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Tempête obscure

L’orage, après de longs repos,
Ce soir-là, par ses deux suppôts,

La nuée et le vent qui claque,
Se présageait pour l'onde opaque.

Grondante sous le ciel muet,
Par quintes, la mer se ruait ;

Puis, elle se tut, la perfide,
Reprit son niveau brun livide.

Malheur aux coquilles de noix
Alors sur l’élément sournois

D’un plat, d’un silence de planche,
Risquant leur petite aile blanche !

Car, on le sent à l’angoissé,
Au guettant de l’air oppressé,

La paix du gouffre qui se fige
Couve la trame du vertige ;

Si calme en dessus, ses dessous
Cherchent, ramassent leurs courroux,

En effet, soudain l’eau tranquille
Bomba sa face d’encre et d’huile,

Perdit son taciturne intact,
Prit un clapotement compact.

Et voilà qu’à rumeurs funèbres
La tempête emplit les ténèbres.

Mais, pas un éclair zigzaguant :
Rien que l’obscur de l’ouragan !

Ballottée en ce ciel de bistre
La lune folle, errant sinistre,

Comme une morte promenant
Sa lanterne de revenant,

À hideuses lueurs moroses
Éclairait ce drame des choses.

Souffle monstre, outrant sa fureur,
Le vent démesurait l'horreur

Des montagnes d’eau dont les cimes
Pivotaient, croulant en abîmes

Qui, l’un par l’autre chevauchés,
Distordus, engloutis, crachés,

Redressaient leurs masses béantes
En Himalayas tournoyantes,

Spectrales des froids rayons verts
Se multipliant au travers.

Et, toujours, la houle élastique
Réopérait plus frénétique

La métamorphose des flots
Dans des tonnerres de sanglots.

Vint alors tant d’obscurité
Que ce fracas précipité

N’était plus que la plainte immense,
La clameur du vide en démence.

Puis, l’astre blêmissant, terni,
Sombra dans le noir infini

Où son vert-de-gris jaune-soufre
Se convulsait avec le gouffre.

Les vagues par leurs bonds si hauts
Brassaient le ciel dans le chaos ;

Tout tourbillonnait : l’eau, la brume,
La voûte, les airs et l’écume,

Tout : fond, sommet, milieu, côtés
Dans le pêle-mêle emportés !

Tellement que la mer, les nues,
Étaient par degrés devenues

Un même et confus océan
Roulant tout seul dans le Néant.

Et, pour l’œil comme pour l’oreille,
Existait l’affreuse merveille,

L’âme vivait l’illusion
De cette énorme vision,

Tout l'être croyait au mensonge
Du terrible tableau mouvant

Qu’avec l’eau, la lune, et le vent,
La Nuit composait pour le Songe.

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L'Allée de peupliers

C’était l’heure du rêve et de l’effacement :
Tout, dans la nuit, allait se perdre et se dissoudre ;
Et, d’échos en échos, les rumeurs de la foudre
Traînaient dans l’air livide un sourd prolongement.

Pendue au bord des cieux pleins d’ombres et d’alarmes,
Et si bas qu’un coteau semblait les effleurer,
La pluie, ainsi qu’un œil qui ne peut pas pleurer,
Amassait lentement la source de ses larmes.

Et, comme un souffle errant de brasier refroidi,
Dans le val qui prenait une étrange figure,
Un vent tiède, muet et de mauvais augure,
Bouffait sur l’herbe morte et le buisson roidi.

Ce fut donc par un soir lourd et sans lune bleue,
Qu’au milieu des éclairs brefs et multipliés,
Je m’avançai tout seul entre ces peupliers
Qui bordaient mon chemin pendant près d’une lieue.

Alors, les vieux trembleurs, si droits et si touffus,
À travers les brouillards que l’obscurité file
Bruissaient doucement et vibraient à la file,
Tandis qu’au loin passaient des grondements confus.

Mais l’orage éclata ; l’autan lâcha ses hordes,
Et les arbres bientôt devinrent sous leurs doigts
Des harpes de géants, qui toutes à la fois
Résonnèrent avec des millions de cordes.

Comme un frisson humain dans les vrais désespoirs
Irrésistiblement court des pieds à la tête,
Ainsi, de bas en haut, le vent de la tempête
Sillonna brusquement les grands peupliers noirs.

Maintenant le tonnerre ébranlait la vallée ;
La plaine et l’horizon tournoyaient ; et dardant
Avec plus de fureur un zigzag plus ardent,
L’éclair, d’un bout à l’autre, illuminait l’allée.

Sur des fonds sulfureux teintés de vert-de-gris
Les peupliers traçaient d’horribles arabesques ;
La foudre accompagnait leurs plaintes gigantesques,
Et l’aquilon poussait d’épouvantables cris.

