Marches funèbres
Toi, dont les longs doigts blancs de statue amoureuse,
Agiles sous le poids des somptueux anneaux,
Tirent la voix qui berce et le sanglot qui creuse
Des entrailles d’acier de tes grands pianos,
Toi, le cœur inspiré qui veut que l’Harmonie
Soit une mer où vogue un chant mélodieux,
Toi qui, dans la musique, à force de génie,
Fais chanter les retours et gémir les adieux,
Joue encore une fois ces deux marches funèbres
Que laissent Beethoven et Chopin, ces grands morts,
Pour les agonisants, pèlerins des ténèbres,
Qui s’en vont au cercueil, graves et sans remords.
Plaque nerveusement sur les touches d’ivoire
Ces effrayants accords, glas de l’humanité,
Où la vie en mourant exhale un chant de gloire
Vers l’azur idéal de l’immortalité.
Et tu seras bénie, et ce soir dans ta chambre
Où tant de frais parfums vocalisent en chœur,
Poète agenouillé sous tes prunelles d’ambre,
Je baiserai tes doigts qui font pleurer mon cœur !
poésie de Maurice Rollinat
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L'Amante macabre
Elle était toute nue assise au clavecin ;
Et tandis qu’au dehors hurlaient les vents farouches
Et que Minuit sonnait comme un vague tocsin,
Ses doigts cadavéreux voltigeaient sur les touches.
Une pâle veilleuse éclairait tristement
La chambre où se passait cette scène tragique,
Et parfois j’entendais un sourd gémissement
Se mêler aux accords de l’instrument magique.
Oh ! magique en effet ! Car il semblait parler
Avec les mille voix d’une immense harmonie,
Si large qu’on eût dit qu’elle devait couler
D’une mer musicale et pleine de génie.
Ma spectrale adorée, atteinte par la mort,
Jouait donc devant moi, livide et violette,
Et ses cheveux si longs, plus noirs que le remord,
Retombaient mollement sur son vivant squelette.
Osseuse nudité chaste dans sa maigreur !
Beauté de poitrinaire aussi triste qu’ardente !
Elle voulait jeter, cet ange de l’Horreur,
Un suprême sanglot dans un suprême andante.
Auprès d’elle une bière en acajou sculpté,
Boîte mince attendant une morte fluette,
Ouvrait sa gueule oblongue avec avidité
Et semblait l’appeler avec sa voix muette.
Sans doute, elle entendait cet appel ténébreux
Qui montait du cercueil digne d’un sanctuaire,
Puisqu’elle y répondit par un chant douloureux
Sinistre et résigné comme un oui mortuaire !
Elle chantait : « Je sors des bras de mon amant.
« Je l’ai presque tué sous mon baiser féroce ;
« Et toute bleue encor de son enlacement,
« J’accompagne mon râle avec un air atroce !
« Depuis longtemps, j’avais acheté mon cercueil :
« Enfin ! Avant une heure, il aura mon cadavre ;
« La Vie est un vaisseau dont le Mal est l’écueil,
« Et pour les torturés la Mort est un doux havre.
« Mon corps sec et chétif vivait de volupté :
« Maintenant, il en meurt, affreusement phtisique ;
« Mais, jusqu’au bout, mon cœur boira l’étrangeté
« Dans ces gouffres nommés Poésie et Musique.
« Vous que j’ai tant aimés, hommes, je vous maudis !
« À vous l’angoisse amère et le creusant marasme !
« Adieu, lit de luxure, Enfer et Paradis,
« Où toujours la souffrance assassinait mon spasme.
« Réjouis-toi, Cercueil, lit formidable et pur
« Au drap de velours noir taché de larmes blanches,
« Car tu vas posséder un cadavre si dur
« Qu’il se consumera sans engluer tes planches.
« Et toi, poète épris du Sombre et du Hideux,
« Râle et meurs ! Un ami te mettra dans la bière,
« Et sachant notre amour, nous couchera tous deux
« Dans le même sépulcre et sous la même pierre.
