon Dieu m’damne !
Y fair’ porter toute un’ maison.
En a-t-i’ passé des foisons
D’bœufs, d’chevaux, d’cochons, d’ouaill’ et d’ânes !
I’ charriait pomm’ de terr’, bett’raves,
D’quoi vous en remplir toute un’ cave,
Du blé, du vin, ben d’autr’ encor,
Des madriers, des pierr’, des cosses,
Et puis des baptêm’ et des noces,
Sans compter qu’i’ passait des morts.
Oh ! C’est ben pour ça qu’en moi-même
Autant je l’respecte et je l’aime
Mon pauv’ vieux chaland vermoulu ;
C’est qu’un à un sur la rivière
Il a passé pour le cim’tière
Tous mes gens que je n’verrai plus.
J’ai fait promettre à la commune
À qui j’lég’rai ma petit’ fortune
Q’jusqu’à temps qu’i’ coule au fond d’l’eau,
On l’laiss’ra tranquill’ sous c’bouleau,
Dans sa moisissure et sa rouille.
J’mourrai content pac’que l’lend’main,
Pendant un tout p’tit bout d’chemin,
C’est lui qui port’ra ma dépouille.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Sourd
Le braconnier ayant lu sur sa vieille ardoise
Que je lui demandais son histoire, sourit,
Et, dans son clair regard me dardant son esprit,
Ainsi parla, de voix bonhomique et narquoise :
« C’que j’vas vous dir’ c’est pas au mensong’ que j’l’emprunte !
J’suis sourd, mais si tell’ment que j’n’entends pas, ma foi
Partir mon coup d’fusil — ben q’pourtant j’eus aut’fois
L’oreille aussi vivant’ qu’elle est maint’nant défunte.
Ça m’est v’nu, ya dans les vingt-cinq ans, d’la morsure
D’un’ vipèr’ qui, sans doute, avait des mauvais v’nins.
Tant pis ! j’ai pas jamais consulté les méd’cins,
Bon’ment j’ai gardé l’mal q’m’avait fait la Nature.
Eh ben ! ça m’est égal, j’n’en ai ni désolance,
Ni gêne, et vous allez en savoir la raison :
Oui ! m’semb’ qui m’reste encore un peu d’entendaison,
Que j’suis pas, tant qu’on l’croit, enterré dans l’silence.
Moi qui, d’fait, n’entend rien, q’ça criaille ou q’ça beugle !
On dit q’chez les aveugl’, homm’ ou femm’, jeun’s ou vieux,
L’astuce de l’oreill’ répar’ la mort des yeux...
Voyez c’que c’est ! chez moi c’est au r’bours des aveugles !
Tout l’vif du sang, d’l’esprit, tout’ l’âme de mes moelles,
La crèm’ de ma prudence et l’finfin d’mon jug’ment,
La fleur de mon adress’, d’ma rus’, de mon d’vin’ment
Et d’ma patienc’ ? je l’ai dans l’jaun’ de mes prunelles.
C’en est sorcier tell’ment q’j’ai l’œil sûr à toute heure,
Pendant l’jour comme un aigl’, la nuit comme un hibou,
De loin j’peux voir rentrer un grillon dans son trou,
Et ramper sur la mouss’ le filet d’eau qui pleure.
Des gens, l’air naturel et la bouch’ pas pincée,
Médis’ de moi ? je l’sens avec mes deux quinquets,
Et, quand j’les r’garde, alors, ils sont comm’ tout inqu’ets
D’mon sourir’ qui leur dit que j’connais leur pensée.
La soupçonn’rie, es’pas ? C’est un’ bonn’ conseillère,
Q’l’expérienc’ tôt ou tard finit par vous donner,
J’peux donc m’vanter, chaq’fois qu’ell’ me fait m’retourner,
Q’mes yeux qui voient d’côté voient aussi par derrière.
Puis, j’possède un’ mémoir’ qui r’met tout à sa place,
Les chos’ et les personn’ que j’connus étant p’tit,
Où tout c’que mes organ’ d’âme et d’corps ont senti
Parl’ comm’ dans un écho, se mir’ comm’ dans un’ glace.
Donc, les sons q’j’aimais pas, maint’nant j’peux m’en défendre,
N’voulant plus m’en souv’nir i’ sont ben trépassés,
Tandis que ma mémoir’ ramène du passé,
Fait r’musiquer en moi tous ceux q’j’aimais entendre.
Je m’redis couramment dans l’âme et la cervelle
L’gazouillant des ruisseaux, l’croulant des déversoirs,
La plaint’ du rossignol, du crapaud dans les soirs,
L’suret d’la cornemuse et l’nasillant d’la vielle.
I’ m’suffit d’rencontrer d’la bell’ jeunesse folle
Pour que l’éclat d’son rir’ tintinne dans mon cœur,
J’n’ai qu’à voir s’agiter les grands arb’ en langueur
Pour entend’ soupirer l’halein’ du vent qui vole.
T’nez ! à présent, j’suis vieux, j’suis seul, j’n’ai plus personne,
Ma femme est mort’, j’suis veuf... d’une façon, j’le suis pas,
Puisqu’à mon gré, j’écout’ resaboter ses pas,
Et qu’en moi sa voix, tell’ qu’ell’ résonnait, résonne.
Ainsi d’la sort’, j’ai fait de ma surdité queq’chose
Qui dans l’fond du silenc’ me permet d’trier l’bruit,
S’prêtant à mes moments d’bonne humeur ou d’ennui,
S’accommodant à moi quand j’marche ou que j’me r’pose.
Ajoutez q’si j’ai l’œil aussi malin q’l’ajasse,
Mes mains font tout c’que j’veux quand un’ bonn’ fois j’m’y mets,
Et que l’flair de mon nez où l’tabac rentr’ jamais
Pour tout c’qu’a d’la senteur vaut celui du chien d’chasse.
Pour le ravin, la côte et l’mont j’ai l’pied d’la chèvre,
Mes vieux ongl’ sus l’rocher mordent comme un crampon,
Et que j’pêche ou que j’chass’, toujours à moi l’pompon !
J’guign’ la truit’ dans l’bouillon et dans l’fourré j’vois l’lièvre.
Avec ça, l’estomac si bon que j’peux y mettre
D’l’avance ou ben du r’tard, du jeûne ou d’l’excédent,
Et, pour mon dur métier toujours vagabondant,
Des jamb’ qui s’fatig’ pas d’brûler des kilomètres.
Je r’grett’ de pas entend’ les bonn’ parol’ du monde,
Bah ! l’plus souvent yen a tant d’mauvais’ au travers...
Et j’m’en vas braconnant, les étés, les hivers,
Vendant gibier, poisson, à dix lieues à la ronde.
Tel je vis, rendant grâce au sort qui nous gouverne,
De m’laisser comme un r’mède à mon infirmité
L’œil toujours fin, l’souv’nir toujours ressuscité :
Pour la nuit et l’passé les deux meilleur’ lanternes.
Là -d’sus, à vot’ santé ! Voici q’l’ombr’ se fait noire,
Merci d’vot’ honnêt’té. Foi d’sourd — pas comme un pot
Quand j’vous rencontrerai, j’vous lèv’rai mon chapeau
Pour le fameux coup d’vin q’vot’ bon cœur m’a fait boire !
poésie de Maurice Rollinat
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Croissez et multipliez
Ne sortant pas de faire jeûne,
Une fois, le père Lucas,
Sincère, et du fond de son âme,
Disait à ses quatre grands gars,
Tous, de l’aîné jusqu’au plus jeune,
Bien en âge de prendre femme :
« Mes enfants, faut peupler d’son espèc’ ! Ya pas d’trêve !
