Sur une croix
Dans ce pays lugubre et si loin de la foule,
Un cimetière d’autrefois,
Bien souvent m’attirait avec sa grande croix
Dont la tête et les bras se terminaient en boule.
Or, fin d’automne, un soir que tout était plongé
Dans une mourante lumière,
Je m’arrêtai pour voir la croix du cimetière...
Qu’avait-elle donc de changé ?
De façon peu sensible et pourtant singulière,
Son sommet s’était allongé.
Et, curieusement, saisi, le sang figé,
Immobile comme une pierre,
Vers elle je tenais tendus l’œil et le cou,
Lorsqu’un chat-huant tout à coup
Vint à s’envoler de sa cime !
Et, j’en eus le frisson intime :
Cette bête incarnait l’âme d’un mauvais mort
Sur le haut de la croix méditant son remord.
poésie de Maurice Rollinat
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Mademoiselle Squelette
Mademoiselle Squelette !
Je la surnommais ainsi :
Elle était si maigrelette !
Elle était de la Villette,
Je la connus à Bercy,
Mademoiselle Squelette.
Très ample était sa toilette,
Pour que son corps fût grossi :
Elle était si maigrelette !
Nez camard, voix aigrelette ;
Mais elle me plut ainsi,
Mademoiselle Squelette.
J’en fis la bizarre emplette.
Ça ne m’a pas réussi,
Elle était si maigrelette !
Elle aimait la côtelette
Rouge, et le vin pur aussi,
Mademoiselle Squelette !
Sa bouche un peu violette
Avait un parfum ranci,
Elle était si maigrelette !
Comme elle était très follette,
Je l’aimai couci-couci,
Mademoiselle Squelette.
Au lit, cette femmelette
Me causa plus d’un souci :
Elle était si maigrelette !
Puis un jour je vis seulette,
L’œil par les pleurs obscurci,
Mademoiselle Squelette,
Cherchant une gouttelette
De sang très peu cramoisi :
Elle était si maigrelette !
Sa phtisie étant complète,
Elle en eut le cœur transi,
Mademoiselle Squelette.
Alors plus d’escarpolette ;
Plus un dimanche à Passy...
Elle était si maigrelette !
Sa figure verdelette
Faisait dire au gens : « Voici
Mademoiselle Squelette ! »
Un soir à l’espagnolette
Elle vint se pendre ici.
Elle était si maigrelette !
Horreur ! Une cordelette
Décapitait sans merci
Mademoiselle Squelette :
Elle était si maigrelette !
poésie de Maurice Rollinat
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La Buveuse d'absinthe
Elle était toujours enceinte,
Et puis elle avait un air...
Pauvre buveuse d’absinthe !
Elle vivait dans la crainte
De son ignoble partner :
Elle était toujours enceinte.
Par les nuits où le ciel suinte,
Elle couchait en plein air.
Pauvre buveuse d’absinthe !
Ceux que la débauche éreinte
La lorgnaient d’un œil amer :
Elle était toujours enceinte !
Dans Paris, ce labyrinthe
Immense comme la mer,
Pauvre buveuse d’absinthe,
Elle allait, prunelle éteinte,
Rampant aux murs comme un ver...
Elle était toujours enceinte !
Oh ! cette jupe déteinte
Qui se bombait chaque hiver !
Pauvre buveuse d’absinthe !
Sa voix n’était qu’une plainte,
Son estomac qu’un cancer :
Elle était toujours enceinte !
Quelle farouche complainte
Dira son hideux spencer !
Pauvre buveuse d’absinthe !
Je la revois, pauvre Aminte,
Comme si c’était hier :
Elle était toujours enceinte !
Elle effrayait maint et mainte
Rien qu’en tournant sa cuiller ;
Pauvre buveuse d’absinthe !
Quand elle avait une quinte
De toux, — oh ! qu’elle a souffert,
Elle était toujours enceinte ! —
Elle râlait : « Ça m’esquinte !
Je suis déjà dans l’enfer. »
Pauvre buveuse d’absinthe !
Or elle but une pinte
De l’affreux liquide vert :
Elle était toujours enceinte !
Et l’agonie était peinte
Sur son œil à peine ouvert ;
Pauvre buveuse d’absinthe !
Quand son amant dit sans feinte :
« D’débarras, c’en est un fier !
« Elle était toujours enceinte. »
— Pauvre buveuse d’absinthe !
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Le Meneur de loups
Je venais de franchir la barrière isolée,
Et la stupeur nocturne allait toujours croissant
Du ravin tortueux à la tour écroulée,
Quand soudain j’entendis un bruit rauque et perçant.
J’étais déjà bien loin de toute métairie,
Dans un creux surplombé par une croix pourrie
Dont les vieux bras semblaient prédire le destin :
Aussi, la peur, avec son frisson clandestin,
Me surprit et me tint brusquement en alerte,
Car à cent pas de moi, là, j’en étais certain,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
Il approchait, guidant sa bande ensorcelée
Que fascinait à peine un charme tout puissant,
Et qui, pleine de faim, lasse, maigre et pelée,
Compacte autour de lui, trottinait en grinçant.
