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Le Somnambule

Le chapeau sur la tête et la canne à la main,
Serrant dans un frac noir sa rigide ossature,
Il allait et venait au bord de la toiture,
D’un air automatique et d’un pas surhumain.

Singulier promeneur, spectre et caricature,
Sans cesse, il refaisait son terrible chemin.
Sur le ciel orageux, couleur de parchemin,
Il dessinait sa haute et funèbre stature.

Soudain, à la lueur d’un éclair infernal,
Comme il frisait le vide en rasant le chenal
Avec le pied danseur et vif d’un funambule,

L’horreur emplit mon être et figea tout mon sang,
Car un grand chat d’ébène hydrophobe et grinçant
Venait de réveiller le monsieur Somnambule.

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L'Étoile d'un fou

À force de songer, je suis au bout du songe ;
Mon pas n’avance plus pour le voyage humain,
Aujourd’hui comme hier, hier comme demain,
Rengaine de tourment, d’horreur et de mensonge !

Il me faut voir sans cesse, où que mon regard plonge,
En tous lieux, se dresser la Peur sur mon chemin ;
Satan fausse mes yeux, l’ennui rouille ma main,
Et l’ombre de la Mort devant moi se prolonge.

Reviens donc, bonne étoile, à mon triste horizon.
Unique espoir d’un fou qui pleure sa raison,
Laisse couler sur moi ta lumière placide ;

Luis encore ! et surtout, cher Astre médecin,
Accours me protéger, si jamais dans mon sein
Serpentait l’éclair rouge et noir du Suicide.

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L'Horoscope

Par un soleil mourant dans d’horribles syncopes,
Mes spleens malsains
Évoquaient sur mon cas les divers horoscopes
Des médecins.
Partout la solitude inquiétante, hostile,
Où chaque trou
Avait un mauvais cri d’insecte, de reptile
Et de hibou.
J’étais dans un chemin désert, tenant du gouffre
Et du cachot,
Où l'orage imminent soufflait un vent de soufre
Épais et chaud,
Dans un chemin bordé de gigantesques haies
Qui faisaient peur,
Et de rocs mutilés qui se montraient leurs plaies
Avec stupeur.
Et j’allais, consterné, songeant : « Mon mal empire ! »
Tâtant mon pouls,
Et rongé par l’effroi, par cet effroi vampire
Comme des poux ;
Quand soudain, se dressant dans la brume uniforme
Devant mes pas,
Un long Monsieur coiffé d’un chapeau haut de forme
Me dit tout bas
Ces mots qui s’accordaient avec la perfidie
De son abord :
— « Prenez garde : car vous avez la maladie
Dont je suis mort.

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Jalousie féline

Cependant que juché sur l’un des hauts divans
Le chat jaune poussait de ronronnantes plaintes,
Dans un boudoir gorgé de parfums énervants,

Je veillais la très chère à genoux et mains jointes,
Et mon baiser rôdeur, papillon de ses seins,
Effleurait leurs contours et vibrait à leurs pointes.

Vierges des nourrissons, vampires assassins,
Ils étaient froids et durs comme des pommes vertes
Et plus blancs que le cygne errant sur les bassins.

Voluptueusement elle dormait, et certes,
Jamais femme n’aura, pour mordiller l’amant,
Les dents que laissaient voir ses lèvres entrouvertes.

Très blanche, comme pour un enlinceulement,
Sa robe la couvrait d’un brouillard de guipure,
En sorte que les seins étaient nus seulement.

Et les reflets de l’âtre en livide jaspure
Rampaient sur le divan d’où le chat regardait
Cette gorge d’amour aussi belle qu’impure.

Même dans le sommeil profond elle gardait
Sa morgue ! et telle était sa magique attirance
Qu’irrésistiblement tout mon être y tendait.

Voilà pourquoi je vis avec indifférence
L’œil toujours si câlin du gigantesque chat
Se charger tout à coup de haine et de souffrance

Ô langueur criminelle indigne de rachat !
Je ne pris nulle garde à la jalouse bête,
Quand il aurait fallu que ma main l'écorchât !

En vain, il se tordait les yeux hors de la tête,
En vain, il écumait fou de rage, en grinçant
Comme une girouette au fort de la tempête ;

Je fus aveugle et sourd pour lui ! tout languissant
D’amour et de sommeil, j’accrochais mon extase
À ces deux bouts de seins plus rouges que du sang.

Et je bâillais, râlant je ne sais quelle phrase,
Lorsque soudain je vis le chat jaune vers nous
Ramper lentement comme un crapaud dans la vase.

Oh ! ces poils hérissés ! ces miaulements fous !
— Mais la chambre devint ténébreuse et mouvante,
Puis, plus rien ! et je dus m’endormir à genoux.

Et la paix du cercueil hantait ma chair vivante
Lorsque je fus tiré de ce fatal sommeil
Par un cri surhumain d’horreur et d’épouvante !

Oh ! maudite la lune et maudit le soleil !
Que sous l’homme à jamais la terre se dérobe !
Pourquoi donc pas la mort, plutôt que ce réveil !