C’était un bruit houleux, galopant, élastique,
L’infini dans le râle et dans le rire amer ;
On entendait rouler l’avalanche et la mer
Dans ce clapotement sauvage et fantastique.

Un vol prodigieux d’aigles estropiés
Fouettant des maëlstroms de leurs ailes boîteuses ;
Des montagnes de voix claires et chuchoteuses ;
Des torrents de drapeaux, de flamme et de papiers ;

Un vaste éboulement de sable et de rocailles
Dégringolant à pic au fond d’immenses trous ;
Des tas enchevêtrés de serpents en courroux
Sifflant à pleine gueule et claquant des écailles ;

Des fous et des blessés agonisant la nuit
Au fond d’un grand Bicêtre ou d’un affreux hospice ;
Deux trains se rencontrant au bord d’un précipice :
Tout cela bigarrait ce formidable bruit.

Mais, degrés par degrés, l’orage eut moins de force,
Et cessa. Le chaos disparut du vallon ;
Un déluge rapide abattit l’aquilon,
Et la foudre s’enfuit avec sa lueur torse.

Et toujours, entre tous mes soirs inoubliés,
Cette sinistre nuit me poursuit et me hante,
Cette nuit d’ouragan, rauque et tourbillonnante,
Où gémirent en chœur deux mille peupliers !

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Le Mirage

Le ciel ayant figé ses grands nuages roses,
Émeraudés, lilas, cuivreux et violets,
L’étang clair, miroitant dans la douceur des choses,
Renvoya leur image avec tous ses reflets.

Dans l’onde, sous le souffle errant des vents follets,
Gardant leur infini, leurs airs d’apothéoses,
Leur éclat, leur magique et leur lointain complets,
Ils dormaient, invoilés, la langueur de leurs poses.

La voûte et lui fondus, ne faisant qu’un ensemble,
L’étang, du même bleu lisse et profond qui tremble,
Autant qu’elle, vivait ses décors glorieux :

Tel était le pouvoir du plus beau des mirages
Que j’admirais le ciel, sans relever les yeux,
Prenant l’eau pour l’azur avec tous ses nuages.

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Les Infinis

Vertigineux géant du désert qu’il écrase,
La tête dans l’azur et le pied dans la mer,
Le mont découpe, ardent, sous le dôme de l’air,
Son farouche horizon de chaos en extase.

Le vide où, par instants, des vents de feu circulent,
Tend son gouffre comblé par son rutilement ;
L’onde et la nue, ayant même bleuissement,
Face à face vibrants, s’éblouissent et brûlent.

Là, ce que la Nature a de plus éternel :
L’Espace, l’Océan, la Montagne, le Ciel,
Souffre pompeusement la lumière embrasée :

Puis, la Nuit vient, gazant sous ses voiles bénis
La Lune, spectre errant de ces quatre infinis
Qui boivent les soupirs de son âme glacée.

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Les infinis

Vertigineux géant du désert qu'il écrase,
La tête dans l'azur et le pied dans la mer,
Le mont découpe, ardent, sous le dôme de l'air,
Son farouche horizon de chaos en extase.

Le vide où, par instants, des vents de feu circulent,
Tend son gouffre comblé par son rutilement ;
L'onde et la nue, ayant même bleuissement,
Face à face vibrants, s'éblouissent et brûlent.

Là, ce que la Nature a de plus éternel :
L'Espace, l'Océan, la Montagne, le Ciel,
Souffre pompeusement la lumière embrasée :

Puis, la Nuit vient, gazant sous ses voiles bénis
La Lune, spectre errant de ces quatre infinis
Qui boivent les soupirs de son âme glacée.

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Les Mouettes

En tas, poussant de longs cris aboyeurs
Aussi plaintifs que des cris de chouettes,
Autour des ports, sur les gouffres noyeurs,
Dans l’air salé s’ébattent les mouettes,
Promptes au vol comme des alouettes.
D’un duvet mauve et marqueté de roux,
Sur l’eau baveuse où le vent fait des trous,
On peut les voir se tailler des besognes
Et se risquer sous le ciel en courroux,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Flairant les flots, sinistres charroyeurs,
Et les écueils noirs dont les silhouettes
Font aux marins de si grandes frayeurs,
Elles s’en vont avec des pirouettes
De-ci, de-là, comme des girouettes.
Dans les vapeurs vitreuses des temps mous
Où notre œil suit les effacements doux
Des mâts penchant avec des airs d’ivrognes,
Ces grands oiseaux rôdent sur les remous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

Et quand les flots devenus chatoyeurs
Dorment bercés par les brises fluettes,
On les revoit, avides côtoyeurs,
Éparpillant leurs troupes inquiètes
Aux environs des falaises muettes.
En vain tout rit, le brouillard s’est dissous ;
Ces carnassiers qui ne sont jamais soûls
Ouvrent encor leurs ailes de cigognes
Sur les galets polis comme des sous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.