« Alors, de chauds désirs inconnus aux défunts
« Chatouilleront encor nos carcasses lascives,
« Et nous rapprocherons, grisés d’affreux parfums,
« Nos orbites sans yeux et nos dents sans gencives ! »
Et tandis que ce chant de la fatalité
Jetait sa mélodie horrible et captivante,
Le piano geignait avec tant d’âpreté,
Qu’en l’écoutant, Chopin eût frémi d’épouvante.
Et moi, sur mon lit, blême, écrasé de stupeur,
Mort vivant n’ayant plus que les yeux et l’ouïe,
Je voyais, j’entendais, hérissé par la Peur,
Sans pouvoir dire un mot à cette Ève inouïe.
Et quand son cœur sentit son dernier battement,
Elle vint se coucher dans les planches funèbres ;
Et la veilleuse alors s’éteignit brusquement,
Et je restai plongé dans de lourdes ténèbres.
Puis, envertiginé jusqu’à devenir fou,
Croyant voir des Satans qui gambadaient en cercle,
J’entendis un bruit mat suivi d’un hoquet mou :
Elle avait rendu l’âme en mettant son couvercle !
Et depuis, chaque nuit, ― ô cruel cauchemar !
Quand je grince d’horreur, plus désolé qu’Électre,
Dans l’ombre, je revois la morte au nez camard,
Qui m’envoie un baiser avec sa main de spectre.
poésie de Maurice Rollinat
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Chopin
Chopin, frère du gouffre, amant des nuits tragiques,
Âme qui fus si grande en un si frêle corps,
Le piano muet songe à tes doigts magiques
Et la musique en deuil pleure tes noirs accords.
L’harmonie a perdu son Edgar Pœ farouche
Et la mer mélodique un de ses plus grands flots.
C’est fini ! le soleil des sons tristes se couche,
Le Monde pour gémir n’aura plus de sanglots !
Ta musique est toujours – douloureuse ou macabre
L’hymne de la révolte et de la liberté,
Et le hennissement du cheval qui se cabre
Est moins fier que le cri de ton cœur indompté.
Les délires sans nom, les baisers frénétiques
Faisant dans l’ombre tiède un cliquetis de chairs,
Le vertige infernal des valses fantastiques,
Les apparitions vagues des défunts chers ;
La morbide lourdeur des blancs soleils d’automne ;
Le froid humide et gras des funèbres caveaux ;
Les bizarres frissons dont la vierge s’étonne
Quand l’été fait flamber les cœurs et les cerveaux ;
L’abominable toux du poitrinaire mince
Le harcelant alors qu’il songe à l’avenir ;
L’ineffable douleur du paria qui grince
En maudissant l’amour qu’il eût voulu bénir ;
L’âcre senteur du sol quand tombent des averses ;
Le mystère des soirs où gémissent les cors ;
Le parfum dangereux et doux des fleurs perverses ;
Les angoisses de l’âme en lutte avec le corps ;
Tout cela, torsions de l’esprit, mal physique,
Ces peintures, ces bruits, cette immense terreur,
Tout cela, je le trouve au fond de ta musique
Qui ruisselle d’amour, de souffrance et d’horreur.
Vierges tristes malgré leurs lèvres incarnates,
Tes blondes mazurkas sanglotent par moments,
Et la poignante humour de tes sombres sonates
M’hallucine et m’emplit de longs frissonnements.
Au fond de tes Scherzos et de tes Polonaises,
Épanchements d’un cœur mortellement navré,
J’entends chanter des lacs et rugir des fournaises
Et j’y plonge avec calme et j’en sors effaré.
Sur la croupe onduleuse et rebelle des gammes
Tu fais bondir des airs fauves et tourmentés,
Et l’âpre et le touchant, quand tu les amalgames,
Raffinent la saveur de tes étrangetés.
Ta musique a rendu les souffles et les râles,
Les grincements du spleen, du doute et du remords,
Et toi seul as trouvé les notes sépulcrales
Dignes d’accompagner les hoquets sourds des morts.
Triste ou gai, calme ou plein d’une angoisse infinie,
J’ai toujours l’âme ouverte à tes airs solennels,
Parce que j’y retrouve à travers l’harmonie,
Des rires, des sanglots et des cris fraternels.