Elle montrait, avec une sourde furie,
Ses formidables crocs qui rêvaient la tuerie,
Et ses yeux qui luisaient comme un feu mal éteint ;
Cependant que toujours de plus en plus distinct,
Grave, laissant flotter sa limousine ouverte,
Et coupant l’air froidi de son fouet serpentin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
Le chat-huant jetait sa plainte miaulée,
Et de mauvais soupirs passaient en gémissant,
Quand, roide comme un mort devant son mausolée,
Il s’en vint près d’un roc hideux et grimaçant.
Tous accroupis en rond sur la brande flétrie,
Les fauves regardaient d’un air de songerie
Courir les reflets blancs d’une lune d’étain ;
Et debout, surgissant au milieu d’eux, le teint
Livide, l’œil brûlé d’un flamboiement inerte,
Spectre encapuchonné comme un bénédictin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
Mais voilà que du fond de la triste vallée
Une jument perdue accourt en hennissant,
Baveuse, les crins droits, fumante, échevelée,
Et se rue au travers du troupeau rêvassant.
Prompts comme l’éclair, tous, ivres de barbarie
Ne firent qu’un seul bond sur la bête ahurie.
Horreur ! Sous ce beau ciel de nacre et de satin,
Ils mangeaient la cervelle et fouillaient l’intestin
De la pauvre jument qu’ils avaient recouverte ;
Et pour les animer à leur affreux festin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
En vain, rampant au bas de la croix désolée,
Je sentais mes cheveux blanchir en se dressant,
Et la voix défaillir dans ma gorge étranglée :
J’avais bu ce spectacle atroce et saisissant.
Puis, après un moment de cette boucherie
Aveugle, à bout de rage et de gloutonnerie,
Repu, léchant son poil que le sang avait teint,
Tout le troupeau quitta son informe butin,
Et quand il disparut louche et d’un pas alerte,
Plein de hâte, aux premiers rougeoiements du matin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
ENVOI
Monarque du Grand Art, paroxyste et hautain,
Apprends que si parfois à l’heure du Lutin,
J’ai craint de m’avancer sur la lande déserte,
C’est que pour mon oreille, à l’horizon lointain,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
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Le Bourreau monomane
Oh ! les saisons, été, printemps, hiver, automne,
Comme c’est long ! Que faire ? À quoi donc s’occuper ?
Maintenant qu’il n’a plus de têtes à couper,
Il trouve la vie âpre et le temps monotone.
Autrefois, il était le grand justicier
Plus fantastique et plus redouté que le Diable,
L’homme qui décapite un crime irrémédiable
Au tranchant toujours sûr du couperet d’acier.
Son nom, dit quelque part, rendait les gens tout blêmes ;
Lui seul, il pourvoyait légalement la mort ;
Et bien qu’il pût rogner ses frères sans remord,
Sa vue épouvantait les magistrats eux-mêmes.
Et quand la Peur broyait avec son laminoir
Ceux qui doivent subir la peine capitale,
Au fond de leur cachot, la vision fatale
C’était lui, le Monsieur correct en habit noir.
Par les matins glacés, par les aurores tièdes,
Autrefois, il trônait debout sur l’échafaud ;
Et qui donc aurait pu le trouver en défaut
Quand il faisait le signe effroyable à ses aides ?
Folle, effarée autour du funèbre tréteau,
La foule se tordait comme un tas de couleuvres
Pour voir de près l’exécuteur des hautes œuvres
Qui du bout de son doigt fait tomber le couteau.
Donc, il ne verra plus grouiller la multitude ;
Il a perdu renom, besogne, revenu.
Il n’est par tout pays qu’un banal inconnu,
Rentier de la misère et de la solitude.
Il sera donc un homme à toute heure hanté
Par l’aspect du triangle oblong de la Justice !
Sempiternellement, il faudra qu’il pâtisse,
Moulu par la vieillesse et par l’oisiveté.
Il n’incarnera plus l’épouvante ! La Veuve,
Il ne la verra plus ! C’est un autre bourreau
Qui va dorénavant la tirer du fourreau,
Chaque fois qu’un jury voudra qu’elle s’abreuve.
Il ne l’essaiera plus sur les grands mannequins,
Le couteau récemment aiguisé par la meule !
Plus de têtes, jamais ! Jamais plus une seule !
Ô rage ! Et les prisons fourmillent de coquins !
Et malheureux cerveau qui brûle et se détraque,
Il n’a plus qu’un désir, chez lui comme en chemin,
C’est de guillotiner encore un être humain ;
Et sa monomanie à toute heure le traque.
L’avis impératif et concis du Parquet,
Voilà ce qu’il attend dans une horrible extase.
Entre l’abbé qui prie et le barbier qui rase,
Il se revoit, hâtant le festin du baquet.
Et partout, dans l’azur comme dans la tempête,
Il évoque une lame et cherche d’un œil fou
La grimace que fait une tête sans cou
Et l’affreux jet de sang qui sort d’un cou sans tête !
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Gendre et belle-mère
Jean était un franc débonnaire,
Jovial d’allure et de ton,
Égayant toujours d’un fredon
Son dur travail de mercenaire.