Faut q’tout c’qui vit engendre ! et qu’toujours s’accroissant,
Les êtr’ les uns aux autr’, sans fin, se r’pass’ leur sang,
Tel’ qu’aux racin’ des arb’ la terr’ coule sa sève.
Tout’ femelle est un champ où l’bon mâle i’ doit s’mer
La grain’ d’humanité qu’est dans l’grenier d’son être :
B’sogn’ douce et ben commod’ ! Puisqu’ y a besoin q’d’aimer,
Et q’sans plaisi’ pour l’homm’, l’enfant pourrait pas naître.
Dans c’champ-là qu’est l’plus nobl’ faut fair’ de beaux sillons,
Q’l’homme y mèn’ la charrue au c’mand’ment d’la nature,
Avec la bell’ chaleur du sang pour aiguillon
D’l’amour qui doit tout l’temps penser à sa culture !
Dans ceux chos’là , faut pas, trop à sa fantaisie,
Écouter les conseils du vice et d’la boisson.
En s’mant, i’ faut toujours songer à la moisson,
Féconder sérieusement l’épous’ qu’on a choisie.
Faut êt’ chaud, mais d’instinct réglé comm’ ceux bêt’ fauves ;
D’êt’ trop paillard ou d’l’êt pas assez… C’est un tort !
Dit’ vous ben qu’vous êt’ vu, quand l’amour joint les corps,
Par le grand oeil d’en haut dont pas un homm’ se sauve.
Dieu merci ! vous n’êt’ pas des poussifs à teint pâle,
Vous avez bonn’ poitrine et fort tempérament,
Vous d’vez donc tous les quat’ faire offic’ de bons mâles,
Accomplir sans tricher vot’ destin d’engross’ment.
Mangez fort ! et fait’-vous du sang, des muscl’, des os !
Buvez ! mais sans jamais perd’ la raison d’un’ ligne ;
Pas trop d’pein’ ! Ceux qui s’us’ au travail sont des sots.
Réglez la sueur du corps ainsi q’le jus d’la vigne !
Comm’ faut q’la femm’ soit pure avec des yeux ardents,
Q’fièr’ dans les bras d’l’époux qui n’cherch’ qu’à la rend’ mère
Ell’ yoffr’ l’instant d’bonheur qui fait claquer ses dents
Pour que leur vie ensemb’ ne soit jamais amère.
Voyez-vous ? l’trôn’ d’un’ femme ? C’est l’lit d’son cher époux.
C’est là q’jeune ell’ pratiq’ l’amour sans badinage,
Et q’vieille ell’ prend, des fois, encore un r’pos ben doux
Au long d’son vieux, après les soucis du ménage.
Là -d’sus buvons un coup ! dans ceux chos’ de l’amour
J’vous souhait’ de pas vous j’ter comme un goret qui s’vautre,
Et que, pour chacun d’vous, l’plus cher désir toujours :
Ça soit d’faire des enfants qui puiss’ en faire d’autres !
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Le Vieux Priseur
Le plus grand priseur de la terre
Était bien le père Chapu,
Bonhomme rougeaud et trapu,
Rond d’allure et de caractère.
Certes ! la poudre tabagique
Aucun ne la dégusta mieux,
Avec plus d’amour que ce vieux
Dont c’était le trésor magique.
Oui ! c’était sa joie et sa force.
On le voyait s’épanouir
Quand le couvercle à bout de cuir
Découvrait sa boîte en écorce.
Il l’avait là , comme son âme,
Dans la poche de son gilet.
Il disait, quand il en parlait,
« Plutôt q’d’ell’ je m’pass’rais d’ma femme. »
Pour son vieux nez sa large prise
Qu’il aspirait jusqu’au cerveau
Avait l’attrait toujours nouveau,
Était sans cesse une surprise.
Ayant ouvert sa tabatière,
Coudant un doigt, dans les deux bouts
Il tapotait à petits coups,
Pour dégrumeler la poussière.
Puis, entre l’index et le pouce,
Il pinçait dans un plongement
Sa prise que, dévotement,
Il reniflotait, lente et douce.
Un éclair de béatitude
Parcourant alors tous ses traits
Faisait rire ses yeux distraits,
Illuminait sa face rude.
« Hein ? chez vous l’habitude est forte,
Dis-je, un jour, au père Chapu.
Comment ça vous est-il venu ? »
Et le vieux parla de la sorte :
« Jeun’ j’étais pourtant pas tout bête,
Mais, faut croir’ que c’était un sort :
Je n’faisais q’penser à la mort,
J’avais mon cercueil dans la tête.
Dans les champs, à la métairie,
Tout seul, comme avec d’aut’ garçons,
Tell’ qu’un’ fièv’ qu’arrive en frissons,
Subit’ment m’prenait c’te song’rie.
J’avais beau travailler q’plus ferme,
Chanter fort, m’donner du mouv’ment,
J’étais mangé par mon tourment,
L’jour, la nuit, ça n’avait pas d’terme.
Et puis, sans que j’boiv’, sur ma vue
Yavait comm’ les brouillards du vin,
Sans êtr’ sourd, j’entendais pas fin,
Et j’avais la langue r’tenue.
J’fumais ben comm’ ça quéq’ pipette,
Mais c’tabac-là n’me valait rien.
Si tell’ment qui m’faisait pas d’bien
Qui m’rendait malade et pompette.
V’là q’prenant mes bott’, un dimanche,
J’m’en fus trouver dans sa forêt
L’charbonnier qui soignait d’secret :
Un grand homm’ noir à barbe blanche.
J’lui racontai tout’ mon histoire.
Et ses parol’ tell’ de c’jour-là ,
Ya pourtant trente ans d’ça, les v’là !
Ell’ n’ont pas quitté ma mémoire :
« D’abord, qui m’dit, c’t’homm’ solitaire,
Vous êt’ fermier ? Soyez pêcheur !
Vivez dans les creux d’la fraîcheur,
Et fouillez l’onde au lieu d’la terre.
À c’métier-là , moi, je l’devine,
Vous d’viendrez plus astucieux.
C’est la nuit qui fait les bons yeux,
Et l’silenc’ qui rend l’oreill’ fine.
Quant à vot’ parol’ paresseuse,
Tant mieux pour vous ! vous risquez moins
D’vous compromet’ devant témoins,
La langue est toujours trop causeuse.
Maint’nant, v’lez-vous une âm’ rentière
D’la plus parfait’ tranquillité ?
Dev’nez un priseur entêté,
Un maniaq’ de la tabatière.
Avec ça, vous n’s’rez plus sensible
À tout’ ces peurs de trépasser,
Vous attendrez, pour y penser,
Q’vot’ jour soit v’nu : l’plus tard possible ! »
Dam’ ! dès l’lendemain, yeut pas d’méprise,
Le pêcheur remplaça l’bouvier ;
J’troquai la bêch’ pour l’épervier,
Et la fumade cont’ la prise.
D’abord, j’aimai pas trop la chose,
J’en fus curieux p’tit à p’tit ;
Puis, mon nez en eut l’appétit...
J’agrandis la boîte et la dose.
Dans mon tabac, moi, j’mets pas d’fève,
Comm’ de l’eau dans l’vin, ça l’chang’ tout.
Je l’veux net ! qu’il ait son vrai goût !
Et tous vos parfums ça yenlève.
Ah oui ! c’t’habitud’-là m’attache,
I’m’faut ma pris’ ! j’conviens q’mon nez
En a les d’sous tout goudronnés,
Qu’on dirait, des fois, un’ moustache...