Hélas ! toi mort, qui donc peut jouer ta musique ?
Artistes fabriqués, sans nerf et sans chaleur,
Vous ne comprenez pas ce que le grand Phtisique
A versé de génie au fond de sa douleur !
poésie de Maurice Rollinat
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La Musique
À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.
Quand tes regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots,
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots.
Elle me verse tous les baumes
Et me souffle tous les parfums ;
Elle évoque tous mes fantômes
Et tous mes souvenirs défunts.
Elle m’apaise quand je souffre,
Elle délecte ma langueur,
Et c’est en elle que j’engouffre
L’inexprimable de mon cœur.
Elle mouille comme la pluie,
Elle brûle comme le feu ;
C’est un rire, une brume enfuie
Qui s’éparpille dans le bleu.
Dans ses fouillis d’accords étranges
Tumultueux et bourdonnants,
J’entends claquer des ailes d’anges
Et des linceuls de revenants ;
Les rythmes ont avec les gammes
De mystérieux unissons ;
Toutes les notes sont des âmes,
Des paroles et des frissons.
Ô Musique, torrent du rêve,
Nectar aimé, philtre béni,
Cours, écume, bondit sans trêve
Et roule-moi dans l’infini.
À l’heure où l’ombre noire
Brouille et confond
La lumière et la gloire
Du ciel profond,
Sur le clavier d’ivoire
Mes doigts s’en vont.
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Sonnet à la nuit
Mère des cauchemars amoureux et funèbres,
Madone des voleurs, complice des tripots,
Ô nuit, qui fais gémir les hiboux, tes suppôts,
Dans le recueillement de tes froides ténèbres,
Que tu couvres de poix opaque ou que tu zèbres
Les objets las du jour et friands de repos,
Je t’aime, car tu rends mon esprit plus dispos,
Et tu calmes mon cœur, mon sang et mes vertèbres.
Mais, hélas ! dans ta brume où chancellent mes pas,
Mon regard anxieux devine et ne voit pas ;
Et j’écarquille en vain mes prunelles avides !
Oh ! que n’ai-je les yeux du chacal ou du lynx
Pour scruter longuement les grands spectres livides
Que j’entends palpiter sous ta robe de sphinx !
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La Chanson des yeux
J’aime tes yeux d’azur qui, tout pailletés d’or,
Ont une lueur bleue et blonde,
Tes yeux câlins et clairs où le rêve s’endort,
Tes grands yeux bougeurs comme l’onde.
Jusque dans leurs regards savants et nuancés,
Si doux qu’ils te font deux fois femme,
Ils reflètent le vol de tes moindres pensers
Et sont les vitres de ton âme.
Dans la rue on subit leur charme ensorceleur ;
Ils étonnent sur ton passage,
Car ils sont plus jolis et plus fleurs que la fleur
Que tu piques à ton corsage.
Oui, tes yeux sont si frais sous ton large sourcil,
Qu’en les voyant on se demande
S’ils n’ont pas un arôme harmonieux aussi,
Tes longs yeux fendus en amande.
Dans le monde on les voit pleins de morosité,
Ils sont distraits ou sardoniques
Et n’ont pour me parler amour et volupté
Que des œillades platoniques ;
Mais, tout seuls avec moi sous les rideaux tremblants,
Ils me font te demander grâce,
Et j’aspire, enlacé par tes petits bras blancs,
Ce qu’ils me disent à voix basse.
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Les Grands Linges
Le magique soleil sur les hauteurs pensives
Fait luire et triompher tous ces grands linges blancs
Qui, chevauchant leur corde au sortir des lessives,
Y sèchent, tour à tour inertes et tremblants.
Ils apparaissent purs, ardents, frais et joyeux,
Au loin, flottant rappel des gloires printanières,
Bleutés, rosés, baignés d’azur et de lumière,
Fêtant le paysage, ébouissant les yeux.
Mais le soir, c’est l’horreur suprême ! car, alors
On dirait invisible un long troupeau de morts,
Spectres rampants enfouis dans leurs grands draps funèbres.