Soucis réels, imaginaires,
Aucuns n’avaient mis leur bridon
À son cœur pur dont l’abandon
Était le besoin ordinaire.
Je le retrouve : lèvre amère !
Ayant dans ses yeux de mouton
Un regard de loup sans pardon...
Quelle angoisse ? quelle chimère ?
Quelle mauvaise fée a donc
Changé ce gars ? Sa belle-mère !
II
Il n’aurait pas connu la haine
Sans la vieille au parler bénin
Qui d’un air cafard de nonnain
L’affligeait et raillait sa peine.
Il avait la bonté sereine
Et l’apitoiement féminin.
Il n’aurait pas connu la haine
Sans la vieille au parler bénin.
Aujourd’hui, la rage le mène.
Pour mordre, il a le croc canin
Et son fiel riposte au venin.
Non ! sans cette araignée humaine,
Il n’aurait pas connu la haine !
III
Il devint fou. Comme un bandit,
Il vivait seul dans un repaire,
Âme et corps ; gendre, époux et père,
Se croyant à jamais maudit.
Tant et si bien que, s’étant dit
Qu’il n’avait qu’une chose à faire :
Assassiner sa belle-mère
Ou se tuer ? — il se pendit !
— Au sourd roulement du tonnerre
Que toujours plus l’orage ourdit,
Son corps décomposé froidit,
Veillé par un spectre sévère :
Encor, toujours, sa belle-mère !
IV
La belle-mère se délecte
Au chevet de son gendre mort,
Et le ricanement se tord
Sur sa figure circonspecte.
Avec ses piqûres d’insecte
Elle a tué cet homme fort.
La belle-mère se délecte
Au chevet de son gendre mort.
Sitôt qu’on vient, son œil s’humecte,
Elle accuse et maudit le sort !
Mais, elle sourit dès qu’on sort…
Et, lorgnant sa victime infecte,
La belle-mère se délecte.
V
Enterré, le soir, sans attendre,
Sur sa tombe elle est à genoux
Voilà ce qu’en son tertre roux
La croix de bois blanc peut entendre
« Enfin ! J’viens donc d’t’y voir descendre
Dans tes six pieds d’terr’ ! t’es dans l’t’rou.
C’te fois, t’es ben parti d’cheux nous,
Et tu n’as plus rin à prétendre.
Rêv’ pas d’moi, fais des sommeils doux,
Jusqu’à temps q’la mort vienn’ me prendre,
Alors, j’s’rai ta voisin’ d’en d’sous,
J’manq’rai pas d’tourmenter ta cendre...
L’plus tard possible ! au r’voir, mon gendre.
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La Réprouvée
Quelle était donc, ainsi, tout de noir recouverte,
Cette femme, là-bas, d’un si lugubre effet,
En me croisant, m’ayant laissé voir qu’elle avait
Le crâne dans du linge et la figure verte ?...
Mais, verte ! de ce vert végétal, cru, blanc jaune,
Comme un gros masque d’herbe et de feuilles de chou !
Elle avait passé là, d’un pied de caoutchouc,
Sans bruit, avec un air de chercheuse d’aumône.
Je la suivais des yeux, je la suivis des pas ;
Et, quand je fus près d’elle, en tremblant, presque bas,
Dans le son de ma voix mettant toute mon âme ;
« Mais qui donc êtes-vous, lui dis-je, pauvre femme ? »
Alors, parlant de dos, elle me répondit :
« C’que j’suis ? Vous n’savez pas ? eh ben ! j’suis l’êtr’ maudit !
Oh ! l’plus misérable et l’plus triste
Comm’ le plus inr’gardab’ q’existe !
N’ayant rien qu’à s’montrer pour fair’ le désert ;
J’suis la femm’ dont, au moins depuis vingt ans, l’cancer
A mangé p’tit à p’tit la fac’, comme un’ lent’ bête ;
Celle qui traîne après ell’ du dégoût et d’l’effroi,
À qui, s’renfermant vit’, les gens de son endroit
Donn’ du pain en r’tournant la tête !
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La Morte
Je viens d’enterrer ma maîtresse,
Et je rentre, au déclin du jour,
Dans ce gîte où la mort traîtresse
A fauché mon dernier amour.
En m’en allant au cimetière
Je sanglotais par les chemins,
Et la nature tout entière
Se cachait le front dans les mains.
Oh ! oui ! la nature était triste
Dans ses bruits et dans sa couleur ;
Pour un jour, la grande Égoïste
Se conformait à ma douleur.
La prairie était toute pleine
De corneilles et de corbeaux,
Et le vent hurlait dans la plaine
Sous des nuages en lambeaux :
Roulant des pleurs sous ses paupières
Un mouton bêlait dans l’air froid,
Et de la branche au tas de pierres
L’oiseau volait avec effroi.
L’herbe avait un frisson d’alarme,
Et, le long de la haie en deuil
Où tremblotait plus d’une larme,
Mon chien aboyait au cercueil.
Et, comme moi, soleil, fleur, guêpe,
Tout ce qui vole, embaume, ou luit.
