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Évocations

Je vis un gros corbeau, déployant son orgueil,
Qui jouait de la griffe et claquetait des ailes
À terre, avec un bruit de lugubres crécelles.
Et je me dis : « C’est le grand deuil !

Un peu plus loin, je vis, m’épiant d’un coup d’œil,
Une pie occupée à s’aiguiser le bec,
Puis, allant et venant, d’un sautillement sec.
Je me dis : « C’est le demi-deuil ! »

Enfin, d’une couleur plus pâle que les cierges,
Surgit, me sembla-t-il, le prince des hiboux.
Et je dis : « Ce deuil-là, le plus triste de tous,
C’est le deuil pur et blanc des Vierges ! »


Ces trois rencontres successives,
M’arrivant par un soir d’hiver,
Laissaient en cet endroit désert
Ma vue et mon âme pensives,

Lorsqu’à petits vols grelottants,
M’apparut un pinson cherchant sa nourriture :
Et, joyeux, je songeai que, bientôt, le printemps
Ressusciterait la nature.

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L'Ami

Il était brun, très pâle, et toujours en grand deuil ;
Ses paroles claquaient avec un bruit de flammes,
Et de courtes lueurs plus froides que des lames
Illuminaient parfois la brume de son œil.

Un même goût pour l’art et pour les sombres drames,
Le même âge, la même angoisse du cercueil,
Un égal infini de tristesse et d’orgueil
Eurent vite enchaîné nos esprits et nos âmes.

À la longue, pourtant, cet être souple et noir
M’inquiéta sans trêve et tellement, qu’un soir,
Je me dis en moi-même : « Oh ! si c’était le diable ! »

— « Alors, devina-t-il, vous me préférez Dieu ?
« Soit ! je m’en vais, mon cher, mais pour cadeau d’adieu,
« Je vous laisse la Peur, la Peur irrémédiable !

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Les Pâquerettes

Les pâquerettes sont en deuil
Depuis que Marguerite est morte.
Hélas ! on a fermé la porte
Et sa bière a quitté le seuil.

Elles se miraient dans son œil :
C’était leur âme en quelque sorte !
Les pâquerettes sont en deuil
Depuis que Marguerite est morte.

Chacune, avec un tendre orgueil,
Câline et tristement accorte,
Eût voulu lui servir d’escorte
Et se faner dans son cercueil !
Les pâquerettes sont en deuil.

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Plus riche assez que ne se montrait celle

Plus riche assez que ne se montrait celle
Qui apparut au triste Florentin,
Jetant ma vue au rivage latin,
Je vis de loin surgir une nacelle :

Mais tout soudain la tempête cruelle,
Portant envie à si riche butin,
Vint assaillir d'un aquilon mutin
La belle nef des autres la plus belle.

Finalement l'orage impétueux
Fit abîmer d'un gouffre tortueux
La grand richesse à nulle autre seconde.

Je vis sous l'eau perdre le beau trésor,
La belle nef, et les roches encor,
Puis vis la nef se ressourdre sur l'onde.

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Le Corbeau

Vers le sombre minuit, tandis que fatigué
J’étais à méditer sur maint volume rare
Pour tout autre que moi dans l’oubli relégué,
Pendant que je plongeais dans un rêve bizarre,
Il se fit tout à coup comme un tapotement
De quelqu’un qui viendrait frapper tout doucement
Chez moi. Je dis alors, bâillant, d’une voix morte :
« C’est quelque visiteur – oui – qui frappe à ma porte :
C’est cela seul et rien de plus ! »

Ah ! très distinctement je m’en souviens ! c’était
Par un âpre décembre – au fond du foyer pâle,
Chaque braise à son tour lentement s’émiettait,
En brodant le plancher du reflet de son râle.
Avide du matin, le regard indécis,
J’avais lu, sans que ma tristesse eût un sursis,
Ma tristesse pour l’ange enfui dans le mystère,
Que l’on nomme là-haut Lenore, et que sur terre
On ne nommera jamais plus !

Et les rideaux pourprés sortaient de la torpeur,
Et leur soyeuse voix si triste et si menue
Me faisait tressaillir, m’emplissait d’une peur
Fantastique et pour moi jusqu’alors inconnue :
Si bien que pour calmer enfin le battement
De mon cœur, je redis debout : « Évidemment
C’est quelqu’un attardé qui, par ce noir décembre,
Est venu frapper à la porte de ma chambre ;
C’est cela même et rien de plus. »

Pourtant, je me remis bientôt de mon émoi,
Et sans temporiser : « Monsieur, dis-je, ou madame,
Madame ou bien monsieur, de grâce, excusez-moi
De vous laisser ainsi dehors, mais, sur mon âme,
Je sommeillais, et vous, vous avez tapoté
Si doucement à ma porte, qu’en vérité
À peine était-ce un bruit humain que l’on entende ! »
Et cela dit, j’ouvris la porte toute grande :
Les ténèbres et rien de plus !