Pendant que tout noircit, — là ! restant blancs eux seuls,
Ces linges ne sont plus qu’un rideau de linceuls !
Barrant l’horizon vague où montent les ténèbres.
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Le Rire
Rire nerveux et sardonique
Qui fais grimacer la douleur,
Et dont le timbre satanique
Est la musique du malheur ;
Rire du paria farouche,
Quand, d’un geste rapide et fou,
Il met le poison dans sa bouche
Ou s’attache la corde au cou ;
Rire plus amer qu’une plainte,
Plus douloureux qu’un mal aigu,
Plus sinistre qu’une complainte,
Rire atroce aux pleurs contigu ;
Sarcasme intime, inexorable,
Remontant comme un haut-le-cœur
Aux lèvres de la misérable
Qui se vend au passant moqueur :
Puisque, dans toutes mes souffrances,
Ton ironie âpre me mord,
Et qu’à toutes mes espérances
Ton explosion grince : « À mort ! »
Je t’offre cette Fantaisie
Où j’ai savouré sans terreur
L’abominable poésie
De ta prodigieuse horreur.
Je veux que sur ces vers tu plaques
Tes longs éclats drus et stridents,
Et qu’en eux tu vibres, tu claques,
Comme la flamme aux jets ardents !
J’ai ri du rire de Bicêtre,
À la mort d’un père adoré ;
J’ai ri, lorsque dans tout mon être
S’enfonçait le Dies iræ ;
La nuit où ma maîtresse est morte,
J’ai ri, sournois et dangereux !
— « Je ne veux pas qu’on me l’emporte ! »
Hurlais-je avec un rire affreux.
J’ai ri, — quel suprême scandale !
Le matin où j’ai reconnu,
À la Morgue, sur une dalle,
Mon meilleur ami, vert et nu !
Je ris dans les amours funèbres
Où l’on se vide et se réduit ;
Je ris lorsqu’au fond des ténèbres,
La Peur m’appelle et me poursuit.
Je ris du mal qui me dévore ;
Je ris sur terre et sur les flots ;
Je ris toujours, je ris encore
Avec le cœur plein de sanglots !
Et quand la Mort douce et bénie
Me criera : « Poète ! à nous deux ! »
Le râle de mon agonie
Ne sera qu’un rire hideux !
poésie de Maurice Rollinat
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Les Chauves-souris
Mais pourquoi voler avec tant de mystère
« Et si longuement dans ces grands corridors ?
« Vous seriez si bien à votre aise dehors,
« Dans le brouillard frais qui tombe sur la terre.
« Vous avez sans doute un vol involontaire,
« O chauves-souris noires comme un remords !
« Mais pourquoi voler avec tant de mystère
« Et si longuement dans ces grands corridors ?
« Pour ainsi hanter ce château solitaire,
« Vous n’êtes pas des âmes de mauvais morts ?
« Enfin, pour ce soir, vivent les esprits forts !
« Je reste là, sans que la frayeur m’attère.
« Mais pourquoi voler avec tant de mystère ?
poésie de Maurice Rollinat
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Il pleure dans mon cœur
Il pleut doucement sur la ville (Arthur Rimbaud)
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie!
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi! Nulle trahison?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!
poésie de Paul Verlaine
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Le Val des marguerites
C’est au fond d’un ravin fantastique et superbe
Où maint rocher lépreux penche et dresse le front :
Une espèce de puits gigantesquement rond
Dont l’eau n’aurait servi qu’à faire pousser l’herbe.
Là, le mystère ému déployant ses deux ailes
Fantomatise l’air, les pas et les reflets :
Il semble, à cet endroit, que des lutins follets
Accrochent leurs zigzags à ceux des demoiselles.
L’horreur des alentours en ferme les approches ;
L’écho n’y porte pas le sifflet des convois ;
Ses murmures voilés ont le filet de voix
Des gouttelettes d’eau qui filtrent sous les roches.
C’est si mort et si frais, il y flotte, il y vague
Tant de silence neuf, de bruit inentendu,
Que l’on pressent toujours en ce vallon perdu
Quelque apparition indéfiniment vague !