Tout semblait se voiler d’un crêpe,
Et le jour était plein de nuit.
Donc, j’ai vu sa bière à la porte
Tandis que l’on sonnait son glas!…
Et maintenant, la pauvre morte
Est dans la terre ! hélas ! hélas !
En vain, j’évoque la magie
D’un être qui m’était si cher,
Et mon corps à la nostalgie
Épouvantable de sa chair ;
Ce n’est qu’en rêve que je touche
Et que j’entends et que je vois
Ses yeux, son front, ses seins, sa bouche
Et la musique de sa voix !
Matins bleus, jours gais, nuits d’extase,
Colloque à l’ombre du buisson
Où le baiser coupait la phrase
Et qui mourait dans un frisson,
Tout cela, chimères et leurre,
Dans la mort s’est évaporé !
Et je me lamente et je pleure
A jamais farouche et navré.
Je crois voir sa tête sans joue !
Horreur ! son ventre s’est ouvert :
Oh ! dans quelques jours qu’elle boue
Que ce pauvre cadavre vert !
Sur ses doigts et sur son cou roides
Pleins de bagues et de colliers,
Des bêtes gluantes et froides
Rampent et grouillent par milliers.
Oui, ce corps, jalousie atroce !
Aliment de mes transports fous,
C’est maintenant le ver féroce
Qui le mange de baisers mous.
Sa robe, son coussin de ouate,
Ses fleurs, ses cheveux, son linceul
Moisiront dans l’horrible boîte.
Son squelette sera tout seul.
Hélas! le squelette lui-même
A la fin se consumera,
Et de celle que mon cœur aime
Un peu de terre restera.
Quel drame que la pourriture
Fermentant comme un vin qui bout !…
Pièce à pièce, la créature
Se liquéfie et se dissout.
Mes illusions ? renversées !
Mon avenir ? anéanti !
Entre quatre planches vissées
Tout mon bonheur s’est englouti.
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La Ressusciteuse
Je dis à la bergère : « Où donc est ta bessonne !
Oh ! mais, comme tu lui ressembles ! »
La fille soupira : « Ma sœur est mort’ ! personne
N’nous verra plus jamais ensemble.
C’est vrai que j’suis son doub’, son r’venant q’l’on dirait,
Celui-là qui me r’gard’ la voit.
De visag’, de parler, d’taill’, j’suis tout son portrait :
J’suis elle, comme elle était moi.
Je m’la ressuscit’ ben souvent.
J’prends tout c’quell’ portait d’son vivant,
À sa façon, j’m’en habill’ telle,
Et puis, d’vant un’ glac’, pour tout d’bon,
J’y cause… et, lorsque j’y réponds,
Je me figure que c’est elle !
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Pourtant, la Slovénie existait bel et bien, elle était ici, dans cette pièce, au-dehors, dans les montagnes qui l’entouraient, et sur la place qui s’étendait sous ses yeux: la Slovénie était son pays.
Paulo Coelho dans Veronika décide de mourir (1998), traduction par Françoise Marchand-Sauvagnargues
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Le Mensonge
Croyant que je l’aimais avec idolâtrie,
Elle avait dépouillé tout ce qui la couvrait :
Comme un soleil couchant, la Pudeur colorait
Le nuage laiteux dont elle était pétrie.
Et tandis que son geste affolé m’implorait
Et que ses yeux profonds mouillaient leur songerie,
La Vérité mettait sur sa bouche fleurie
Le soupirant aveu de son désir secret.
Mais mon hypocrisie ardemment calculée
Mentait par tout mon être à cette Immaculée :
Car, évoquant alors un vertige ancien,
De l’air d’un faux dévot qui dit sa patenôtre,
Je râlais un prénom qui n’était pas le sien
Et dans sa nudité j’en incarnais une autre.
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La Grande Cascade
À cette heure, elle n’est sensible,
La grande cascade du roc,
Qui par son tonnerre d’un bloc,
La nuit la rend toute invisible.
Et, pourtant, sa rumeur compacte
Décèle son bavement fou,
Sa chute à pic, en casse-cou,
Son ruement lourd de cataracte.
Un instant, l’astre frais et pur
Écarte son nuage obscur,
Comme un œil lève sa paupière ;
Et l’on croit voir, subitement,
Crouler des murs de diamant
Dans un abîme de lumière.
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Le Jeteur d'épervier
De loin, j’apercevais comme une forme humaine,
Noire et gesticulant d’une étrange façon,
En marchant au milieu de l’eau. — J’eus le frisson :
La mort s’offrait là-bas à quelque veuve en peine...
Et, longeant la rivière à travers le brouillard,
Je courais, pour tâcher de sauver le pauvre être,
Lorsqu’au lieu d’une femme en deuil, je vis un prêtre
Pêchant à l’épervier — sans rabat, le gaillard !
Souple et fort, poings tendus, à pleine corde... Floc !
Il le déployait rond — tout entier, d’un seul bloc.
Quant aux balles, ses dents n’avaient pas l’air d’y mordre...
Les coups se succédaient en tous sens, à foison...