ENVOI

Vautour blafard, fouilleur des casse-cous,
Toi dont le bec donne de si grands coups
Dans les lambeaux pourris où tu te cognes,
Viens là ! Tes sœurs t’y donnent rendez-vous,
Pour nettoyer la mer de ses charognes.

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Charles Baudelaire

Rêve parisien

À Constantin Guys

I

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles!
Par un caprice singulier
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers:

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques, c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient!

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel!

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté!
Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles!)
Un silence d'éternité.

II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits;

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.

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Le Chemin aux merles

Voici que la rosée éparpille ses perles
Qui tremblent sous la brise aux feuilles des buissons.
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !
Car, dans les chemins creux où sifflotent les merles,
Et le long des ruisseaux qui baignent les cressons,
La fraîcheur du matin m’emplit de gais frissons.

Mystérieuse, avec de tout petits frissons,
La rainette aux yeux noirs et ronds comme des perles,
S’éveille dans la flaque, et franchit les cressons,
Pour aller se blottir aux creux des verts buissons,
Et mêler son chant rauque au sifflement des merles.
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !

— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles
Sous l’arceau de verdure où passent des frissons,
J’ai pour me divertir le bruit que font les merles,
Avec leur voix aiguë égreneuse de perles !
Et de même qu’ils sont les rires des buissons,
La petite grenouille est l’âme des cressons.

La libellule vibre aux pointes des cressons.
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !
Le soleil par degrés attiédit les buissons,
Déjà sur les talus l’herbe a de chauds frissons,
Et les petits cailloux luisent comme des perles ;
La feuillée est alors toute noire de merles !

C’est à qui sifflera le plus parmi les merles !
L’un d’eux, s’aventurant au milieu des cressons,
Bat de l’aile sur l’eau qui s’en égoutte en perles ;
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles !
Et le petit baigneur fait courir des frissons
Dans la flaque endormie à l’ombre des buissons.

Mais un lent crépuscule embrume les buissons ;
Avec le soir qui vient, le sifflement des merles
Agonise dans l’air plein d’étranges frissons ;
Un souffle humide sort de la mare aux cressons :
O spleen, voici qu’à flots dans mon cœur tu déferles !
Toi, nuit ! tu n’ouvres pas ton vaste écrin de perles !

Pas de perles au ciel ! le long des hauts buissons,
Tu déferles, noyant d’obscurité les merles
Et les cressons ! — Je rentre avec de noirs frissons !

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La Lune

La lune a de lointains regards
Pour les maisons et les hangars
Qui tordent sous les vents hagards
Leurs girouettes ;
Mais sa lueur fait des plongeons
Dans les marais peuplés d’ajoncs
Et flotte sur les vieux donjons
Pleins de chouettes !

Elle fait miroiter les socs
Dans les champs, et nacre les rocs
Qui hérissent les monts, par blocs
Infranchissables ;
Et ses chatoiements délicats
Près des gaves aux sourds fracas
Font luire de petits micas
Parmi les sables !

Avec ses lumineux frissons
Elle a de si douces façons
De se pencher sur les buissons
Et les clairières !
Son rayon blême et vaporeux
Tremblote au fond des chemins creux
Et rôde sur les flancs ocreux
Des fondrières.

Elle promène son falot
Sur la forêt et sur le flot
Que pétrit parfois le galop
Des vents funèbres ;
Elle éclaire aussi les taillis
Où, cachés sous les verts fouillis,
Les ruisseaux font des gazouillis
Dans les ténèbres.

Elle argente sur les talus
Les vieux troncs d’arbres vermoulus
Et rend les saules chevelus
Si fantastiques,
Qu’à ses rayons ensorceleurs,
Ils ont l’air de femmes en pleurs
Qui penchent au vent des douleurs
Leurs fronts mystiques.

En doux reflets elle se fond
Parmi les nénuphars qui font
Sur l’étang sinistre et profond
De vertes plaques ;
Sur la côte elle donne aux buis
Des baisers d’émeraude, et puis
Elle se mire dans les puits
Et dans les flaques !

Et, comme sur les vieux manoirs,
Les ravins et les entonnoirs,
Comme sur les champs de blés noirs
Où dort la caille,
Elle s’éparpille ou s’épand,
Onduleuse comme un serpent,
Sur le sentier qui va grimpant
Dans la rocaille !

Oh ! quand, tout baigné de sueur,
Je fuis le cauchemar tueur,
Tu blanchis avec ta lueur
Mon âme brune ;
Si donc, la nuit, comme un hibou,
Je vais rôdant je ne sais où,
C’est que je t’aime comme un fou ;
O bonne Lune !

Car, l’été, sur l’herbe, tu rends
Les amoureux plus soupirants,
Et tu guides les pas errants
Des vieux bohèmes ;
Et c’est encore ta clarté,
O reine de l’obscurité,
Qui fait fleurir l’étrangeté
Dans mes poèmes !