C’est pas la propreté suprême,
Bah ! on s’mouch’ mieux et plus souvent,
Et puis, l’grand air, la pluie et l’vent
Vous rend’ ben ragoûtant quand même.
Ell’ sont aussi joint’ qu’ell’ sont grosses
Mes queues d’rat. Dans leur profondeur
L’tabac s’tient frais, gard’ son odeur,
Tel que du limon dans des fosses.
J’m’ai moi seul appris à les faire :
Queq’ petits clous fins d’tapissier,
Un bout d’pelur’ de bon c’risier,
Deux d’bois blanc, un d’cuir, font l’affaire.
J’en fabrique pour d’aut’ ! quand l’vent rêche
Empêch’ tout l’gros poisson d’mouver,
J’m’amuse à les enjoliver,
Pendant c’temps-là l’épervier sèche.
L’sorcier m’avait pas dit d’mensonges,
J’prends à mon aise, en vivant bien,
L’homm’ tel qu’il est, l’temps comme i’ vient,
Et la paix des chos’ fait mes songes.
Oui ! sauf les affair’ de la pêche
Où q’mon esprit combin’ des coups,
J’rêve aussi douc’ment q’les cailloux
Quand i’ sont léchés par l’eau fraîche.
Certain’ fois q’ma b’sogne est confuse
J’en r’nifle un’ qui m’donne un conseil,
M’désengourdit, m’tient en éveil,
Et m’fournit du cœur et d’la ruse.
Comme aussi, lorsque j’fais une pause
Sur queq’ rocher gris pour fauteuil,
Un’ bonn’ pris’ me met mieux à l’œil
Le feuillag’ qui tremble ou qui r’pose.
Et puis, vous parlez, pour mon âge,
Que j’suis encor subtil et r’tors !
Sans soleil, j’vois l’poisson qui dort,
J’entendrais un’ grenouill’ qui nage.
Ma foi ! j’suis l’plus heureux des hommes,
J’rôd’ tranquille au fond d’mes vallons,
Au bord de l’eau, sous l’ciel, — allons !
Vite un’ pris’ ! pendant q’nous y sommes !
Parc’ que quand ma vie et la vôtre...
Mais j’vous parl’ trépas, c’est trop fort !
Cont’ ce p’tit r’venez-y d’la mort
Attendez ! j’vas en prendre une autre. »
Ceci lu, maint priseur tirant sa tabatière,
Se dira, non sans quelque émoi :
« Ô prise ! que n’as-tu le même effet chez moi
Contre la peur du cimetière !
poésie de Maurice Rollinat
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Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceux qui aiment l'honneur, chanteront de la gloire,
Ceux qui sont près du roi, publieront sa victoire,
Ceux qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront,
Ceux qui aiment les arts, les sciences diront,
Ceux qui sont vertueux, pour tels se feront croire,
Ceux qui aiment le vin, deviseront de boire,
Ceux qui sont de loisir, de fables écriront,
Ceux qui sont médisants, se plairont à médire,
Ceux qui sont moins fâcheux, diront des mots pour rire,
Ceux qui sont plus vaillants, vanteront leur valeur,
Ceux qui se plaisent trop, chanteront leur louange,
Ceux qui veulent flatter, feront d'un diable un ange :
Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur.
poésie de Joachim du Bellay
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Le Veuf
C’que c’est ! j’ me s’rais pas cru r’mariable...
Et v’là que j’ trouve un aut’ parti !
D’avec moi l’ diable était parti :
Faut que j’ me r’mette avec le Diable !
Content d’êt’ plus qu’un, je me r’double.
J’étais dans la paix, je m’ retrouble.
D’humeur et d’ facons lib’ comm’ l’air,
V’là que je m’ reboucl’ dans les fers !
Vous en comprenez ben l’ pourquoi.
J’ suis en chair et non pas en bois.
Ceux f’mell’ qui m’échauff’ tant la bile
J’ rest’ pas un jour sans y penser ;
Et dir’ ! si j’ pouvais m’en passer,
Que j’ s’rais mon seul maîtr’, si tranquille !
Enfin, faut espérer q’ la nouvell’ que j’ vas prendre,
Dans sa natur’ de femme agit et pens’ comm’ moi.
C’qui prouv’rait qu’en amour si j’ suis pas d’ ceux plus froids,
Ell’, non plus, tout à fait, ell’ gèl’ pas à pierr’ fendre.
poésie de Maurice Rollinat
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Pays d'accueil
Je me retourne dans la memoire
D'un temps de rêve que je rejuge
Dans le présent, l'antan qui purge
Et qui est devenu histoire.
Je le tatoo -s'est infligé
Par le courent d'une vie des crises-
Se rejoignant d'un fleur de lys
Dans un parfum, sans regretter.
Je suis souvent au bout de larmes
Me retrouvant jeune du passé
Vecu dans un pays rassé,
Que j'ai laissé, j'y ai quitté charmes.
LÃ -bas j'ai perdu ma jeunesse,
J'ai gagné la maturité
Parmi les rêves, la dureté...
J'ai gagné mes vieilles promesses.
Je vols les yeux ouverts sur routes
Sans fin et qui m'ammenent heureux
Parmi des jens que j'aimais trop...
Eux m'ont donné perdués redoutes.
C'etait juste mon pays d'accueuil;
Banis du vrai, du naturel
Que je l'ai cru mon éternel...
Le retrouvant, en pis, en deuil.
J'ai hate d'un vite retour aux sources,
La où valeur existe, s'exige...
Elle seule me donne la terre promise
Que j'ai connu, que je retrousse.
J'ai fait serment de loyauté
Pour le Québec, au Canada...
Je jure à tous, je jure à moi
D'en revenir vers liberté.
C'est là , la place de mes enfants,
Petits roumains rendus adultes
Qui eux laissent coeurs libres, s'exultent
De joie... porteurs des gènes charmantes.
Reste quand même une amertume
D'un voyageur perpetuel
Amoureux d'un pays auquel
Il doit naissance... L'autre est coutume.
poésie de Daniel Aurelian Rădulescu (27 avril 2011)
Ajouté par Daniel Aurelian Rădulescu
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L'Ancien Soldat
Indépendant d’instinct, d’esprit, d’âme et de fibre
Et rendu toujours plus jugeur sain, penseur libre,
Par son métier rôdant de pêcheur-braconnier,
Le vieil ancien soldat, franc comme son visage,
Évoquait devant moi ce souvenir guerrier
Qu’il concluait ainsi de façon simple et sage :
« Des marécag’ de sang qui s’ fige et qui s’ grumelle
Où q’ l’on voit dans des coins, noirs comm’ du jus d’ fumier,
Avec des bouts d’entraill’ et des éclats d’ cervelle,
Des cadav’ en morceaux et d’autr’ dans leur entier ;
Chefs, soldats, jeun’s et vieux, les géants, les minimes,
Tous en figur’ de cire et barbouillés d’ caillots ;
Des Turcos s’ finissant qui grincent comm’ des limes,
Montrant leur ventr’ qui bâille en perdant ses boyaux ;
Corps d’hussards ench’vêtrés à des cadav’ de zouaves ;
Des pêl’-mêl’ d’homm’ et d’arm’, de bagag’ et d’ fourgons ;
D’ la ch’valin’ roug’ de sang et tout’ mousseus’ de bave,
S’ plaignant, par tas serrés, sous des meul’ de dragons ;
Des cous d’ décapités qui pench’ leur moignon rouge
Sur des énorm’ boulots qu’ont l’air de les railler ;
Des mulets ruant encor sur des blessés qui bougent
En v’lant prendre au hasard des morts pour oreiller ;
Casques pleins d’ terre et d’ sang, de ch’veux et d’ morceaux d’ crâne ;
Tambours crevés, clairons tordus comm’ des serpents ;
Des mourants qui font peur malgré qu’i’s ont l’air crâne
Avec les doigts coupés, l’œil vid’, la cuiss’ qui pend ;
Sous des gross’ mouch’ de viand’ qui s’appell’ et s’ rassemblent,
Verminant leur voltige à tourbillons mêlés,
Des grands monceaux qui r’muent, qui s’ soulèv’, qui tremblent,
D’où sort des voix d’ cavern’, des gémiss’ments râlés :
V’la c’ que j’ai toujours vu sur tous les champs d’ bataille !
