Mars, vergogneux d'avoir donné tant d'heur
Mars, vergogneux d'avoir donné tant d'heur
A ses neveux que l'impuissance humaine
Enorgueillie en l'audace romaine
Semblait fouler la céleste grandeur,
Refroidissant cette première ardeur,
Dont le Romain avait l'âme si pleine,
Souffla son feu, et d'une ardente haleine
Vint échauffer la gothique froideur.
Ce peuple adonc, nouveau fils de la Terre,
Dardant partout les foudres de la guerre,
Ces braves murs accabla sous sa main,
Puis se perdit dans le sein de sa mère,
Afin que nul, fût-ce des dieux le père,
Se pût vanter de l'empire romain.
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Par armes et vaisseaux Rome dompta le monde
Par armes et vaisseaux Rome dompta le monde,
Et pouvait-on juger qu'une seule cité
Avait de sa grandeur le terme limité
Par la même rondeur de la terre et de l'onde.
Et tant fut la vertu de ce peuple féconde
En vertueux neveux, que sa postérité,
Surmontant ses aïeux en brave autorité,
Mesura le haut ciel à la terre profonde :
Afin qu'ayant rangé tout pouvoir sous sa main,
Rien ne pût être borne à l'empire romain :
Et que, si bien le temps détruit les républiques,
Le temps ne mît si bas la romaine hauteur,
Que le chef déterré aux fondements antiques,
Qui prirent nom de lui, fut découvert menteur.
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Fuyons, Dilliers, fuyons cette cruelle terre
Fuyons, Dilliers, fuyons cette cruelle terre,
Fuyons ce bord avare et ce peuple inhumain,
Que des dieux irrités la vengeresse main
Ne nous accable encor sous un même tonnerre.
Mars est désenchaîné, le temple de la guerre
Est ouvert à ce coup, le grand prêtre romain
Veut foudroyer là -bas l'hérétique Germain
Et l'Espagnol marran, ennemis de saint Pierre.
On ne voit que soldats, enseignes, gonfanons,
On noit que tambourins, trompettes et canons,
On ne voit que chevaux courant parmi la plaine :
On n'oit plus raisonner que de sang et de feu,
Maintenant on verra, si jamais on l'a veu,
Comment se sauvera la nacelle romaine.
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Tels que l'on vit jadis les enfants de la Terre
Tels que l'on vit jadis les enfants de la Terre
Plantés dessus les monts pour écheller les cieux,
Combattre main à main la puissance des dieux,
Et Jupiter contre eux, qui ses foudres desserre :
Puis tout soudainement renversés du tonnerre
Tomber deçà delà ces squadrons furieux,
La Terre gémissante, et le Ciel glorieux
D'avoir à son honneur achevé cette guerre :
Tel encore on a vu par-dessus les humains
Le front audacieux des sept coteaux romains
Lever contre le ciel son orgueilleuse face :
Et tels ores on voit ces champs déshonorés
Regretter leur ruine, et les dieux assurés
Ne craindre plus là -haut si effroyable audace.
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Telle que dans son char la Bérécynthienne
Telle que dans son char la Bérécynthienne
Couronnée de tours, et joyeuse d'avoir
Enfanté tant de dieux, telle se faisait voir
En ses jours plus heureux cette ville ancienne :
Cette ville, qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfants, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du monde, et ne se peut revoir
Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.
Rome seule pouvait à Rome ressembler,
Rome seule pouvait Rome faire trembler :
Aussi n'avait permis l'ordonnance fatale
Qu'autre pouvoir humain, tant fût audacieux,
Se vantât d'égaler celle qui fit égale
Sa puissance à la terre et son courage aux cieux.
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Sur la rive d'un fleuve une nymphe éplorée,
ur la rive d'un fleuve une nymphe éplorée,
Croisant les bras au ciel avec mille sanglots,
Accordait cette plainte au murmure des flots,
Outrageant son beau teint et sa tresse dorée :
Las, où est maintenant cette face honorée,
Où est cette grandeur et cet antique los,
Où tout l'heur et l'honneur du monde fut enclos,
Quand des hommes j'étais et des dieux adorée ?
N'était-ce pas assez que le discord mutin
M'eût fait de tout le monde un publique butin,
Si cet hydre nouveau, digne de cent Hercules,
Foisonnant en sept chefs de vices monstrueux
Ne m'engendrait encore à ces bords tortueux
Tant de cruels Nérons et tant de Caligules ?