— Là, hurlant de douleur, pâle dans une robe
De pourpre, ensanglantant la neige des coussins,
Rachel se débattait sous la bête hydrophobe

Qui miaulait en lui déchiquetant les seins !

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Solitude

Les choses formant d’habitude
Au plus fauve endroit leur tableau :
Les rochers, les arbres et l’eau,
Manquent à cette solitude.

D’un gris fané de vieille laine,
De couleur verte dénué
Et de partout continué
Par l’indéfini de la plaine,

Tel ce champ étend sa tristesse,
Sans un genêt, sans un chardon,
La ronce, indice d’abandon,
N’étant pas même son hôtesse.

Le ciel blanc, comme un morne dôme,
Tout bombé sur son terrain plat,
Raye d’un éclair çà et là
La lividité de son chaume.

On dirait une espèce d’île
Au milieu d’océans caillés,
Tant les quatre horizons noyés
Ont un enlacement tranquille !

Le spectre ici ? Ce serait l’être
Dont on guette venir le pas,
Le quelqu’un que l'on ne voit pas
Mais qui pourrait bien apparaître.

En ce lieu d’atmosphère lourde,
Où couve un malaise orageux,
Il souffle un frais marécageux
D’odeur cadavéreuse et sourde.

Pas un frisson, pas une pause
Du silence et du figement !
La pleine mort, totalement,
En a fait sa lugubre chose.

Mais ce qui, surtout, de la terre
Monte, funèbre, avec la nuit,
C’est l’effroi, la stupeur, l’ennui
De l’éternité solitaire.

On voit à cette heure émouvante,
D’aspect encor plus solennel,
Ce champ et ce morceau de ciel
Communier en épouvante.

L’espace devant l’œil dévide
Son interminable lointain
Emplissant le jour incertain
De son vague absolument vide.

Malgré l’amas de la tempête
D’un poids noir et toujours croissant,
Ici, le vent même est absent
Comme la personne et la bête.

L’ombre vient... l’horreur est si grande
Que je quitte ce désert nu,
M’y sentant presque devenu
Le fantôme que j’appréhende !...

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Où vais-je?

Sur les petits chênes trapus
Voici qu’enfin las et repus
Les piverts sont interrompus
Par les orfraies.
A cette heure, visqueux troupeaux,
Les limaces et les crapauds
Rampent allègres et dispos
Le long des haies !

Enfin l’ombre ! le jour a fui.
Je vais promener mon ennui
Dans la profondeur de la nuit
Veuves d’étoiles !
Un vent noir se met à souffler,
Serpent de l’air, il va siffler,
Et mes poumons vont se gonfler
Comme des voiles.

Au fond des grands chemins herbeux,
Çà et là troués et bourbeux,
J’entends les taureaux et les bœufs
Qui se lamentent,
Et je vais, savourant l’horreur
De ces beuglements de terreur,
Sous les rafales en fureur
Qui me tourmentent !

Sur des sols mobiles et mous,
Espèces de fangueux remous,
Je marche avec les gestes fous
Des maniaques !
Où sont les arbres ? je ne vois
Que les yeux rouges des convois
Dont les sifflements sont des voix
Démoniaques.

Hélas ! mon pas de forcené
Aura sans doute assassiné
Plus d’un crapaud pelotonné
Sur sa femelle !
Oh ! oui, j’ai dû marcher sur eux,
Car dans ce marais ténébreux
J’ai sentis des frissons affreux
Sous ma semelle.

Et je marche ! Or, sans qu’il ait plu,
Tout ce terrain n’est qu’une glu ;
Mais le vertige a toujours plu
Au cœur qui souffre !
Et je m’empêtre dans les joncs.
Me cramponnant aux sauvageons
Et labourant de mes plongeons
L’ignoble gouffre !

Sous le ciel noir comme un cachot,
Crinière humide et crâne chaud,
Je m’avance en parlant si haut
Que je m’enroue.
Suis-je entré dans un cul-de-sac ?
Mais non ! après de longs flic-flac
Je finis par franchir ce lac
D’herbe et de boue

Les chiens ont comme les taureaux
Des ululements gutturaux !
Pas une lueur aux carreaux
Des maisons proches !
N’importe ! je vais m’enfournant
Dans la nuit d’un chemin tournant
Et je clopine maintenant
Parmi des roches.

Où vais-je ? comment le savoir ?
Car c’est en vain que pour y voir
Je ferme et j’ouvre dans le noir
Mes deux paupières !
Terre et Cieux, coteau, plaine et bois
Sont ensevelis dans la poix,
Et je heurte de tout mon poids
De grandes pierres !

Les buissons sont si rapprochés
Qu’à chaque pas sur les rochers
Mes vêtements sont accrochés
Par une ronce.
Derrière, devant, de travers,
Le vent me cravache ! oh ! quels vers
J’ébauche dans ces trous pervers,
Où je m’enfonce !

La rocaille devient verglas,
Tenaille, scie, et coutelas !
Je glisse, et le mince échalas
Que j’ai pour canne
Craque et va se casser en deux…
Mais toujours mon pied hasardeux
Rampe, et je dois être hideux
Tant je ricane !