Longuement à pleins yeux, je restai là, scrutant
Les ténèbres ! rêvant des rêves qu’aucun homme
N’osa jamais rêver ! stupéfait, hésitant,
Confondu et béant d’angoisse – mais, en somme,
Pas un bruit ne troubla le silence enchanté
Et rien ne frissonna dans l’immobilité ;
Un seul nom fut soufflé par une voix : « Lenore ! »
C’était ma propre voix ! – l’écho, plus bas encore,
Redit ce mot et rien de plus !

Je rentrai dans ma chambre à pas lents, et, tandis
Que mon âme, au milieu d’un flamboyant vertige,
Se sentait défaillir et rouler, – j’entendis
Un second coup plus fort que le premier. – Tiens ! dis-je,
On cogne à mon volet ! Diable ! je vais y voir !
Qu’est-ce que mon volet pourrait donc bien avoir ?
Car il a quelque chose ! allons à la fenêtre
Et sachons, sans trembler, ce que cela peut être !
C’est la rafale et rien de plus !

Lors, j’ouvris la fenêtre et voilà qu’à grand bruit,
Un corbeau de la plus merveilleuse apparence
Entra, majestueux et noir comme la nuit.
Il ne s’arrêta pas, mais plein d’irrévérence
Brusque, d’un air de lord ou de lady, s’en vint
S’abattre et se percher sur le buste divin
De Pallas, sur le buste à couleur pâle, en sorte
Qu’il se jucha tout juste au-dessus de ma porte…
Il s’installa, puis rien de plus !

Et comme il induisait mon pauvre cœur amer
À sourire, l’oiseau de si mauvais augure,
Par l’âpre gravité de sa pose et par l’air
Profondément rigide empreint sur sa figure,
Alors, me décidant à parler le premier :
« Tu n’es pas un poltron, bien que sans nul cimier
Sur la tête, lui dis-je, ô rôdeur des ténèbres,
Comment t’appelle-t-on sur les rives funèbres ? »
L’oiseau répondit : « Jamais plus ! »

J’admirai qu’il comprît la parole aussi bien
Malgré cette réponse à peine intelligible
Et de peu de secours, car mon esprit convient
Que jamais aucun homme existant et tangible
Ne put voir au-dessus de sa porte un corbeau,
Non, jamais ne put voir une bête, un oiseau,
Par un sombre minuit, dans sa chambre, tout juste
Au-dessus de sa porte installé sur un buste,
Se nommant ainsi : « Jamais plus ! »

Mais ce mot fut le seul que l’oiseau proféra
Comme s’il y versait son âme tout entière,
Puis, sans rien ajouter de plus, il demeura
Inertement figé dans sa raideur altière,
Jusqu’à ce que j’en vinsse à murmurer ceci :
– Comme tant d’autres, lui va me quitter aussi,
Comme mes vieux espoirs que je croyais fidèles,
Vers le matin il va s’enfuir à tire-d’ailes !
L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »

Sa réponse jetée avec tant d’à-propos
Me fit tressaillir. « C’est tout ce qu’il doit connaître,
Me dis-je, sans nul doute il recueillit ces mots
Chez quelque infortuné, chez quelque pauvre maître
Que le deuil implacable a poursuivi sans frein,
Jusqu’à ce que ses chants n’eussent plus qu’un refrain,
Jusqu’à ce que sa plainte à jamais désolée
Comme un De profondis de sa joie envolée,
Eût pris ce refrain : « Jamais plus ! »

Ainsi je me parlais, mais le grave corbeau,
Induisant derechef tout mon cœur à sourire,
Je roulai vite un siège en face de l’oiseau,
Me demandant ce que tout cela voulait dire.
J’y réfléchis, et, dans mon fauteuil de velours,
Je cherchai ce que cet oiseau des anciens jours
Ce que ce triste oiseau, sombre, augural et maigre,
Voulait me faire entendre en croassant cet aigre
Et lamentable : « Jamais plus ! »

Et j’étais là, plongé dans un rêve obsédant,
Laissant la conjecture en moi filer sa trame,
Mais n’interrogeant plus l’oiseau dont l’œil ardent
Me brûlait maintenant jusques au fond de l’âme,
Je creusais tout cela comme un mauvais dessein,
Béant, la tête sur le velours du coussin,
Ce velours violet caressé par la lampe,
Et que sa tête, à ma Lenore, que sa tempe
Ne pressera plus, jamais plus !