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Le Saule

Tout à l’heure, sous les éclats
Et les souffles de la tempête,
Le saule brandillait sa tête,
Et l’étang cognait ses bords plats.

Avec de mortelles alarmes,
Par ce vent, ces rumeurs, ces feux,
L’arbre tordait ses longs cheveux
Sur l’eau qui balayait ses larmes.

Calme, à présent, l’étang reluit,
Le ciel illumine la nuit,
Et, sans qu’une brise l’effleure,

Le Narcisse des végétaux
Admire encore dans les eaux
Sa figure verte qui pleure.

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La Rivière dormante

Au plus creux du ravin où l’ombre et le soleil
Alternent leurs baisers sur la roche et sur l’arbre,
La rivière immobile et nette comme un marbre
S’enivre de stupeur, de rêve et de sommeil.

Plus d’un oiseau, dardant l’éclair de son plumage,
La brûle dans son vol, ami des nénuphars ;
Et le monde muet des papillons blafards
Y vient mirer sa frêle et vacillante image.

Descendu des sentiers tout sablés de mica,
Le lézard inquiet cherche la paix qu’il goûte
Sur ses rocs fendillés d’où filtrent goutte à goutte
Des filets d’eau qui font un bruit d’harmonica.

La lumière est partout si bien distribuée
Qu’on distingue aisément les plus petits objets ;
Des mouches de saphir, d’émeraude et de jais
Au milieu d’un rayon vibrent dans la buée.

Sa mousse qui ressemble aux grands varechs des mers
Éponge tendrement les larmes de ses saules,
Et ses longs coudriers, souples comme des gaules,
Se penchent pour la voir avec les buis amers.

Ni courant limoneux, ni coup de vent profane :
Rien n’altère son calme et sa limpidité ;
Elle dort, exhalant sa tiède humidité,
Comme un grand velours vert qui serait diaphane.

Pourtant cette liquide et vitreuse torpeur
Qui n’a pas un frisson de remous ni de vague,
Murmure un son lointain, triste, infiniment vague,
Qui flotte et se dissipe ainsi qu’une vapeur.

Du fond de ce grand puits qui la tient sous sa garde,
Avec ses blocs de pierre et ses fouillis de joncs,
Elle écoute chanter les hiboux des donjons
Et réfléchit l’azur étroit qui la regarde.

Des galets mordorés et d’un aspect changeant
Font à la sommeilleuse un lit de mosaïque
Où, dans un va-et-vient béat et mécanique.
Glissent des poissons bleus lamés d’or et d’argent.

Leurs nageoires qui sont rouges et dentelées
Dodelinent avec leur queue en éventail :
Si transparente est l’eau, qu’on peut voir en détail
Tout ce fourmillement d’ombres bariolées.

Comme dans les ruisseaux clairs et torrentueux
Qui battent les vieux ponts aux arches mal construites,
L’écrevisse boiteuse y chemine, et les truites
Aiment l’escarpement de ses bords tortueux.

L’âme du paysage à toute heure voltige
Sur ce lac engourdi par un sommeil fatal,
Dallé de cailloux plats et dont le fin cristal
A les miroitements du songe et du vertige.

Et, sans qu’elle ait besoin des plissements furtifs
Que les doigts du zéphyr forment sur les eaux mates,
Pour prix de leur ombrage et de leurs aromates
La rivière sourit aux végétaux plaintifs ;

Et quand tombe la nuit spectrale et chuchoteuse,
Elle sourit encore aux parois du ravin :
Car la lune, au milieu d’un silence divin,
Y baigne les reflets de sa lueur laiteuse.

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La Forme noire

C’est le grand silence des nuits
Auquel, seul, le vent s’amalgame.
Pleurant ses amoureux ennuis,
Pas une chouette qui clame !
Rien ! pas même un crapaud n’entame
Ce figement de tous les bruits.
Une forme d’homme ou de femme,
Tout le corps et les traits enfouis
Dans du noir, suit au long des buis
La rivière qui sent le drame.
Ses pas fiévreusement conduits
Disent assez ce qu’elle trame.
Sous les frissons d’ombre et de flamme,
Coulant des cieux épanouis,
Au milieu des joncs éblouis
Une barque est là qui se pâme.
L’inconnu saisit une rame,
Sonde un endroit creux comme un puits,
Se précipite... flac ! — Pauvre âme !
L’eau se referme — plate — et puis
C’est le grand silence des nuits.

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Solitude

Les choses formant d’habitude
Au plus fauve endroit leur tableau :
Les rochers, les arbres et l’eau,
Manquent à cette solitude.