Et je tombe, et je retombe ! oh !
Ce chemin sera mon tombeau !
Un abominable corbeau
Me le croasse !
Sur mon épaule, ce coup sec
Vient-il d’une branche ou d’un bec ?
Et dois-je aussi lutter avec
L’oiseau vorace ?

Bah ! je marche toujours ! bravant
Les pierres, la nuit et le vent !
J’affrontais bien auparavant
La vase infecte !
Où que j’aventure mon pied
Je trébuche à m’estropier…
Mais dans ce rocailleux guêpier
Je me délecte !

Rafales, ruez-vous sans mors !
Ronce, égratigne ; caillou, mords !
Nuit noire comme un drap des morts,
Sois plus épaisse !
Je ris de votre acharnement,
Car l’horreur est un aliment
Dont il faut qu’effroyablement
Je me repaisse !…

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Le Meneur de loups

Je venais de franchir la barrière isolée,
Et la stupeur nocturne allait toujours croissant
Du ravin tortueux à la tour écroulée,
Quand soudain j’entendis un bruit rauque et perçant.
J’étais déjà bien loin de toute métairie,
Dans un creux surplombé par une croix pourrie
Dont les vieux bras semblaient prédire le destin :
Aussi, la peur, avec son frisson clandestin,
Me surprit et me tint brusquement en alerte,
Car à cent pas de moi, là, j’en étais certain,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.

Il approchait, guidant sa bande ensorcelée
Que fascinait à peine un charme tout puissant,
Et qui, pleine de faim, lasse, maigre et pelée,
Compacte autour de lui, trottinait en grinçant.
Elle montrait, avec une sourde furie,
Ses formidables crocs qui rêvaient la tuerie,
Et ses yeux qui luisaient comme un feu mal éteint ;
Cependant que toujours de plus en plus distinct,
Grave, laissant flotter sa limousine ouverte,
Et coupant l’air froidi de son fouet serpentin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.

Le chat-huant jetait sa plainte miaulée,
Et de mauvais soupirs passaient en gémissant,
Quand, roide comme un mort devant son mausolée,
Il s’en vint près d’un roc hideux et grimaçant.
Tous accroupis en rond sur la brande flétrie,
Les fauves regardaient d’un air de songerie
Courir les reflets blancs d’une lune d’étain ;
Et debout, surgissant au milieu d’eux, le teint
Livide, l’œil brûlé d’un flamboiement inerte,
Spectre encapuchonné comme un bénédictin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.

Mais voilà que du fond de la triste vallée
Une jument perdue accourt en hennissant,
Baveuse, les crins droits, fumante, échevelée,
Et se rue au travers du troupeau rêvassant.
Prompts comme l’éclair, tous, ivres de barbarie
Ne firent qu’un seul bond sur la bête ahurie.
Horreur ! Sous ce beau ciel de nacre et de satin,
Ils mangeaient la cervelle et fouillaient l’intestin
De la pauvre jument qu’ils avaient recouverte ;
Et pour les animer à leur affreux festin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.

En vain, rampant au bas de la croix désolée,
Je sentais mes cheveux blanchir en se dressant,
Et la voix défaillir dans ma gorge étranglée :
J’avais bu ce spectacle atroce et saisissant.
Puis, après un moment de cette boucherie
Aveugle, à bout de rage et de gloutonnerie,
Repu, léchant son poil que le sang avait teint,
Tout le troupeau quitta son informe butin,
Et quand il disparut louche et d’un pas alerte,
Plein de hâte, aux premiers rougeoiements du matin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.


ENVOI

Monarque du Grand Art, paroxyste et hautain,
Apprends que si parfois à l’heure du Lutin,
J’ai craint de m’avancer sur la lande déserte,
C’est que pour mon oreille, à l’horizon lointain,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.

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Le Rasoir

Ce rasoir où la rouille a laissé son vestige
Par le seul souvenir arrive à me troubler,
Et sur lui, je ne peux jamais voir sans trembler
L’atmosphère de sang qui plane ou qui voltige.

Oui ! sa vue a pour moi je ne sais quel prestige !
Il m’attire, il me cloue, il me fait reculer,
Et va, quand je m’en sers, jusqu’à m’inoculer
Un dangereux frisson d’horreur et de vertige.

Étant las du présent comme du lendemain,
J’ai grand’peur qu’à la longue il ne tente ma main
Par un genre de mort où mon esprit s’arrête.

C’est pourquoi je m’en vais le jeter dans un trou,
Car avec lui je sens que je deviendrais fou
Et que je finirais par me couper la tête !

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La Pluie

Lorsque la pluie, ainsi qu’un immense écheveau
Brouillant à l’infini ses longs fils d’eau glacée,
Tombe d’un ciel funèbre et noir comme un caveau
Sur Paris, la Babel hurlante et convulsée,

J’abandonne mon gîte, et sur les ponts de fer,
Sur le macadam, sur les pavés, sur l’asphalte,
Laissant mouiller mon crâne où crépite un enfer,
Je marche à pas fiévreux sans jamais faire halte.