Il n’a jamais connu ni moutons, ni chevrettes,
Ni bergère qui chante en tenant ses tricots ;
Les tiges de bluets et de coquelicots
N’y font jamais hocher leurs petites aigrettes :
Mais, entre ses grands houx droits comme des guérites,
Ce val, si loin des champs, des prés et des manoirs,
Cache, tous les étés, ses gazons drus et noirs
Sous un fourmillement de hautes marguerites.
Chœur vibrant et muet, innocent et paisible,
Où chaque pâquerette, à côté de sa sœur,
A des mouvements blancs d’une extrême douceur,
Dans la foule compacte et cependant flexible.
L’oiseau, pour les frôler, quitte l’orme et l’érable ;
Et le papillon gris, dans un mol unisson,
Y confond sa couleur, sa grâce et son frisson
Quand il vient y poser son corps impondérable.
Le Gnome en phaéton voit dans chacune d’elles
Une petite roue au moyeu d’or bombé,
Et le Sylphe y glissant pense qu’il est tombé
Sur un nuage ami de ses battements d’ailes.
La Nature contemple avec sollicitude
Ce petit peuple frêle, onduleux et tremblant
Qu’elle a fait tout exprès pour mettre un manteau blanc
À la virginité de cette solitude.
On dirait que le vent qui jamais ne les froisse
Veut épargner ici les fleurs des grands chemins,
Qui plaisent aux yeux purs, tentent les tristes mains,
Et que l’Amour peureux consulte en son angoisse.
Nul arôme ne sort de leur corolle blême ;
Mais au lieu d’un parfum mortel ou corrupteur,
Elles soufflent aux cieux la mystique senteur
De la simplicité dont elles sont l’emblème.
Et toutes, chuchotant d’imperceptibles phrases,
Semblent remercier l’azur qui, tant de fois,
Malgré le mur des rocs et le rideau des bois,
Leur verse de si près ses lointaines extases.
Avant que le matin, avec ses doigts d’opale,
N’ait encore essuyé leurs larmes de la nuit,
Elles feraient songer aux vierges de l’ennui
Qui s’éveillent en pleurs, et la face plus pâle.
Le soleil les bénit de ses yeux sans paupières,
Et, fraternellement, ce Gouffre-Paradis
Reçoit, comme un baiser des alentours maudits,
L’âme des végétaux et le soupir des pierres.
Puis, la chère tribu, quand le soir se termine,
Sous la lune d’argent qui se joue au travers,
Devient, entre ses houx lumineusement verts,
Une vapeur de lait, de cristal et d’hermine.
Et c’est alors qu’on voit des formes long-voilées,
Deux spectres du silence et de l’isolement,
Se mouvoir côte à côte, harmonieusement,
Sur ce lac endormi de blancheurs étoilées.
poésie de Maurice Rollinat
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L'Aveugle
L’humble vieille qui se désole
Dit, gémissant chaque parole :
« Contr’ le sort j’ n’ai plus d’ résistance.
Que l’ bon Dieu m’appell’ donc à lui !
La tomb’ s’ra jamais que d’ la nuit
Ni plus ni moins q’ mon existence.
Mais la fille s’écrie, essuyant une larme :
Parlez pas d’ ça ! J’ vas dire un’ bell’ complaint’ d’aut’fois, »
Et, quenouille à la taille, un fuseau dans les doigts,
Exhale de son cœur la musique du charme.
La vieille aveugle, assise au seuil de sa chaumière,
Écoute avidement la bergère chanter,
Au son de cette voix semblant les enchanter
On dirait que ses yeux retrouvent la lumière.
Tour à tour elle rit, parle, soupire et pleure,
Étend ses maigres doigts d’un geste de désir
Vers quelque objet pensé qu’elle ne peut saisir,
Ou, comme extasiée, immobile demeure.
Et, lorsque la bergère a fini sa chanson,
Elle lui dit : « Merci ! tu m’as rendu l’ frisson,
La couleur, et l’ bruit du feuillage,
Tu m’as fait r’voir l’eau claire et l’ beau soleil luisant,
Mon enfanc’, ma jeuness’, mes amours ! À présent
J’ peux ben faire le grand voyage.
poésie de Maurice Rollinat
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Le Piano
Puis-je te célébrer autant que je le dois,
Cher interlocuteur au langage mystique ?