À peine s’il avait dépoché son poisson
Qu’il relançait plus loin son filet, sans le tordre.
À clignotements frais, luisaient les cieux sans voiles,
Et, longtemps, je suivis près de l’eau, les doublant,
Le grand fantôme noir au grand épervier blanc
Qui semblait maintenant pêcher dans les étoiles !...
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Le Grand Cercueil
Il pleuvasse avec du tonnerre...
Il est déjà tard… quand on voit
Dans le bourg entrer le convoi
De la défunte octogénaire.
La clarté du jour s’est enfuie.
Tristement, la voiture à bœufs
A repris son chemin bourbeux :
Le cercueil attend sous la pluie.
Un lent tintement qui vous glace
Dégoutte morne du clocher :
Voici tout le monde marcher
Vers la grande croix de la place,
Quand il s’approche de la pierre
Pour lever le corps, le curé,
Tout en chantant, reste effaré
Par l’énormité de la bière.
Certe ! avec ses planches massives,
Espèces de forts madriers
Crevassés, noueux, mal taillés,
Qui remplaceraient des solives,
Elle apparaît si gigantesque
En épaisseur, en large, en long,
Si haute, d’un tel poids de plomb,
Qu’à la voir on en frémit presque.
Elle s’étale sans pareille,
D’autant plus démesurément
Qu’elle renferme seulement
Un mince cadavre de vieille.
L’immense couvercle en dos d’âne
A l’air aussi grand que les toits ;
Le drap trop court montre son bois
Roux et jaune comme un vieux crâne.
Et tandis que d’une aigre sorte
Les enfants de chœur vont hurlant,
Le prêtre est là, se rappelant
Les dimensions de la morte.
« Qu’avait-elle ? cinq pieds, à peine !
C’était maigre et gros comme rien !
Un seul corps pour ça qui peut bien
En contenir une douzaine !
En a-t il fallu de la paille !
Aura-t-on dû l’empaqueter
Pour l’empêcher de ballotter
Comme un grain dans une futaille !
Quel menuisier ! ça tient du songe !
Il doit sûrement celui-ci
Avoir le regard qui grossit,
Et dans sa main le mètre allonge ! »
Les porteurs pliant sous leur charge,
En nombre, comme de raison,
Semblent traîner une maison.
Le brancard est bien long et large,
Mais, il est usé ! quoi qu’on dise,
Puisque, hélas ! le monstre ligneux
Croule avec un bruit caverneux,
Juste en pénétrant dans l’église.
C’est un bras du brancard qui casse...
On hisse l’effrayant cercueil
Sur l’estrade — et les chants de deuil
Sont bâclés sous la voûte basse.
Puis, les cloches vont à volées...
À la montée, oh ! que c’est dur
Et long ! — Enfin ! voici le mur
Que dépassent les mausolées.
Le chantre mêle sa voix fausse
Au bruit sourd des pas recueillis.
Debout, s’offre aux yeux ébahis
Le vieux sacristain dans la fosse.
L’ombre vient. Personne ne bouge.
L’homme surmène, haletant,
Ses deux outils où par instant
Le soleil met un reflet rouge
Brusque, le curé l’interpelle :
« Eh bien ! y sommes-nous ? » Et lui
Quitte la fosse avec ennui
En poussant sa pioche et sa pelle.
Le gouffre baille son mystère :
Mais, le cercueil n’y glisse pas.
« Je m’en doutais ! » grogne tout bas
Le sacristain qui rentre en terre.
Il remonte. On reprend la boîte
Qu’on ajuste du mieux qu’on peut.
Mais, il s’en faut toujours un peu :
La tombe est encore trop étroite.
De nouveau, la pioche luisante
Descend l’élargir. Cette fois,
Le cercueil y coule à plein bois
En même temps qu’on l’y présente.
Au bord du trou, qui s’enténèbre.
Un vieux qui tient le goupillon
Émet cette réflexion
En guise d’oraison funèbre :
« Elle a bien mérité sa fosse !
C’est égal ! tout d’même, elle était
Trop p’tit’ quand elle existait
Pour faire une morte aussi grosse ! »
Et, sous sa chape très ancienne,
Haut, solennel, — l’officiant
S’en revient en s’apitoyant
Sur sa défunte paroissienne :
« L’infortune l’a poursuivie !...
« Pauvre cadavre enguignonné !...
« Tout pour elle aura mal tourné,
« Dans la mort comme dans la vie !
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La Maladie
La maladie est une femme
Invisible comme un remord
Qui flétrit, tout prêts pour la mort,
La bouche rose et l’œil de flamme.
Elle vous surprend dans sa trame
Et vous plante sa dent qui mord.
La maladie est une femme
Invisible comme un remord.
Qu’elle soit noble, étrange, infâme,
Avec elle on a toujours tort !
Elle vous vide, elle vous tord
La chair, l’esprit, le cœur et l’âme ;
La maladie est une femme.
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Le Miracle
Sous la pluvieuse lumière,
Dans l’air si glacé, la chaumière,
Non loin d’un marais insalubre,
Est lamentablement lugubre.