Sans parler d’ la puanteur qui m’en donne encor froid...
Et des band’ de corbeaux qui s’ gorgent les entrailles
De tout c’ mond’ pourrissant par le capric’ des rois.
Pour qui réfléchit, sans la politique,
Avec son cœur et sa raison,
Au nom d’ la conscienc’ qui n’ pratique
Q’ la bonn’ justice en tout’ saison,
L’ pourquoi d’ la guerre, allez ! c’est un sacré problème.
Ces gens là m’en veul’t’-i’ ? Null’ment.
Moi j’ leur en veux pas pareill’ment :
Ça n’ fait rien ! on doit s’ batt’ quand même.
J’ m’ai dit : « D’où q’ vienn’ l’attaq’ ? la v’là ! faut ben s’ défendre.
Mais, toujours en avant j’ai marché sans comprendre.
J’ai fait mon d’voir, soumis aux chefs comme au danger ;
Tel qu’on l’ faisait cont’ moi, j’ai tiré, j’ai chargé ;
D’ mes yeux clairs, dans c’ temps-là , qu’avaient la voyanc’ nette,
À ceux homm’ étrangers j’ leur ai pointé l’ trépas.
Mais, j’ m’excusais d’ mes meurt’ en r’grettant d’avoir pas
Au droit d’ mon coup d’ fusil, face à ma baïonnette,
En plac’ de ceux victim’ innocent’, tous les m’neurs
Coupab’ d’occasionner d’aussi sanglant’s horreurs,
Seuls auteurs responsab’ si des milliers d’ pauv’s êtres
D’ loin ou d’ près, corps à corps, s’assassin’ sans s’ connaître,
Tandis qu’eux aut’s, la caus’ de tant d’ massac’ et d’ morts,
Meur’ dans leur lit sans mal, et, qui sait ? p’t-êt’ sans r’mords !
Par tous les parents, dans tous les pays,
La guerre est maudite autant que j’ l’ haïs.
Consultez donc les sœurs, les épouses, les mères,
Et vous verrez q’yaura plus d’ guerres.
Ou, si c’est vrai q’ les homm’ peuv’ pas s’en empêcher,
Q’ les bataill’ sont pour eux un besoin d’ leur engeance,
Qu’i’s élèv’ leur famill’, froid’ment, sans s’y attacher,
Puisqu’au carnag’ la fleur en est promis’ d’avance !
Mais, ça n’ m’est pas prouvé du tout
Q’ les gens civilisés s’ batt’ pa’c’que c’est d’ leur goût,
Pour voler chez l’ voisin ou par c’te drôl’ d’idée
Q’ l’humanité pouss’ trop, q’ faut qu’ell’ soit émondée,
Maint’nue en équilib’, juste ent’ le trop et l’ guère,
Par les sécateurs de la guerre.
Comm’ si, pour tous les homm’, sur terr’ y avait pas d’ quoi
Aller et v’nir, s’ bâtir un toit,
Boire et manger à son envie ;
Comm’ si, les défunts balançant
Toujours à peu près les naissants,
La mort tout’ naturell’ ne m’surait pas la vie.
J’ croirais plutôt, depuis des siècl’ déjÃ
Où tant d’ mond’ partout s’égorgea,
Q’ les gens pris un par un qu’on s’rait v’nu consulter
Auraient dit : « J’ veux la paix ! » sans trop longtemps s’ tâter,
Et q’ chacun dans leurs plain’, dans leurs montagn’, leurs îles,
Les peupl’ n’auraient d’mandé qu’à rester ben tranquilles.
C’est beau d’ mourir pour la patrie !
Mais ça c’ s’rait plus beau, ces tueries
Un’ bonn’ fois faisant place à la fraternité,
D’ mourir pour tout’ l’humanité,
Tué, non par ses semblab’, mais par l’hasard des choses
Qui s’ dout’ pas, ell’ au moins, des morts dont ell’ sont cause !
Allons ! j’ souhait’ qu’enfin libr’ et ben à l’unisson,
D’ l’un à l’aut’, tous les peupl’ pens’ comm’ moi cont’ la guerre,
Qu’en fait d’ coup’, de massacr’ et d’ gis’ments sur la terre
I’ n’yait plus q’ ceux des foins, des arb’ et des moissons !
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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Je suis malade
Je ne rêve plus je ne fume plus
Je n'ai même plus d'histoire
Je suis sale sans toi
Je suis laide sans toi
Je suis comme un orphelin dans un dortoir
Je n'ai plus envie de vivre dans ma vie
Ma vie cesse quand tu pars
Je n'aie plus de vie et même mon lit
Ce transforme en quai de gare
Quand tu t'en vas
Je suis malade
Complètement malade
Comme quand ma mère sortait le soir
Et qu'elle me laissait seul avec mon désespoir
Je suis malade parfaitement malade
T'arrive on ne sait jamais quand
Tu repars on ne sait jamais où
Et ça va faire bientôt deux ans
Que tu t'en fous
Comme à un rocher
Comme à un péché
Je suis accroché à toi
Je suis fatigué je suis épuisé
De faire semblant d'être heureuse quand ils sont lÃ
Je bois toutes les nuits
Mais tous les whiskies
Pour moi on le même goût
Et tous les bateaux portent ton drapeau
Je ne sais plus où aller tu es partout
Je suis malade
Complètement malade
Je verse mon sang dans ton corps
Et je suis comme un oiseau mort quand toi tu dors
Je suis malade
Parfaitement malade
Tu m'as privé de tous mes chants
Tu m'as vidé de tous mes mots
Pourtant moi j'avais du talent avant ta peau
Cet amour me tue
Si ça continue je crèverai seul avec moi
Près de ma radio comme un gosse idiot
Écoutant ma propre voix qui chantera
Je suis malade
Complètement malade
Comme quand ma mère sortait le soir
Et qu'elle me laissait seul avec mon désespoir
Je suis malade
C'est ça je suis malade
Tu m'as privé de tous mes chants
Tu m'as vidé de tous mes mots
Et j'ai le coeur complètement malade
Cerné de barricades
T'entends je suis malade.
chanson interprété par Dalida
Ajouté par Simona Enache
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L'Enjôleur
Loin des oreilles importunes,
Le gars mangeant avec le vieux,
D’un ton fier et malicieux
Lui conte ses bonnes fortunes,
De quelle sorte il fait sa cour,
Et ce qu’il pense de l’amour.
« Oui ! j’ai tout’ les fill’, mon pèr’ Jacques !
N’import’ laquell’, quand j’ la veux bien !
L’ignorant’, l’instruit’, cell’ qui s’ tient,
Comm’ la dévot’ qui fuit ses pâques.