Hier encor, le chagrin, ruisselant de mes doigts,
T’arrachait un sanglot funèbre et sympathique.
Sois fier d’être incompris de la vulgarité !
Beethoven a sur toi déchaîné sa folie,
Et Chopin, cet Archange ivre d’étrangeté,
T’a versé le trop-plein de sa mélancolie.
Le rêve tendrement peut flotter dans tes sons ;
La volupté se pâme avec tous ses frissons
Dans tes soupirs d’amour et de tristesse vague ;
Intime confident du vrai musicien,
Tu consoles son cœur et son esprit qui vague
Par ton gémissement, fidèle écho du sien.
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Le Cœur guéri
Celle que j’aime est une enchanteresse
Au front pudique, aux longs cheveux châtains ;
Compagne et sœur, ma muse et ma maîtresse,
Elle ravit mes soirs et mes matins.
Svelte beauté, sensitive jolie,
Elle a l’œil tendre et la taille qui plie ;
Moi, le suiveur des funèbres convois,
J’ai frémi d’aise au doux son de sa voix,
Et maintenant que l’amour m’électrise,
Toujours, partout, je l’entends, je la vois ;
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.
Geste pensif et qui vous intéresse,
Bouche d’enfant sans rires enfantins,
Étrangeté jusque dans la caresse,
Regards profonds, veloutés et lointains,
Joue inquiète et quelquefois pâlie
Par la souffrance et la mélancolie,
Tête française avec un air suédois,
Pied de gazelle, et jolis petits doigts
Par qui toujours la musique est comprise :
Aussi, je l’aime autant que je le dois,
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.
Elle a comblé mon esprit d’allégresse,
Purifié mon art et mes instincts,
Et maintenant, mon âme qui progresse
Plane au-dessus des rêves libertins.
Je suis calmé, je suis chaste ; j’oublie
Ce que je fus ! ma chair est ennoblie ;
Je ne suis plus le poète aux abois
Qui frissonnait d’horreur au fond des bois,
J’aime la nuit, qu’elle soit noire ou grise,
Et, bénissant le philtre que je bois,
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.
La destinée, hélas ! est bien traîtresse,
Mais je souris quand même à mes destins,
Car, dès ce jour, au lieu de ma détresse,
J’ai la saveur des mystiques festins.
Tout à l’amour qui désormais nous lie,
Avec l’espoir je me réconcilie ;
En vain l’ennui me guette en tapinois,
Je ne crains plus cet ennemi sournois :
Le bouclier contre qui tout se brise,
Je l’ai, pour vaincre au milieu des tournois !
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.
Je ne redoute aucun danger, serait-ce
L’Enfer lui-même ! à mes défis hautains
Satan se tait ! l’embûche qu’il me dresse
Je la découvre, et marche à pas certains.
Ma volonté germe et se multiplie ;
Les rêves bleus dont ma tête est remplie
Chassent au loin mes spleens et mes effrois
Pour me parler du Ciel à qui je crois,
Et je pardonne à ceux que je méprise,
Comme le Christ en mourant sur la croix ;
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise.
poésie de Maurice Rollinat
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Les Cheveux champêtres
En plein air, sans une épingle,
Ils aiment à paresser,
Et la brise qui les cingle
A l'air de les caresser,
Ils vont sous les branches torses
Des vieux chênes roux et bruns,
Et la feuille et les écorces
Les grisent de leurs parfums.
Dans la campagne déserte,
Au fond des grands prés muets,
Ils dorment dans l’herbe verte
Et se coiffent de bluets ;
Le soleil les importune,
Mais ils aiment loin du bruit
Le glacis du clair de lune
Et les frissons de la nuit.
Comme les rameaux des saules
Se penchant sur les marais,
Ils flottent sur ses épaules,
À la fois tristes et frais.
Quand, plus frisés que la mousse,
Ils se sont éparpillés,
On dirait de l’or qui mousse,
Autour des blancs oreillers.
poésie de Maurice Rollinat
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J'ai dans mon coeur...