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Au Roi
Ne vous pouvant donner ces ouvrages antiques
Pour votre Saint-Germain ou pour Fontainebleau,
Je vous les donne, Sire, en ce petit tableau
Peint, le mieux que j'ai pu, de couleurs poétiques :
Qui mis sous votre nom devant les yeux publiques,
Si vous le daignez voir en son jour le plus beau,
Se pourra bien vanter d'avoir hors du tombeau
Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques.
Que vous puissent les dieux un jour donner tant d'heur,
De rebâtir en France une telle grandeur
Que je la voudrais bien peindre en votre langage :
Et peut-être qu'alors votre grand Majesté,
Repensant à mes vers, dirait qu'ils ont été
De votre monarchie un bienheureux présage.
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Tant que l'oiseau de Jupiter vola,
Tant que l'oiseau de Jupiter vola,
Portant le feu dont le ciel nous menace,
Le ciel n'eut peur de l'effroyable audace
Qui des Géants le courage affola :
Mais aussitôt que le Soleil brûla
L'aile qui trop se fit la terre basse,
La terre mit hors de sa lourde masse
L'antique horreur qui le droit viola.
Alors on vit la corneille germaine
Se déguisant feindre l'aigle romaine,
Et vers le ciel s'élever derechef
Ces braves monts autrefois mis en poudre,
Ne voyant plus voler dessus leur chef
Ce grand oiseau ministre de la foudre.
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Ces grands monceaux pierreux, ces vieux murs que tu vois
Ces grands monceaux pierreux, ces vieux murs que tu vois
Furent premièrement le clos d'un lieu champêtre :
Et ces braves palais, dont le temps s'est fait maître,
Cassines de pasteurs ont été quelquefois.
Lors prirent les bergers les ornements des rois,
Et le dur laboureur de fer arma sa dextre :
Puis l'annuel pouvoir le plus grand se vit être,
Et fut encor plus grand le pouvoir de six mois :
Qui, fait perpétuel, crut en telle puissance,
Que l'aigle impérial de lui prit sa naissance :
Mais le Ciel, s'opposant à tel accroissement,
Mit ce pouvoir ès mains du successeur de Pierre,
Qui sous nom de pasteur, fatal à cette terre,
Montre que tout retourne à son commencement.
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Non autrement qu'on voit la pluvieuse nue
Non autrement qu'on voit la pluvieuse nue
Des vapeurs de la terre en l'air se soulever,
Puis se courbant en arc, afin de s'abreuver,
Se plonger dans le sein de Téthys la chenue,
Et montant derechef d'où elle était venue,
Sous un grand ventre obscur tout le monde couver,
Tant que finablement on la voit se crever,
Or en pluie, or en neige, or en grêle menue :
Cette ville qui fut l'ouvrage d'un pasteur,
S'élevant peu à peu, crut en telle hauteur
Que reine elle se vit de la terre et de l'onde :
Tant que ne pouvant plus si grand faix soutenir,
Son pouvoir dissipé s'écarta par le monde,
Montrant que tout en rien doit un jour devenir.
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Toi qui de Rome émerveillé contemples
Toi qui de Rome émerveillé contemples
L'antique orgueil, qui menaçait les cieux,
Ces vieux palais, ces monts audacieux,
Ces murs, ces arcs, ces thermes et ces temples,
Juge, en voyant ces ruines si amples,
Ce qu'a rongé le temps injurieux,
Puisqu'aux ouvriers les plus industrieux
Ces vieux fragments encor servent d'exemples.
Regarde après, comme de jour en jour
Rome, fouillant son antique séjour,
Se rebâtit de tant d'oeuvres divines :
Tu jugeras que le démon romain
S'efforce encor d'une fatale main
Ressusciter ces poudreuses ruines.
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Celle qui de son chef les étoiles passait,
Celle qui de son chef les étoiles passait,
Et d'un pied sur Thétis, l'autre dessous l'Aurore,
D'une main sur le Scythe, et l'autre sur le More,
De la terre et du ciel la rondeur compassait :
Jupiter ayant peur, si plus elle croissait,
Que l'orgueil des Géants se relevât encore,
L'accabla sous ces monts, ces sept monts qui sont ore
Tombeaux de la grandeur qui le ciel menaçait.
Il lui mit sur le chef la croupe Saturnale,
Puis dessus l'estomac assit la Quirinale,
Sur le ventre il planta l'antique Palatin,
Mit sur la dextre main la hauteur Célienne,
Sur la senestre assit l'échine Exquilienne,
Viminal sur un pied, sur l'autre l'Aventin
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Dessus un mont une flamme allumée
Dessus un mont une flamme allumée
A triple pointe ondoyait vers les cieux,
Qui de l'encens d'un cèdre précieux
Parfumait l'air d'une odeur embaumée.