Alors l’air me sembla lourd, parfumé par un
Invisible encensoir que balançaient des anges,
Dont les pas effleuraient le tapis rouge et brun,
Et glissaient avec des bruissements étranges.
Malheureux ! m’écriai-je, il t’arrive du ciel,
Un peu de népenthès pour adoucir ton fiel,
Prends-le donc ce répit qu’un séraphin t’apporte,
Bois ce bon népenthès, oublie enfin la morte !
Le corbeau grinça : « Jamais plus ! »

Prophète de malheur ! oiseau noir ou démon,
Criai-je, que tu sois un messager du diable,
Ou bien que la tempête, ainsi qu’un goémon
T’ait simplement jeté dans ce lieu pitoyable,
Dans ce logis hanté par l’horreur et l’effroi,
Valeureux naufragé, sincèrement, dis-moi,
S’il est, s’il est sur terre un baume de Judée,
Qui puisse encor guérir mon âme corrodée ?
Le corbeau glapit : « Jamais plus ! »

Prophète de malheur, oiseau noir ou démon,
Par ce grand ciel tendu sur nous, sorcier d’ébène,
Par ce Dieu que bénit notre même limon,
Dis à ce malheureux damné chargé de peine,
Si dans le paradis qui ne doit pas cesser,
Oh ! dis-lui s’il pourra quelque jour embrasser
La précieuse enfant que tout son corps adore,
La sainte enfant que les anges nomment Lenore ?
Le corbeau gémit : « Jamais plus ! »

Alors, séparons-nous ! puisqu’il en est ainsi,
Hurlai-je en me dressant ! rentre aux enfers ! replonge
Dans la tempête affreuse ! Oh ! pars ! ne laisse ici,
Pas une seule plume évoquant ton mensonge !
Monstre ! fuis pour toujours mon gîte inviolé,
Désaccroche ton bec de mon cœur désolé !
Va-t-en ! bête maudite, et que ton spectre sorte
Et soit précipité loin, bien loin de ma porte !
Le corbeau râla : « Jamais plus ! »

Et sur le buste austère et pâle de Pallas,
L’immuable corbeau reste installé sans trêve ;
Au-dessus de ma porte il est toujours, hélas !
Et ses yeux sont en tout ceux d’un démon qui rêve ;
Et l’éclair de la lampe, en ricochant sur lui,
Projette sa grande ombre au parquet chaque nuit ;
Et ma pauvre âme, hors du cercle de cette ombre
Qui gît en vacillant – là – sur le plancher sombre,
Ne montera plus, jamais plus !

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Le Jeteur d'épervier

De loin, j’apercevais comme une forme humaine,
Noire et gesticulant d’une étrange façon,
En marchant au milieu de l’eau. — J’eus le frisson :
La mort s’offrait là-bas à quelque veuve en peine...

Et, longeant la rivière à travers le brouillard,
Je courais, pour tâcher de sauver le pauvre être,
Lorsqu’au lieu d’une femme en deuil, je vis un prêtre
Pêchant à l’épervier — sans rabat, le gaillard !

Souple et fort, poings tendus, à pleine corde... Floc !
Il le déployait rond — tout entier, d’un seul bloc.
Quant aux balles, ses dents n’avaient pas l’air d’y mordre...

Les coups se succédaient en tous sens, à foison...
À peine s’il avait dépoché son poisson
Qu’il relançait plus loin son filet, sans le tordre.
À clignotements frais, luisaient les cieux sans voiles,
Et, longtemps, je suivis près de l’eau, les doublant,
Le grand fantôme noir au grand épervier blanc
Qui semblait maintenant pêcher dans les étoiles !...

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Je vis l'oiseau qui le soleil contemple

Je vis l'oiseau qui le soleil contemple
D'un faible vol au ciel s'aventurer,
Et peu à peu ses ailes assurer,
Suivant encor le maternel exemple.

Je le vis croître, et d'un voler plus ample
Des plus hauts monts la hauteur mesurer,
Percer la nue, et ses ailes tirer
Jusqu'au lieu où des dieux est le temple.

Là se perdit : puis soudain je l'ai vu
Rouant par l'air en tourbillon de feu,
Tout enflammé sur la plaine descendre.

Je vis son corps en poudre tout réduit,
Et vis l'oiseau, qui la lumière fuit,
Comme un vermet renaître de sa cendre

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Le Boudoir

La dame aux cheveux longs et couleur de topaze
Conserve dans sa chambre un magique cercueil
Si fantastiquement vague et fragile à l’œil,
Qu’il a l’air vaporeux comme un voile de gaze,

Ni cierges, ni tréteaux, ni tentures de deuil.
Le portrait dans son cadre et la fleur dans son vase,
Meubles, miroirs, tapis, tout sourit plein d’extase ;
Et pourtant, ce boudoir est gênant pour l’orgueil.

Que le matin y filtre, ou que le soir y tombe,
Il inflige toujours le rappel de la tombe
Et de la pourriture à six pieds dans le sol :

Car la bière fluette exhale par bouffées,
Sourdes comme un écho de plaintes étouffées,
L’odeur cadavéreuse et jaune du phénol.

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Charles Baudelaire

Alchimie de la douleur

L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature!
Ce qui dit à l'un: Sépulture!
Dit à l'autre: Vie et splendeur!

Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes;

Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer;
Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages.

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Edgar Allan Poe

Le Corbeau

"Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d'une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu'un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. "C'est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre; ce n'est que cela, et rien de plus."

Ah! distinctement je me souviens que c'était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin; en vain m'étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu'ici on ne nommera jamais plus.

Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu'à ce jour; si bien qu'enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant: "C'est quelque visiteur qui sollicite l'entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l'entrée à la porte de ma chambre; — c'est cela même, et rien de plus."

Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N'hésitant donc pas plus longtemps: "Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j'implore votre pardon; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu'à peine étais-je certain de vous avoir entendu." Et alors j'ouvris la porte toute grande; — les ténèbres, et rien de plus!

Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d'étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu'aucun mortel n'a jamais osé rêver; mais le silence ne fut pas troublé, et l'immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté: "Lénore!" — C'était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot: "Lénore!" — Purement cela, et rien de plus.

Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j'entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. "Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre; voyons donc ce que c'est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère; — c'est le vent, et rien de plus."

Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d'ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s'arrêta pas, il n'hésita pas une minute; mais, avec la mine d'un lord ou d'une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre; — il se percha, s'installa, et rien de plus.

Alors cet oiseau d'ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire: "Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n'es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne!" Le corbeau dit: "Jamais plus!"

Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n'eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d'un grand secours; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d'un nom tel que Jamais plus!

Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus; il ne remua pas une plume, — jusqu'à ce que je me prisse à murmurer faiblement: "D'autres amis se sont déjà envolés loin de moi; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées." L'oiseau dit alors: "Jamais plus!"

Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d'à-propos: "Sans doute, — dis-je, — ce qu'il prononce est tout son bagage de savoir, qu'il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu'à ce que ses chansons n'eussent plus qu'un seul refrain, jusqu'à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain: Jamais, jamais plus!

Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l'oiseau et du buste et de la porte; alors, m'enfonçant dans le velours, je m'appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus!

Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n'adressant plus une syllabe à l'oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu'au fond du cœur; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l'aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah! jamais plus!

Alors il me sembla que l'air s'épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. "Infortuné! — m'écriai-je, — ton Dieu t'a donné par ses anges, il t'a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore! Bois, oh! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue!" Le corbeau dit: "Jamais plus!"

"Prophète! — dis-je, — être de malheur! oiseau ou démon, mais toujours prophète! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t'ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l'Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t'en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée? Dis, dis, je t'en supplie!" Le corbeau dit: "Jamais plus!"

"Prophète! — dis-je, — être de malheur! oiseau ou démon! toujours prophète! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore." Le corbeau dit: "Jamais plus!"

"Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré; laisse ma solitude inviolée; quitte ce buste au-dessus de ma porte; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte!" Le corbeau dit: "Jamais plus!"

Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d'un démon qui rêve; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s'élever, — jamais plus!

poésie de Edgar Allan Poe (1845), traduction par Charles BaudelaireSignalez un problèmeDes citations similaires
Ajouté par Dan Costinaş
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L'Introuvable

Ton amour est-il pur comme les forêts vierges,
Berceur comme la nuit, frais comme le Printemps ?
Est-il mystérieux comme l’éclat des cierges,
Ardent comme la flamme et long comme le temps ?

Lis-tu dans la nature ainsi qu’en un grand livre ?
En toi, l’instinct du mal a-t-il gardé son mors ?
Préfères-tu, — trouvant que la douleur enivre,
Le sanglot des vivants au mutisme des morts ?

Avide de humer l’atmosphère grisante,
Aimes-tu les senteurs des sapins soucieux,
Celles de la pluie âcre et de l’Aube irisante
Et les souffles errants de la mer et des cieux ?

Et les chats, les grands chats dont la caresse griffe,
Quand ils sont devant l’âtre accroupis de travers,
Saurais-tu déchiffrer le vivant logogriphe
Qu’allume le phosphore au fond de leurs yeux verts ?

Es-tu la confidente intime de la lune,
Et, tout le jour, fuyant le soleil ennemi,
As-tu l’amour de l’heure inquiétante et brune
Où l’objet grandissant ne se voit qu’à demi ?

S’attache-t-il à toi le doute insatiable,
Comme le tartre aux dents, comme la rouille au fer ?
Te sens-tu frissonner quand on parle du diable,
Et crois-tu qu’il existe ailleurs que dans l’enfer ?

As-tu peur du remords plus que du mal physique,
Et vas-tu dans Pascal abreuver ta douleur ?
Chopin est-il pour toi l’Ange de la musique,
Et Delacroix le grand sorcier de la couleur ?

As-tu le rire triste et les larmes sincères,
Le mépris sans effort, l’orgueil sans vanité ?
Fuis-tu les cœurs banals et les esprits faussaires
Dans l’asile du rêve et de la vérité ?