La pluie infiltre en moi des rêves obsédants
Qui me font patauger lentement dans les boues,
Et je m’en vais, rôdeur morne, la pipe aux dents,
Sans cesse éclaboussé par des milliers de roues.

Cette pluie est pour moi le spleen de l’inconnu :
Voilà pourquoi j’ai soif de ces larmes fluettes
Qui sur Paris, le monstre au sanglot continu,
Tombent obliquement lugubres, et muettes.

L’éternel coudoiement des piétons effarés
Ne me révolte plus, tant mes pensers fermentent :
À peine si j’entends les amis rencontrés
Bourdonner d’un air vrai leurs paroles qui mentent.

Mes yeux sont si perdus, si morts et si glacés,
Que dans le va-et-vient des ombres libertines,
Je ne regarde pas sous les jupons troussés
Le gai sautillement des fringantes bottines.

En ruminant tout haut des poèmes de fiel,
J’affronte sans les voir la flaque et la gouttière ;
Et mêlant ma tristesse à la douleur du ciel,
Je marche dans Paris comme en un cimetière.

Et parmi la cohue impure des démons,
Dans le grand labyrinthe, au hasard et sans guide,
Je m’enfonce, et j’aspire alors à pleins poumons
L’affreuse humidité de ce brouillard liquide.

Je suis tout à la pluie ! À son charme assassin,
Les vers dans mon cerveau ruissellent comme une onde :
Car pour moi, le sondeur du triste et du malsain,
C’est de la poésie atroce qui m’inonde.

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La pluie

Lorsque la pluie, ainsi qu'un immense écheveau
Brouillant à l'infini ses longs fils d'eau glacée,
Tombe d'un ciel funèbre et noir comme un caveau
Sur Paris, la Babel hurlante et convulsée,

J'abandonne mon gîte, et sur les ponts de fer,
Sur le macadam, sur les pavés, sur l'asphalte,
Laissant mouiller mon crâne où crépite un enfer,
Je marche à pas fiévreux sans jamais faire halte.

La pluie infiltre en moi des rêves obsédants
Qui me font patauger lentement dans les boues,
Et je m'en vais, rôdeur morne, la pipe aux dents,
Sans cesse éclaboussé par des milliers de roues.

Cette pluie est pour moi le spleen de l'inconnu :
Voilà pourquoi j'ai soif de ces larmes fluettes
Qui sur Paris, le monstre au sanglot continu,
Tombent obliquement lugubres, et muettes.

L'éternel coudoîment des piétons effarés
Ne me révolte plus, tant mes pensers fermentent :
À peine si j'entends les amis rencontrés
Bourdonner d'un air vrai leurs paroles qui mentent.

Mes yeux sont si perdus, si morts et si glacés,
Que dans le va-et-vient des ombres libertines,
Je ne regarde pas sous les jupons troussés
Le gai sautillement des fringantes bottines.

En ruminant tout haut des poèmes de fiel,
J'affronte sans les voir la flaque et la gouttière ;
Et mêlant ma tristesse à la douleur du ciel,
Je marche dans Paris comme en un cimetière.

Et parmi la cohue impure des démons,
Dans le grand labyrinthe, au hasard et sans guide,
Je m'enfonce, et j'aspire alors à pleins poumons
L'affreuse humidité de ce brouillard liquide.

Je suis tout à la pluie ! À son charme assassin,
Les vers dans mon cerveau ruissellent comme une onde :
Car pour moi, le sondeur du triste et du malsain,
C'est de la poésie atroce qui m'inonde.

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La Laveuse

Voici l’heure où les ménagères
Guettent le retour des bergères.
Avec des souffles froids et saccadés, le vent
Fait moutonner au loin les épaisses fougères
Dans le jour qui va s’achevant.

Là-bas sur un grand monticule
Un moulin à vent gesticule.
Les feuilles d’arbre ont des claquements de drapeaux,
Et l’hymne monotone et doux du crépuscule
Est entonné par les crapauds.

Des silhouettes désolées
Se convulsent dans les vallées,
Et, sur les bords herbeux des routes sans maisons,
Les mètres de cailloux semblent des mausolées
Qui donnent parmi les gazons.

Déjà plus d’un hibou miaule,
Et le pâtre, armé d’une gaule,
Par des chemins boueux, profonds comme des trous,
S’en va passer la nuit sur l’herbe, au pied d’un saule,
Avec ses taureaux bruns et roux.

Dans la solitude profonde
Les vieux chênes à tête ronde,
Fantastiques, ont l’air de vouloir s’en aller
Au fond de l’horizon, que le brouillard inonde,
Et qui paraît se reculer.

Mais les choses dans la pénombre
Se distinguent : figure, nombre
Et couleur des objets inertes ou bougeurs,
Tout cela reste encor visible, quoique sombre,
Sous les nuages voyageurs.