J’ai dans mon cœur, dont tout voile s’écarte,
Deux bancs d’ivoire, une table en cristal,
Où sont assis, tenant chacun leur carte,
Ton faux amour et mon amour loyal.
J’ai dans mon cœur, dans mon cœur diaphane,
Ton nom chéri qu’enferme un coffret d’or;
Prends-en la clef, car nulle main profane
Ne doit l’ouvrir ni ne l’ouvrit encor.
Fouille mon cœur, ce cœur que tu dédaignes
Et qui pourtant n’est peuplé que de toi,
Et tu verras, mon amour, que tu règnes
Sur un pays dont nul homme n’est roi!
poésie de Théophile Gautier de España (1841)
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Divins esprits, dont la poudreuse cendre
Divins esprits, dont la poudreuse cendre
Gît sous le faix de tant de murs couverts,
Non votre los, qui vif par vos beaux vers
Ne se verra sous la terre descendre,
Si des humains la voix se peut étendre
Depuis ici jusqu'au fond des enfers,
Soient à mon cri les abîmes ouverts
Tant que d'abas vous me puissiez entendre.
Trois fois cernant sous le voile des cieux
De vos tombeaux le tour dévotieux,
A haute voix trois fois je vous appelle :
J'invoque ici votre antique fureur,
En cependant que d'une sainte horreur
Je vais chantant votre gloire plus belle.
poésie de Joachim du Bellay
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Les Plaintes
Venus des quatre coins de l’horizon farouche,
De la cime des pics et du fond des remous,
Les aquilons rageurs sont d’invisibles fous
Qui fouettent sans lanière et qui hurlent sans bouche.
Les ruisseaux n’ont jamais que des bruits susurreurs
Dans leur tout petit lit qui serpente et qui vague,
Et l’on n’entend sortir qu’un murmure très vague
Des étangs recueillis sous les saules pleureurs.
Mais la mer qui gémit comme une âme qui souffre,
Tord sous les cieux muets ses éternels sanglots
Où viennent se mêler dans l’écume des flots
Les suffocations des noyés qu’elle engouffre.
Quand s’exhalent, après que l’orage a cessé,
Les souffles de la nuit plus légers que des bulles,
La plainte en la mineur des crapauds noctambules
Fait gémir le sillon, l’ornière et le fossé.
Jérémie aux cent bras sur qui le vent halète,
L’arbre a tous les sanglots dans ses bruissements,
Et l’écho des forêts redit les grincements
Du loup, trotteur affreux que la faim rend squelette.
Quand je passe, le soir, dans un val écarté,
Je frissonne au cri rauque et strident de l’orfraie,
Car, pour moi, cette plainte errante qui m’effraie,
C’est le gémissement de la fatalité.
Sous l’archet sensitif où passent nos alarmes
L’âme des violons sanglote, et sous nos doigts,
La harpe, avec un bruit de source dans les bois,
Égrène, à sons mouillés, la musique des larmes.
Le soupir clandestin des vierges de beauté
Semble remercier l’amour qui les effleure,
Mais la plainte amoureuse est un regret qui pleure
Le plaisir déjà mort avant d’avoir été.
En vain l’on se défend, en vain l’on fait mystère
Des maux que la clarté du jour semble assoupir,
Tout l’homme intérieur, dans un affreux soupir,
Raconte son angoisse à la nuit solitaire.
Et le tas vagabond des parias craintifs,
Noirs pèlerins geigneurs, sans gourde, ni sandales,
Partout, sur les planchers, les cailloux et les dalles,
Passent comme un troupeau de fantômes plaintifs.
Dans la forêt des croix, tombes vieilles et neuves,
Combien vous entendez de femmes à genoux
Gémir avec des sons plus tristes et plus doux
Que les roucoulements des tourterelles veuves !
Tandis que, dans un cri forcené qui le tord,
L’enfant paraît déjà se plaindre de la vie,
L’aïeul qui le regarde avec un œil d’envie
Grommelle d’épouvante en songeant à la mort.