— Hélas ! autant vaudrait questionner la tombe !
La bouche de la femme est donc close à jamais
Que, nulle part, le Oui de mon âme n’en tombe ?...
Je l’interroge encore et puis encore... mais,
Hélas ! autant vaudrait questionner la tombe !...

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Les Grives

Dans la vigne escarpée où maint pommier sauvage
Crispe sur l’horizon ses bras tors et rugueux,
Elles viennent s'abattre avec des vols fougueux,
Cherchant la solitude et le friand breuvage.

Or, sachant qu’avant peu l'on voudra vendanger,
Et qu’il faudra bientôt que les pommes s’en aillent,
Les grives, sans tarder, s’installent et ripaillent
Au milieu d’une odeur d’angoisse et de danger :

Car, malgré ce beau ciel dont l’azur se déplisse,
Peut-être qu’un milan plane dans l’air qui dort,
Et qu’un fusil rouillé cache un éclair de mort
Derrière le buisson qui lui sert de complice.

Qu’importe ? Les raisins bannissent leurs effrois.
D’ailleurs, le pays triste et d’une âpre ossature
Est désert, aux trois quarts en friche, et se sature
Du mystère embrumé qui sort des ravins froids.

Alors, se rassurant avec des cris folâtres,
La troupe s’éparpille et tous ces jolis becs,
Ensemble, à petits coups saccadés, drus et secs,
Piochent avidement dans les feuilles rougeâtres.

Mille oiseaux picoreurs, leurs amis coutumiers,
S’en vont papillonner autour de ces coquettes
Qui, telles qu’un volant fouetté par les raquettes,
Ont de gais va-et-vient des pampres aux pommiers.

Sur les branches qui sont leurs mouvantes alcôves,
Elles font la risette aux merles déjà saouls,
Et montrent au pivert qui les lorgne en dessous
Leur petit ventre blanc semé de taches fauves.

En vain l’écho du gouffre apporte jusqu’en haut
Le fracas de la Creuse au loin battant ses rives,
Le tapage des geais, des merles et des grives
Couvre ce grand murmure et remplit le coteau.

Et tout cela se cogne aux vieux échalas maigres
En piétinant des peaux de raisins verts et bleus,
Et sur l’arbre, ou par terre, en quelque trou sableux,
Fouille jusqu’aux pépins la chair des pommes aigres.

Mais déjà les oiseaux, à force de pinter,
N’ont plus cet œil perçant qui vous voit d’une lieue,
Et le dandinement moins souple de la queue
Annonce que leur vin commence à fermenter.

On dirait maintenant de mauvais acrobates
Qui marchent sur le ventre, un barreau dans le cou ;
L’ivresse qui les prend leur met du même coup
De la colle sur l’aile et du plomb dans les pattes,

Et lorsque le soleil éclabousse de sang
Le sommet de la côte où broutent les ânesses,
Enfin, n’en pouvant plus, les grives ivrognesses
Trouvent le sol fugace et le rameau glissant.

Adieu bombance ! Adieu l’orgie et les roulades !
Tout tourne et se confond en leur petit cerveau.
Elles vont dans le soir comme dans un caveau
Avec des rampements et des dégringolades.

Et tandis que la nuit apprête son fusain,
Chacune au pied du cep ou sur le haut de l’arbre
Ferme l’œil et se tient comme un oiseau de marbre.
Ou vole en titubant vers le taillis voisin.

Et maintenant qu’aux cieux a tinté l’heure brune,
Les grives ont sommeil et vont cuver sans bruit
Tout ce cidre et ce vin bus à même le fruit,
Dans la fraîcheur de l’ombre où rit le clair de lune.

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Les Robes

Ô ma pauvre sagesse, en vain tu te dérobes
Au fluide rôdeur, âcre et mystérieux
Que, pour magnétiser le passant curieux,
L’Inconnu féminin promène sous les robes !

Les robes ! où circule et s’est insinuée
La vie épidermique avec tous ses frissons,
Et qui, sur les trottoirs comme entre les buissons,
Passent avec des airs de barque et de nuée !

Elles ont tout : corsage où pleurent les longs voiles,
Jupe où jasent des nids de volants emperlés,
Rubans papillonneurs et boutons ciselés
Qui luisent comme autant de petites étoiles.

Si l'une me dénonce une luxure infâme,
Une autre me révèle un corps qui se défend ;
Et pour mon œil subtil une robe d’enfant
Trahit des ailes d’ange et des rondeurs de femme.

La robe atténuant la pointe ou la courbure
Hallucine déjà mes prunelles de lynx,
Mais je me sens troublé comme en face du Sphinx
Devant le bloc pieux de la robe de bure.

J’aime à les rencontrer partout, vieilles et neuves,
Au bas d’un escalier, au fond d’un corridor ;
J’aime ces longs habits que féminise encor
L’exquise austérité des vierges et des veuves.