Q’ ça soit l’ cœur ou l’ Diab’ qui s’en mêle,
L’amour comm’ la mort prend chacun.
Si deux corps d’vaient pas en fair’ qu’un
Yaurait pas des mâl’ et des f’melles !
Cont’ le sang, s’i’ veut qu’on s’unisse,
Tout’ les plus bonn’ raisons val’ rin :
I mèn’ le gars comme un taurin
Et la pucell’ comme un’ génisse.
Yen n’a pas un’ qui n’ rêv’ d’un homme,
D’un qu’ell’ connaît pas, mais qu’ell’ sent ;
Pas un’ qui n’ s’endorme y pensant,
Et qui n’y r’pense après son somme !
Les difficil’ sont cell’ qui s’parent,
Dans’ entre ell’, s’ distraient des garçons,
Les accueill’ avec des chansons,
Comme avec des rir’ s’en séparent.
Oui ! mais aux sons d’ la cornemuse,
J’ batifole à leur volonté...
Et j’ mets tant leur mine en gaieté
Que j’ finis par la rend’ confuse.
En fait d’ pucell’, viv’ l’eau dormante
La courant’ n’a pas l’ temps d’ songer,
Tandis que l’aut’, sans s’ défiger,
Ça n’ pens’ qu’au mal qui la tourmente.
L’ désir amoureux s’y mijote,
Quoiqu’ell’ n’en desserr’ pas les dents...
On verrait d’sus c’ qu’ell’ pense en d’dans :
C’est pour ça q’ si ben ça s’ cachotte.
C’est s’lon, c’est moins ou davantage,
Mais tout’ fill’, son sexe la tient.
L’amour y dort : un garçon vient...
Qui l’éveille à son avantage.
C’est c’que j’ fais ! Ell’s ont beau s’ défendre,
Moi, j’ai la natur’ dans mon jeu,
J’ gratt’ la cendre et j’ découv’ le feu ;
Seul’ment i’ faut savoir s’y prendre.
Faut choisir son jour et son heure,
La saison, l’endroit, pas s’ presser.
Ça dépend ! yen a q’ faut forcer !
Ces fois-là sont p’têt’ les meilleures.
À la façon d’ trousser sa jupe,
D’arranger ses ch’veux sous l’ bonnet,
À la march’, surtout, on r’connaît
L’ temps qu’on mettra pour faire un’ dupe.
Avec les joyeus’ je sais rire,
Avec les trist’ je sais pleurer,
Tout en m’ taisant, j’ sais soupirer
Avec cell’ qui n’ont rien à dire.
J’ not’ leur air franc ou saint’ nitouche,
Leur genre de silence ou d’ caquet,
L’ sec ou l’ mouillé d’ leurs deux quinquets,
Comm’ l’ouvert ou l’ pincé d’ leur bouche.
J’examin’ cell’ qui sont heureuses
D’ porter, au cou, des p’tits enfants.
L’instinct d’êt’ mèr’ suffit souvent
Pour qu’un’ fill’ devienne amoureuse.
J’ suis timide avec la pimbêche,
Rapide avec cell’ qu’a du sang,
Et, toujours, les contrefaisant,
Ya pas d’ danger q’ j’évent’ la mèche !
J’ prends leur humeur, j’ flatt’ leur manie,
Ell’ chang’ d’avis, moi pareill’ment.
Je n’ leur donn’, sans jamais d’ gên’ment,
Q’ du plaisir dans ma compagnie.
Au fond, je m’ dis et ça m’amuse :
Que j’ suis pas plus menteur, vraiment !
Qu’ell’s autr’ qui m’ voudraient pour amant
Et qui font cell’-là qui me r’fusent.
C’est mes r’gards seuls qui leur demandent
C’ que j’ désir’ d’ell’. Ma bouch’, ma main,
Seul’ment commenc’ à s’ mettre en ch’min,
Quand leurs yeux m’dis’ qu’ell’ les attendent.
Dans ma prunell’ qui leur tend l’ piège
R’culant d’abord ell’ veul’ pas s’ voir,
Et puis, ell’ s’y mir’, sans pouvoir
S’ désengluer du sortilège.
La bergèr’ sag’, la moins follette,
J’ l’endors ! qu’elle en lâch’ son fuseau...
Comm’ l’aspic magnétis’ l’oiseau,
Comme un crapaud charme un’ belette.
C’est pourquoi, la pauvress’, la riche,
Tout’ fille, à mon gré, m’ donn’ son cœur !
Ma foi ! j’ me fie à ma vigueur,
J’en ai ben trop pour en êtr’ chiche !
D’autant plus que j’peux pas leur nuire...
Personn’ sait q’ moi q’ j’ai leur honneur
Et j’ai la chanc’, pour leur bonheur,
De libertiner sans r’produire ! »
Et le bon vieux dit : « Tu caus’ ben...
Quoiqu’ ça peut êtr’ de la vant’rie.
Moi non plus, pour la galant’rie,
À ton âg’ j’étais pas lambin.
Aussi vrai q’ tous deux on déjeune
Tu t’amus’ras jamais plus jeune !
Ta folie est c’ que fut la mienne.
Tu brûl’, mais glaçon tu d’viendras.
Crois-moi : prends-en l’ plus q’ tu pourras !
Ça t’ pass’ra avant q’ ça m’ revienne !
poésie de Maurice Rollinat
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Le Vieux Pâtre
C’est par mon métier, dit le vieux pâtre aux traits rudes,
Qu’à forc’ de vous cercler les oreill’ et les yeux,
Dans l’ song’ de votre esprit rentr’ et rêvent le mieux
Ces grands espac’ q’ont l’air de prend’ vos habitudes.
Vos chants bourdonn’ comm’ ceux des gross’ mouch’ dans l’air doux,
Tel que l’ cœur sous l’ soleil la bell’ verdur’ se pâme,
L’horizon comm’ vot’ corps d’vient la prison d’une âme,
Et les nuag’ ramp’ dans l’ ciel comm’ les pensers en vous.
L’ vent d’orag’ vous agit’, vous bouscul’ comm’ les choses.
Surprend vot’ limousin’ comm’ les feuillag’ dormants :
À l’ordinair’, leurs gest’ s’accord’ à vos mouv’ments.
Et, quand vous n’ bougez pas, vous avez leurs mêm’ poses.
Ces chos’ qui dur’ toujours ou qui meur’ ben anciennes,
On voit qu’ell’ chang’, comm’ l’homm’, leur humeur, leurs façons,
Q’la Nature, ainsi q’ vous, a tristess’ et chansons,
Et q’les vot’ tomb’ souvent ben juste avec les siennes.
Nuancés, brum’, pluie et vent, la plein’ lumière, l’ombre,
Compos’ le sentiment des form’, des teint’, des bruits,
Qui s’ communique au vôt’ !... tell’ment ! q’ par un’ bell’ nuit,
Des fois, vous êt’ plus gai que lorsqu’i n’ fait pas sombre.
J’ rêv’ le rêv’ de tout ça, j’ suis en pierr’ comm’ la roche,
En végétal comm’ l’herbe, en liquid’ comme l’eau,
J’ rumin’ l’engourdiss’ment ou l’ frisson du bouleau...
Et sauf que j’écris pas sur un agenda d’ poche,
Que j’ crains pas tant l’ soleil, et que j’suis pas si blême,
J’ song’ comm’ ceux gens d’ Paris, bien vêtus, aux blanch’ mains,
Qui, t’nant un bout d’ crayon, caus’ tout seuls dans les ch’mins,
L’œil ouvert droit d’vant eux, mais qui plonge en eux-mêmes.