Or, à cette heure un peu hagarde,
Je longe une brande blafarde,
Et pour me rassurer je chante à demi-voix,
Lorsque soudain j’entends un bruit sec. — Je regarde,
Pâle, et voici ce que je vois :

Au bord d’un étang qui clapote,
Une vieille femme en capote,
A genoux, les sabots piqués dans le sol gras,
Lave du linge blanc et bleu qu’elle tapote
Et retapote à tour de bras.
— « Par où donc est-elle venue,
« Cette sépulcrale inconnue ? »
Et je m’arrête alors, pensif et répétant,
Au milieu du brouillard qui tombe de la nue.
Ce soliloque inquiétant.

Å’il creux, nez crochu, bouche plate,
Sec et mince comme une latte,
Ce fantôme laveur d’un âge surhumain,
Horriblement coiffé d’un mouchoir écarlate,
Est là, presque sur mon chemin.

Et la centenaire aux yeux jaunes,
Accroupie au pied des grands aunes,
Sorcière de la brande où je m’en vais tout seul,
Frappe à coups redoublés un drap, long de trois aunes,
Qui pourrait bien être un linceul.

Alors, tout à l’horreur des choses
Si fatidiques dans leurs poses,
Je sens la peur venir et la sueur couler,
Car la hideuse vieille en lavant fait des pauses
Et me regarde sans parler.

Et le battoir tombe et retombe
Sur cette nappe de la tombe,
Mêlant son diabolique et formidable bruit
Aux sifflements aigus du vent qui devient trombe ;
Et tout s’efface dans la nuit.

— « Si loin ! pourvu que je me rende ! »
Et je me sauve par la brande
Comme si je sentais la poursuite d’un pas ;
Et dans l’obscurité ma terreur est si grande
Que je ne me retourne pas.

Ici, là, fondrière ou flaque,
Complices de la nuit opaque !
Et la rafale beugle ainsi qu’un taureau noir,
Et voici que sur moi vient s’acharner la claque
De l’abominable battoir.

Enfin, ayant fui de la sorte
A travers la campagne morte,
J’arrive si livide, et si fou de stupeur
Que lorsque j’apparais brusquement à la porte
Mon apparition fait peur !

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Ma Vieille Canne

Ma vieille canne au bout ferré,
Tu supportes ma lassitude !
Avec toi, pas d’inquiétude
Où que mon pied soit empêtré !

Quand, pâle comme un déterré,
Je marche dans la solitude,
Ma vieille canne au bout ferré,
Tu supportes ma lassitude.

Aussi longtemps que je vivrai,
À toi ma franche gratitude !
Si pleine de sollicitude,
Tu guides mon pas effaré,
Ma vieille canne au bout ferré

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Le Mot de l'énigme

Longtemps cette figure obséda mes regards,
Et l'éternel supplice auquel Dieu me condamne,
Aux rayons ténébreux de ses deux yeux hagards
S’accrut férocement dans mon cœur et mon crâne.

Son affreux souvenir me hantait : et, la nuit,
Dans mon gîte où la Peur le long des meubles rampe,
Cette face où ricane un formidable ennui
Luisait aux murs, et sur l’abat-jour de ma lampe.

Il avait du serpent, du tigre, et du crapaud.
Mais pour pouvoir en faire une esquisse vivante
Et terrible, il faudrait la plume d’Edgar Poe,
Cette plume du gouffre, infernale et savante !

Oh ! ce long paletot boutonné jusqu’au cou
Et ces doigts bleus aussi velus que ceux du singe !
Oh ! l’innommable horreur de ce bras sale et mou
Qui semblait grelotter sous la crasse du linge !

Oh ! jamais les chapeaux des plus sombres rapins
N’auront la poésie atroce de son feutre !
Pour chaussure, il avait d’ignobles escarpins
Où la putridité des pieds nus se calfeutre.

Mais pourquoi cet œil blanc, fixe et cadavéreux ?
D’où venait qu’il avait la démarche peu sûre,
Et qu’il allait grinçant d’un air si malheureux,
Comme un chien enragé qui retient sa morsure ?

Pourquoi vomissait-il plutôt qu’il ne crachait ?
Avait-il la nausée amère de la vie ?
Et pourquoi prenait-il sa tête qu’il hochait
Avec une fureur d’effarement suivie ?

Avait-il donc au cœur un si strident remord
Qu’au milieu de la rue, en face des gendarmes,
Il bégayât les mots de poison et de mort
Avec un rire affreux qui se trempait de larmes ?

Était-il fou, cet homme ayant l’atrocité
D’un poème vivant plein d’âpres antithèses ?
— Ainsi, j’alimentais ma curiosité
Avec le vitriol des noires hypothèses.

Mais une nuit d’hiver, morbidement brutal,
J’accostai ce passant dans une sombre allée,
Et plongeant mon regard dans son globe fatal,
J’osai lui dire avec une voix étranglée :

« Exécrable inconnu dont l’air inquiétant
« Pourrait faire avorter une mégère enceinte,
« Qu’es-tu ? Bourreau, martyr, assassin ou Satan ? »
— Et lui me répondit : « Je suis buveur d’absinthe. »

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La Toiture en ardoises

La vieille toiture en ardoises
Étincelle dès le matin
Sur le coteau qui sent le thym
Et qui plaît aux chèvres narquoises.