Avec cette adhérence intime de l’écorce
Qui calque le contour et le linéament,
Le corsage échancré plaque hermétiquement,
Délicieux maillot d’un admirable torse.

La longue robe errant dans la lumière bleue,
Froide et collante avec sa traîne de velours,
Sur les tapis muets, étouffeurs des pas lourds,
A l'air d’un grand serpent tout debout sur sa queue.

Et par un crépuscule où le vent noir sanglote,
Plus d’une, tout au fond du lointain frissonnant,
Semble raser la terre ainsi qu’un revenant
Tragiquement drapé dans son linceul qui flotte.

J’ai souvent le désir fantastique et morose,
Dans ces bals où le vice allume son coup d’œil,
De voir entrer soudain une robe de deuil,
Comme un brouillard d’ébène au milieu d’un ciel rose.

Mais je contemplerais, à genoux et mains jointes,
Ces corselets d’amour exactement remplis
Où, derrière la gaze aux lumineux replis,
La gorge tentatrice embusque ses deux pointes !

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Vapeurs de mares

Le soir, la solitude et la neige s'entendent
Pour faire un paysage affreux de cet endroit
Blêmissant au milieu dans un demi-jour froid
Tandis que ses lointains d'obscurité se tendent.

Çà et là, des étangs dont les glaces se fendent
Avec un mauvais bruit qui suscite l'effroi ;
Là-bas, dans une terre où le vague s'accroît,
Des corbeaux qui s'en vont et d'autres qui s'attendent.

Voici qu'une vapeur voilée
Sort d'une mare dégelée
Puis d'une autre et d'une autre encor :

Lugubre hommage, en quelque sorte
Qui, lentement, vers le ciel mort
Monte de la campagne morte.

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La Réprouvée

Quelle était donc, ainsi, tout de noir recouverte,
Cette femme, là-bas, d’un si lugubre effet,
En me croisant, m’ayant laissé voir qu’elle avait
Le crâne dans du linge et la figure verte ?...

Mais, verte ! de ce vert végétal, cru, blanc jaune,
Comme un gros masque d’herbe et de feuilles de chou !
Elle avait passé là, d’un pied de caoutchouc,
Sans bruit, avec un air de chercheuse d’aumône.

Je la suivais des yeux, je la suivis des pas ;
Et, quand je fus près d’elle, en tremblant, presque bas,
Dans le son de ma voix mettant toute mon âme ;
« Mais qui donc êtes-vous, lui dis-je, pauvre femme ? »

Alors, parlant de dos, elle me répondit :
« C’que j’suis ? Vous n’savez pas ? eh ben ! j’suis l’êtr’ maudit !
Oh ! l’plus misérable et l’plus triste
Comm’ le plus inr’gardab’ q’existe !
N’ayant rien qu’à s’montrer pour fair’ le désert ;
J’suis la femm’ dont, au moins depuis vingt ans, l’cancer
A mangé p’tit à p’tit la fac’, comme un’ lent’ bête ;
Celle qui traîne après ell’ du dégoût et d’l’effroi,
À qui, s’renfermant vit’, les gens de son endroit
Donn’ du pain en r’tournant la tête !

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Si je monte au Palais, je n'y trouve qu'orgueil

Si je monte au Palais, je n'y trouve qu'orgueil,
Que vice déguisé, qu'une cérémonie,
Qu'un bruit de tambourins, qu'une étrange harmonile,
Et de rouges habits un superbe appareil :

Si je descends en banque, un amas et recueil
De nouvelles je trouve, une usure infinie,
De riches Florentins une troupe bannie,
Et de pauvres Siennois un lamentable deuil :

Si je vais plus avant, quelque part où j'arrive,
Je trouve de Vénus la grand bande lascive
Dressant de tous côtés mille appas amoureux :

Si je passe plus outre, et de la Rome neuve
Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve
Que de vieux monuments un grand monceau pierreux.

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Pierre Choderlos de Laclos

Je dis mes principes, et je le dis à dessein: car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes réflexions; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage.

Pierre Choderlos de Laclos dans Les Liaisons dangereuses (1782)Signalez un problèmeDes citations similaires
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La Ruine