Au-dedans, c’est tant de misère
Que d’y penser le cœur se serre !
De chaque solive minée,
Du grand trou de la cheminée
Dont le foyer large est tout vide,
Le froid tombe en un jour livide ;
Et la bise a l’entrée aisée
Par la porte et par la croisée.
Or, dans ce logis où la fièvre
Allume l’œil, verdit la lèvre,
Et fait sonner la toux qui racle,
Il va s’accomplir un miracle :
La femme est accroupie à l’angle
Du mur, près d’un vieux lit de sangle.
Stupéfaite, elle est là qui lorgne
Sa petite fenêtre borgne,
Puis, machinale, elle emmitoufle
Son nourrisson presque sans souffle.
Trois petiots ayant triste mine
Rampent comme de la vermine
Sur une mauvaise paillasse
Dans un coin d’ombre où ça brouillasse.
Et la malheureuse sanglote
Et dit d’une voix qui grelotte,
Comme se parlant dans le songe
Où la réalité la plonge :
« Au moulin je suis retournée...
On m’a refusé la fournée.
Plus de pain ! a-t-elle été courte
Malgré mes jeûnes, cette tourte !
Et plus de lait dans ma mamelle
Pour nourrir l’enfant ! tout s’en mêle. »
Elle pense, elle se consulte,
Délibère. Rien n’en résulte,
Sinon qu’elle voit plus affreuse
Sa détresse qu’elle recreuse.
À la fin, pour la mort elle opte,
Et voici le plan qu’elle adopte :
« Oui, son sort n’étant résoluble
Qu’ainsi, ce soir elle s’affuble
De sa capote berrichonne,
Complètement s’encapuchonne,
Alors, sa petite famille
Dans les bras, vers l’étang qui brille
Elle s’en va, s’avance jusque
Au bord, et puis, un plongeon brusque !... »
Mais, vite, sa raison s’adresse
Aux scrupules de sa tendresse.
« Tes enfants ? c’est plus que ton âme ;
Tu les aimes trop, pauvre femme !
T’ont-ils donc demandé de naître
Tes petits, pour leur ôter l’être ?
Même privés de subsistance
Ils ont le droit à l’existence.
D’ailleurs, aurais-tu le courage
D’accomplir un pareil ouvrage ?
Vois-tu tes douleurs et tes hontes,
Quand il faudrait rendre des comptes
Au père qu’à toutes les heures
Avec tant de regret tu pleures ? »
Elle maudit l’horrible idée
Qui l’avait d’abord obsédée.
Mais la souffrance lui confisque
Son reste de force ! elle risque
De se consumer tant, qu’elle aille
Trop mal, pour soigner sa marmaille,
Mendier ? mais, bien loin, sous le givre,
Les enfants ne pourraient la suivre.
Et personne de connaissance
Pour les garder en son absence !
« Que faire ? si pour eux je vole...
La prison ! j’en deviendrais folle,
Puisqu’elle me serait ravie
Leur présence qui fait ma vie. »
Elle songe, et son corps en tremble...
« Oh ! si nous mourions tous ensemble,
Eux si malades, moi si frêle,
De la bonne mort naturelle ! »
Et voilà qu’elle est exaucée
La prière de sa pensée :
Car, soudain, les trois petits pâles
Poussent à l’unisson trois râles.
Elle aussi le trépas la touche
À l’instant même où sur sa bouche
Son nourrisson expire, en sorte
Qu’elle le baise en étant morte,
Tandis que, vers eux étendues,
Ses deux maigres mains de statue,
Couleur des cierges funéraires,
Semblent bénir les petits frères.
poésie de Maurice Rollinat
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La Belle Fromagère
Par la rue enfiévrante où mes pas inquiets
Se traînent au soleil comme au gaz, je voyais
Derrière une affreuse vitrine
Où s’étalaient du beurre et des fromages gras,
Une superbe enfant dont j’admirais les bras
Et la plantureuse poitrine.
Le fait est que jamais fille ne m’empoigna
Comme elle, et que jamais mon œil fou ne lorgna
De beauté plus affriolante !
Un nimbe de jeunesse ardente et de santé
Auréolait ce corps frais où la puberté
Était encore somnolente.
Elle allait portant haut dans l’étroit magasin
Son casque de cheveux plus noirs que le fusain
Et, douce trotteuse en galoches,
Furetait d’un air gai dans les coins et recoins,
Tandis que les bondons jaunes comme des coings
Se liquéfiaient sous les cloches.
Armés d’un petit fil de laiton, ses doigts vifs
Détaillaient prestement des beurres maladifs
À des acheteuses blafardes ;
Des beurres, qu’on savait d’un rance capiteux,
Et qui suaient l’horreur dans leurs linges piteux,
Comme un affamé dans ses hardes.
Quand sa lame entamait Gruyère ou Roquefort,
Je la voyais peser sur elle avec effort,
Son petit nez frôlant les croûtes,
Et rien n’était mignon comme ses jolis doigts
Découpant le Marolle infect où, par endroits,
La vermine creusait des routes.