L’éternité s’ennuie aussi ben q’moi qui passe,
Des moments que j’suis là si triste à la sonder,
J’ la surprends, elle aussi, ben triste à me r’garder :
Alors, je m’ sens l’ cœur vide aussi profond q’ l’espace !
poésie de Maurice Rollinat
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Panjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps
Panjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j'ai soin de la dépense
Qui se fait chacun jour, et si faut que je pense
A rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps,
Je courtise un banquier, je prends argent d'avance :
Quand j'ai dépêché l'un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie :
Avecques tout cela, dis, Panjas, je te prie,
Ne t'ébahis-tu point comment je fais des vers ?
poésie de Joachim du Bellay
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La Fille amoureuse
La belle fille blanche et rousse,
De la sorte, au long du buisson,
Entretient la mère Lison
À voix mélancolique et douce :
« Moi cont’ laquell’ sont à médire
Les fill’ encor ben plus q’ les gars,
J’ tiens à vous esposer mon cas,
Et c’est sans hont’ que j’ vas vous l’ dire,
Pac’ que vous avez l’humeur ronde,
Et, q’ rapportant sans v’nin ni fiel
Tout’ les affair’ au naturel,
Vous les jugez au r’bours du monde.
Tout’ petit’, j’étais amoureuse,
J’étais déjà foll’ d’embrasser...
Et, mes seize ans v’naient d’ commencer,
Que j’ m’ai senti d’êtr’ langoureuse,
Autant q’ l’âm’ j’avais l’ corps en peine :
Cachant mes larm’ à ceux d’ chez nous,
Aux champs assise, ou sur mes g’noux,
Des fois, j’ pleurais comme un’ fontaine.
Les airs de vielle et d’ cornemuse
M’étaient d’ la musique à chagrin,
Et d’ mener un’ vache au taurin
Ça m’ rendait songeuse et confuse.
J’avais d’ la r’ligion, ma mèr’ Lise,
Eh ben ! mon cœur qui s’ennuyait
Jamais alors n’ fut plus inquiet
Qu’ent’ les cierg’ et l’encens d’ l’église.
Ça m’ tentait dans mes veill’, mes sommes,
Et quoi q’ c’était ? J’en savais rien.
J’ m’en sauvais comm’ d’un mauvais chien
Quand j’trouvais en c’h’min quèq’ jeune homme,
En mêm’ temps, m’ venaient des tendresses
Oui m’ mouillaient tout’ l’âme comm’ de l’eau,
Tell’ que trembl’ les feuill’ du bouleau
J’ frémissais sous des vents d’ caresses.
Un jour, au bout d’un grand pacage,
J’ gardais mon troupeau dans des creux,
En des endroits trist’ et peureux,
À la lisièr’ d’un bois bocage ;
Or, c’était ça par un temps drôle,
Si mort q’yavait pas d’ papillons,
Passa l’ long d’ moi, tout à g’nillons,
Un grand gars, l’ bissac sur l’épaule.
Sûr ! il était pas d’ not’ vallée,
Dans l’ pays j’ l’avais jamais vu.
Pourtant, dès que j’ le vis, ça fut
Comm’ si j’étais ensorcelée !
Tout’ moi, mes quat’ membr’, lèvr’, poitrine,
J’ devins folle ! et j’ trahis alors
C’ désir trouble et caché d’ mon corps
Dont l’ rong’ment m’ rendait si chagrine.
J’ laissai là mes moutons, mes chèvres,
Et j’ suivis c’t’homme en le r’poussant,
Livrée à lui par tout mon sang,
Qui m’ brûlait comme un’ mauvais’ fièvre.
Et, lorsque j’ m’en r’vins au soir pâle,
D’ mon tourment j’ savais la raison,
Et q’ fallait pour ma guérison
Fair’ la f’melle et pratiquer l’ mâle.
D’puis c’ moment-là , je r’semble un’ louve
Qui dans l’ nombr’ des loups f’rait son choix ;
Sans plus d’ genr’ que la bêt’ des bois,
Quand ça m’ prend, faut q’ mes flancs s’émouvent !
Ivre, à tout’ ces bouch’ d’aventure
J’ bois des baisers chauds comm’ du vin ;
Ma peau s’ régal’, mon ventre a faim
De c’ tressail’ment q’est sa pâture.
Avec l’homm’ j’ai pas d’ coquett’rie,
Et quand il m’a prise et qu’on s’ tient,
Je m’ sers de lui comm’ d’un moyen,
Je n’ pens’ qu’à moi dans ma furie.
Ceux q’enjôl’ les volag’, les niaises,
Qui s’ prenn’ à l’Amour sans l’aimer,
Ont ben essayé de m’ charmer :
Ils perd’ leur temps lorsque j’ m’apaise.
Ça fait q’ jamais je n’ m’abandonne
Pour l’intérêt ou l’amitié,
Ni par orgueil ni par pitié.
C’est pour me calmer que j’ me donne !
M’ marier ? Non ! j’enrag’rais ma vie !
Tromper mon mari ? l’épuiser ?
Ou que j’ me priv’ pour pas l’user ?
Faut d’ l’amour neuf à mon envie !
L’ feu d’ la passion q’ mon corps endure
Met autant mon âme en langueur,
Et c’ qui fait les frissons d’ mon cœur,
C’est ceux qui m’ pass’ dans la nature
Avec le sentiment qui m’ glace
Mon désir n’a pas d’unisson,
Et j’ peux pas connaît’ un garçon
Sans y d’mander qu’on s’entrelace.
Tous me jett’ la pierre et m’ réprouvent,
Dis’ que j’ fais des commerc’ maudits,
Pourtant, je m’ crois dans l’ Paradis
Quand l’ plaisir me cherche et qui m’ trouve !
J’ suis franch’ de chair comm’ de pensée,
J’ livr’ ma conscience avec mon corps,
V’là pourquoi j’ n’ai jamais d’ remords
Après q’ ma folie est passée.
Eh ben ! Vous qu’êt’ bonn’, sans traîtrise,
Mer’ Lison ? Vous qu’êt’ sans défaut,
Dit’ ? à vot’ idée ? es’qu’i’ faut
Que j’ me r’pente et que j’ me méprise ? »
La vieille, ainsi, dans la droiture
De son sens expérimenté,
D’après la loi d’éternité,
La juge au nom de la Nature :
« Je n’ vois pas q’ ton cas m’embarrasse,
Ma fille ! T’as l’ corps obéissant
Au conseil libertin d’ ton sang
Qu’est une héritation d’ ta race.
C’est pas l’ vice, ni la fantaisie
Qui t’ pouss’ à l’homm’... c’est ton destin !
J’ blâm’ pas ta paillardis’ d’instinct
Pac’ qu’elle est sans hypocrisie.
Ceux qui t’appell’ traînée infâme
En vérité n’ont pas raison :
L’ sort a mis, comm’ dans les saisons,
Du chaud ou du froid dans les femmes.
Tout’ ceux bell’ moral’ qu’on leur flanque
Ell’ les écout’ sous condition :
Cell’ qui n’ cour’ pas, c’est l’occasion
Ou la forc’ du sang qui leur manque.
Et d’ailleurs, conclut la commère :
Qu’èq’ bon jour, t’auras des champis,
Si t’en fais pas, ça s’ra tant pis :
Tu chang’rais d’amour, étant mère !
poésie de Maurice Rollinat
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C'est ores, mon Vineus, mon cher Vineus, c'est ore
C'est ores, mon Vineus, mon cher Vineus, c'est ore,
Que de tous les chétifs le plus chétif je suis,
Et que ce que j'étais, plus être je ne puis,
Ayant perdu mon temps, et ma jeunesse encore.