Au temps des vipères sournoises,
Et jusqu’après la Saint-Martin,
La vieille toiture en ardoises
Étincelle dès le matin.

Et dans la saison des framboises,
On voit luire au fond du lointain,
Avec l'éclair noir du satin
Et le reflet bleu des turquoises,
La vieille toiture en ardoises.

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La meunière

La meunière, une forte et rougeaude jeunesse,
Chantait dans sa charrette en piquant son bardeau ;
Tout à coup, l'animal quittant son pas lourdaud,
Partit brusque ! il venait de sentir une ânesse.

Celle-ci, l'ayant vu du fond du brouillard pâle,
D'un long cri de désir hélait le bourriquot
Lequel hâtait sa course en ébranlant l'écho
D'un grand hi-han tout plein de sa vigueur de mâle.

Jointe, ce fut l'éclair ! Entre ses pieds roidis
Il lui serra les flancs et l'eut toute ! Et, tandis
Qu'allaient se consommant ces amours bucoliques,

Renversée en arrière, avec un oeil fripon,
La meunière, à deux mains rabattant son jupon,
Riait, jambes en l'air sur les limons obliques.

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La Meunière

La meunière, une forte et rougeaude jeunesse,
Chantait dans sa charrette en piquant son bardeau ;
Tout à coup, l’animal quittant son pas lourdaud,
Partit brusque ! il venait de sentir une ânesse.

Celle-ci, l’ayant vu du fond du brouillard pâle,
D’un long cri de désir hélait le bourriquot
Lequel hâtait sa course en ébranlant l’écho
D’un grand hi-han tout plein de sa vigueur de mâle.

Jointe, ce fut l’éclair ! Entre ses pieds roidis
Il lui serra les flancs et l’eut toute ! Et, tandis
Qu’allaient se consommant ces amours bucoliques,

Renversée en arrière, avec un œil fripon,
La meunière, à deux mains rabattant son jupon,
Riait, jambes en l’air sur les limons obliques.

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L'Angoisse

Depuis que l’Horreur me fascine,
Je suis l’oiseau de ce serpent.
Je crois toujours qu’on m’assassine,
Qu’on m’empoisonne ou qu’on me pend.

L’Unité se double et se triple
Devant mon œil épouvanté,
Et le Simple devient multiple
Avec une atroce clarté.

Pour mon oreille, un pied qui frôle
Les marches de mon escalier,
Sur les toits un chat qui miaule,
Dans la rue un cri de roulier,

Le sifflet des locomotives,
Le chant lointain du ramoneur,
Tout bruit a des notes plaintives
Et se tonalise en mineur.

En vain tout le jour, dans la nue
Je plonge un Å“il aventureux,
Sitôt que la nuit est venue
Je courbe mon front malheureux,

Car, devenant verte et hagarde,
La lune interroge ma peur,
Et si fixement me regarde,
Que je recule avec stupeur.

Le lit de bois jaune où je couche
Me fait l’effet d’un grand cercueil.
Ce que je vois, ce que je touche,
Sons, parfums, tout suinte le deuil.

Partout mon approche est honnie,
On me craint comme le malheur,
Et l'on trouve de l’ironie
Au sourire de ma douleur.

Mon rêve est plein d’ombres funèbres,
Et le flambeau de ma raison
Lutte en vain contre les ténèbres
De la folie... à l’horizon.

La femme que j’aimais est morte,
L’ami qui me restait m’a nui,
Et le Suicide à ma porte
Cogne et recogne, jour et nuit.

Enfin, Satan seul peut me dire
S’il a jamais autant souffert,
Et si mon cœur doit le maudire
Ou l’envier dans son enfer.

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Charles Baudelaire

La Béatrice

Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure,
Comme je me plaignais un jour à la nature,
Et que de ma pensée, en vaguant au hasard,
J'aiguisais lentement sur mon coeur le poignard,
Je vis en plein midi descendre sur ma tête
Un nuage funèbre et gros d'une tempête,
Qui portait un troupeau de démons vicieux,
Semblables à des nains cruels et curieux.
À me considérer froidement ils se mirent,
Et, comme des passants sur un fou qu'ils admirent,
Je les entendis rire et chuchoter entre eux,
En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux:

— "Contemplons à loisir cette caricature
Et cette ombre d'Hamlet imitant sa posture,
Le regard indécis et les cheveux au vent.
N'est-ce pas grand'pitié de voir ce bon vivant,
Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle,
Parce qu'il sait jouer artistement son rôle,
Vouloir intéresser au chant de ses douleurs
Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs,
Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques,
Réciter en hurlant ses tirades publiques?"

J'aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts
Domine la nuée et le cri des démons)
Détourner simplement ma tête souveraine,
Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène,
Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil!
La reine de mon coeur au regard nonpareil
Qui riait avec eux de ma sombre détresse
Et leur versait parfois quelque sale caresse.