C’était vers le déclin d’un jour de canicule,
Juste dans le premier instant du crépuscule
Que la brise engourdie attend pour s’échapper,
L’oiseau pour se tapir, le crapaud pour ramper,
Où la fleur se referme ainsi qu’une paupière,
Et qui fait frémir l’arbre et chantonner la pierre.
Seul, à pas saccadés, distraits et maladroits,
Je traversais le plus farouche des endroits,
Par des escarpements ignorés des touristes.
Oh ! c’était bien ce qu’il fallait à mes yeux tristes.
Rochers, brandes, forêts, taillis, chaumes ardus
Aux petits arbres tors, rabougris et tondus,
Toute cette nature ivre de songerie
Suait la somnolence et la sauvagerie.
Aussi comme j’ai bu l’ombre, et soliloqué
Sur cet amas rocheux, confus et disloqué,
Près des ravins béants comme des puits d’extase,
Et dans ces terrains plats où des remous de vase,
Sous des nuages bas d’un vert de vitriol,
Se révélaient au loin par la danse du sol
Et par un grouillement de joncs trapus et roides.
Une petite pluie aux gouttelettes froides
Imbibait lentement ces landes et ces trous,
Et tout là-bas, au fond des lointains gris et roux,
Le soleil embrumé s’effondrait sur la cime
Des forêts surplombant la rivière, — un abîme
Torrentueux et sourd qui se précipitait
Contre les hauts granits où sa vapeur montait.
Tout seul dans ce désert aride et pittoresque
Dont les buissons semblaient détachés d’une fresque,
J’errais, m’aventurant sur les côtes à pic,
Escaladant les rocs, glissant comme un aspic
À travers les chiendents humectés par la brume,
Et chavirant parmi les cailloux pleins d’écume.
Des haleines de près et de grands végétaux
Sur les ailes du vent m’arrivaient des plateaux,
Et dans les airs froidis et de plus en plus pâles,
Les oiseaux tournoyeurs croassaient de longs râles
Encore inentendus par moi, l’être écouteur
Dont la campagne a fait son interlocuteur ;
Par moi qui peux saisir tous les cris de l’espace
Et distinguer le bruit d’une fourmi qui passe.
Partout la solitude immense où les rocs noirs
Se dressaient côte à côte en forme d’éteignoirs
Et dégageaient de leur immobilité même
Un fatidisme intense et d’une horreur suprême.
Et tout cela souffrait tellement comme moi,
Que j’y pouvais mirer mon douloureux émoi
Et tous les soubresauts de ma triste pensée :
Bien avant que la nuit même fût commencée,
J’attendais que le val, ou l’onde, ou le ravin,
Avec le son de voix d’un spectre et d’un devin
Continuât mon fauve et navrant soliloque.
Tandis que le brouillard pendait comme une loque
Sur le gave écumant qui hurlait à mes pieds,
Un manoir me montrait ses blocs estropiés,
Et, mêlant sa ruine à ma désespérance,
Importunait ma vue à force d’attirance.
Un certain pan de mur surtout : grand dévasté
De la mélancolie et de la vétusté,
Masse attendant le terme imminent de sa chute,
À jour comme un squelette et dont la morgue brute
Lui donnait un air grave et d’au-delà des temps
Qui semblait défier la foudre et les autans.
L’écho devenait-il double, et par impossible
Le silence avait-il une formule audible
Dans ce désert troué, tortueux et bossu ?
Assurément alors mon oreille a perçu
Des murmures éteints, asphyxiés et ternes,
Semblant venir du fond d’invisibles citernes :
Quelque chose de vague et de plus consterné
Que le vagissement d’un enfant nouveau-né,
Comme le rire affreux d’un monstre inconcevable
Qui geindrait très au loin dans un antre introuvable.
Or, tous ces bruits étaient si soufflés, si furtifs,
Si mélodiquement mineurs et si plaintifs,
Qu’au milieu des genêts venant à mes épaules
J’ai pleuré dans le vent comme les maigres saules,
Et, le cœur gros d’effrois sacrés et solennels,
Remercié les rocs d’être aussi fraternels
Envers le malheureux fiancé de la tombe
Qui les considérait à l’heure où la nuit tombe.
Et je me dis : « Je suis le Pèlerin hanté
« Par la nature : à moi sa pleine intimité
« Qui m’interroge ou bien qui m’écoute à toute heure,
« Et qui sait le secret des larmes que je pleure !
« Je l’aime et je la crains, car je sens en tous lieux
« S’ouvrir et se fermer ses invisibles yeux
« Mobiles et voyants comme les yeux d’un être,
« Et dont l’ubiquité m’enlace et me pénètre ;
« Car je sais que son âme a l’intuition
« De mon âme où se tord la désolation,
« Et que, pour être éparse et jamais épuisée,
« Elle n’en est pas moins la sœur de ma pensée :
« En voyant l’aspect dur et terrible qu’ils ont
« J’en arrive à songer que les rochers ne sont
« Qu’un figement nombreux de sa révolte ancienne ;
« Mon vertige est le sien, ma douleur est la sienne ;
« Elle subit avec un morne effarement
« Le mystère infini de son commencement
« Et du but ténébreux que poursuivent les choses
« Dans le cours imposé de leurs métamorphoses.
« Ses fleurs sont l’oripeau d’un flanc martyrisé ;
« Lui-même, son printemps n’est qu’un deuil déguisé
« Et son ordre apparent, formel et mécanique,
« Que l’acceptation d’un esclavage inique.
« Désormais résignée au destin qui la mord,
« Elle produit sans cesse en songeant que la mort,
« Les bouleversements et les chaos funèbres
« Dorment dans la durée au ventre des ténèbres ;
« Et ses rêves qui sont les miens font sa torpeur,
« Son échevèlement, sa crainte, sa stupeur,
« Sa rafale qui beugle et son ciel qui médite ! »
Ainsi je comprenais la nature maudite,
Ainsi dans ce ravin, devant ce vieux manoir,
Elle communiait avec mon désespoir,
Et rythmait par degrés son spleen épouvantable
Avec les battements de mon cœur lamentable.
Cependant que la nuit venue à ce moment
Traînait son graduel et morne effacement
Dans la teinte et le bruit, dans le souffle et l’arôme,
Et mouillait lentement de ses pleurs de fantôme
Les mauvais champignons tout gonflés de venins.
Les arbres figurant des démons et des nains
Semblaient moins prisonniers que frôleurs de la terre
Qu’ils recouvraient d’effroi, de songe et de mystère.
Sous la lividité sidérale des cieux
Les hiboux miaulaient un soupir anxieux
Et les engoulevents passaient dans la bruine.
C’est alors que la sombre et lugubre ruine
M’a paru nettement peinte sur le brouillard,
Et que le pan de mur couleur de corbillard
A semblé tressaillir sur la colline brune
Et s’est mis à briller tout noir au clair de lune.
Mais d’où m’arrivait donc cette effroyable voix ?
Oh ! ce n’était ni l’eau, ni le vent, ni les bois
Dont les rameaux claquaient comme des banderoles,
Qui déchargeaient sur moi ces terribles paroles !
Non ! Cette voix venait des ruines : c’était
Le château nostalgique et fou qui sanglotait
Sa plainte forcenée, intime et familière
Et qui hurlait d’ennui dans son carcan de lierre.
Et cela résonnait comme un Dies iræ
Que la mort elle-même aurait vociféré :
C’était le grincement de la pierre qui souffre !
Et soudain, le cercueil a bâillé comme un gouffre
Au fond du cauchemar qui m’enlevait du sol ;
Je me suis vu cadavre embaumé de phénol ;
Le monde au regard sec et froid comme une aumône
A sifflé le départ de ma bière en bois jaune,
Et j’ai roulé dans l’ombre, à jamais emporté,
Bagage de la tombe et de l’éternité.