La pauvreté me suit, le souci me dévore,
Tristes me sont les jours, et plus tristes les nuits.
O que je suis comblé de regrets et d'ennuis !
Plût à Dieu que je fusse un Pasquin ou Marphore,
Je n'aurais sentiment du malheur qui me point :
Ma plume serait libre et si ne craindrais point
Qu'un plus grand contre moi pût exercer son ire.
Assure-toi, Vineus, que celui seul est roi
A qui même les rois ne peuvent donner loi,
Et qui peut d'un chacun à son plaisir écrire.
poésie de Joachim du Bellay
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Trois Ivrognes
Au cabaret, un jour de grand marché forain,
Un bel ivrogne, pâle, aux longs cheveux d’artiste,
Dans le délire ardent de son esprit chagrin,
Ainsi parla, debout, d’une voix âpre et triste :
« R’bouteux, louv’tier, batteur d’étangs et de rivière,
Menuisier,
Avec tous ces états j’réussis qu’une affaire :
M’ennuyer !
Arrangez ça ! d’un’ part, j’vois q’doutance et tromp’rie ;
D’l’aut’ côté,
J’trouv’ le mensong’ trop l’mêm’, l’existenc’ trop pourrie
D’vérité.
Oui ! j’cherche tant l’dessous de c’que j’touche, de c’que j’rêve
Inqu’et d’tout,
Que j’suis noir, idéal, mélancoliq’ sans trêve,
Et partout.
Donc, quand ça m’prend trop fort, j’sors du bois, j’quitt’ la berge,
L’établi,
Et, c’est plus fort que moi, ya pas ! j’rentre à l’auberge
Boir’ l’oubli.
C’est des fameus’ sorcièr’, allez ! les liqueurs fortes
Cont’ les r’mords,
Cont’ soi-mêm’, cont’ les autr’, cont’ la poursuit’ des mortes
Et des morts !
Je m’change, à forc’ de t’ter le lait rouge des treilles,
L’horizon !
Vive la vign’ pour brûler dans l’sang chaud des bouteilles
La raison !
Étant saoul, j’os’ me fier à la femm’, c’t’infidèle
Qui nous ment,
R’garder la tombe avec mes yeux d’personn’ mortelle,
Tranquill’ment.
J’imagin’ que la vie éternellement dure,
Et qu’enfin,
La misèr’ d’ici-bas n’connaît plus la froidure
Ni la faim.
J’crois qu’i’ n’ya plus d’méchants, plus d’avar’, plus d’faussaires,
Et j’suis sûr
Q’l’épouse est innocent’, l’ami vrai, l’homm’ sincère,
L’enfant pur.
Terre et cieux qui, malgré tout c’que l’rêve en arrache,
Rest’ discrets,
M’découvr’ leurs vérités, m’crèv’ les yeux de c’qu’i’cachent
De secrets.
Allons, ris ma pensée! Esprit chant’ ! sois en joie
CÅ“ur amer !
Que l’bon oubli d’moi-mêm’ mont’, me berce et me noie
Comm’ la mer !
Plus d’bail avec l’ennui ! j’ai l’âm’ désabonnée
Du malheur,
Et, dépouillé d’mon sort, j’crache à la destinée
Ma douleur.
T’nez ! l’paradis perdu dans la boisson j’le r’trouve :
Donc, adieu
Mon corps d’homm’ ! C’est dans l’être un infini q’j’éprouve :
Je suis Dieu ! »
Deux vieux buveurs, alors, deux anciens des hameaux
Sourient, et, goguenards, ils échangent ces mots :
« C’citoyen-là ? j’sais pas, pourtant, j’te fais l’pari
Q’c’est queq’ faux campagnard, queq’ échappé d’Paris.
I’caus’ savant comm’ les monsieurs,
Ça dépend ! p’têt’ ben encor mieux ;
Mais, tout ça c’est chimèr’, tournures,
Qui n’ent’ pas dans nos comprenures.
I’dit c’t’homm’ maigr’, chev’lu comme un christ de calvaire,
Qu’à jeun i’ r’gard’ la vie en d’sous,
Mais qu’i’ sait les s’crets des mystères
Et d’vient l’bon Dieu quand il est saoul...
Alors, dans c’moment-là qu’i’ s’rait l’maîtr’de c’qu’i’ veut,
Q’pour lui changer l’tout s’rait qu’un jeu,
Pourquoi qu’à son idée i’ r’fait donc pas la terre ?
M’sembl’ qu’i’ déclare aussi q’venant d’boire un bon coup
I’croit qu’ya plus d’cornards, plus d’canaill’, plus d’misère,
Moi ! j’vois pas tout ça dans mon verre.
I’dit qu’à s’enivrer i’ s’quitte et qu’il oublie
C’qu’il était : c’est qu’i’ boit jusqu’à s’mettre en folie.
Moi, j’sais ben qu’à chaqu’fois je r’trouv’ dans la boisson
Ma personn’ dans sa mêm’ façon,
Sauf que les jamb’ sont pas si libres
Et que l’ballant du corps est moins ferm’ d’équilibre,
Tandis qu’à lui, son mal qu’i’ croit si bien perdu
Va s’r’installer plus creux, un’ fois l’calme r’venu,
Dans sa vieille env’lopp’ d’âm’ toujou sa même hôtesse.
C’est ses lend’mains d’boisson qui lui font tant d’tristesse. »
« J’suis d’ton avis. L’vin m’donn’ plus d’langue et plus d’entrain,
Sur ma route i’ m’fait dérailler un brin,
Avec ma vieill’, des fois, rend ma bigead’ plus tendre...
Mais dam’ ! quand ya d’l’abus, quoi que c’t’homm’ puiss’ prétendre,
La machine à gaieté d’vient machine à chagrin.
Le vin, c’est comm’ la f’melle : i’ n’faut pas trop en prendre !
poésie de Maurice Rollinat
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Domestique de peintre
Ah ! monsieur ! mon métier d’domestique a changé,
Me dit le grand Charly, son béret sur l’oreille :
En yentrant, j’croyais pas trouver un’ plac’ pareille,
Et j’n’ai jamais encor si bien bu, ni mangé.
Mon maîtr’ ? C’est un homm’ simpl’ qui rest’ dans sa nature,
Sans s’occuper d’la mode et du mond’ d’aujourd’hui,
Laissant pousser bien longs ses ch’veux d’un noir qui r’luit,
Tout comm’ ces comédiens qui pass’ dans des voitures.
I’ m’en paye à gogo des goutt’ et du tabac !
I’ m’donn’ des vieux habits et des neufs, sans q’j’y d’mande,
Et doux, l’air comm’ gêné tout’ les fois qui m’commande,
I’ s’inquièt’ de ma bourse et de mon estomac.
Sûr ! que j’ai jamais vu son pareil ! l’diabl’ me torde !
J’veux balayer sa chambre et ranger dans les coins ?
Alors, i’ s’fâch’ tout roug’, disant : « Q’ya pas besoin,
Q’son œil, au r’bours des autr’, voit mieux clair dans l’désordre. »
Avec ça, s’rappelant tout c’qu’on y dit ou c’qu’i’ voit,
Sans jamais les écrir’ gardant mémoir’ des notes,
Dans sa têt’ qui, des fois, semble un’ têt’ de linotte,
Ayant réponse à tout, sachant l’car et l’pourquoi.
Yen a qui lis’ un livre, à lui yen faut des masses !