D'un blanc oiseau l'aile bien emplumée
Semblait voler jusqu'au séjour des dieux,
Et dégoisant un chant mélodieux
Montait au ciel avecques la fumée.
De ce beau feu les rayons écartés
Lançaient partout mille et mille clartés,
Quand le dégout d'une pluie dorée
Le vint éteindre. O triste changement!
Ce qui sentait si bon premièrement
Fut corrompu d'une odeur sulfurée.
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Dessous ce grand François, dont le bel astre luit
Dessous ce grand François, dont le bel astre luit
Au plus beau lieu du ciel, la France fut enceinte
Des lettres et des arts, et d'une troupe sainte
Que depuis sous Henri féconde elle a produit :
Mais elle n'eut plutôt fait montre d'un tel fruit,
Et plutôt ce beau part n'eut la lumière atteinte,
Que je ne sais comment sa clarté fut éteinte,
Et vit en même temps et son jour et sa nuit.
Hélicon est tari, Parnasse est une plaine,
Les lauriers sont séchés, et France, autrefois pleine
De l'esprit d'Apollon, ne l'est plus que de Mars.
Phoebus s'enfuit de nous, et l'antique ignorance
Sous la faveur de Mars retourne encore en France,
Si Pallas ne défend les lettres et les arts.
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Sire, celui qui est a formé toute essence
Sire, celui qui est a formé toute essence
De ce qui n'était rien. C'est l'oeuvre du Seigneur :
Aussi tout honneur doit fléchir à son honneur,
Et tout autre pouvoir céder à sa puissance.
On voit beaucoup de rois, qui sont grands d'apparence :
Mais nul, tant soit-il grand, n'aura jamais tant d'heur
De pouvoir à la vôtre égaler sa grandeur :
Car rien n'est après Dieu si grand qu'un roi de France.
Puis donc que Dieu peut tout, et ne se trouve lieu
Lequel ne soit enclos sous le pouvoir de Dieu,
Vous, de qui la grandeur de Dieu seul est enclose,
Elargissez encor sur moi votre pouvoir,
Sur moi, qui ne suis rien : afin de faire voir
Que de rien un grand roi peut faire quelque chose.
poésie de Joachim du Bellay
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Le Portrait
Elle téta la vie au sein d’une pauvresse.
Dès le maillot, elle eut l’abominable ivresse
D’un lait sanguinolent et presque vénéneux.
L’air froid d’un gîte infect aux murs fuligineux
Granula ses poumons en gelant sa poitrine ;
À travers sa peau, mince et navrante vitrine,
Sa mère put compter ses pauvres petits os.
Elle a grandi pourtant : lamentables fuseaux,
Ses membres rabougris et rongés par la fièvre
Se durcissent avec des souplesses de chèvre,
L’épaule s’élargit, le buste émacié
S’allonge sveltement sur des hanches d’acier ;
Le sein s’est aiguisé jusqu’à piquer ses hardes,
Et sa figure verte aux lèvres si blafardes
Prend la vague stupeur et l’âpre étrangeté
D’une mélancolique et spectrale beauté.
De son crâne fluet où grouillent les détresses
Jaillissent des cheveux fantastiques, sans tresses,
Fouillis d’ébène, épais, tordus, fous, au reflet
Tour à tour diapré, bleuâtre et violet,
Ayant de ces frissons inconnus à la terre,
Crinière d’outre-tombe où flotte le mystère.
Et ses yeux par l’horreur sans cesse écarquillés,
Saphirs phosphorescents, douloureux et mouillés,
Qui se meurent d’ennui dans leur cercle de bistre,
Ses yeux ont maintenant une splendeur sinistre !
poésie de Maurice Rollinat
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Plus qu'aux bords Aetëans le brave fils d'Eson
Plus qu'aux bords Aetëans le brave fils d'Eson,
Qui par enchantement conquit la riche laine,
Des dents d'un vieux serpent ensemençant la plaine
N'engendra de soldats au champ de la toison,
Cette ville, qui fut en sa jeune saison
Un hydre de guerriers, se vit bravement pleine
De braves nourrissons, dont la gloire hautaine
A rempli du Soleil l'une et l'autre maison :
Mais qui finalement, ne se trouvant au monde
Hercule qui domptât semence tant féconde,
D'une horrible fureur l'un contre l'autre armés,
Se moissonnèrent tous par un soudain orage,
Renouvelant entre eux la fraternelle rage
Qui aveugla jadis les fiers soldats semés.
poésie de Joachim du Bellay
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Le Malade
'Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères,
Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires,
Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant,
Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant!
Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée,
Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée,
Qui n'a pas dû rester pour voir mourir son fils!
Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis,
Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante
Qui dévore la fleur de sa vie innocente.
Apollon! si jamais, échappé du tombeau,
Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau,
Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue
De ma coupe d'onyx à tes pieds suspendue;
Et, chaque été nouveau, d'un jeune taureau blanc
La hache à ton autel fera couler le sang.
Eh bien, mon fils, es-tu toujours impitoyable?
Ton funeste silence est-il inexorable?
Enfant, tu veux mourir? Tu veux, dans ses vieux ans,
Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs?
Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière?
Que j'unisse ta cendre à celle de ton père?
C'est toi qui me devais ces soins religieux,
Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux.
Parle, parle, mon fils! quel chagrin te consume?
Les maux qu'on dissimule en ont plus d'amertume.
Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis?
--Ma mère, adieu; je meurs, et tu n'as plus de fils.
Non, tu n'as plus de fils, ma mère bien-aimée.
Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
Me ronge; avec effort je respire, et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois.
Je ne parlerai pas. Adieu; ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse;
Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
Tourne-moi sur le flanc. Ah! j'expire! ô douleurs!
--Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage;
Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.
La mauve, le dictame ont, avec les pavots,
Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos;
Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes,
Une Thessalienne a composé des charmes.
Ton corps débile a vu trois retours du soleil
Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil.
Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière;
C'est ta mère, ta vieille inconsolable mère
Qui pleure, qui jadis te guidait pas à pas,
T'asseyait sur son sein, te portait dans ses bras,
Que tu disais aimer, qui t'apprit à le dire,
Qui chantait, et souvent te forçait à sourire
Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs,
De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs.
Tiens, presse de ta lèvre, hélas! pâle et glacée,
Par qui cette mamelle était jadis pressée;
Que ce suc te nourrisse et vienne à ton secours,
Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours!
--O coteaux d'Érymanthe! ô vallons! ô bocage!
O vent sonore et frais qui troublais le feuillage,
Et faisais frémir l'onde, et sur leur jeune sein
Agitais les replis de leur robe de lin!
De légères beautés troupe agile et dansante ...
Tu sais, tu sais, ma mère? aux bords de l'Érymanthe ...
LÃ , ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons ...
O visage divin! ô fêtes! ô chansons!
Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure,
Aucun lieu n'est si beau dans toute la nature.
Dieux! ces bras et ces flancs, ces cheveux, ces pieds nus
Si blancs, si délicats!... Je ne te verrai plus!
Oh! portez, portez-moi sur les bords d'Érymanthe,
Que je la voie encor, cette vierge dansante!
Oh! que je voie au loin la fumée à longs flots
S'élever de ce toit au bord de cet enclos!
Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse,
Sa voix, trop heureux père! enchante ta vieillesse,
Dieux! par-dessus la haie élevée en remparts,
Je la vois, à pas lents, en longs cheveux épars,
Seule, sur un tombeau, pensive, inanimée,
S'arrêter et pleurer sa mère bien-aimée.
Oh! que tes yeux sont doux! que ton visage est beau!
Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau?
Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles,
Dire sur mon tombeau: Les Parques sont cruelles!
--Ah! mon fils, c'est l'amour, c'est l'amour insensé
Qui t'a jusqu'à ce point cruellement blessé?
Ah! mon malheureux fils! Oui, faibles que nous sommes,
C'est toujours cet amour qui tourmente les hommes.
S'ils pleurent en secret, qui lira dans leur coeur
Verra que c'est toujours cet amour en fureur.
Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle belle dansante,
Quelle vierge as-tu vue au bord de l'Érymanthe?
N'es-tu pas riche et beau? du moins quand la douleur
N'avait point de ta joue éteint la jeune fleur!
Parle. Est-ce cette Eglé, fille du roi des ondes,
Ou cette jeune Irène aux longues tresses blondes?
Ou ne sera-ce point cette fière beauté
Dont j'entends le beau nom chaque jour répété,
Dont j'apprends que partout les belles sont jalouses?
Qu'aux temples, aux festins, les mères, les épouses,
Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi?