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Tempête obscure

L’orage, après de longs repos,
Ce soir-là, par ses deux suppôts,

La nuée et le vent qui claque,
Se présageait pour l'onde opaque.

Grondante sous le ciel muet,
Par quintes, la mer se ruait ;

Puis, elle se tut, la perfide,
Reprit son niveau brun livide.

Malheur aux coquilles de noix
Alors sur l’élément sournois

D’un plat, d’un silence de planche,
Risquant leur petite aile blanche !

Car, on le sent à l’angoissé,
Au guettant de l’air oppressé,

La paix du gouffre qui se fige
Couve la trame du vertige ;

Si calme en dessus, ses dessous
Cherchent, ramassent leurs courroux,

En effet, soudain l’eau tranquille
Bomba sa face d’encre et d’huile,

Perdit son taciturne intact,
Prit un clapotement compact.

Et voilà qu’à rumeurs funèbres
La tempête emplit les ténèbres.

Mais, pas un éclair zigzaguant :
Rien que l’obscur de l’ouragan !

Ballottée en ce ciel de bistre
La lune folle, errant sinistre,

Comme une morte promenant
Sa lanterne de revenant,

À hideuses lueurs moroses
Éclairait ce drame des choses.

Souffle monstre, outrant sa fureur,
Le vent démesurait l'horreur

Des montagnes d’eau dont les cimes
Pivotaient, croulant en abîmes

Qui, l’un par l’autre chevauchés,
Distordus, engloutis, crachés,

Redressaient leurs masses béantes
En Himalayas tournoyantes,

Spectrales des froids rayons verts
Se multipliant au travers.

Et, toujours, la houle élastique
Réopérait plus frénétique

La métamorphose des flots
Dans des tonnerres de sanglots.

Vint alors tant d’obscurité
Que ce fracas précipité

N’était plus que la plainte immense,
La clameur du vide en démence.

Puis, l’astre blêmissant, terni,
Sombra dans le noir infini

Où son vert-de-gris jaune-soufre
Se convulsait avec le gouffre.

Les vagues par leurs bonds si hauts
Brassaient le ciel dans le chaos ;

Tout tourbillonnait : l’eau, la brume,
La voûte, les airs et l’écume,

Tout : fond, sommet, milieu, côtés
Dans le pêle-mêle emportés !

Tellement que la mer, les nues,
Étaient par degrés devenues

Un même et confus océan
Roulant tout seul dans le Néant.

Et, pour l’œil comme pour l’oreille,
Existait l’affreuse merveille,

L’âme vivait l’illusion
De cette énorme vision,

Tout l'être croyait au mensonge
Du terrible tableau mouvant

Qu’avec l’eau, la lune, et le vent,
La Nuit composait pour le Songe.

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Domestique de peintre

Ah ! monsieur ! mon métier d’domestique a changé,
Me dit le grand Charly, son béret sur l’oreille :
En yentrant, j’croyais pas trouver un’ plac’ pareille,
Et j’n’ai jamais encor si bien bu, ni mangé.

Mon maîtr’ ? C’est un homm’ simpl’ qui rest’ dans sa nature,
Sans s’occuper d’la mode et du mond’ d’aujourd’hui,
Laissant pousser bien longs ses ch’veux d’un noir qui r’luit,
Tout comm’ ces comédiens qui pass’ dans des voitures.

I’ m’en paye à gogo des goutt’ et du tabac !
I’ m’donn’ des vieux habits et des neufs, sans q’j’y d’mande,
Et doux, l’air comm’ gêné tout’ les fois qui m’commande,
I’ s’inquièt’ de ma bourse et de mon estomac.

Sûr ! que j’ai jamais vu son pareil ! l’diabl’ me torde !
J’veux balayer sa chambre et ranger dans les coins ?
Alors, i’ s’fâch’ tout roug’, disant : « Q’ya pas besoin,
Q’son œil, au r’bours des autr’, voit mieux clair dans l’désordre. »

Avec ça, s’rappelant tout c’qu’on y dit ou c’qu’i’ voit,
Sans jamais les écrir’ gardant mémoir’ des notes,
Dans sa têt’ qui, des fois, semble un’ têt’ de linotte,
Ayant réponse à tout, sachant l’car et l’pourquoi.

Yen a qui lis’ un livre, à lui yen faut des masses !
Sous l’pioch’ment agacé d’son pouc’ qu’i’ mouill’ souvent
Les tournements des pag’ ça fil’ comme le vent !
Puis, soudain’ment, i’ sort comm’ s’i’ manquait d’espace.

Ah l’drôl’ de maîtr’ que j’ai ! tout c’qu’est à lui c’est vôtre.
Un homm’ q’est franc comm’ l’or et bon comme du pain !
Des fois, i’ caus’ tout seul quand i’ marche ou qu’i’ peint ;
Il est dans un endroit ? qu’i’ veut êtr’ dans un autre !

Je l’sais ben moi qui l’suis dans ses cours’ endiablées,
I’ n’voyag’ que pour voir des couleurs. En errant,
I’ braq’ ses p’tits yeux noirs q’avont l’regard si grand
Sur chaq’ roche ou taillis des côt’s et des vallées.