Sous l’pioch’ment agacé d’son pouc’ qu’i’ mouill’ souvent
Les tournements des pag’ ça fil’ comme le vent !
Puis, soudain’ment, i’ sort comm’ s’i’ manquait d’espace.
Ah l’drôl’ de maîtr’ que j’ai ! tout c’qu’est à lui c’est vôtre.
Un homm’ q’est franc comm’ l’or et bon comme du pain !
Des fois, i’ caus’ tout seul quand i’ marche ou qu’i’ peint ;
Il est dans un endroit ? qu’i’ veut êtr’ dans un autre !
Je l’sais ben moi qui l’suis dans ses cours’ endiablées,
I’ n’voyag’ que pour voir des couleurs. En errant,
I’ braq’ ses p’tits yeux noirs q’avont l’regard si grand
Sur chaq’ roche ou taillis des côt’s et des vallées.
Des fonds et des lointains, des plain’s et des nuages,
Il emport’ la peintur’ qu’i’ soutire au galop,
Tout l’jour, i’ pomp’ la nuanc’ de la verdure et d’l’eau,
Et, la nuit, cherche encor dans l’brun des paysages.
Ça l’prend tout feu tout flamme en fac’ de son ch’valet ;
Puis, l’pinceau dans la main, v’là q’sa grand’ chaleur gèle !
Il est si vite en bas qu’il est en haut d’l’échelle...
En tout’chose on dirait qu’i’ n’sait pas c’qui lui plaît.
I’ cause, i’ chante, i’ rit, en train d’boire et d’manger ?
V’là qu’i’ songe ! — On s’équipe ? on arriv’ pour pêcher ?
I’ veut peindr’ ! vers ses toil’ en tout’ hâte i’ m’dépêche ! —
Quand j’y port’ son fourbi pour travailler ? On pêche !
Sauriez-vous m’dir’ c’que c’est que c’ t’homm’ q’est gai, q’est triste,
Qui girouett’ jamais l’mêm’ et pass’ du chaud au froid ? »
— Et je lui répondis, parlant un peu pour moi :
« Ton maître, ce qu’il est, parbleu ! C’est un artiste !
Me comprends-tu ? — Ma foi ! monsieur, ya pas d’excès.
Artist’ ? dam’ ! moi, c’mot-là j’en connais pas l’mystère !
— Comment te dire alors ? Eh bien ! ton maître, c’est :
Un fou que sa raison tourmente sur la terre.
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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La Réprouvée
Quelle était donc, ainsi, tout de noir recouverte,
Cette femme, là -bas, d’un si lugubre effet,
En me croisant, m’ayant laissé voir qu’elle avait
Le crâne dans du linge et la figure verte ?...
Mais, verte ! de ce vert végétal, cru, blanc jaune,
Comme un gros masque d’herbe et de feuilles de chou !
Elle avait passé là , d’un pied de caoutchouc,
Sans bruit, avec un air de chercheuse d’aumône.
Je la suivais des yeux, je la suivis des pas ;
Et, quand je fus près d’elle, en tremblant, presque bas,
Dans le son de ma voix mettant toute mon âme ;
« Mais qui donc êtes-vous, lui dis-je, pauvre femme ? »
Alors, parlant de dos, elle me répondit :
« C’que j’suis ? Vous n’savez pas ? eh ben ! j’suis l’êtr’ maudit !
Oh ! l’plus misérable et l’plus triste
Comm’ le plus inr’gardab’ q’existe !
N’ayant rien qu’à s’montrer pour fair’ le désert ;
J’suis la femm’ dont, au moins depuis vingt ans, l’cancer
A mangé p’tit à p’tit la fac’, comme un’ lent’ bête ;
Celle qui traîne après ell’ du dégoût et d’l’effroi,
À qui, s’renfermant vit’, les gens de son endroit
Donn’ du pain en r’tournant la tête !
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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La Cloche fêlée
II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
II arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du mal
Ajouté par Simona Enache
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La Vie en Rose
Des yeux qui font baiser les miens,
Un rire qui se perd sur sa bouche,
Voila le portrait sans retouche
De l'homme auquel j'appartiens
Quand il me prend dans ses bras
Il me parle tout bas,
Je vois la vie en rose.
Il me dit des mots d'amour,
Des mots de tous les jours,
Et ca me fait quelque chose.
Il est entre dans mon coeur
Une part de bonheur
Dont je connais la cause.
C'est lui pour moi. Moi pour lui
Dans la vie,
Il me l'a dit, l'a jure pour la vie.
Et des que je l'apercois
Alors je sens en moi
Mon coeur qui bat
Des nuits d'amour a ne plus en finir
Un grand bonheur qui prend sa place
Des enuis des chagrins, des phases
Heureux, heureux a en mourir.
Quand il me prend dans ses bras
Il me parle tout bas,
Je vois la vie en rose.
Il me dit des mots d'amour,
Des mots de tous les jours,
Et ca me fait quelque chose.
Il est entre dans mon coeur
Une part de bonheur
Dont je connais la cause.
C'est toi pour moi. Moi pour toi
Dans la vie,
Il me l'a dit, l'a jure pour la vie.
Et des que je l'apercois
Alors je sens en moi
Mon coeur qui bat
chanson interprété par Edith Piaf
Ajouté par Simona Enache
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Tristesse des bœufs
Voilà ce que me dit en reniflant sa prise
Le bon vieux laboureur, guêtré de toile grise.
Assis sur un des bras de sa charrue, ayant
Le visage en regard du soleil rougeoyant :
« Ces pauv’ bêt’ d’animaux n’comprenn’ pas q’ la parole.
T’nez ! j’avais deux bœufs noirs !... Pour labourer un champ
C’était pas d’ leur causer ; non ! leur fallait du chant
Qui s’ mêle au souffl’ de l’air, aux cris d’ l’oiseau qui vole !
Alors, creusant l’ sillon entr’ buissons, chên’s et viornes,
Vous les voyiez filer, ben lent’ment, dans ceux fonds,
Tels que deux gros lumas, l’un cont’ l’aut’, qui s’en vont
Ayant tiré d’ leu têt’ tout’ la longueur des cornes.
L’ sillon fini, faisant leur demi-rond d’eux-mêmes,
I’s en r’commençaient un auprès, juste à l’endroit :
J’avais qu’à l’ver l’soc qui, rentré doux, r’glissait droit...
Ainsi, toujours pareil, du p’tit jour au soir blême.
C’était du bel ouvrage aussi m’suré q’ leur pas,
Q’ ça soit pour le froment, pour l’avoin’, pour le seigle,
Tous ces sillons étaient jumeaux, droits comme un’ règle,
Et l’écart entr’ chacun comm’ pris par un compas.
Par exempl’, fallait pas, dam’ ! q’ la chanson les quitte !
À preuv’ que quand, des fois, j’ la laissais pour prend’ vent,
I’ s’arrêtaient d’un coup, r’tournaient l’ mufle en bavant,
Et beurmaient tous les deux pour en d’mander la suite.
Mais, c’est pas tout encor, dans l’air de la chanson
I v’laient d’ la même tristesse ayant toujou l’ mêm’ son,
À cell’ du vent et d’ l’arb’ toujou ben accordée.
Mais d’ la gaieté ? jamais i’ n’en voulur’ un brin !
Ça tombait ben pour moi qui chantais mon chagrin.
Ya donc des animaux qu’ont du choix dans l’idée
Et qu’ont l’ naturel trist’ puisque, jamais joyeux,
Dans la couleur des bruits c’est l’noir qu’i’s aim’ le mieux.
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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