D’un gris fané de vieille laine,
De couleur verte dénué
Et de partout continué
Par l’indéfini de la plaine,

Tel ce champ étend sa tristesse,
Sans un genêt, sans un chardon,
La ronce, indice d’abandon,
N’étant pas même son hôtesse.

Le ciel blanc, comme un morne dôme,
Tout bombé sur son terrain plat,
Raye d’un éclair çà et là
La lividité de son chaume.

On dirait une espèce d’île
Au milieu d’océans caillés,
Tant les quatre horizons noyés
Ont un enlacement tranquille !

Le spectre ici ? Ce serait l’être
Dont on guette venir le pas,
Le quelqu’un que l'on ne voit pas
Mais qui pourrait bien apparaître.

En ce lieu d’atmosphère lourde,
Où couve un malaise orageux,
Il souffle un frais marécageux
D’odeur cadavéreuse et sourde.

Pas un frisson, pas une pause
Du silence et du figement !
La pleine mort, totalement,
En a fait sa lugubre chose.

Mais ce qui, surtout, de la terre
Monte, funèbre, avec la nuit,
C’est l’effroi, la stupeur, l’ennui
De l’éternité solitaire.

On voit à cette heure émouvante,
D’aspect encor plus solennel,
Ce champ et ce morceau de ciel
Communier en épouvante.

L’espace devant l’œil dévide
Son interminable lointain
Emplissant le jour incertain
De son vague absolument vide.

Malgré l’amas de la tempête
D’un poids noir et toujours croissant,
Ici, le vent même est absent
Comme la personne et la bête.

L’ombre vient... l’horreur est si grande
Que je quitte ce désert nu,
M’y sentant presque devenu
Le fantôme que j’appréhende !...

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Le Tunnel

Au milieu d’un tunnel profond comme le vide,
Où l’horreur et la nuit pendent leurs attirails,
Une femme, tordant sa nudité livide,
Est couchée en travers sur les terribles rails.

La voûte et les murs froids, pleins de larmes funèbres,
Écoutent s’étouffer de longs cris surhumains ;
Et coupé par le vent qui court dans ces ténèbres,
Un homme est là qui grince en se frottant les mains.

Tout à coup, un bruit sourd et deux prunelles rouges
Naissent à l’horizon. — « Misérable ! tu bouges,
« Tu geins, et tu te mords ; mais, le train marche, lui !

« La descente le pousse et le retard l’active !
« Entends-tu le sifflet de la locomotive ?... »
Et la campagne dort et la lune reluit.

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Le Lamento des tourterelles

Par les ombres du crépuscule
Et sous la lune de minuit,
Qu’elle tristesse au fond du bruit
Que la campagne inarticule,
Et comme alors il vous poursuit
De la ravine au monticule,
Ce râle exhalé par l’ennui
Des tourterelles !

L’arbre s’effare et gesticule
Aussi vaguement qu’il bruit ;
Dans l’herbe un frisson brun circule ;
L’eau n’est plus qu’un brouillard qui luit,
Et le vent tiède véhicule
A l’écho qui le reproduit
Le roucoulement minuscule
Des tourterelles !

Et moi, que la douleur conduit,
Je mêle à ces voix de la nuit
Ma plainte horrible où s’inocule
Tout le regret du temps qui fuit
Et du passé qui se recule.

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L'église abandonnée

Au soleil bas, l'église a saigné derechef ;
Puis, sa clarté se perd, se rencogne, s'élague,
Et l'ombre, par degrés, de ses rampantes vagues,
Envahit voûte, murs, pavés, le choeur, la nef.
Le jour des coins, des trous ? les ténèbres le draguent
Le mystère et la mort triomphent dans leur fief.
Mais, au vitrail fendu, 1à-bas, en forme d'F,
La lune luit, soudain, ronde comme une bague ;
On revoit, morne, aux pieds du Christ penchant son chef,
Tout percé par les clous, par la lance et la dague,
La Madone exhalant son chagrin qui divague ;
Puis, plus loin, renfrogné, sous un grand bas-relief,
Juste dans le tremblant de la lueur qui vague,
Un maigre saint Bruno ruminant un grief,
Et, dans sa niche, en face, un bon vieux saint Joseph
Qui joint ses longues mains et sourit d'un air vague.

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Ballade du châtaignier rond

Le râle de genêts croassait dans les prés
Comme un peigne qu’on racle au milieu du mystère ;
Le soir décolorait les arbres effarés,
Et lentement la Lune, au ras du ciel austère,
Se recourbait en arc ainsi qu’un cimeterre.
C’est alors que, tout seul dans la vallée, au bruit
Du crapaud des étangs qui flûtait son ennui,
Par les taillis scabreux, les labours et le chaume,
Je m’en allais parfois rêver jusqu’à minuit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.