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Mon âme est une infante

Mon Ame est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.

Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.

Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.

Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.

Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.

Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et, dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres;
El, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se lait plus profond sur ses lèvres.

Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes;
El par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Mon Ame est une infante en robe de parade.

poésie de Albert SamainSignalez un problèmeDes citations similaires
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L'Angoisse

Depuis que l’Horreur me fascine,
Je suis l’oiseau de ce serpent.
Je crois toujours qu’on m’assassine,
Qu’on m’empoisonne ou qu’on me pend.

L’Unité se double et se triple
Devant mon œil épouvanté,
Et le Simple devient multiple
Avec une atroce clarté.

Pour mon oreille, un pied qui frôle
Les marches de mon escalier,
Sur les toits un chat qui miaule,
Dans la rue un cri de roulier,

Le sifflet des locomotives,
Le chant lointain du ramoneur,
Tout bruit a des notes plaintives
Et se tonalise en mineur.

En vain tout le jour, dans la nue
Je plonge un œil aventureux,
Sitôt que la nuit est venue
Je courbe mon front malheureux,

Car, devenant verte et hagarde,
La lune interroge ma peur,
Et si fixement me regarde,
Que je recule avec stupeur.

Le lit de bois jaune où je couche
Me fait l’effet d’un grand cercueil.
Ce que je vois, ce que je touche,
Sons, parfums, tout suinte le deuil.

Partout mon approche est honnie,
On me craint comme le malheur,
Et l'on trouve de l’ironie
Au sourire de ma douleur.

Mon rêve est plein d’ombres funèbres,
Et le flambeau de ma raison
Lutte en vain contre les ténèbres
De la folie... à l’horizon.

La femme que j’aimais est morte,
L’ami qui me restait m’a nui,
Et le Suicide à ma porte
Cogne et recogne, jour et nuit.

Enfin, Satan seul peut me dire
S’il a jamais autant souffert,
Et si mon cœur doit le maudire
Ou l’envier dans son enfer.

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Astres cruels, et vous dieux inhumains

Astres cruels, et vous dieux inhumains,
Ciel envieux, et marâtre nature,
Soit que par ordre ou soit qu'à l'aventure
Voise le cours des affaires humains,

Pourquoi jadis ont travaillé vos mains
A façonner ce monde qui tant dure ?
Ou que ne fut de matière aussi dure
Le brave front de ces palais romains ?

Je ne dis plus la sentence commune,
Que toute chose au-dessous de la lune
Est corrompable et sujette à mourir :

Mais bien je dis (et n'en veuille déplaire
A qui s'efforce enseigner le contraire)
Que ce grand Tout doit quelquefois périr.

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