L’agonisant croasse un lamento qui navre ;
Et quand les morts sont clos dans leur coffre obsédant,
Le hoquet gargouilleur qu’ils ont en se vidant
Filtre comme la plainte infecte du cadavre.
— Elles ont des échos vibrant comme des glas
Et s’enfonçant avec une horrible vitesse
Dans mon funèbre cœur plein d’ombre et de tristesse
Où se sont installés les hiboux des Hélas ;
Oui ! dans le grondement formidable des nues
Mon âme entend parfois l’Infini sangloter,
Mon âme ! où vont s’unir et se répercuter
Tous les frissons épars des douleurs inconnues !
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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Les Arbres
Arbres, grands végétaux, martyrs des saisons fauves.
Sombres lyres des vents, ces noirs musiciens,
Que vous soyez feuillus ou que vous soyez chauves,
Le poète vous aime et vos spleens sont les siens.
Quand le regard du peintre a soif de pittoresque.
C’est à vous qu’il s’abreuve avec avidité,
Car vous êtes l’immense et formidable fresque
Dont la terre sans fin pare sa nudité.
De vous un magnétisme étrange se dégage.
Plein de poésie âpre et d’amères saveurs ;
Et quand vous bruissez, vous êtes le langage
Que la nature ébauche avec les grands rêveurs.
Quand l’éclair et la foule enflent rafale et grêle,
Les forêts sont des mers dont chaque arbre est un flot.
Et tous, le chêne énorme et le coudrier grêle,
Dans l’opaque fouillis poussent un long sanglot.
Alors, vous qui parfois, muets comme des marbres,
Vous endormez, pareils à des cœurs sans remords,
Vous tordez vos grands bras, vous hurlez, pauvres arbres,
Sous l’horrible galop des éléments sans mors.
L’été, plein de langueurs, l’oiseau clôt ses paupières
Et dort paisiblement sur vos mouvants hamacs,
Vous êtes les écrans des herbes et des pierres
Et vous mêlez votre ombre à la fraîcheur des lacs.
Et quand la canicule, aux vivants si funeste,
Pompe les étangs bruns, miroirs des joncs fluets,
Dans l’atmosphère lourde où fermente la peste,
Vous immobilisez vos branchages muets.
Votre mélancolie, à la fin de l’automne,
Est pénétrante, alors que sans fleurs et sans nids,
Sous un ciel nébuleux où d’heure en heure il tonne,
Vous semblez écrasés par vos rameaux jaunis.
Les seules nuits de mai, sous les rayons stellaires,
Aux parfums dont la terre emplit ses encensoirs,
Vous oubliez parfois vos douleurs séculaires
Dans un sommeil bercé par le zéphyr des soirs.
Une brume odorante autour de vous circule
Quand l’aube a dissipé la nocturne stupeur,
Et, quand vous devenez plus grands au crépuscule,
Le poète frémit comme s’il avait peur.
Sachant qu’un drame étrange est joué sous vos dômes,
Par les bêtes le jour, par les spectres la nuit,
Pour voir rôder les loups et glisser les fantômes,
Vos invisibles yeux s’ouvrent au moindre bruit.
Et le soleil vous mord, l’aquilon vous cravache,
L’hiver vous coud tout vifs dans un froid linceul blanc,
Et vous souffrez toujours jusqu’à ce que la hache
Taillade votre chair et vous tranche en sifflant.
Partout où vous vivez, chênes, peupliers, ormes,
Dans les cités, aux champs, et sur les rocs déserts,
Je fraternise avec les tristesses énormes
Que vos sombres rameaux épandent par les airs.
poésie de Maurice Rollinat
Ajouté par Poetry Lover
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Mon âme est une infante
Mon Ame est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.
Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.
Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...
Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.
Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.
Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.
Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.
Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et, dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.
Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres;
El, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se lait plus profond sur ses lèvres.
Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes;
El par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.
L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.
Mon Ame est une infante en robe de parade.
poésie de Albert Samain
Ajouté par Simona Enache
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La Vie antérieure
J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
poésie de Charles Baudelaire de Les Fleurs du mal (1857)
Ajouté par anonyme
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