Aux bêlements lointains des moutons égarés,
Plus fatidiquement qu’un glas de monastère,
Le chat-huant mêlait ses sanglots acérés,
Si tristes, qu’un frisson de peur involontaire
Vous prend, lorsqu’un mauvais écho les réitère.
C’était l’heure des loups que le sorcier conduit ;
De la voix qui vous hèle, et du pas qui vous suit ;
Le grillon n’avait plus qu’un murmure d’atome ;
Et la mousse enchâssait le petit ver qui luit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.

Le court vacillement des farfadets soufrés
Annonçant des esprits qui revenaient sur terre,
Dansait au bout des joncs des chemins engouffrés ;
Puis, à la longue, tout finissait par se taire,
Et le silence entrait dans la nuit solitaire.
Et j’oubliais la tombe où la Mort nous réduit
En cendres ! J’oubliais le monde qui me nuit ;
Le sommeil des buissons me charriait son baume,
Et je m’évaporais avec le vent qui fuit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.

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La Pluie

Lorsque la pluie, ainsi qu’un immense écheveau
Brouillant à l’infini ses longs fils d’eau glacée,
Tombe d’un ciel funèbre et noir comme un caveau
Sur Paris, la Babel hurlante et convulsée,

J’abandonne mon gîte, et sur les ponts de fer,
Sur le macadam, sur les pavés, sur l’asphalte,
Laissant mouiller mon crâne où crépite un enfer,
Je marche à pas fiévreux sans jamais faire halte.

La pluie infiltre en moi des rêves obsédants
Qui me font patauger lentement dans les boues,
Et je m’en vais, rôdeur morne, la pipe aux dents,
Sans cesse éclaboussé par des milliers de roues.

Cette pluie est pour moi le spleen de l’inconnu :
Voilà pourquoi j’ai soif de ces larmes fluettes
Qui sur Paris, le monstre au sanglot continu,
Tombent obliquement lugubres, et muettes.

L’éternel coudoiement des piétons effarés
Ne me révolte plus, tant mes pensers fermentent :
À peine si j’entends les amis rencontrés
Bourdonner d’un air vrai leurs paroles qui mentent.

Mes yeux sont si perdus, si morts et si glacés,
Que dans le va-et-vient des ombres libertines,
Je ne regarde pas sous les jupons troussés
Le gai sautillement des fringantes bottines.

En ruminant tout haut des poèmes de fiel,
J’affronte sans les voir la flaque et la gouttière ;
Et mêlant ma tristesse à la douleur du ciel,
Je marche dans Paris comme en un cimetière.

Et parmi la cohue impure des démons,
Dans le grand labyrinthe, au hasard et sans guide,
Je m’enfonce, et j’aspire alors à pleins poumons
L’affreuse humidité de ce brouillard liquide.

Je suis tout à la pluie ! À son charme assassin,
Les vers dans mon cerveau ruissellent comme une onde :
Car pour moi, le sondeur du triste et du malsain,
C’est de la poésie atroce qui m’inonde.

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La pluie

Lorsque la pluie, ainsi qu'un immense écheveau
Brouillant à l'infini ses longs fils d'eau glacée,
Tombe d'un ciel funèbre et noir comme un caveau
Sur Paris, la Babel hurlante et convulsée,

J'abandonne mon gîte, et sur les ponts de fer,
Sur le macadam, sur les pavés, sur l'asphalte,
Laissant mouiller mon crâne où crépite un enfer,
Je marche à pas fiévreux sans jamais faire halte.

La pluie infiltre en moi des rêves obsédants
Qui me font patauger lentement dans les boues,
Et je m'en vais, rôdeur morne, la pipe aux dents,
Sans cesse éclaboussé par des milliers de roues.

Cette pluie est pour moi le spleen de l'inconnu :
Voilà pourquoi j'ai soif de ces larmes fluettes
Qui sur Paris, le monstre au sanglot continu,
Tombent obliquement lugubres, et muettes.

L'éternel coudoîment des piétons effarés
Ne me révolte plus, tant mes pensers fermentent :
À peine si j'entends les amis rencontrés
Bourdonner d'un air vrai leurs paroles qui mentent.

Mes yeux sont si perdus, si morts et si glacés,
Que dans le va-et-vient des ombres libertines,
Je ne regarde pas sous les jupons troussés
Le gai sautillement des fringantes bottines.

En ruminant tout haut des poèmes de fiel,
J'affronte sans les voir la flaque et la gouttière ;
Et mêlant ma tristesse à la douleur du ciel,
Je marche dans Paris comme en un cimetière.

Et parmi la cohue impure des démons,
Dans le grand labyrinthe, au hasard et sans guide,
Je m'enfonce, et j'aspire alors à pleins poumons
L'affreuse humidité de ce brouillard liquide.

Je suis tout à la pluie ! À son charme assassin,
Les vers dans mon cerveau ruissellent comme une onde :
Car pour moi, le sondeur du triste et du malsain,
C'est de la poésie atroce qui m'inonde.