Près de l’humble comptoir où dormaient les gros sous
Les Géromés vautrés comme des hommes saouls
Coulaient sur leur clayon de paille,
Mais si nauséabonds, si pourris, si hideux,
Que les mouches battaient des ailes autour d’eux,
Sans jamais y faire ripaille.
Or, elle respirait à son aise, au milieu
De cette âcre atmosphère où le Roquefort bleu
Suintait près du Chester exsangue ;
Dans cet ignoble amas de caillés purulents,
Ravie, elle enfonçait ses beaux petits doigts blancs,
Qu’elle essuyait d’un coup de langue.
Oh ! sa langue ! bijou vivant et purpurin
Se pavanant avec un frisson vipérin
Tout plein de charme et de hantise !
Miraculeux corail humide et velouté
Dont le bout si pointu trouait de volupté
Ma chair, folle de convoitise !
Donc, cette fromagère exquise, je l’aimais
Je l’aimais au point d’en rêver le viol ! mais,
Je me disais que ces miasmes,
À la longue, devaient imprégner ce beau corps
Et le dégoût, comme un mystérieux recors,
Traquait tous mes enthousiasmes.
Et pourtant, chaque jour, rivés à ses carreaux,
Mes deux yeux la buvaient ! en vain les Livarots
Soufflaient une odeur pestilente,
J’étais là, me grisant de sa vue, et si fou,
Qu’en la voyant les mains dans le fromage mou
Je la trouvais ensorcelante !
À la fin, son aveu fleurit dans ses rougeurs ;
Pour me dire : « je t’aime » avec ses yeux songeurs,
Elle eut tout un petit manège ;
Puis elle me sourit ; ses jupons moins tombants
Découvrirent un jour des souliers à rubans
Et des bas blancs comme la neige.
Elle aussi me voulait de tout son être ! À moi,
Elle osait envoyer des baisers pleins d’émoi,
L’emparadisante ingénue,
Si bien, qu’après avoir longuement babillé,
Par un soir de printemps, je la déshabillai
Et vis sa beauté toute nue !
Sa chevelure alors flotta comme un drapeau,
Et c’est avec des yeux qui me léchaient la peau
Que la belle me fit l’hommage
De sa chair de seize ans, mûre pour le plaisir !
Ô saveur ! elle était flambante de désir
Et ne sentait pas le fromage !
poésie de Maurice Rollinat
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La Cornemuse
Sa cornemuse dans les bois
Geignait comme le vent qui brame
Et jamais le cerf aux abois,
Jamais le saule ni la rame,
N’ont pleuré comme cette voix.
Ces sons de flûte et de hautbois
Semblaient râlés par une femme.
Oh ! près du carrefour des croix,
Sa cornemuse !
Il est mort. Mais, sous les cieux froids,
Aussitôt que la nuit se trame,
Toujours, tout au fond de mon âme,
Là, dans le coin des vieux effrois,
J’entends gémir, comme autrefois,
Sa cornemuse.
poésie de Maurice Rollinat
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Jalousie féline
Cependant que juché sur l’un des hauts divans
Le chat jaune poussait de ronronnantes plaintes,
Dans un boudoir gorgé de parfums énervants,
Je veillais la très chère à genoux et mains jointes,
Et mon baiser rôdeur, papillon de ses seins,
Effleurait leurs contours et vibrait à leurs pointes.
Vierges des nourrissons, vampires assassins,
Ils étaient froids et durs comme des pommes vertes
Et plus blancs que le cygne errant sur les bassins.
Voluptueusement elle dormait, et certes,
Jamais femme n’aura, pour mordiller l’amant,
Les dents que laissaient voir ses lèvres entrouvertes.
Très blanche, comme pour un enlinceulement,
Sa robe la couvrait d’un brouillard de guipure,
En sorte que les seins étaient nus seulement.
Et les reflets de l’âtre en livide jaspure
Rampaient sur le divan d’où le chat regardait
Cette gorge d’amour aussi belle qu’impure.
Même dans le sommeil profond elle gardait
Sa morgue ! et telle était sa magique attirance
Qu’irrésistiblement tout mon être y tendait.
Voilà pourquoi je vis avec indifférence
L’œil toujours si câlin du gigantesque chat
Se charger tout à coup de haine et de souffrance
Ô langueur criminelle indigne de rachat !
Je ne pris nulle garde à la jalouse bête,
Quand il aurait fallu que ma main l'écorchât !
En vain, il se tordait les yeux hors de la tête,
En vain, il écumait fou de rage, en grinçant
Comme une girouette au fort de la tempête ;
Je fus aveugle et sourd pour lui ! tout languissant
D’amour et de sommeil, j’accrochais mon extase
À ces deux bouts de seins plus rouges que du sang.
Et je bâillais, râlant je ne sais quelle phrase,
Lorsque soudain je vis le chat jaune vers nous
Ramper lentement comme un crapaud dans la vase.
Oh ! ces poils hérissés ! ces miaulements fous !
— Mais la chambre devint ténébreuse et mouvante,
Puis, plus rien ! et je dus m’endormir à genoux.
Et la paix du cercueil hantait ma chair vivante
Lorsque je fus tiré de ce fatal sommeil
Par un cri surhumain d’horreur et d’épouvante !