Cette belle Daphné?....--Dieux! ma mère, tais-toi,
Tais-toi. Dieux! qu'as-tu dit? Elle est fière, inflexible;
Comme les immortels, elle est belle et terrible!
Mille amants l'ont aimée; ils l'ont aimée en vain.
Comme eux j'aurais trouvé quelque refus hautain.
Non, garde que jamais elle soit informée...
Mais, ô mort! ô tourment! ô mère bien-aimée!
Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours.
Ma mère bien-aimée, ah! viens à mon secours.
Je meurs; va la trouver: que tes traits, que ton âge,
De sa mère à ses yeux offrent la sainte image.
Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux,
Prends notre Amour d'ivoire, honneur de ces hameaux;
Prends la coupe d'onyx à Corinthe ravie;
Prends mes jeunes chevreaux, prends mon coeur, prends ma vie;
Jette tout à ses pieds; apprends-lui qui je suis;
Dis-lui que je me meurs, que tu n'as plus de fils.
Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse;
Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse.
Pars; et si tu reviens sans les avoir fléchis,
Adieu, ma mère, adieu, tu n'auras plus de fils.
--J'aurai toujours un fils, va, la belle espérance
Me dit...' Elle s'incline, et, dans un doux silence,
Elle couvre ce front, terni par les douleurs,
De baisers maternels entremêlés de pleurs.
Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante;
Sa démarche est de crainte et d'âge chancelante.
Elle arrive; et bientôt revenant sur ses pas,
Haletante, de loin: 'Mon cher fils, tu vivras,
Tu vivras.' Elle vient s'asseoir près de la couche,
Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche,
La jeune belle aussi, rouge et le front baissé,
Vient, jette sur le lit un coup d'oeil. L'insensé
Tremble; sous ses tapis il veut cacher sa tête.
'Ami, depuis trois jours tu n'es d'aucune fête,
Dit-elle; que fais-tu? Pourquoi veux-tu mourir?
Tu souffres. On me dit que je peux te guérir;
Vis, et formons ensemble une seule famille:
Que mon père ait un fils, et ta mère une fille!'
poésie de Andre Marie de Chenier
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De ce qu'on ne voit plus qu'une vague campagne
De ce qu'on ne voit plus qu'une vague campagne
Où tout l'orgueil du monde on a vu quelquefois,
Tu n'en es pas coupable, ô quiconque tu sois
Que le Tigre et le Nil, Gange et Euphrate baigne :
Coupables n'en sont pas l'Afrique ni l'Espagne,
Ni ce peuple qui tient les rivages anglais,
Ni ce brave soldat qui boit le Rhin gaulois,
Ni cet autre guerrier, nourrisson d'Allemagne.
Tu en es seule cause, ô civile fureur,
Qui semant par les champs l'émathienne horreur,
Armas le propre gendre encontre son beau-père :
Afin qu'étant venue à son degré plus haut,
La Romaine grandeur, trop longuement prospère,
Se vît ruer à bas d'un plus horrible saut.
poésie de Joachim du Bellay
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Comme le champ semé en verdure foisonne
Comme le champ semé en verdure foisonne,
De verdure se hausse en tuyau verdissant,
Du tuyau se hérisse en épi florissant,
D'épi jaunit en grain, que le chaud assaisonne :
Et comme en la saison le rustique moissonne
Les ondoyants cheveux du sillon blondissant,
Les met d'ordre en javelle, et du blé jaunissant
Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne :
Ainsi de peu à peu crût l'empire romain,
Tant qu'il fut dépouillé par la barbare main,
Qui ne laissa de lui que ces marques antiques
Que chacun va pillant : connue on voit le glaneur
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tombant après le moissonneur.
poésie de Joachim du Bellay
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Qui voudrait figurer la romaine grandeur
Qui voudrait figurer la romaine grandeur
En ses dimensions, il ne lui faudrait querre
A la ligne et au plomb, au compas, à l'équerre,
Sa longueur et largeur, hautesse et profondeur :
Il lui faudrait cerner d'une égale rondeur
Tout ce que l'océan de ses longs bras enserre,
Soit où l'astre annuel échauffe plus la terre,
Soit où souffle Aquilon sa plus grande froideur.
Rome fut tout le monde, et tout le monde est Rome.
Et si par mêmes noms mêmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourrait passer,
La nommant par le nom de la terre et de l'onde :
Ainsi le monde on peut sur Rome compasser,
Puisque le plan de Rome est la carte du monde.
poésie de Joachim du Bellay
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