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Iulia Hașdeu

Au bord de la mer

Bonsoir, amis, bonsoir, au pâle clair de lune,
Aux cris plaintifs du vent parmi la forêt brune,
Aux soupirs de la brise inclinant les roseaux,
Aux sourds mugissements du flot qui bat la grève,
Bonsoir! Le voyageur qui s’arrête et qui rêve
En écoutant la voix des eaux,

Seul, nocturne pêcheur, debout sur le roc sombre,
Regarde vers le ciel plein d’étoiles sans nombre;
Et tandis que ses yeux plongent au firmament,
Il peut se demander quelle est cette romance
Que la mer chante au ciel, achève et recommence,
Recommence éternellement!

Avez-vous entendu, quand la nuit est sans voiles,
La vaste mer chanter sa chanson aux étoiles?
Quelle musique, amis! Dieu parle en cette voix.
Sublime créateur de l’infini – son monde –
Dieu prête à l’océan cette basse profonde
Et l’océan chante ses lois.

Bonsoir, amis! Ce Dieu, par qui le flot murmure,
Par qui tout prend naissance et vit dans la nature,
Qui fit ce qu’on ne peut ni comprendre, ni voir,
Comme les flots des mers, comme les choeurs des anges,
Bénissez-le sans cesse et chantez ses louanges.
Au clair de lune, amis, bonsoir!

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Les Treize Rêves

L’un des treize viveurs que la tristesse ronge
Ayant dit : « Voyons donc, qui de nous, l’autre nuit,
A fait le plus horrible songe ? »
Chacun parle à son tour et conte ce qui suit :

LE PREMIER
Je rêvais que j’étais pieds liés, bras au dos,
Dans la camisole de force :
Une dame très pâle et coiffée en bandeaux,
Les yeux fixes, la bouche torse,
Me souriait avec langueur
Et m’entrait lentement un stylet dans le cœur.
Je la regardais sans un cri, sans même
Un mouvement ; mais autant qu’elle blême !
Et si je restais là, figé de telle sorte,
C’est que je l’avais vu : « La dame était morte ! »

LE SECOND
Par des tunnels bas, des corridors froids,
Par de longs souterrains étroits,
J’arrivais dans un carrefour.
J’entendais qu’on chauffait le four
Quelque part, ici, là, mais je n’y voyais goutte.
Soudain, je reculais, et ma vue effarée
Brûlait au rouge ardent d’une gueule cintrée…
Puis, la voix de quelqu’un invisible ordonnait
Qu’on me prît… et l’on m’enfournait
Dans le brasier claquant qui pourléchait sa voûte.

LE TROISIÈME
On me guillotinait : l’exécuteur narquois
S’y reprenait à plusieurs fois.
Ce n’était qu’au septième coup
Que ma tête quittait mon cou.
Dans le baquet de son qui lui semblait un gouffre
Elle roulait, elle roulait…
Tandis que son tronc qui la revoulait
Geignait en saignant : « Je souffre, je souffre. »

LE QUATRIÈME
J’entrais dans un palais dont les portes ouvertes
Se refermaient sur moi. Par des salles désertes
J’errais — la puanteur me faisait trébucher ;
L’horreur et le dégoût retenaient mon haleine…
Je le crois bien… Les murs, le plafond, le plancher
N’étaient qu’un grouillement de pourriture humaine !

LE CINQUIÈME
Fléchissant sous l’énorme poids
De je ne sais quelle bête,
J’allais seul, la nuit, par une tempête.
Les objets dans un noir de poix
Avaient fini par se dissoudre.
Tout l’espace n’était qu’une rumeur de foudre ;
Et nul éclair ! rien ! les ténèbres seulement
Précédaient et suivaient l’infini grondement.
Pas de pluie ! aucunes rafales !
Mais un grand cri, par intervalles,
Un grand gémissement, fou, d’un plaintif aigu,
Tel que je n’en ai jamais entendu !…
Comme un chant d’horreur extraordinaire
Accompagné par le tonnerre…

LE SIXIÈME
J’étais très malade — en danger de mort.
Quand même, j’espérais encor,
Ma mère persistant à me crier : « Courage ! »
Au pied du lit, debout, malgré son grand âge.
Je noyais longuement mes regards anxieux
Dans le rassurant de ses yeux.
Enfin, elle venait s’asseoir à mon chevet :
Toujours plus nos regards échangeaient la caresse
De la confiance et de la tendresse.
Brusquement, elle se levait,
M’enlaçait, pareille aux serpents des jungles,
Et m’étouffait avec ses ongles.
Ma mère n’était plus qu’une sorcière folle…
— Qu’à jamais loin de moi ce cauchemar s’envole !…

LE SEPTIÈME
Tiens ! moi, j’avais aussi la démence méchante :
En face d’un grand billot plat
J’aiguisais vite une serpe tranchante
Qui luisait d’un terrible éclat.
Soudain je dis : « Vas-y ! puisque si bien tu flambes ! »
Et, successivement, je me coupai les jambes,
Ensuite, la main gauche ; et, quand je m’éveillai,
Mes dents mordaient encore au moignon droit broyé !