Des fonds et des lointains, des plain’s et des nuages,
Il emport’ la peintur’ qu’i’ soutire au galop,
Tout l’jour, i’ pomp’ la nuanc’ de la verdure et d’l’eau,
Et, la nuit, cherche encor dans l’brun des paysages.

Ça l’prend tout feu tout flamme en fac’ de son ch’valet ;
Puis, l’pinceau dans la main, v’là q’sa grand’ chaleur gèle !
Il est si vite en bas qu’il est en haut d’l’échelle...
En tout’chose on dirait qu’i’ n’sait pas c’qui lui plaît.

I’ cause, i’ chante, i’ rit, en train d’boire et d’manger ?
V’là qu’i’ songe ! — On s’équipe ? on arriv’ pour pêcher ?
I’ veut peindr’ ! vers ses toil’ en tout’ hâte i’ m’dépêche ! —
Quand j’y port’ son fourbi pour travailler ? On pêche !

Sauriez-vous m’dir’ c’que c’est que c’ t’homm’ q’est gai, q’est triste,
Qui girouett’ jamais l’mêm’ et pass’ du chaud au froid ? »
— Et je lui répondis, parlant un peu pour moi :
« Ton maître, ce qu’il est, parbleu ! C’est un artiste !

Me comprends-tu ? — Ma foi ! monsieur, ya pas d’excès.
Artist’ ? dam’ ! moi, c’mot-là j’en connais pas l’mystère !
— Comment te dire alors ? Eh bien ! ton maître, c’est :
Un fou que sa raison tourmente sur la terre.

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À travers champs

Hors de Paris, mon cœur s’élance,
Assez d’enfer et de démons :
Je veux rêver dans le silence
Et dans le mystère des monts.

Barde assoiffé de solitude
Et bohémien des guérets,
J’aurai mon cabinet d’étude
Dans les clairières des forêts.

Et là, mes vers auront des notes
Aussi douces que le soupir
Des rossignols et des linottes
Lorsque le jour va s’assoupir.

Parfumés d’odeurs bocagères,
Ensoleillés d’agreste humour,
Ils auront, comme les bergères,
L’ingénuité dans l’amour.

M’y voici : la campagne est blonde,
L’horizon clair et le ciel bleu.
La terre est sereine, — et dans l’onde
Se mire le soleil en feu !

Là, fuyant code et procédure,
Mon pauvre père, chaque été,
Venait prendre un bain de verdure,
De poésie et de santé.

Là, plus qu’ailleurs, pour ma tendresse,
Son souvenir est palpitant;
Partout sa chère ombre se dresse,
Dans ce pays qu’il aimait tant !

Sous le chêne aux branches glandées,
Il me vient un souffle nouveau,
Et les rimes et les idées
Refleurissent dans mon cerveau.

Je revois l’humble silhouette
De la maison aux volets verts,
Avec son toit à girouette
Et ses murs d’espaliers couverts ;

Le jardin plein de rumeurs calmes
Où l’arbre pousse vers l’azur,
Le chant multiple de ses palmes
Qui frissonnent dans un air pur ;

Les petits carrés de légumes
Bordés de lavande et de buis,
Et les pigeons lustrant leurs plumes
Sur la margelle du vieux puits.

Plus de fâcheux, plus d’hypocrites !
Car je fréquente par les prés
Les virginales marguerites
Et les coquelicots pourprés.

Enfin ! je nargue l’attirance
Épouvantable du linceul,
Et je bois un peu d’espérance
Au ruisseau qui jase tout seul.

Je marche enfin le long des haies,
L’âme libre de tout fardeau,
Traversant parfois des saulaies
Où sommeillent des flaques d’eau.

Ami de la vache qui broute,
Du vieux chaume et du paysan,
Dès le matin je prends la route
De Châteaubrun et de Crozan.

Dans l’air, les oiseaux et les brises
Modulent de vagues chansons ;
A mon pas les pouliches grises
Hennissent au bord des buissons,

Tandis qu’au fond des luzernières,
Jambes aux fers, tête au licou,
Les vieilles juments poulinières
Placidement lèvent le cou.

Le lézard, corps insaisissable
Où circule du vif-argent;
Promène au soleil sur le sable
Sa peau verte au reflet changeant:

Dans les pacages d’un vert sombre,
Où, çà et là, bâillent des trous,
Sous les ormes, couchés à l’ombre,
L’œil mi-clos, songent les bœufs roux.

Dressant leur tête aux longues cornes,
Parfois les farouches taureaux
Poussent, le long des étangs mornes,
Des mugissements gutturaux.

Sur les coteaux et sur les pentes,
Aux environs d’un vieux manoir,
Je revois les chèvres grimpantes,
Les moutons blancs et le chien noir.

Debout, la bergère chantonne
D’une douce et traînante voix
Une complainte monotone,
Avec son fuseau dans les doigts.

Et je m’en reviens à la brune
Tout plein de calme et de sommeil,
Aux rayons vagues de la lune,
Ce mélancolique soleil !

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