Oh ! maudite la lune et maudit le soleil !
Que sous l’homme à jamais la terre se dérobe !
Pourquoi donc pas la mort, plutôt que ce réveil !
— Là, hurlant de douleur, pâle dans une robe
De pourpre, ensanglantant la neige des coussins,
Rachel se débattait sous la bête hydrophobe
Qui miaulait en lui déchiquetant les seins !
poésie de Maurice Rollinat
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Ballade du châtaignier rond
Le râle de genêts croassait dans les prés
Comme un peigne qu’on racle au milieu du mystère ;
Le soir décolorait les arbres effarés,
Et lentement la Lune, au ras du ciel austère,
Se recourbait en arc ainsi qu’un cimeterre.
C’est alors que, tout seul dans la vallée, au bruit
Du crapaud des étangs qui flûtait son ennui,
Par les taillis scabreux, les labours et le chaume,
Je m’en allais parfois rêver jusqu’à minuit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.
Aux bêlements lointains des moutons égarés,
Plus fatidiquement qu’un glas de monastère,
Le chat-huant mêlait ses sanglots acérés,
Si tristes, qu’un frisson de peur involontaire
Vous prend, lorsqu’un mauvais écho les réitère.
C’était l’heure des loups que le sorcier conduit ;
De la voix qui vous hèle, et du pas qui vous suit ;
Le grillon n’avait plus qu’un murmure d’atome ;
Et la mousse enchâssait le petit ver qui luit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.
Le court vacillement des farfadets soufrés
Annonçant des esprits qui revenaient sur terre,
Dansait au bout des joncs des chemins engouffrés ;
Puis, à la longue, tout finissait par se taire,
Et le silence entrait dans la nuit solitaire.
Et j’oubliais la tombe où la Mort nous réduit
En cendres ! J’oubliais le monde qui me nuit ;
Le sommeil des buissons me charriait son baume,
Et je m’évaporais avec le vent qui fuit
Sous le châtaignier rond dressé comme un fantôme.
poésie de Maurice Rollinat
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La Chimère
Il avait l’air hagard quand il entra chez moi,
Et c’est avec le geste âpre, la face ocreuse,
L’œil démesurément ouvert, et la voix creuse
Qu’il me fit le récit suivant : Figure-toi
Que j’errais au hasard comme à mon habitude,
Enroulé dans mon spleen ainsi qu’en un linceul,
Ayant l’illusion d’être absolument seul
Au milieu de l’opaque et rauque multitude.
Fils de ma dangereuse imagination,
Mille sujets hideux plus noirs que les ténèbres
Défilaient comme autant de nuages funèbres
Dans mon esprit gorgé d’hallucination.
Peu à peu cependant, maîtrisant la névrose,
J’évoquais dans l’essor de mes rêves câlins
Un fantôme de femme aux mouvements félins
Qui voltigeait, tout blanc sous une gaze rose.
J’ai dû faire l’effet, même aux passants blasés,
D’un fou sur qui l’accès somnambulique tombe,
Ou d’un enterré vif échappé de la tombe,
Tant j’ouvrais fixement mes yeux magnétisés.
Secouant les ennuis qui la tenaient captive
Mon âme tristement planait sur ses recors,
Et je m’affranchissais de mon odieux corps
Pour me vaporiser en brume sensitive :
Soudain, tout près de moi, dans cet instant si cher
Un parfum s’éleva, lourd, sur la brise morte,
Parfum si coloré, d’une strideur si forte,
Que mon âme revint s’atteler à ma chair.
Et sur le boulevard brûlé comme une grève
J’ouvrais des yeux de bœuf qu’on mène à l’abattoir,
Quand je restai cloué béant sur le trottoir :
Je voyais devant moi la femme de mon rêve.
Oh ! c’était bien son air, sa taille de fuseau !
À part la nudité miroitant sous la gaze,
C’était le cher fantôme entrevu dans l’extase
Avec ses ondoîments de couleuvre et d’oiseau.
Certes ! je ne pouvais la voir que par derrière :
Mais, comme elle avait bien la même étrangeté
Que l’autre ! Et je suivis son sillage enchanté,
Dans l’air devenu brun comme un jour de clairière.
Je courais, angoisseux et si loin du réel
Que j’incarnais déjà mon impalpable idole
Dans la belle marcheuse au frisson de gondole
Qui glissait devant moi d’un pas surnaturel.
Et j’allais lui crier dans la cohue infâme,
Frappant et bousculant tout ce peuple haï :
« Je viens te ressaisir, puisque tu m’as jailli
« Du cœur, pour te mêler aux passants ! » quand la Dame
Se retourna soudain : oh ! je vivrais cent ans
Que je verrais toujours cet ambulant squelette !
Véritable portrait de la Mort en toilette,
Vieux monstre féminin que le vice et le temps,
Tous deux, avaient tanné de leurs terribles hâles ;
Tête oblongue sans chair que moulait une peau
Sépulcrale, et dont les paupières de crapaud
Se recroquevillaient sur des prunelles pâles !
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