LE HUITIÈME
J’étais dans le caveau d’un immense musée
De cire, et ma vue était médusée
Par des mannequins froids et solennels
Qui représentaient de grands criminels.
Je frissonnais bien, mais je tenais ferme.
Tout à coup, une voix longue criait : « On ferme ! »
Je me précipitais pour sortir, plus d’issue !…
À la voûte, plus de clarté,
Toute la cave était tissue
D’une compacte obscurité.
J’appelais avec violence,
Rien ne répondait qu’un morne silence ;
Et je sentais la solitude en haut,
Dans la salle au-dessus de mon noir cachot.
Alors, se rallumaient les lampes,
Et je voyais — l’effroi m’en glace encor les tempes ! —
Tous ces mannequins s’animer hideux
Pendant que je claquais des dents au milieu d’eux.

LE NEUVIÈME
En chair, en os, j’étais reptile infâme,
Crapaud pelotonné sur le sein d’une femme.
Tout ramassé dans ma laideur,
Immobilisé de lourdeur.
Je ne pouvais bouger de cette place
Où je mettais mon froid de glace.
J’étais si conscient de mon corps odieux
Que des larmes mouillaient le rouge de mes yeux,
Et qu’en moi, par degrés, je sentais s’accroître
Les battements du cœur, des flancs et du goitre.
J’aurais tant voulu, pauvre bête affreuse,
M’en aller de la malheureuse !…
Sa respiration courte, inégalement,
Soulevait mon poids opprimant…
À la fin, elle dit d’une voix chagrine :
« Mais ! qu’est-ce que j’ai donc là, sur la poitrine ? »
Elle alluma — me vit — mourut dans la stupeur,
Après un hurlement de peur.
Et le réveil — horreur qui navre !
Me retrouvait crapaud pleurant sur un cadavre.

LE DIXIÈME
Je perdis l’équilibre au bord glissant d’un puits.
Exprimer ce que j’ai ressenti… Je ne puis.
Ainsi qu’un fil qui se dévide
Je descendais lent dans le vide ;
Sous ma chute le rond du gouffre ténébreux
S’élargissait toujours plus creux ;
Et, comme si toujours d’une nouvelle cime
Je redégringolais dans un nouvel abîme,
Dans l’indéfiniment profond
Je tombais sans toucher le fond.

LE ONZIÈME
Un ennemi Protée, un fantôme changeant
Me poursuivait partout, marchant, volant, nageant !
Je voulais fuir le monstre, ou la bête, ou la morte…
Mes pas restaient figés dans de la colle forte.
Puis, j’étais dans un lit sans rideaux. Tout en face
Pendait juste une immense glace,
Si bien qu’avant le coup j’ai pu voir l’éclair froid
Du couteau qu’une main tenait levé sur moi.

LE DOUZIÈME
Un moutonnement faible, un bombement très vague,
Comme d’une herbe ou d’une vague,
Tout au fond de la chambre attirait mon regard :
Et voici qu’en un jour blafard
Je voyais de dessous une ample couverture
Sortir un énorme serpent
Dont j’allais être la pâture.
Moitié dressé, moitié rampant,
Lent, cauteleux, avec un silence farouche,
Il arrivait jusqu’à ma couche.
Tout vibrant de fluide et la gueule en arrêt,
Le magnétiseur me considérait.
Puis, les crochets dardés en flammettes furtives,
Il sifflait rauque ainsi que les locomotives,
Et j’entendais bientôt craquer mes os
Sous le vissement lisse et froid de ses anneaux.

Et le treizième, enfin, dit d’une voix d’homme ivre :
— Étant mort enterré, je me sentais revivre…
Et je ressuscitais !… Dans l’enclos gazonné
D’où je sortais comme un damné,
Les défunts me criaient, les uns après les autres :
« Non ! tu ne seras plus des nôtres !
« Pour qui s’est lassé d’être, en son ennui béant,
« Au moins le suicide avance le néant !
« Mais, toi, ta vie ayant l’intarissable source,
« Tu n’auras pas cette ressource.
« Tu dois exister désormais
« Pour jamais ! pour jamais !
« Retourne au mal, au deuil, à l’argent, aux amours,
« Pour toujours ! pour toujours !
« Va-t-en lutter, souffrir, penser,
« Sans plus repouvoir trépasser ! »


Il se tut. La parole eut un instant sa trêve.
Puis, les douze premiers unissant, à la fois
Leurs frémissements et leurs voix,
S’écrièrent : « Voilà le plus horrible rêve !

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